Le Patriote : Pouvez-vous nous dire ce qu’est l’hypertension artérielle ?
Kramoh Kouadio : Pour le commun des mortels, l’hypertension est une maladie. Mais pour nous les professionnels de santé et cardiologues, l’hypertension est considérée comme un facteur de risque cardiovasculaire. C’est dire que l’hypertension n’est pas en elle-même une maladie, mais elle expose à d’autres maladies. Quand on est hypertendu, on court le risque de développer ce que l’on appelle un accident vasculaire cérébral. Une partie du corps est paralysée. On peut perdre l’usage de la parole, la bouche devient tordue. On court le risque de faire également une crise cardiaque, ou encore une insuffisance cardiaque. Là, on est essoufflé au moindre effort, les pieds s’enflent. Il y a aussi le risque de faire une insuffisance rénale. On peut même devenir fou. C’est la démence hypertensive. On parlera d’hypertension artérielle, quand les chiffres de pressions artérielles sont élevés de façon permanente au-dessus de 14 pour la maxima et/ou 9 pour la minima (chiffres en cm de mercure). Ces chiffres sont valables pour tout adulte au-delà de 18 ans.
LP : Qu’est ce qui provoque cette augmentation constante de la tension ?
K K : On trouve des causes à l’hypertension artérielle dans seulement 10% des cas. Dans les 90% de cas, on ne trouve pas de causes. Et nous appelons cela l’hypertension essentielle. C'est-à-dire hypertension sans cause apparente. L’hypertension essentielle est liée à la fois à des facteurs environnementaux (le stress, la consommation excessive de sel, l’obésité…) et héréditaires. Il y a des familles où tous les membres sont hypertendus. C’est donc la conjonction des facteurs environnementaux et constitutionnels qui vont contribuer au développement de l’hypertension artérielle. Mais elle apparaîtra à un risque plus élevé avec l’âge. Par exemple quand on prend une population de sujet dont l’âge tourne autour de 25 ans, on ne trouvera peut-être que 5% d’hypertendus. Par contre dans une population de 50 ans, on trouvera 45% d’hypertendus. En ce qui concerne les 10% où l’on trouve une cause, la plupart du temps, c’est l’hypertension qu’on observe chez les enfants. Cela est dû à des maladies congénitales ou acquises. Il y a par exemple, la coarctation de l’aorte qui est une malformation cardiaque congénitale, le syndrome de Cohn, le phéochromocytome et surtout les maladies rénales. Lorsque ces maladies peuvent être traitées, leur guérison peut entraîner de facto une disparition de l’hypertension artérielle.
LP : Comment se fait la prise en charge d’une personne déclarée hypertendue ?
K K : Quand l’hypertension est déclarée, il faut d’abord faire un bilan pour savoir l’ampleur de l’impact et des dégâts provoqués. Pour connaître cela, on fait des analyses de sang et d’autres bilans qui vérifient l’atteinte du cœur, du rein, du cerveau. On fera également un bilan pour rechercher une cause possible à cette hypertension. Tout cela nous permettra de savoir, s’il s’agit d’une hypertension sans origine apparente ou à une cause. En fonction de ces données, nous commençons le traitement selon des critères bien déterminés. Mais, ce qu’il faut savoir, c’est que quand l’hypertension dite essentielle est découverte chez un adulte, le traitement est à vie dans la majorité des cas. Et cela nous cause des problèmes. Les Africains ont l’habitude des traitements ponctuels. On a un paludisme, on suit le traitement pendant trois jours, on est guéri et c’est fini. La fièvre typhoïde, c’est 10, 15 ou 21 jours et c’est fini. Mais avec l’hypertension le traitement c’est pour la vie. Et nous n’avons pas cette culture de suivre des traitements toute la vie. Or, lorsqu’on interrompt le traitement, on s’expose aux complications de la maladie. C’est pour cela que vous voyez des personnes qui sont paralysées, qui ont l’insuffisance rénale. C’est parce que ces personnes n’ont pas été disciplinées durant leur traitement.
LP : L’hypertension devient de plus en plus fréquente. Pouvez-vous nous donner les statistiques ?
KK : Les premières statistiques datant des années 70-80 faisaient cas d’une proportion d’environ de 10% d’hypertendus en Côte d’Ivoire. Mais plus récemment en 2005, une nouvelle évaluation a été faite. Elle a révélé que l’hypertension est présente chez 25% d’Ivoiriens. C’est grave. Quand un problème de santé concerne une telle frange de la population, on parle de problème de santé publique. L’hypertension est aujourd’hui donc un problème de santé publique. C’est donc important que les médias s’intéressent à la question, parce qu’il faut qu’on en parle, qu’on vulgarise les termes qui sont utilisés. C’est une maladie grave, mais contrôlable grâce à des traitements. Ces traitements permettent de ramener la pression artérielle dans des proportions normales. Et grâce à cela, on va éviter des complications. Donc on peut être hypertendu, commencer son traitement à 40 ans et vivre jusqu’à 100 ans. On peut donc prendre des médicaments pendant 60 ans. Quand on met les gens sous traitement, l’objectif visé est d’éviter les complications. Donc si l’hypertendu suit son traitement et est suivi de façon régulière par son médecin, on n’aura jamais d’insuffisance rénale du fait de l’hypertension. On aura plus rarement une crise cardiaque ou une insuffisance cardiaque du fait de l’hypertension. Mais lorsqu’on est léger avec le traitement, on s’expose à ces complications.
