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Art et Culture Publié le samedi 21 mars 2009 | L’intelligent d’Abidjan

Alain Sembène, fils aîné de Sembène Ousmane - “Mon père avait énormément d’ennemis”

Alain Sembène est le fils aîné de l’écrivain et cinéaste, le Sénégalais Sembène Ousmane. Parmi les pères fondateurs du Fespaco, c’est à juste titre que la 21è édition dudit Festival tenue à Ouagadougou, qui est une de ses œuvres, lui a rendu hommage. Alain, qui inconsciemment a baigné dans le cinéma auprès de son père, parle de Sembène. Un père extrêmement dur mais, dur avec lui-même d’abord et qui a gardé le cap avec courage et abnégation pour faire de son œuvre, une œuvre essentielle à la culture africaine. A la chambre 241 de l’Hôtel Indépendance à Ouagadougou, Alain Sembène se livre avec à côté de lui « Sembène Ousmane, 1923-2007 », un livre qu’il vient d’acheter. Entretien.

La 21è édition du Fespaco se tient (Ndlr, nous sommes le 5 mars 2009) sous fond d’hommage au cinéaste sénégalais, Sembène Ousmane, votre père. Quel est le témoignage que vous pouvez partager au sujet de celui qu’on appelle l’aîné des anciens ?

Effectivement, je suis le fils aîné de trois enfants de Sembène Ousmane. Il y a eu beaucoup d’hommages, à travers le monde, qui ont été faits depuis son décès intervenu il y a à peu près un an et demi. Mais cet hommage (Ndlr, Fespaco) est tout à fait particulier. Parce que la relation entre ce festival et mon père était très forte. On peut dire que mon père a soutenu, de toutes ses forces, le Fespaco. On peut classer le Fespaco parmi ses œuvres. Pour l’hommage, il y a un centre de conférence qui porte le nom de Sembène Ousmane, une chambre à l’hôtel Indépendance qui porte son nom. Pour moi, cet hommage est très émouvant. On voit que Sembène a largement dépassé le cadre du Sénégal. Je pense qu’il n’appartient plus au Sénégal. Il appartient à toute l’Afrique et, particulièrement, au Burkina Faso.

Vous devez être très fier de votre père. Sur l’œuvre éditée par Africultures titrée « Sembène Ousmane, 1923-2007 », on vous entend dire devant l’étalage de livres – vous achetez un d’ailleurs – c’est mon père…

Oui. Inconsciemment, je suis fier de mon père. Je suis très fier de ce qu’il a réalisé. J’ai eu la chance de le voir travailler, dans ses débuts, dans des conditions de vie pas toujours simples, et seul. Je ne sais comment qualifier l’impact qu’il a eu à travers l’Afrique, c’est immense.

Votre père, vous avez dit, a travaillé dans des conditions pas toujours faciles. Cela décrit aussi les conditions de travail des cinéastes sur le continent. Sans être, vous-même, cinéaste, qu’est-ce qui, à votre avis, pourrait être fait pour positionner ou aider les cinéastes africains à aller de l’avant ?

Je ne suis pas dans le domaine du cinéma. Je suis ingénieur dans les travaux publics. Mais, par rapport aux difficultés que les cinéastes rencontrent, j’aurai une autre approche. Parce que, lui (Ndlr, Sembène), n’attendait pas que les conditions soient réunies pour faire un film. Il travaillait seul. Il écrivait lui-même son scénario. Une fois que tout le projet était ficelé, il allait à la pêche au financement. S’il a réalisé une dizaine d’œuvres cinématographiques, ce n’est pas parce que les conditions financières étaient réunies. Mais, parce que son travail était de qualité. Je pense que, si un cinéaste peut réaliser un projet bien ficelé, il a de fortes chances de trouver les financements. Les conditions financières ne sont qu’un aspect. L’aspect principal, c’est l’aspect artistique et la qualité du projet.

Le Fespaco, une œuvre de Sembène Ousmane. Ajouté à cela, il y a les œuvres littéraires et cinématographiques. Quelle est l’œuvre qui, à vos yeux, est un chef d’œuvre ?

L’œuvre que je préfère de mon père, c’est Borom Sarret. C’est un court métrage, son premier, qu’il a réalisé avec très peu de moyens. Un budget ridicule. Des conditions cinématographiques très difficiles. Mais, jusqu’à présent, cette œuvre continue à vivre. Ce qui est extraordinaire, dans cette œuvre, c’est que toute sa vie y est écrite. C’est-à-dire que lorsqu’on voit le parcours de Sembène Ousmane, à travers Borom Sarret, on voit que tous les autres films contiennent sa philosophie, sa façon de penser. On a l’impression que c’est un film simple qui est, en même temps, très profond. Il permet à tout le monde de le comprendre. En cela, je trouve que c’est une œuvre majeure.

En dehors de sa camera, quel est le père qu’il a été ?

Ah ! Le père… Ça été un père extrêmement dur. C’était quelqu’un qui était dur. Donc, dans ma vie, il y a eu beaucoup de clashes, de disputes. Il était dur mais, avec lui-même. Je me rappelle qu’un jour, il me racontait une petite histoire. Cette anecdote décrit l’individu. Il faut savoir qu’il a, d’abord, été docker à Marseille, un travailleur immigré, analphabète. Il disait quand il se réveillait le matin, tout son corps lui faisait mal. Il parlait à son corps. Il lui disait : « Ah, tu ne veux pas travailler aujourd’hui ? Tu vas voir, tu vas travailler ». L’image que j’ai de lui, c’est quelqu’un d’intègre et qui savait là où il voulait aller et là où il ne voulait pas. Il a toujours dirigé sa vie comme il l’entendait. Il a gardé le cap avec courage et abnégation.

