Moralisation de la vie publique
Souvenez-vous qu’en 1993, on l’avait fait et le Chef de l’Etat le sait. C’est une bonne chose. Je suis désolé pour ceux qui sont en prison. Est-ce que les pro cédures ont été suivies, est-ce qu’ils ont été entendus ? Mais, il faut assainir. L’allègement de la dette va tout de même nous donner près de 500 milliards par an. On en parlera tout à l’heure pour le financement de mon programme. Ce sont les impôts des pays amis. Ils ne vont pas nous donner leur argent pour qu’on puisse le détourner. Il faut donc de la rigueur dans la gestion. C’est important que des signaux forts soient donnés. Pas seulement dans le secteur de la filière café-cacao, mais également dans d’autres. Il faut arriver à un assainissement dans tous les secteurs d’activités. Il faut qu’on sache que le bien public est un bien sacré. Et qu’on ne peut pas piocher dans la caisse sans sanction. Ce n’est pas acceptable ! Quand j’étais Premier ministre, j’avais des procédures qui faisaient qu’il était impossible de piocher dans la caisse. Souvenez-vous de cette période; l’exemple doit être donné afin que les uns et les autres comprennent qu’il y a des périodes qui sont passées. La Côte d’Ivoire a besoin de toutes ses ressources, notamment ses ressources publiques. Nul n’a le droit de puiser dans la caisse de l’Etat, impunément.
Il faut la moralisation de la vie publique. Même si ce n’est pas une priorité économique, je considère que c’est un élément important. Que cette moralisation tienne compte de tous les aspects dont celui de la politique. Si le pays n’a pas de repère, si une partie de la population pense que les structures en place ne sont pas légitimes ou que le système judiciaire n’est pas équitable, les problèmes ne sont pas réglés.
Les grands axes de la politique économique sont clairs. Elle nécessite des investissements importants. C’est un programme qui aura besoin de 10 mille milliards. D’ailleurs, quand j’ai annoncé cette somme, certaines personnes ont dit que ce sont des chiffres qui sont totalement aberrants. Où allait-il trouver cet argent, se demandaient-elles ?
Vous avez reçu le représentant de la Banque mondiale qui a indiqué que le programme 2009-2015 de cette banque était de 17 mille milliards 600 millions de Fcfa sur 7 ans. Si l’on ramène cela à 5 ans, on aura 12 mille milliards 500 millions. C’est dire que les 10 mille milliards que j’annonçais ne sont pas un chiffre farfelu. Nous n’avons certes pas assez de temps, mais j’ai un programme par secteur (éducation, santé, logements…). Ce sont des chiffres qui sont possibles avec l’allègement de la dette, les ressources budgétaires, les investissements que nous devons créer nous- mêmes par une meilleure gestion. Il nous faut créer des ressources à partir de l’épargne nationale. Il faut aussi avoir de l’aide publique, des capitaux publics. Prévoir des ressources additionnelles. Si tout cela n’est pas bien géré, nous resterons plus pauvres que nous ne l’avions été dans cinq ans.
Nous avons un programme quasiment finalisé, nous allons le publier quelques semaines avant l’élection. Nous tenons à ce que le débat porte sur le programme. Comment allons- nous l’exécuter ou le financer ?
nstitutions financières
Le constat qui se dégage, s’agissant des institutions de Bretton Woods, c’est qu’il y a une meilleure compréhension du rôle de celles-ci. Cela fait 10 ans bientôt que j’ai quitté le Fonds monétaire international. Et je peux vous dire que dans certains pays comme le Zimbabwe ou même dans des pays proches que je ne citerai pas, lorsque je demandais à rencontrer les différents syndicats ou à aller à l’université, cela ne plaisait pas aux Présidents de ces Etats. Quelquefois, on annulait un déjeuner qu’on avait prévu de prendre avec moi parce qu’on estimait qu’ouvrir le Fonds à des structures de ce genre n’était pas une bonne chose. Mais petit à petit, cela est en train de se faire aujourd’hui. Je vois Strauss Kahn qui rencontre régulièrement la presse. Michel Camdessus et moi-même avions décidé d’ouvrir le Fonds monétaire international aux pays pauvres et d’aider également à avoir une meilleure connaissance de ce qu’on y fait. Le Fmi, permettez-moi l’expression, fait le sale boulot pour les Etats. Quand vous constatez dans un pays que les dépenses sont excessives, et que vous demandez de les réduire, que fait-on généralement ?
En général, il revient à chaque Etat de décider des secteurs où il doit réduire les dépenses. Si en Côte d’Ivoire, les salaires n’ont pas été diminués en 1990, quand je suis arrivé, c’est parce que, au lieu de diminution de salaires comme ce fut le cas dans certains pays de la sous-région, j’ai décidé de m’attaquer aux fonds de souveraineté. C’est comme cela que nous avons réussi à ne pas réduire les salaires. On a préféré diminuer les fonds de souveraineté pour sauvegarder le salaire des uns et des autres. Je suis donc surpris que certains accusent le Fmi d’être à l’origine de leurs difficultés.