LP : Les Ivoiriens ont tendance à qualifier l’hypertension de maladie de riche. Car ils trouvent le coût du traitement très élevé…
K K : On a plusieurs types de traitement. Il y a des traitements médicamenteux mensuels qui reviennent à 1800FCFA. D’autres peuvent aller jusqu’à 100 000FCFA. Tout dépend du stade auquel on a trouvé le malade, des complications et de la gravité de l’hypertension. Mais tout se fait au cas par cas. Ce qu’il faut savoir, c’est que les hypertensions légères sont en générale prises en charge par les médecins généralistes. Mais quand l’hypertension est découverte à un stade avancé, on envoie le patient à des cardiologues qui, eux, vont faire des associations de médicaments en fonction de la bourse du patient, mais aussi en fonction des complications déjà existantes pour trouver le juste milieu. Et nous faisons du mieux que nous pouvons pour avoir une communication très active avec le patient. Quand il y a des problèmes d’accessibilité des médicaments en termes de coût, on essaie de trouver le juste milieu. Parce que cela prend un budget mensuel, donc il faut tenir compte de la bourse du patient. Et ce n’est pas une maladie des riches exclusivement, mais une maladie des pauvres aussi. J’ai connu une hypertendue au revenu modeste. Et elle avait une hypertension tellement sévère qu’un médecin l’a mise sous des médicaments qui avaient un coût mensuel de 45000FCFA par mois. Evidemment, elle ne suivait pas le traitement car elle ne pouvait pas payer les médicaments. Donc il faut s’entendre avec les patients pour savoir ce qu’ils peuvent payer. On a à notre disposition plusieurs types de médicaments, il y a des génériques et des médicaments de spécialité. Et puis il n’y a pas que les médicaments. Il y a aussi le régime. Quand on dit aux gens de suivre un régime peu salé, cela s’applique à toutes les situations. Quand l’hypertension n’est pas trop sévère, on dit aux gens de diminuer le sel, la consommation d’alcool, d’arrêter le tabac. Si le patient est trop gros, on lui demande de maigrir. Lorsque toutes ces précautions marchent, on n’ajoute pas de médicaments. Si elles échouent, on commence le traitement. Il y a des gens qui disent comme j’ai commencé le traitement, alors je consomme le sel comme tout le monde. Mais non. Le traitement médicamenteux vient compléter le régime.
LP : Comment dépister précocement la pathologie et quels sont les conseils que vous pouvez donner à la population pour l’éviter ?
K K : Pour dépister précocement l’hypertension, il faut prendre la pression artérielle à chaque consultation médicale. On ne peut dépister l’hypertension qu’en prenant la tension. Car ce n’est pas tous les jours qu’elle se manifeste. Quand on a la chance, elle peut se manifester à travers de maux de têtes, des vertiges, des bourdonnements d’oreilles. Quand on n’a pas du tout la chance, l’hypertension évolue à bas bruit. On n’a aucun signe. Le jour où on attendra parler d’elle, c’est à l’occasion d’une complication. On se trouve dans le coma ou bien, on a un côté paralysé. C’est pour cela qu’on appelle l’hypertension le tueur silencieux. Parce qu’elle est là, on ne sent rien, mais elle détruit le cœur, le rein, le cerveau. Maintenant concernant le volet prévention, c’est la lutte contre les facteurs modifiables qui exposent à l’hypertension artérielle. Si on peut éviter l’obésité par une alimentation équilibrée et la pratique régulière de sport, manger moins salé et lutter contre le stress, par contre on ne peut rien faire pour l’âge quand il devient avancé. En pratique nous conseillerons les parents d’éduquer les enfants à manger moins salé. Il faut éviter l’excès de poids chez les enfants, les éduquer à faire du sport régulièrement. Le sport pratiqué régulièrement fait reculer une hypertension qui doit apparaître. Nous recommandons même aux hypertendus qui sont sous traitement de faire régulièrement le sport, sauf contre indication. Et ce sport doit durer au moins 45 minutes, trois fois par semaine. En conclusion, je dirais qu’il faut faire du sport, manger équilibrer, éviter le surmenage et lutter contre l’obésité.
Réalisée par Dao Maïmouna