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Société Publié le vendredi 23 janvier 2009 | Notre Voie

Professeur Thora Martina Herrmann, directrice de la chaire de recherche en ethnoécologie et conservation de la biodiversité (Université de Montréal, Canada) : "La défense de l`environnement est un élément de stabilité économique"

D’origine allemande, le professeur Thora Martina Herrmann vit depuis trois années au Canada, dans la province du Québec, où elle occupe le poste de directrice de la Chaire de recherche en ethnoécologie et conservation de la biodiversité. Le siège scientifique de cette Chaire se trouve à l’Université de Montréal où enseigne, d’ailleurs, le professeur Thora. Dans cet entretien, elle parle de la Chaire et des pays en voie de développement.


Notre Voie : Pourquoi une Chaire de recherche du Canada en ethnoécologie et conservation de la biodiversité ?

Thora Martina Herrmann : Aujourd’hui, à l’heure où les appels se multiplient pour arrêter la disparition de milliers d’espèces végétales et animales, il est fréquent d’oublier que plusieurs langues et cultures autochtones sont elles aussi en voie d’extinction. Pourtant, l’un ne va pas sans l’autre car la diversité biologique est étroitement liée à la diversité culturelle. Chaque société possède traditionnellement son propre ensemble de représentations, de savoirs et de pratiques. Et l’intervention humaine sur l’environnement, y compris sa gestion, est une forme sociale et une expression culturelle. Ainsi, la diversité culturelle est le reflet de la biodiversité. Cette étroite relation entre l’être humain et son milieu est au cœur des travaux de notre Chaire de recherche.


N.V. : Est-ce qu’il y a urgence d’agir ?

T.M.H. : Ecoutez, nous pensons qu’il y a de l’urgence. Un rapide survol des statistiques suffit pour s’en rendre compte. Certains pays phare comme la Côte d’Ivoire, la RDC, j’en passe, sont en proie aux turbulences sociopolitiques. Ce qui signifie que les ressources naturelles sont en difficulté de développement. Tandis que la liste des espèces animales et végétales menacées s’allonge constamment, près de la moitié des 5000 à 7000 langues actuellement parlées dans le monde sont en voie d’extinction immédiate. Plus que jamais, voici la raison d’être des travaux de la Chaire de recherche que je dirige avec une équipe de chercheurs résolument dévoués.
Il y a une Division de la Chaire en charge des pays en développement, notamment le continent africain et d’ailleurs piloté par une personne d’origine ivoirienne. Il est temps avec les universitaires, les scientifiques et la société civile des pays du sud d’alimenter les débats entre les autorités publiques et politiques. C’est une Chaire de recherche au service des pays en développement. L’enjeu est immense et il en va de la sauvegarde du patrimoine biologique et culturel de l’humanité.


N.V. : Concrètement, qu’est-ce que votre Chaire de recherche peut apporter au développement des pays du Sud, notamment les pays africains ?

T.M.H. : Les propositions de la Chaire ne sont que des réponses alternatives et globales. S’agissant du continent africain, nous travaillons actuellement au cas par cas pour prendre en considération l'ensemble des dynamiques territoriales, sociales, politiques, économiques et culturelles afin de proposer des avancées sur les différents axes que nous venons de citer plus haut.


N.V. : Quels sont vos liens avec les institutions onusiennes qui évoluent dans la gestion de l’environnement, la conservation de la biodiversité ou de la culture ?

T.M.H. : Les organisations onusiennes nous ont poussés à nous rapprocher d’elles. Aujourd'hui encore, les coopérations sont un des ciments du long édifice scientifique que nous construisons au cours des années. La division des axes dans ces organisations onusiennes qui sont aussi toute réunies au sein de notre Chaire, nous force à composer et à créer des liens avec bien d’autres structures, ce qui implique une meilleure représentativité de nos recherches. Notre Chaire organise des programmes de sciences appliquées à l’échelle sous régionale et internationale sur les relations entre écologie, paysage, histoire, culture et identité. Le lien avec les institutions onusiennes est primordiale car la Chaire ne se veut pas juste une Chaire dirigée par les scientifiques pour la science. Elle veut apporter des actions concrètes et aujourd’hui le fait de travailler ensemble avec l’ONU est une manière de multiplier nos efforts dans cette direction.


N.V. : Qu’en est-il du continent africain ?