Parlant de la sécheresse du budget de l’Etat dont j’avais parlé en 1993, il fallait faire cette gestion de rigueur pour que la dévaluation soit profitable au pays. C’est ce que nous avons fait, Kablan Duncan et moi, pendant trois ans. Nous nous sommes efforcés de tenir nos engagements, de sorte à éviter les dérapages budgétaires afin que les équilibres macro-économiques soient respectés. C’est cela qui a garanti le succès de la dévaluation. Tout le monde convient que la Côte d’Ivoire est le pays qui a le plus profité de cette dévaluation. Ce n’était nullement le fruit d’une improvisation. Si les résultats d’une dévaluation sont satisfaisants, comme vous le dites en parlant de pluie de milliards, c’est qu’elle a été bien préparée. C’étaient des moments vraiment exaltants. Nous avons été passionnés par le travail que nous avons fait. Amadou Gon (secrétaire général adjoint du Rdr, ndlr) était à la Primature avec moi. C’était formidable parce que nous travaillions 7 jours par semaine et 18 heures par jour. Nous sentions que nous faisions avancer le pays, que nous préparions la Côte d’Ivoire du futur. Nous avons donc laissé un bon pays entre les mains du successeur d’Houphouët-Boigny. pour ma part, j’en étais très fier.
Ajustement structurel
Des gens pensent que la crise financière qui secoue l’Occident est la première du genre. Ce n’est pas vrai. La première crise financière était la crise asiatique avec l’Indonésie, la Corée, les Philippines. Ces pays ont rencontré les difficultés que les pays occidentaux ont aujourd’hui. Il leur a fallu faire un nettoyage. Les Asiatiques ont fait le nettoyage nécessaire. Et c’est pour cela d’ailleurs qu’en Asie, la présente crise financière n’est pas beaucoup ressentie.
En Côte d’Ivoire également, hormis les nouvelles banques, on n’en parle pas au niveau des anciennes. Tout cela est le résultat d’un travail de longue haleine. C’est donc grâce au nettoyage que nous avons entrepris que, malgré la crise, malgré la rébellion qui a scindé la Côte d’Ivoire en deux, ce pays tient encore. C’est effectivement parce que les structures sont solides. Nous avons privatisé l’électricité. Au Togo, au Bénin, il n’y a pas eu de guerre, mais ils n’ont pas d’électricité une bonne partie de la journée. Idem pour le Ghana. Différentes structurations et restructurations doivent se faire pour solidifier et installer un Etat. Et c’est ce que nous avons fait de 1990 à 1993. Je suis donc fier de ce que nous avons fait. Il y a eu des erreurs car nous sommes des êtres humains. Je n’étais pas un homme politique. J’essayais de travailler dans le seul intérêt de mon pays que je crois avoir bien servi.
ournalistes en prison
Dans mon introduction, j’ai dit que j’étais très attaché à la liberté de la presse, à la liberté d’expression. Si ce n’était pas le cas, j’aurais fait des procès ces 15 dernières années, avec tout ce qui a été écrit sur moi, sur mon épouse et ma mère. Moi, je ne crois pas que ce soit une bonne chose de mettre un journaliste en prison. Je ne dis pas cela parce que vous êtes là. Même si les déclarations qu’ils ont eu à faire sont maladroites, et que la manière de faire et de dire les choses n’est pas la bonne, j’estime aussi que les mettre en prison n’est pas une bonne chose. C’est une décision plus politique qu’autre chose. On devrait tout simplement les libérer et leur coller un avertissement. Il est malheureux que ces jeunes gens soient en prison. Pour ma part, j’estime qu’ils doivent être libérés (chose faite depuis hier, ndlr). Le Chef de l’Etat doit faire valoir son droit de clémence pour qu’on ne puisse pas les garder plus longtemps en prison.
Ma vision du Fonds de développement de la presse est très claire : il faut instaurer un système de subvention importante des journaux, y compris Fraternité Matin, assorti de points. Et si l’on mettait deux milliards sur la table, on dira, Fraternité Matin représente la moitié des journaux en circulation, Fraternité Matin a un milliard et cent points, et les autres journaux, un milliard à se partager. Et, chaque fois qu’il y aura des articles du genre de celui dont nous parlons, on retire des points aux journaux incriminés. Ce retrait de points conduisant inévitablement à une baisse de la subvention. Avec cela, on peut assainir très rapidement l’univers de la presse. Il faut trouver un système qui permette aux journaux d’avoir un minimum d’indépendance.
Gooré Bi Hué : Vous êtes candidat à l’élection présidentielle. Quels sont les grands axes économiques de votre programme de gouvernement, surtout concernant la création de richesses et d’emplois ?
- Le binôme café-cacao reste une ressource importante pour l’économie de la Côte d’Ivoire. Alors, quelle solution allez-vous apporter pour redonner sa valeur à cette filière ?
Abel Doualy : Dans vos interventions, vous liez pauvreté à la crise. On parle aujourd’hui des PPTE, de l’APE, il y a aussi la fronde sociale avec de promesses d’augmentation de salaires. Alors, comment entrevoyez-vous la gestion de toutes ces questions ? Cela m’amène à vous demandez de faire un diagnostic de l’économie ivoirienne.
Touré Abdoulaye : A votre époque à la Primature, on a parlé de raccrochage, avec la diminution du salaire d’une catégorie d’enseignants. Qu’est-ce qui expliquait cette mesure ?
Pascal Soro : Quel est le rôle du pétrole dans la gestion de l’Etat de Côte d’Ivoire et quelle est sa place dans votre programme de gouvernement ? Deuxièmement, au dernier congrès du RDR à l’hôtel Ivoire, vous avez ouvertement appelé les Forces Nouvelles à vous rejoindre. Plusieurs mois après, quelle réponse avez-vous eue ?
