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Politique Publié le samedi 7 février 2009 | Le Nouveau Réveil

Assalé Tiémoko Antoine écrit au président Gbagbo : “Il faut organiser les états généraux contre la corruption et contre tous les maux de notre société”

Excellence monsieur le président,
Je voudrais, en ce début de nouvel an, vous souhaiter mes vœux les meilleurs de bonne santé et de réussite dans votre volonté d'œuvrer sincèrement, ensemble avec tous les ivoiriens, pour sortir notre pays de la situation désastreuse dans laquelle elle se trouve du fait de ses propres enfants. Ceci dit, je voudrais vous informer que je ne vous ai plus écrit depuis le 21 décembre 2007 parce que l'on m'avait envoyé en " stage " contre mon plein gré à la maison d'arrêt et de correction d'Abidjan (MACA). Mon " stage " a duré douze-jolis-petits-mois et je suis sorti de la prison, le vendredi 26 décembre 2008.
Monsieur le président, je dois reconnaître que ce " stage " a été extrêmement positif pour moi. Au-delà de ce qu'il m'a coûté douze mois de ma vie, il m'a permis de comprendre que la prison n'est pas forcément une mauvaise chose pour ceux qui ont la capacité de sublimer l'humiliation et la souffrance liées à l'enfermement entre quatre murs blindés. La prison n'est pas une mauvaise chose pour ceux qui ont la capacité de transformer " la boue " que leurs semblables leur donnent à manger par intolérance et méchanceté, en de " l'or ".
En prison, quand on est enfermé entre quatre murs dès 19 heures et qu'on se retrouve isolé, seul avec sa conscience, on a le temps, dans le silence profond de la " nuit noire ", de réfléchir, de méditer profondément, sur notre société, non pas de façon sectorielle, mais de façon globale. Et à force de méditer, on finit par découvrir la splendeur des vérités cachées. On découvre à quel niveau de bestialité, des hommes peuvent être réduits par d'autres hommes. On découvre la nécessité du combat pour le respect des droits de l'homme, droits sans lesquels toute société est condamnée à la misère, à l'injustice, au désordre et donc à la destruction. On découvre toute la démagogie, la vanité et la vacuité des discours, les mensonges incroyables sur lesquels notre société est assise, les mensonges d'Etat. On comprend finalement, les raisons pour lesquelles le développement de notre continent est encore au seuil de l'histoire humaine. La prison n'est donc pas forcément une mauvaise chose pour l'homme. Tout dépend de la raison qui vous y conduit. Et j'y ai été conduit pour avoir dénoncé dans un article, la corruption et les dysfonctionnements dans le système judiciaire d'un pays imaginaire qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à la côte d'ivoire. J'avais donc commis un crime de lèse-corruption-de-sa-majesté. Ce qui signifie que le but de mon emprisonnement était que je me taise et que je ne parle plus jamais, ou du moins, que je ne parle plus de corruption et de dysfonctionnements dans le service public de la justice de mon pays. J'en veux pour preuve monsieur le président, le rejet de ma demande de libération conditionnelle. De quoi s'agit-il ? La libération conditionnelle est une mesure de "grâce" accordée par le Ministre de la Justice sur avis du procureur de la République, aux prisonniers ayant purgé la moitié de leur peine et qui ont un comportement exemplaire au sein de la prison. (Articles 689 et 690 du code de procédure pénale de notre pays). Du mois de mars au mois de décembre 2008, plus de 180 prisonniers de la MACA ont obtenu leur libération par cette procédure. Et, pour la plupart d'entre eux, (ironie du sort), c'est moi qui ai rédigé leur demande de libération conditionnelle. Quand j'ai purgé 8 mois de ma peine et qu'il me restait plus que 4 mois, j'ai introduit ma demande de libération conditionnelle. Mon dossier a été transmis au Ministère de la justice en même temps que ceux d'un braqueur condamné à 10 ans et d'un escroc multirécidiviste condamné à 5 ans, le mercredi 6 août 2008, sur le même bordereau. Le vendredi 15 août 2008, le braqueur et l'escroc ont été libérés. Et moi, ma demande a été purement et simplement rejetée. C'est génial non, monsieur le président ? Notre pays a plus besoin d'un braqueur et d'un escroc en liberté que d'un défenseur de la justice et des droits de l'homme. Tout a donc été mis en œuvre, pour que je comprenne que je ne devrais plus parler de justice et de corruption dans ce pays. Corruption et justice, les mots sont lâchés, monsieur le président. " Je veux rendre propre la gestion de l'argent public. Il y a la corruption et c'est une véritable plaie. Mais tant que je serai chef de l'Etat, la lutte contre la corruption ne s'arrêtera pas ", avez-vous dit, le mercredi 21 janvier dernier. Il est vrai, et vous avez bien fait de le souligner, que la corruption est un vrai drame dans notre pays, mais on ne pourra rien faire contre cette corruption, tant