Le chiffre rendu public par l'Union Africaine par le Panel de haut niveau sur les flux financiers illicites est énorme. 88 milliards de dollars, c'est le montant que l'Afrique perd chaque année à cause des flux financiers illicites (FFI). Autrement dit, c'est l'argent qui s'évapore d'Afrique, échappant à toute utilisation locale pour financer le développement du continent.
Le rapport qui note une hausse de 76 % des FFI par rapport au dernier rapport sur la question, soulève ''l'insuffisance des bases de données douanières, la faible régulation des institutions financières non bancaires, la forte dépendance aux transactions en espèces, l'absence de contrôle des bureaux de change, la réglementation laxiste sur l'ouverture de comptes bancaires non-résidents'' entre autres comme des facteurs qui favorisent la circulation des FFI.
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Pour bien cerner ce phénomène, l'Union Africaine avait mis en place il y a quelques années, le panel de haut niveau dirigé par l'ancien président sud-africain Thabo Mbéki.
Par flux financiers illicites, il faut comprendre les divers ''mouvements financiers illicites dans leur origine, leur transfert ou leur utilisation qui traversent les frontières nationales pour se retrouver en général en dehors du continent''.
L'aspect de franchissement des frontières nationales est une des caractéristiques essentielles des flux financiers illicites.
Les ressources quittent généralement les pays africains où l'État de droit est faible (pays d'origine) et se retrouvent dans des pays ou territoires où des législations parfois complexes offrent de meilleures protections aux propriétaires grâce au secret bancaire (pays de destination).
88 milliards, l'argent qui échappe à l'Afrique
Les 88 milliards de dollars de flux financiers illicites représentent environ 3,7 % du PIB du continent. Ce montant est supérieur à l'aide publique au développement que reçoit l'Afrique dont les estimations les plus généreuses tablent autour de 70 milliards de dollars en 2023. Il dépasse de loin aussi les 48 milliards dollars d'IDE (Investissement directs étrangers) reçus par l'Afrique en 2023.
Entre 2000 et 2015, le total de capitaux qui est sorti hors d'Afrique de façon illicite s'est élevée à 836 milliards de dollars selon la CNUCED (Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement.
Sur la même période, l'encours total de la dette extérieure du continent, s'élevait à 770 milliards de dollars en 2018 d'après l'agence onusienne qui déclare que cette situation fait que l'Afrique un « créancier net du monde ».
D'où proviennent ces ressources perdues chaque année par l'Afrique ?
D'un point de vue sectoriel, le secteur des ressources naturelles en Afrique est au centre des préoccupations. Sont mis en cause la ''la falsification des prix, les contrats cachés et le lien avec le trafic illégal, le terrorisme et la corruption''.
''Dans le secteur de la pêche, les flux financiers sont principalement liés à la corruption tout au long de la chaîne de valeur, avec l'obtention en amont de droits de pêche en dehors des procédures légales et en violation des limites de l'exploitation durable des ressources'' souligne pour sa part la Banque africaine de développement.
De façon générale, les experts ont identifié quatre domaines qui favorisent la circulation des flux financiers illicites.
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En premier lieu, la fraude fiscale et les pratiques commerciales frauduleuses. Une bonne partie des fonds qui s'évaporent d'Afrique proviendrait de la fraude fiscale, de l'évasion fiscale à travers certaines pratiques commerciales des entreprises qui opèrent en Afrique et des falsification des prix et contrats.
En deuxième catégorie, on retrouve les flux financiers liés aux marchés illicites relatif au trafic de drogues, d'armes à feu, d'espèces sauvages, ainsi que la traite des humains.
En troisième catégorie, il y a l'argent issu de la corruption. Il s'agit ici de flux financiers qui englobent les versements de commissions, pots-de-vin, les détournements de fonds et les autres formes de corruption impliquant des transactions financières transnationales.
Et en quatrième catégorie, on a tout ce qui est lié à l'exploitation et au financement du crime et du terrorisme.
Les conséquences pour l'Afrique
Le rapport montre que les FFI ''affaiblissent les institutions de l'État en encourageant la corruption et sapent le principe de l'État de droit ainsi que le fonctionnement des systèmes de justice pénale''.
Par ailleurs cette évaporation de ressources prive l'Afrique et ses populations de leurs perspectives de développement.
Avec une population essentiellement jeune, le continent africain qui dispose de très peu d'infrastructures et qui importe l'essentielle des denrées alimentaires pour nourrir sa population a besoin d'investir pour son développement, de réduire la pauvreté endémique et d'offrir de meilleurs perspectives à une jeunesse qui constitue plus de 60 % de la population.
''Les FFI peuvent à la fois saper l'État de droit et priver les nations de ressources substantielles qui pourraient autrement être utilisées pour financer le développement notamment l'éducation, la santé, les infrastructures socio-économiques de base''.
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Comment mettre fin aux flux financiers illicites ?
La réponse à cette question dépend du type de flux financiers illicites, de leur origine et de la destination finale de l'agent.
Beaucoup de pays qui font de cette question, une grande préoccupation travaillent à mettre en place des mécanismes d'échange d'informations fiscales, via le Forum mondial sur la transparence et l'échange d'informations à des fins fiscales dirigé de l'Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE).
De nombreux pays dans le monde militent pour l'adoption de lois obligeant les multinationales à faire des déclarations d'impôts dans les pays où elles opèrent.
Le renforcement des systèmes nationaux de lutte contre le blanchiment d'argent à l'instar des cellules nationales de traitement de l'information financières dans certains pays d'Afrique va dans le même sens et vise à améliorer les efforts de transparence.
Une plus grande transparence fiscale et un échange d'informations à des fins fiscales à l'échelle mondiale devrait contribuer à réduire la circulation des flux financiers illicites à l'échelle du continent.
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