ADO : Avant de parler du projet pour le pays, il faut d’abord poser un diagnostic. La situation actuelle est très difficile. Que ce soit au niveau du pouvoir d’achat que de l’augmentation des prix des denrées alimentaires. Quand je regarde les évolutions depuis 2005, sur certaines denrées comme le riz local ou importé, on est passé de 300 à 400 francs. Pour la viande de bœuf, on est passé à 50 % d’augmentation. De 1200 à 1700 francs. Le gaz de 3500 à 4375, etc. Au regard de ce qui précède, j’ai demandé à un jeune qui travaille dans mon cabinet, et qui gagne 100.000 francs - qui est un bon salaire par rapport au Smig - comment fait-il pour vivre. Il m’a répondu qu’il paie un loyer d’une chambre-salon à 35.000 francs. Sa facture d’électricité à 7000 francs, l’eau à 9000 francs, la popote 1500 francs par jour. Sans oublier ses frais de transport. Mais en me donnant ces détails, il a précisé : « patron, heureusement que vous m’aidez de temps en temps». Ce jeune est marié sans enfant. Sa femme ne travaille pas. Il mange peut-être deux fois par jour. Mais beaucoup de gens ne mangent qu’une fois quotidiennement. Dans nombre de familles, le mari et la femme ne travaillent pas. Les enfants essaient d’aller à l’école quand ils peuvent. C’est une situation dramatique. La Côte d’Ivoire n’a jamais connu cela depuis 15 ou 20 ans. Certes, nous étions moins nombreux. Toutefois, fondamentalement, il y a des problèmes économiques, de pauvreté que nous devrons résoudre.
Ce que j’offre le plus à mon pays, c’est ma qualité d’économiste. Pas celle d’homme politique. Mais nous sommes dans une situation dont il nous faut sortir. Il faut nécessairement un programme. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut des hommes et des femmes pour pouvoir gérer une telle situation qui demande une prise de conscience. Il faut avoir la capacité et la volonté d’attaquer tous ces problèmes.
Priorités
Premièrement, avoir un cadre macroéconomique. Cela apparaît peut être un peu curieux de le dire alors que le pays est en crise. On devrait dire qu’il faut injecter de l’argent. Mais si l’on y met de l’argent qu’il n’est pas bien dépensé, qu’obtient-on ? Des situations d’inflation. Il faut donc un cadre de gestion économique qui rassure les Ivoiriens. Car nombreux sont les Ivoiriens qui ont des comptes à l’étranger; ils gardent leur argent à l’extérieur parce qu’ils ne croient pas en notre pays, en sa gestion.
Deuxièmement, il faut faire en sorte que les investisseurs, reviennent. Car les crises politiques successives n’ont pas aidé notre pays. Fondamentalement, cela a occasionné des départs. Ces responsables de Pme sont partis. On a ainsi réduit les richesses. Des personnels de maison, des chauffeurs, etc. se retrouvent au chômage. Les questions sociales n’ont pas été résolues. L’amélioration de la qualité des infrastructures dans l’éducation, la santé, etc. je peux passer des heures en à parler, mais je ne voudrais pas m’étendre sur ce volet. Cependant, je voudrais seulement dire que nous avons besoin de reprendre la gestion économique en main. On trouve facilement les grands axes dans mon discours-programme du Congrès. Nous sommes en train de finaliser le programme de gouvernement que nous allons publier. Un programme dans lequel les priorités sont indiquées.
J’en ai deux grandes. La première: l’amélioration de la qualité du service public. C’est-à-dire, tout ce qui a trait à l’éducation, à la santé, aux infrastructures (eau, électricité, routes).
Le deuxième grand volet, c’est la question de l’emploi des jeunes. Puisque le chômage est très élevé. Plus de 50% de la population active et 85 % des chômeurs sont des jeunes. Il y a un travail de fond à faire pour développer un système de production qui emploie les jeunes. Et qui rassure les investisseurs. C’est en créant de nouveaux investissements dans le domaine des services et autres que nous allons créer l’emploi.
Protection
des paysans
Dans mon discours programme à Yamoussoukro, j’ai clairement démontré que le paysan qui produit le café-cacao est le plus mal loti dans la distribution des recettes provenant de ce secteur. Il n’a même pas 50% des revenus. Nous avions proposé que le prix aux producteurs soit à 650F. J’ai été heureux de constater que quelques temps après, le gouvernement a pris une décision fixant ce prix à 650 ou à 700 F. c’est une excellente décision.
Toutefois, il faut deux structures. Une pour le café-cacao et une autre pour le coton-l’anacarde et autres. Tout cela peut se faire sans difficulté. Puisque cela existait. Et ça marchait. Les paysans étaient mieux protégés. Pourquoi a-t-on créé toutes ces structures et que rien ne marche? Le comble, c’est qu’on retrouve ces personnes désignées pour gérer ces structures, en prison. C’est aberrant. Il eût fallu laisser les structures en l’état. On aurait gaspillé moins d’argent, eu moins de problème. On n’aurait pas frustré les familles de toutes ces personnes emprisonnées. Je considère que la gestion économique est un élément fondamental du débat que nous devrons avoir à l’occasion de l’élection présidentielle. Qui peut faire quoi ? Comment le faire? Avec quels moyens et quelles équipes?
On m’a parlé du rôle du pétrole. Je préfère ne pas aller dans les détails dans ce secteur dans lequel il y a problème. Le FMI et la Banque Mondial ont exprimé des exigences. Celles-ci ont été acceptées par le gouvernement dans le programme de la facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance. C’est une très bonne chose, puisque les informations seront données au gouvernement de manière régulière. La question du café et du cacao est donc incorporée dans le programme qui conduit au Ppte. La question pétrolière y est également incorporée. Dieu merci que nous avons ce programme pour nous protéger.