qu'on n'aura pas posé les problèmes de notre société de façon globale. En effet, quand on observe le fonctionnement de notre société, quand on observe le comportement des ivoiriens que nous sommes, quand on observe tout le désordre qui règne dans nos rues, le désordre qui règne dans nos services publics, dans nos ministères où les Ministres se marchent sur les pieds à cause de la confusion dans la définition des tâches, quand on observe l'indiscipline caractérisée des automobilistes sur nos routes, quand on observe que les forces de l'ordre elles-mêmes créent délibérément les embouteillages en levant des barrages dans des endroits impossibles, quand on observe la violence systématique qu'utilisent les élèves et les étudiants dans leurs échanges avec leurs maîtres, quand on observe la situation dans laquelle se trouve l'école ivoirienne où ce sont les élèves qui fixent les dates des congés, quand on observe que la jeunesse ivoirienne, étranglée par un chômage endémique, s'est réfugiée dans l'alcool et que cela n'émeut personne, quand on observe que ce sont maintenant des enfants de 16, 17, 18 ans qui sont les braqueurs qui endeuillent au quotidien des familles, quand on observe notre capacité à nous accommoder des ordures, quand on observe que les autorités, prises elles-mêmes dans le " tourbillon " et débordées par l'ampleur des tâches à accomplir, se réfugient dans les " mesurettes " et la fuite en avant, on comprend que c'est toute notre société qui est malade. A partir de ce moment, il devient évident que la lutte contre la corruption ne peut se faire que par la mise en place de mécanismes qui empêchent les gens de voler l'argent public et de célébrer la corruption. Monsieur le président, mettre en prison, des gens soupçonnés d'avoir mal géré de l'argent public (des milliards comme vous le dites), ne pourrait en aucune manière être considérée comme une action de lutte contre la corruption, si cela n'est pas immédiatement suivi par la mise en place d'un mécanisme de contrôle rigoureux qui empêche durablement les autres ou ceux qui les remplacent, d'en faire autant. En effet, au nom de quoi les gens devraient arrêter de voler l'argent public s'il n'y a rien qui les empêche de le faire ? Au nom de quoi les gens devraient résister à la corruption ? Pour faire plaisir à qui ? A l'intérêt public ? C'est quoi l'intérêt public ? Combien sommes-nous dans ce pays, à savoir ce que c'est que l'intérêt public ? Au nom de quoi les forces de l'ordre devraient arrêter de racketter les usagers de la route quand tout le monde, dans tous les services publics, (même à la Présidence, vous l'avez dit), en font autant, sous des formes multiples ? Monsieur le Président, j'ai dénoncé la corruption, nous avons tous dénoncé la corruption, mais à présent, si tant est que nous voulons vraiment la combattre, nous devons rechercher des solutions durables. Nos partenaires économiques ne nous prendraient pas au sérieux, si nous nous contentons de dire " après la filière café-cacao, nous allons étendre la lutte à d'autres secteurs ". Quelle lutte ? Qu'est ce qui a changé dans notre façon de nous comporter dans les rues, dans les services publics, dans notre façon de gérer l'argent des ivoiriens, depuis l'emprisonnement des responsables de ladite filière ? La réponse coule de source : rien du tout ! Les alertes aux vols, aux détournements, à l'enrichissement illicite ne continuent-ils pas de plus belle ? Le président de nos députés au chômage et sans salaires depuis trois mois, monsieur Mamadou Koulibaly, ne parle-t-il pas de détournement de deniers publics et de mauvaise gestion des affaires publiques tous les jours que Dieu fait ? Cela ne signifie-t-il pas que la méthode utilisée est loin d'être efficace et qu'elle crée plus de problèmes qu'elle n'en résout ? N'est-il pas plus approprié d'ouvrir le débat et de donner la parole aux ivoiriens, plutôt que de vouloir le faire seul et d'être obligé de vous justifier à tout instant ? Monsieur le président, vous avez aussi parlé de la justice ivoirienne que vous voulez reformer. Et à l'égard de cette justice, vous avez fait les critiques les plus dures qu'aucun autre président avant vous n'a jamais faites. Quelqu'un a dit que le jour où ceux qui commanditent et financent les guerres se retrouveront en première ligne sur les champs de batailles, il n'y aura plus de guerres. Il avait raison. A la MACA, les gens qui estiment qu'ils sont injustement détenus sans jugement depuis des années, disent que le jour où l'Etat de côte d'ivoire inclura dans la formation de nos Magistrats, un séjour obligatoire de 72 heures à la cellule " blindée " n°110 du bâtiment C de la MACA, la justice ivoirienne retrouvera toutes ses valeurs perdues et fonctionnera normalement pour le développement de notre pays. Au-delà du caractère risible de cette proposition, se pose le problème de la confiance que les citoyens de