Lui et les anciens du cinéma, en Afrique, ont fait de leur mieux pour positionner le 7è art sur le continent à travers le Fespaco. Ne serait-il pas temps, 40 ans après, qu’en dehors du Burkina Faso qui a soutenu seul le festival, depuis sa naissance, que les autres Etats africains apportent leur contribution pour donner une dimension plus grande au Fespaco ?

Tout à fait. Le Burkina Faso, avec mon père et bien d’autres pionniers, ont tout fait pour promouvoir le cinéma africain. On se rend compte que ce festival n’est plus le festival de Ouagadougou, du Burkina Faso. Ça concerne toute l’Afrique. Il est bon que ce festival soit soutenu par l’ensemble des pays africains. C’est un festival africain. Il revient aux Africains de financer leur propre culture. Si les choses se faisaient comme il se doit, ça devait être ainsi.

La chambre où logeait votre père pendant le Fespaco à l’hôtel Indépendance est transformée aujourd’hui en musée. Au Sénégal, il en sera de même chez lui. Qu’est-ce qui motive cette action qui tombe au bénéfice de la mémoire collective ?

C’était l’un de ses souhaits de transformer sa maison en musée. Si on regarde l’œuvre de Sembène Ousmane, elle est essentielle à la culture africaine. Lorsqu’on observe les autres pays en Europe, on se rend compte que ces pays protègent la mémoire de leur culture. Cela est essentiel. Un peuple doit toujours conserver sa culture, ses racines. Ce qu’on observe très souvent et qui est dommage en Afrique, c’est que, souvent, les Africains sont oubliés lorsqu’ils décèdent. Beaucoup de cinéastes qui ont apporté beaucoup à l’Afrique sont décédés. Je pense à Djibril Diop. Il y en a d’autres. Tous ces gens qui se sont sacrifiés pour exprimer toutes les profondeurs africaines, leurs œuvres ont tout simplement disparu de la mémoire de tous. C’est une erreur énorme ! Vous allez en Russie, il y a la maison de Poutchine ; en Allemagne, on vous parlera de Goethe ; en France, Victor Hugo. En Afrique, il n’y a rien. Nous sommes à une époque où l’Afrique doit mûrir, s’assumer et conserver sa mémoire.

Vous parlez de votre père avec une grande précaution dans les mots. Craignez-vous de l’écorcher ou est-ce une lourde responsabilité que de parler de lui ?

Ah oui, c’est une responsabilité. Ce qui est important, ce n’est pas mon père. C’est ce qu’il a exprimé. C’est-à-dire l’énergie. Mon père, c’est comme si c’était une rive. Le lit du fleuve. Et ce qui est important c’est le fleuve. Ce qui s’écoule. Il est important, qu’après la mort, que cette énergie africaine continue.

Combien de fois avez-vous déjà pris part au Fespaco ?

J’ai été à un Fespaco il y a une vingtaine d’années. A l’époque, je travaillais pour une ONG ici (Ndlr, Ouaga). Je venais à l’hôtel Indépendance voir mon père, on discutait. C’est mon deuxième Fespaco.

Y en aura-t-il d’autres ?

Je pense. Parce qu’affectivement, j’ai bénéficié de courant favorable. J’ai ressenti une très forte amitié du public burkinabè. Je suis heureux de le constater. C’est avec plaisir que je reviendrai.

Les regards sont différents pour décrire Sembène. En dehors du fait que vous êtes le fils, quel cinéaste a-t-il été ?

Mon père avait un caractère assez trempé. Je pense à un critique qui a bien décrit mon père. Il a dit : ‘’c’est le cinéaste le plus respecté et le plus maudit’’. Je pense qu’il avait énormément d’ennemis. Ses amis, on pouvait les compter avec les doigts d’une seule main. Je suis sûr qu’il y a beaucoup d’avis qui ne sont pas toujours favorables. Ceci dit, pour moi, il est très difficile de séparer le cinéaste parce que je suis beaucoup attaché à mon père. J’ai toujours baigné dans ce milieu du cinéma d’une manière inconsciente avec des cinéastes – Djibril Diop, Babacar Sang – que je rencontrais souvent. Mon père, aussi, me parlait, en permanence, du cinéma à la maison. Par la force des choses, j’ai baigné dans cette culture. Mais, il faut savoir qu’en tant que cinéaste - ou écrivain – ce n’était pas quelqu’un qui faisait des films pour le plaisir ou qui écrivait pour écrire. Pas du tout ! C’est mal le connaître. Il avait quelque chose à dire et s’est battu de toute son âme pour l’Afrique. Il avait un discours. Et, il a su utiliser la littérature et le cinéma pour exprimer ce qu’il ressentait – ses pensées. Donc, le cinéma et la littérature, pour lui, ce ne sont que des vecteurs. Ça n’avait rien de commercial. Ce n’était pas une finalité en soi. C’est ce que je retiens de lui. Mais, une chose est claire, il a exprimé ses idées à travers ces deux arts. Ç’aurait pu être autre chose.

Réalisé à Ouaga par Koné Saydoo
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