Décrochage
des enseignants
Avant d’aborder la question subsidiaire de la diminution des salaires des enseignants, il faut noter que j’ai géré la Banque centrale. Ce sont huit pays, des milliers d’employés... J’ai été directeur Afrique du Fonds monétaire international. Avec, sous ma responsabilité, le plus grand département composé, non seulement de l’Afrique subsaharienne mais aussi de l’Algérie, de la Libye, du Maroc, de la Tunisie, etc. Quand je suis devenu directeur général adjoint du Fmi, j’avais en charge, non seulement les pays mais aussi la politique du personnel de l’Institution, et ce sont plus de 3500 personnes.
Il arrive des moments où l’on doit faire des choix. Mon choix en 1991, était que j’avais plein de jeunes qui avaient achevé leur formation en médecine mais qui n’avaient pas d’emploi. Et nous étions à un stade où nous n’avions plus d’argent face à cette préoccupante situation. Nous étions soumis à des plafonds avec le programme du Fonds monétaire, nous ne pouvions pas les recruter. La solution provisoire à trouver c’était de les recruter avec un salaire compatible avec les autres salaires de la Fonction publique. Puisqu’ils avaient eu le décrochage qui faisait que les enseignants avaient un salaire plus élevé. A cette même période, je travaillais sur la dévaluation. Et je savais qu’une fois cette opération achevée, et la dévaluation faite, cela me donnera la marge de les remettre au niveau des autres enseignants. Cela m’a permis de recruter des centaines de nouveaux diplômés qui seraient au chômage si l’on n’avait pas pris cette décision. Le gouvernement qui m’a succédé aurait dû procéder au décrochage de ces jeunes enseignants. La marge que créait la dévaluation permettait de le faire. Chaque gouvernement a ses options. Moi, je l’aurais fait. Et je l’ai publiquement fait savoir. Ce qui me permet d’être très à l’aise pour vous donner des informations concernant cette affaire. Maintenant cela a été fait. Je m’en réjouis. Il faut passer aux autres secteurs. Un pays qui n’a pas un système judiciaire crédible ne peut avoir d’investissements. Il faut également aller vers le décrochage des magistrats. Il faudra aussi prendre le problème de la sécurité à bras le corps. En fonction de ses moyens et selon un planning qui permet à l’Etat de supporter ces décisions de souveraineté.
Financement du
programme du Rdr
J’ai vu qu’il y a eu beaucoup de doute sur la question du financement de notre programme. Alors, j’ai tenu à la clarifier. Je voudrais aussi vous dire les mesures phares que j’ai dans le programme parce que pour les lecteurs de Fraternité Matin, cela est important.
C’est dire que nous avons des choses concrètes aussi bien au niveau de chaque secteur que de leur financement. Pour la modernisation de l’agriculture, nous avons prévu 300 milliards; pour les infrastructures, 1500 milliards… Ces chiffres pourront être élevés puisque dans le Document de stratégie de réduction de la pauvreté (Dsrp) de la Banque mondiale, je vois que pour l’éducation et la santé, on pourra donner des ressources additionnelles. Au lieu de dix mille milliards, nous pourrons aller jusqu’à douze mille milliards, malgré la crise financière.
Agnès Kraidy : Quelle place accordez-vous à la femme et quelle est votre vision par rapport à son intégration à tous les niveaux, notamment au sein de votre parti, le RDR ? Deuxièmement, vous réclamer la création d’un Etat-nation. C’est ce qui ce passe aujourd’hui dans le monde, avec l’implication des Etats dans le financement des structures privées surtout en cette période de crise financière mondiale. Est-ce une nouvelle idéologie politique pour M. Ouattara qui, pourtant, était libéral ?
Jean-Baptiste Béhi : Que pensez-vous de la gestion actuelle du sport ivoirien et si vous êtes président, quelle place accorderez-vous au sport en Côte d’Ivoire ?
Ernest Aka Simon : Vos militants vous reprochent de n’être pas trop sur le terrain, pour les grandes rencontres et autres meeting. Ne pensez-vous pas qu’en restant ainsi, vous risquez de mettre vos militants à dos ?
Ferro Bally : Le RDR à 15 ans et vous êtes à sa tête depuis le 1er août 1999. Si c’était à refaire, referiez-vous cet engagement ? Ensuite, vous annonciez que votre programme de gouvernement sera connu quelques semaines avant le scrutin présidentiel. Accepteriez-vous le principe d’un débat télévisé avec les autres leaders, permettant aux ivoiriens de mieux apprécier votre programme de gouvernement ?
Marc Yevou : Revenant sur le concept de l’ivoirité, selon vous quel est aujourd’hui l’état des lieux ? Le concept a-t-il disparu ? Et après l’épisode de l’ivoirité, quel sens donnez-vous à votre alliance avec le président Bédié au sein du RHDP ? Et quel commentaire faites-vous d’une éventualité de candidature unique du RHDP à l’élection présidentielle ?
Abel Doualy : Quelles sont les chances pour le RDR de remporter les élections dès le premier tour, sans une alliance ?
Jean-Baptiste Akrou : Dans un article d’Afrique Magazine, Venance Konan a écrit deux phrases que je vous lis : « S’il devient président (parlant de vous), la Côte d’Ivoire explosera dans les heures qui suivront » et « Devant les difficultés quotidiennes qu’ils affrontent, peu leur importe l’origine de celui qui viendra les sauver ». Dans laquelle de ces deux phrases vous vous retrouvez?