ce pays et les opérateurs économiques ont dans notre justice qui, à l'image de notre pays, est dans un désordre total. C'est certainement pour cela que vous avez dit et je cite : " la justice ivoirienne rend souvent des décisions qui nuisent au pays. Il faut une grande reforme judiciaire pour mettre fin à une justice qui rend des décisions contradictoires en moins d'une semaine ou qui donne tort à des gens qui savent très bien qu'ils ont raison…". Excellence monsieur le président, en quelques phrases, vous avez reconnu et résumé tous les reproches que j'ai faits à notre justice et qui m'ont conduit en prison pour 365 jours. Ne suis-je pas en droit de réclamer un dédommagement ? Simple interrogation. Oui monsieur le président, vous avez dit exactement la même chose que moi. Moi, j'ai dit haut et fort, avec les mots, le style, le choix esthétique qui étaient les miens, que notre justice dysfonctionne et est gangrénée par la corruption. Vous, avec l'expérience et la subtilité qui sont les vôtres, vous n'avez pas utilisé le mot corruption mais c'est tout comme et vous n'en pensiez pas moins. En effet, qu'est ce qui peut pousser des Magistrats qui, jusqu'à preuve du contraire, bénéficient de la présomption d'être de nationalité ivoirienne, à rendre des décisions qui " nuisent " aux intérêts de leur propre pays? Pourquoi le font-ils ? Pour faire plaisir ou pour rendre service à qui, à quelle puissance étrangère ? Qu'est ce qui peut pousser des Magistrats à rendre des " décisions contradictoires en moins d'une semaine " ? Pourquoi le font-ils ? Pour faire plaisir ou pour rendre service à qui ? Qu'est ce qui peut pousser des Magistrats à " donner tort à des gens qui savent très bien qu'ils ont raison " ? Pourquoi le font-ils ? Pour faire plaisir ou pour rendre service à qui ? Au nom de quoi ou au nom de quel principe de droit, quelqu'un qui n'a pas raison peut-il gagner un procès contre celui qui a raison ? La justice a-t-elle pour fonction de dire le droit ou de rendre des services ? Voici la question à laquelle devra répondre la reforme que vous voulez faire. Mais cette reforme ne doit pas concerner la justice ivoirienne seule, elle doit prendre en compte toute la société ivoirienne. C'est toute cette société qui a urgemment besoin d'être reformée. Il nous faut mettre des mécanismes de contrôle partout, même à la présidence. Car, tant qu'un seul ivoirien pourra dire : " pourquoi j'arrêterais alors que les autres continuent ", on ne s'en sortira pas. En effet, pourquoi voudrait-on qu'un Magistrat corrompu qui tient entre ses mains un pouvoir formidable, arrête de le monnayer en donnant " tort à ceux qui ont raison " et en expédiant des innocents en prison, quand il n'y a rien qui l'oblige à être honnête ? Pourquoi voudrait-on que les forces de l'ordre arrêtent de racketter quand leurs chefs et tous les autres ivoiriens au service de l'Etat s'en mettent plein les poches sous leurs yeux ? Pourquoi voudrait-on que les gens se plaignent des dysfonctionnements de la justice quand ces dysfonctionnements sont créés de toutes pièces et sont une source d'enrichissement rapide pour certaines personnes ? Monsieur le président, les maux de notre justice sont nombreux. (…) Il nous faut donc reformer cette justice en donnant la parole à tous les ivoiriens y compris les nombreuses victimes et non pas seulement à des soi-disant experts qui ne savent même pas où se trouve la MACA. Mais cette reforme devra se faire dans le cadre de la reforme globale de la société ivoirienne. Il nous faut organiser les états généraux contre la corruption et contre tous les maux de notre société. Sortir de ces états généraux avec un nouveau contrat social et un nouveau système qui seront compris par tous les ivoiriens, qu'ils soient de petits vendeurs de charbon ou président de la république. Que les mécanismes de contrôle de ce système soient tels que tous les ivoiriens et surtout ceux qui seront au service de l'Etat ne puissent pas faire autrement que d'être des gens honnêtes, ou que les malhonnêtes ne soient pas les plus nombreux. Il nous faut changer radicalement de système et faire comprendre à tous que la transparence due aux citoyens d'un pays ne peut épargner un quelconque pouvoir. Pas même la justice. Il nous faut un système qui ne favorise pas la corruption comme celui dans lequel nous sommes et qui arrange tout le monde, malgré les discours. C'est à ce prix que les autres nous traiteront d'égal à égal. Et le respect des autres c'est la souveraineté. La souveraineté est aussi un comportement. Ça se mérite. D'ici à ces états généraux et en espérant avoir de vos nouvelles bientôt, je vous prie d'agréer Excellence monsieur le président, l'expression de mon profond respect.
ASSALE TIEMOKO ANTOINE
PRESIDENT DE L'ONG " SOS JUSTICE CI " "
(225) 08 42 39 33/ 08 49 43 59
E-mail : sosjusticeci@live.fr
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