L'Ong Association nationale d'aide à l'enfance en danger (Anaed), en partenariat avec le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant (Mffe), a lancé en novembre 2024, le Projet d’amélioration du système d’enregistrement des décès des femmes en Côte d’Ivoire (Pasefci). Un projet avec l’appui technique et financier de Vital Strategies, qui vise à réduire les inégalités de genre en renforçant la collecte, la centralisation et la fiabilité des données relatives aux décès féminins.
Le vendredi 19 septembre 2025, un atelier national a été organisé à Abidjan, Résidence Limaniya, à la Riviera Golf 4. Un conclave qui avait pour objectif de présenter et faire valider officiellement les résultats consolidés de l’étude Pasefci auprès des décideurs et partenaires nationaux pour soutenir les réformes et politiques en matière d’état civil et d’égalité de genre. Une étude qualitative et quantitative menée dans la région de la Bagoué pour identifier les obstacles systémiques, institutionnels, culturels et techniques freinant l’enregistrement des décès féminins et proposer des recommandations concrètes pour renforcer le dispositif national d’état civil.
A cette occasion, Coulibaly Zoumana, socio-anthropologue, maître de conférences à l'Université Péléforo Gbon Coulibaly et expert-genre, est revenu sur cette étude menée pour le compte du Pasefci, financée par Vital Stratégie. ''Cette étude a pour objet de contribuer à l'amélioration du système de déclaration des décès des femmes. Au cours de cette étude, nous nous sommes intéressés à une zone particulière qui est la région de la Bagoué. Cette région est située pratiquement dans le nord de la Côte d'Ivoire et qui fait frontière avec les pays de la zone sahélienne'', a-t-il rappelé. Ensuite, Coulibaly Zoumana a révélé qu'il est ressorti de cette étude, la non-déclaration de façon systématique de près de 40% selon l'Organisation mondiale de la santé (Oms) des décès des femmes.
Des statistiques qui interpellent d'où ce déploiement sur le terrain avec un regroupement en quatre dimensions d'éléments qui en sont ressortis. Il s'agit d'éléments liés aux caractéristiques socio-démographiques, qui établissent un déficit d'information des femmes sur le processus de déclaration par rapport aux hommes.
Pis, l'expert-genre, Coulibaly Zoumana a souligné que l'autre élément de cette situation alarmante, découle du niveau de l'alphabétisation. ''Étant donné que les chefs de famille, les chefs de ménage dans cette région sont autour de 60%, ils ne savent ni lire ni écrire. Cela pose problème pour la maîtrise du processus de déclaration'', s'est-il inquiété, avant de confier que la pertinence dans cette démarche est venue de l'intérêt accordé aux normes de genre.
Pour lui, qui parle de normes des genre, pose évidemment la problématique de la condition de la femme, et du statut de la femme dans la société. A l'en croire, il est également ressorti de cette étude que les femmes sont considérées dans la région de la Bagoué, (pour les populations interrogées), comme des cadettes sociales. Car, elles ne participent pas à la prise de décision.
''C'est pratiquement l'homme, quel que soit son âge, qui prend la décision'', a constaté avec amertume Coulibaly Zoumana, énumérant d'autres éléments d'intérêt de cette étude que sont les facteurs économiques, avec une gestion exclusive de la richesse de la famille par les chefs de famille, les chefs de ménage qui sont les hommes. Alors que cette richesse est produite aussi bien par les femmes que les hommes.
Pour M. Coulibaly, la mise à l'écart de la femme de la gestion, l'expropriation foncière de la femme sont considérées comme des des facteurs qui peuvent contribuer à ralentir, à freiner les déclarations de décès des femmes. Une situation qui, selon lui, résulte du fait qu'il n'y a pas de biens transférables quand elles décèdent. Que faire pour juguler cette inégalité entre les hommes et les femmes ?
Une problématique à laquelle l'exégète en genre a estimé que le seul problème, aujourd'hui sur le terrain, n'est autre que le manque d'information. Puis de se convaincre qu'il est plus que nécessaire de donner l'information, en impliquant les leaders communautaires, notamment les chefs des villages, les guides religieux, musulmans, chrétiens, dans le processus de déclaration.
De sorte que dès qu'il y a un décès dans un village, les personnes qui sont les premières interpellées, c'est le chef des villages. Le maître de conférences à l'Université Péléforo Gbon Coulibaly a conclu en faisant des propositions basées sur le retour aux fondamentaux.
Surtout en tenant compte des réalités de cette société africaine, généralement, gérée de façon patriarcale.
Bien avant, le Directeur régional du ministère de la Femme, de la Famille et de l'Enfant, Closius Adjemian, s'est prononcé sur l'étude du Pasefci déclinée autour d'un aspect genre pour analyser l'aspect socio-anthropologique ou socio-culturel. Mais comprendre les fondements, les logiques culturelles qui sont derrière la non ou la sous-déclaration des décès des femmes. Et aussi d'un aspect juridique pour analyser le cadre national et faire le rapport avec le système Crvs (Système d'enregistrement des faits et de statistiques d'état-civil), pour voir le gap entre ce qui est prescrit et l'existant.
Pour le Directeur régional de la Femme, de la Famille et de l'Enfant dans la Bagoué, Closius Adjemian, cette etude a établi une véritable inopérationnalité
du système de la région de la Bagoué.''Il faut un renforcement de ce système. Alors aujourd'hui, cette étude vient pour combler une lacune. Comprendre que le système d'enregistrement ne capte pas suffisamment les données en matière de décès féminin et donc impacte les politiques sanitaires, les politiques publiques qui sont formulées en l'endroit de l'agent féminin'', a-t-il souhaité, tirant la sonnette d'alarme sur cette situation de la Bagoué qui reflète dans une certaine mesure la situation nationale.
Entre autres recommandations pour réparer cette inégalité, Closius Adjemian a appelé à l'implication forte de la communauté, et de l'État qui à travers la loi de 2018, a prévu des agents de collecte soient désignés, notamment des agents de collecte communautaires et sanitaires, pour aider au relais de l'information auprès des services d'état-civil.
Ainsi qu'à renforcer ce dispositif de proximité, pour qu'il soit viable et opérationnel, doter les services, bureaux d'état-civil den matière d'équipements et moyens suffisants pour véritablement traiter la question. Afin de nourrir efficacement les statistiques, comme il se doit, de données sur les femmes, pour permettre de booster les politiques qui sont prises à leur profit.
Cet atelier a été riche en échanges avec la participation d’acteurs étatiques, de partenaires techniques et financiers, d’Ong, d’experts, de représentants des collectivités territoriales et d’organisations communautaires.
DT