Abel Doualy : De plus en plus, lors des rencontres internationales, les bailleurs de fonds, surtout les institutions de Bretton Woods, sont pratiquement vouées aux gémonies. On dénonce ce que les grands penseurs appellent aujourd’hui, l’unilatéralisme des puissances internationales. Et les PAS (Programme d’ajustement structurel, ndlr) qui étaient des programmes sauveurs ou de sauvetage sont aujourd’hui dénoncés pas certains pays. Si vous arrivez au pouvoir, allez-vous reconduire ces PAS ou allez-vous voir la coopération sous un angle asiatique qui fait, aujourd’hui, école dans le monde ? Ensuite comment parviendrez-vous à faire entrer dans le subconscient des ivoiriens la période de sècheresse du budget de l’Etat durant votre période de Primature et les pluies de milliards qui ont suivis après votre départ ?
ADO : L’Etat que je souhaite construire après les élections, c’est un Etat fort. J’y crois beaucoup. Le fait d’être libéral ne veut pas dire qu’on ne doit pas être un Etat fort. Pour un pays en voie de développement, l’Etat doit être fort parce qu’il est souvent la source de l’investissement, la protection de l’investissement privé. Il assure également la protection des citoyens.
Je suis libéral, c’est vrai, mais je suis pour un Etat fort. C’est d’ailleurs lamode. En France, aux Etats-Unis, l’Etat est en train de nationaliser les banques, d’y injecter de l’argent. J’ai été un peu un précurseur dans ce domaine. J’en suis heureux parce que j’estime que les extrêmes, ce n’est jamais bon. Rien que l’Etat ou rien que le privé, ce n’est pas ce qu’il faut.
Femmes en politique
Nous avons tous les jours la possibilité d’en faire la démonstration. Nous sommes le seul parti politique qui allons aux réunions internationales avec une ou deux femmes dans notre délégation. Si la délégation est de trois personnes, il y a une femme; et souvent, c’est Mme Diabaté. Si elle est au-delà de cinq personnes, il y en a deux… Nous en faisons une condition parce que c’est ainsi qu’on va arriver à instaurer l’équité dans la gestion de notre société. Nous sommes malheureusement dans une société qui ne va pas totalement dans ce sens; mais nous faisons un effort particulier.
ADO et le sport
Tout le monde connaît mon attachement à ce secteur, notamment au football. Malheureusement, nous vivons une douloureuse situation depuis dimanche. J’ai été très navré de voir ce qui s’est passé. J’avais d’ailleurs adressé un message au président Anoma (Fif). Souvenez-vous aussi que c’est quand j’étais Premier ministre que nous avons remporté la Coupe d’Afrique de Nations (Can) en 1992. Malheureusement, depuis cette date, personne n’a pu en faire autant; c’est peut-être une chance que j’ai eue avec le ministre René Diby à cette époque.
Absence d’ADO
sur le terrain
Dire que je vais me mettre à dos les militants? Mais vous devez savoir que chaque parti a sa stratégie. Nous, nous avons estimé que nous ne voulions pas aller dans le flou. Si nous n’avons pas de dates pour les élections, ça n’a pas de sens pour moi, sans critiquer qui que ce soit, d’entreprendre un certain nombre d’activités. Nous gérons le parti. Et, en fonction des exigences du moment, nous allons organiser les contacts avec les militants. Nous sommes le seul parti, depuis cinq ans, à avoir fait un congrès du parti, des jeunes et des femmes. Ce sont quand même des moments importants durant lesquels il y a un contact avec les militants. Les deux autres grands partis ne l’ont pas fait depuis cinq ans à ma connaissance, ni le Fpi ni le Pdci. Nous avons procédé à une restructuration qui a créé quelquefois beaucoup de difficultés. C’est qu’après les élections, il y a toujours beaucoup de problèmes à régler. D’où la création de l’inspection qui est allée souvent sur le terrain pour démêler les problèmes même s’ils n’ont jamais été réglés définitivement. A Yamoussoukro ou ailleurs, nous avons encore des problèmes. Des responsables sont donc sur le terrain. Mme Diabaté a quand même fait plus de 20 mille Km dans le sud ou le sud-est. Des ministres également se sont souvent déplacés: Amadou Gon, Hamed Bakayoko, Amadou Soumahoro… Il y a un contact permanent avec la base. Mais il y a aussi la gestion du parti. Tous les mercredi après-midi, nous avons un comité de direction comprenant 20 personnes qui dure de 15h à 19h. On gère un parti comme un Etat, une entreprise. J’ai également eu beaucoup de voyages à l’extérieur, notamment dans toutes les négociations des différents accords. Je crois que les militants comprennent assez toutes ces questions. Ce n’est pas que je n’ai pas envie d’être sur le terrain. Pour les meetings, on en a fait suffisamment, en 1999, 2000, 2001, 2002. Mais comme je le souhaite, la date des élections sera annoncée dans les jours qui viennent, nous aurons un chronogramme pour que le président du parti qui est candidat à l’élection présidentielle, puisse aller sur le terrain.