T.M.H. : La Chaire entretient une étroite coopération avec trente trois (33) universités et institutions de recherche dans seize (16) pays. Par exemple, avec le Collège de France, nous sommes en train d’organiser un programme de recherche sur les impacts du changement climatique dans les écosystèmes montagnards au profit des pays africains et asiatiques, et leurs perceptions par les communautés locales. Ce programme comparatif sera conduit dans le Bouclier canadien, les Andes, les Alpes et l’Himalaya. Un second programme en cours de réalisation concerne l’utilisation et la conservation des plantes médicinales par les communautés rurales pour atténuer les effets secondaires du sida en Tanzanie et nous travaillons avec l’université de Dar-es-Salaam. Un troisième programme analysera les impacts du changement climatique sur la biodiversité dans les régions polaires, et réunit des universités chiliennes, argentines et canadiennes. Notre Chaire se veut dynamique et internationale.


N.V. : Vous préparez un congrès international sur la biodiversité et l’etnoécologie, peut-on en connaître les dates et les motivations ?

T.M.H. : Notre Chaire reste aussi un lieu de rencontres universitaires et d’échanges scientifiques. Nous organisons des congrès, des colloques et des forums. À titre d’exemple, je citerai le prochain “premier congrès international sur la diversité biologique et culturelle” avec le Secrétariat des Nations Unies de la Convention sur la diversité biologique (UNCBD), l’UNESCO et la FAO en 2010. En effet, ce travail de longue haleine avec l'UNCBD, l'UNESCO, et la FAO, a comme finalité cet ambitieux premier congrès international sur la diversité biologique et culturelle en juillet 2010 à Montréal qui reste aussi l’année internationale de la biodiversité, qui aura la particularité de réunir dignitaires nationaux, scientifiques et universitaires de tous les continents, les fonctionnaires internationaux, les ONG, et les citoyens afin de travailler ensemble contre la dégradation de la biodiversité que nous vivons actuellement, et que certains de nos confrères appellent déjà la plus grande extinction depuis celle des dinosaures. C’est un congrès qui a pour but de contribuer à traduire les engagements politiques en action concrète et de d'intégrer de manière proactive, les préoccupations relatives à la biodiversité et à la diversité culturelle dans les programmes et politiques de coopération au développement. Loin d'être un événement organisé uniquement par et pour des spécialistes de l'environnement, ce congrès vise à rassembler la société civile, tout citoyen qui souhaite s’y joindre, les représentants des peuples autochtones, des personnalités politiques, ainsi que des représentants de la coopération au développement et de l'environnement pour ensemble intensifier les efforts vers la conservation de la diversité culturelle et biologique et soutenir le développement durable. Le congrès s'efforcera tout particulièrement de faire progresser le dialogue sur la diversité culturelle et la biodiversité, car la durabilité de celles-ci, étroitement liées, est essentielle pour la survie même de l’humanité. Un objectif important est aussi d’établir un nouvel agenda, un plan d’action afin que la diversité culturelle soit prise en considération au même titre que la biodiversité dans toutes discussions relatives au développement durable. Il s’agit de donner la parole aux universitaires, aux scientifiques et à la société civile des pays du sud pour définir des politiques globales, allant du domaine des institutions à celui de la communication afin de créer un dialogue constructif entre divers partenaires du monde politique, public et privé, à l’échelle locale, nationale et internationale.


N.V. : On n’ignore pas, dans les pays africains, les dysfonctionnements par rapport aux problématiques de gestion des ressources naturelles. Quelle est la place de ces pays dans vos stratégies de développement ?

T.M.H. : Il est vrai que les problématiques des pays africains sur lesquels nous travaillons régulièrement avec le responsable de la division de l’Afrique de notre Chaire, sont la principale barrière à la réussite de tels projets. La sécurité alimentaire et l'emploi passent avant, et nous le comprenons, mais ces pays et leurs citoyens doivent comprendre, que la défense de l'environnement est un élément de stabilité économique ne serait-ce que par exemple pour la santé et le tourisme.


N.V. : Pensez-vous installer des représentations de votre Chaire dans les pays du sud ?
T.M.H. : C’est une option qui est en étude actuellement. Pour le moment, nous encourageons la création des collaborations avec des universités des pays du sud pour réaliser des projets de recherche en commun. Un autre point essentiel de la Chaire est les échanges, par exemple au Canada, les séjours de recherche, les stages de courte durée, l’accueil des étudiants au doctorat et/ou maîtrise. Aussi, nous sommes ouverts aux propositions des universités et institutions de développement ou de recherche scientifique des pays du sud pour la réalisation des conférences et des publications ensemble. C’est à l’analyse de tout cela qu’une politique de représentation de notre Chaire aura son sens.

Entretien réalisé au Canada par Bleu De Blondet (Correspondance particulière)
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