Création du Rdr
A la question de savoir si je serais prêt à recréer le Rdr si c’était à refaire, je voudrais préciser que ce n’est pas moi qui ai créé le Rdr. Vous l’oubliez, c’est Djéni Kobina. Les gens ne me croient peut-être pas, mais je n’ai rien à voir avec la création du Rdr. Djéni Kobina l’a créé alors que j’étais à Washington. Un certain nombre de personnes dont Mmes Henriette Diabaté, Jacqueline Oble… sont venues me voir et m’ont dit qu’elles souhaitaient que je sois leur candidat à l’élection présidentielle, en 1995. J’ai décliné la proposition. Quand j’ai fini mon mandat au Fmi et que je suis rentré, j’ai été porté à la présidence de ce parti. J’avais une forte sympathie pour le Rdr parce que je considérais que c’était un parti ouvert, qui voulait le changement, une modernisation de la Côte d’Ivoire. Je suis content d’avoir adhéré à ce parti et je suis très fier que les militants m’aient porté à leur tête. Mais c’est à Djéni Kobina que ce crédit doit aller.
Élections et débats
télévisés
Certainement que j’accepterai un débat télévisé. Je considère qu’à un moment donné, il faudrait un débat télévisé; mais j’estime qu’il sera plus utile au deuxième tour, s’il y en a. Pour que les deux principaux candidats déroulent leur vision de la gestion de la Côte d’Ivoire aux Ivoiriens. Un débat télévisé au premier tour, je trouve que ce n’est pas très utile.
Ivoirité
Ces questions de l’exclusion on fait beaucoup de mal à ce pays. Je considère que c’est un domaine dans lequel nous faisons beaucoup de progrès. Il y a moins d’exclusion et ces élections permettront à beaucoup de gens qui n’avaient pas pu obtenir leurs papiers pour diverses raisons de les avoir, de participer à la vie nationale, politique comme économique. Je le dis, je n’ai pas de rancœur. C’est moi qui ai pris l’initiative de contacter le président Bédié pour que nous formions ensemble le Rhdp parce que j’estime que nous avons la même philosophie. Nous sommes tous deux houphouétistes, des libéraux. Le Rdr est issu du Pdci…
Candidature unique
Bédié comme moi avons dit que nous ne sommes pas pour une candidature unique au premier tour. Mabri est aussi du même avis. Anaky a eu des positions un peu différentes de temps en temps. Mais pour le moment, la majorité des acteurs au sein du Rhdp est contre la candidature unique.
Victoire au 1er tour
Le Rdr a-t-il les chances de remporter l’élection présidentielle au premier tour ? Nous disons : ‘‘In challah’’. Nous prions pour qu’il en soit ainsi. Mais vous savez, en politique, tout n’est pas de gagner les élections, c’est l’après élections. Je considère que ce pays a beaucoup de problèmes. Même si le Rdr devait gagner au premier tour, il ne peut pas exclure les autres. Pour ma part, je pense que quel que soit le résultat des élections, si nous sommes aux affaires, nous allons gérer avec tous les partis : le Pdci, le Fpi, l’Udpci, le Pit, etc.
Quand j’étais directeur général adjoint du Fmi, je m’occupais de l’Afrique du Sud. Ma première mission, en 1995, je l’ai effectuée en Afrique du Sud, par principe car j’ai une très grande admiration pour Nelson Mandela. Après ma rencontre avec le président Mandela, tous les ministres liés à l’Economie que j’ai vus étaient des Blancs. Après ma mission, je suis reparti voir Mandela et je lui ai dit: «M. le Président, j’ai vu tel et tel ministre». Il m’a répondu: «oui, tu n’as vu que des Blancs». Il a ajouté: «c’est comme ça parce que c’est la transition». Il faut donc que tout le monde se sente concerné et sache que l’Afrique du Sud appartient à tous. C’est comme cela que je vois les choses. Tous les grands partis, et même les petits partis, dont le président a une notoriété nationale, doivent contribuer au redressement de la Côte d’Ivoire. Voilà un peu mon projet. Gagner au premier tour ne veut pas dire gérer seul.
Ado président, la Côte d’Ivoire exploserait ?
Des gens disent que si je devenais Président, la Côte d’Ivoire exploserait. Je trouve que les gens ont la mémoire courte. Ou est-ce parce que l’intox a tellement marché? Souvenez-vous que j’ai été Président par intérim de mars jusqu’au 9 décembre 1993. Le Président Houphouët-Boigny est parti en France, je l’ai accompagné à l’aéroport et il n’est plus revenu. Pendant neuf mois, j’ai géré le pays. A-t-il explosé? La Côte d’Ivoire n’a pas explosé. J’ai tout de même été Premier ministre, tout le monde savait que le Président Houphouët-Boigny était absent 4 à 5 mois dans l’année. J’étais donc Président par intérim, plusieurs mois pendant cette période et la Côte d’Ivoire n’a pas explosé. Alors, si j’arrivais à la tête du pays, pourquoi exploserait-il? C’est vraiment prendre les Ivoiriens, passez-moi l’expression, pour des idiots. Je trouve cela indécent de la part de ceux qui tiennent de tels propos. Je n’irai pas dans la rue si Laurent Gbagbo est élu ou réélu ou si Bédié est réélu. Pourquoi la Côte d’Ivoire exploserait ? Les Ivoiriens veulent la paix, il faut arrêter ce genre de propos, il y a des esprits chagrins qui regrettent le passé. C’est leur problème. Mais ce que je veux, c’est servir mon pays
Conclusion
La situation de notre pays est difficile, mais elle n’est pas sans espoir. Les Ivoiriens souffrent. Les mouvements sociaux se multiplient et ils sont légitimes. L’Etat est ébranlé par des affaires. Le système actuel a donc démontré ses limites.
Je suis sûr que les Ivoiriens ont pris conscience des dangers que court notre pays. L’heure n’est plus à la politique du «tout ou rien». La démocratie implique de nouveaux comportements responsables, respectueux, républicains tout simplement.
Si nous avons raté notre passé récent, nous pouvons réussir notre avenir proche.
La première étape consiste à organiser des élections propres et transparentes. C’est pourquoi, je demande à chacun d’y mettre du sien et de faire des concessions pour aller au bout du processus de sortie de crise. Tant que nous n’organiserons pas d’élections, tant que nous n’aurons pas mis fin à la crise politique, nous ne pourrons pas résoudre la crise sociale et économique. Allons donc aux élections et dotons notre pays d’institutions crédibles.
La seconde étape consiste à se mettre au travail. Il faudra un travail de longue haleine pour restaurer la confiance, faire revenir les investisseurs et redresser notre économie. Je suis prêt à le faire car je connais bien les problèmes de nos compatriotes.
J’ai des propositions de solutions. Des solutions pour sortir la Côte d’Ivoire de la crise et la faire entrer dans une nouvelle ère de prospérité. Des solutions pour la paix et la justice sociale, la santé, l’emploi, l’éducation, la sécurité… Des solutions pour les jeunes, les femmes, les paysans, les entreprises… Des solutions pour chaque Ivoirien, pour sa famille, pour sa région. Des solutions pour notre pays.
Ce projet de société, j’entends le mener à bien avec toutes les composantes de la nation, au-delà des clivages et des querelles du passé.
Nous ne pouvons réussir que si nous sommes tous unis. C’est ma priorité: rassembler toutes les énergies autour de l’essentiel, la paix et le bonheur de nos compatriotes.
Chers amis de Fraternité Matin, merci encore pour ce matin de fraternité ! Vous m’avez donné l’occasion de redire à tous les Ivoiriens et à toutes les Ivoiriennes que je les comprends et qu’ils peuvent compter sur moi.
J’aime la Côte d’Ivoire. C’est pourquoi, aujourd’hui, plus que jamais, je suis déterminé à ce que le pays d’Houphouët-Boigny redevienne la vitrine de l’Afrique.
Comme tous les Ivoiriens, je veux la paix et la tolérance et je nourris de grandes espérances pour notre chère Côte d’Ivoire.
Ensemble, nous pouvons réussir à relever tous ces défis
Souvenez-vous qu’en 1993, on l’avait fait et le Chef de l’Etat le sait. C’est une bonne chose. Je suis désolé pour ceux qui sont en prison. Est-ce que les pro cédures ont été suivies, est-ce qu’ils ont été entendus ? Mais, il faut assainir. L’allègement de la dette va tout de même nous donner près de 500 milliards par an. On en parlera tout à l’heure pour le financement de mon programme. Ce sont les impôts des pays amis. Ils ne vont pas nous donner leur argent pour qu’on puisse le détourner. Il faut donc de la rigueur dans la gestion. C’est important que des signaux forts soient donnés. Pas seulement dans le secteur de la filière café-cacao, mais également dans d’autres. Il faut arriver à un assainissement dans tous les secteurs d’activités. Il faut qu’on sache que le bien public est un bien sacré. Et qu’on ne peut pas piocher dans la caisse sans sanction. Ce n’est pas acceptable ! Quand j’étais Premier ministre, j’avais des procédures qui faisaient qu’il était impossible de piocher dans la caisse. Souvenez-vous de cette période; l’exemple doit être donné afin que les uns et les autres comprennent qu’il y a des périodes qui sont passées. La Côte d’Ivoire a besoin de toutes ses ressources, notamment ses ressources publiques. Nul n’a le droit de puiser dans la caisse de l’Etat, impunément.
Il faut la moralisation de la vie publique. Même si ce n’est pas une priorité économique, je considère que c’est un élément important. Que cette moralisation tienne compte de tous les aspects dont celui de la politique. Si le pays n’a pas de repère, si une partie de la population pense que les structures en place ne sont pas légitimes ou que le système judiciaire n’est pas équitable, les problèmes ne sont pas réglés.
Les grands axes de la politique économique sont clairs. Elle nécessite des investissements importants. C’est un programme qui aura besoin de 10 mille milliards. D’ailleurs, quand j’ai annoncé cette somme, certaines personnes ont dit que ce sont des chiffres qui sont totalement aberrants. Où allait-il trouver cet argent, se demandaient-elles ?
Vous avez reçu le représentant de la Banque mondiale qui a indiqué que le programme 2009-2015 de cette banque était de 17 mille milliards 600 millions de Fcfa sur 7 ans. Si l’on ramène cela à 5 ans, on aura 12 mille milliards 500 millions. C’est dire que les 10 mille milliards que j’annonçais ne sont pas un chiffre farfelu. Nous n’avons certes pas assez de temps, mais j’ai un programme par secteur (éducation, santé, logements…). Ce sont des chiffres qui sont possibles avec l’allègement de la dette, les ressources budgétaires, les investissements que nous devons créer nous- mêmes par une meilleure gestion. Il nous faut créer des ressources à partir de l’épargne nationale. Il faut aussi avoir de l’aide publique, des capitaux publics. Prévoir des ressources additionnelles. Si tout cela n’est pas bien géré, nous resterons plus pauvres que nous ne l’avions été dans cinq ans.
Nous avons un programme quasiment finalisé, nous allons le publier quelques semaines avant l’élection. Nous tenons à ce que le débat porte sur le programme. Comment allons- nous l’exécuter ou le financer ?
nstitutions financières
Le constat qui se dégage, s’agissant des institutions de Bretton Woods, c’est qu’il y a une meilleure compréhension du rôle de celles-ci. Cela fait 10 ans bientôt que j’ai quitté le Fonds monétaire international. Et je peux vous dire que dans certains pays comme le Zimbabwe ou même dans des pays proches que je ne citerai pas, lorsque je demandais à rencontrer les différents syndicats ou à aller à l’université, cela ne plaisait pas aux Présidents de ces Etats. Quelquefois, on annulait un déjeuner qu’on avait prévu de prendre avec moi parce qu’on estimait qu’ouvrir le Fonds à des structures de ce genre n’était pas une bonne chose. Mais petit à petit, cela est en train de se faire aujourd’hui. Je vois Strauss Kahn qui rencontre régulièrement la presse. Michel Camdessus et moi-même avions décidé d’ouvrir le Fonds monétaire international aux pays pauvres et d’aider également à avoir une meilleure connaissance de ce qu’on y fait. Le Fmi, permettez-moi l’expression, fait le sale boulot pour les Etats. Quand vous constatez dans un pays que les dépenses sont excessives, et que vous demandez de les réduire, que fait-on généralement ?
En général, il revient à chaque Etat de décider des secteurs où il doit réduire les dépenses. Si en Côte d’Ivoire, les salaires n’ont pas été diminués en 1990, quand je suis arrivé, c’est parce que, au lieu de diminution de salaires comme ce fut le cas dans certains pays de la sous-région, j’ai décidé de m’attaquer aux fonds de souveraineté. C’est comme cela que nous avons réussi à ne pas réduire les salaires. On a préféré diminuer les fonds de souveraineté pour sauvegarder le salaire des uns et des autres. Je suis donc surpris que certains accusent le Fmi d’être à l’origine de leurs difficultés.
Parlant de la sécheresse du budget de l’Etat dont j’avais parlé en 1993, il fallait faire cette gestion de rigueur pour que la dévaluation soit profitable au pays. C’est ce que nous avons fait, Kablan Duncan et moi, pendant trois ans. Nous nous sommes efforcés de tenir nos engagements, de sorte à éviter les dérapages budgétaires afin que les équilibres macro-économiques soient respectés. C’est cela qui a garanti le succès de la dévaluation. Tout le monde convient que la Côte d’Ivoire est le pays qui a le plus profité de cette dévaluation. Ce n’était nullement le fruit d’une improvisation. Si les résultats d’une dévaluation sont satisfaisants, comme vous le dites en parlant de pluie de milliards, c’est qu’elle a été bien préparée. C’étaient des moments vraiment exaltants. Nous avons été passionnés par le travail que nous avons fait. Amadou Gon (secrétaire général adjoint du Rdr, ndlr) était à la Primature avec moi. C’était formidable parce que nous travaillions 7 jours par semaine et 18 heures par jour. Nous sentions que nous faisions avancer le pays, que nous préparions la Côte d’Ivoire du futur. Nous avons donc laissé un bon pays entre les mains du successeur d’Houphouët-Boigny. pour ma part, j’en étais très fier.
Ajustement structurel
Des gens pensent que la crise financière qui secoue l’Occident est la première du genre. Ce n’est pas vrai. La première crise financière était la crise asiatique avec l’Indonésie, la Corée, les Philippines. Ces pays ont rencontré les difficultés que les pays occidentaux ont aujourd’hui. Il leur a fallu faire un nettoyage. Les Asiatiques ont fait le nettoyage nécessaire. Et c’est pour cela d’ailleurs qu’en Asie, la présente crise financière n’est pas beaucoup ressentie.
En Côte d’Ivoire également, hormis les nouvelles banques, on n’en parle pas au niveau des anciennes. Tout cela est le résultat d’un travail de longue haleine. C’est donc grâce au nettoyage que nous avons entrepris que, malgré la crise, malgré la rébellion qui a scindé la Côte d’Ivoire en deux, ce pays tient encore. C’est effectivement parce que les structures sont solides. Nous avons privatisé l’électricité. Au Togo, au Bénin, il n’y a pas eu de guerre, mais ils n’ont pas d’électricité une bonne partie de la journée. Idem pour le Ghana. Différentes structurations et restructurations doivent se faire pour solidifier et installer un Etat. Et c’est ce que nous avons fait de 1990 à 1993. Je suis donc fier de ce que nous avons fait. Il y a eu des erreurs car nous sommes des êtres humains. Je n’étais pas un homme politique. J’essayais de travailler dans le seul intérêt de mon pays que je crois avoir bien servi.
ournalistes en prison
Dans mon introduction, j’ai dit que j’étais très attaché à la liberté de la presse, à la liberté d’expression. Si ce n’était pas le cas, j’aurais fait des procès ces 15 dernières années, avec tout ce qui a été écrit sur moi, sur mon épouse et ma mère. Moi, je ne crois pas que ce soit une bonne chose de mettre un journaliste en prison. Je ne dis pas cela parce que vous êtes là. Même si les déclarations qu’ils ont eu à faire sont maladroites, et que la manière de faire et de dire les choses n’est pas la bonne, j’estime aussi que les mettre en prison n’est pas une bonne chose. C’est une décision plus politique qu’autre chose. On devrait tout simplement les libérer et leur coller un avertissement. Il est malheureux que ces jeunes gens soient en prison. Pour ma part, j’estime qu’ils doivent être libérés (chose faite depuis hier, ndlr). Le Chef de l’Etat doit faire valoir son droit de clémence pour qu’on ne puisse pas les garder plus longtemps en prison.
Ma vision du Fonds de développement de la presse est très claire : il faut instaurer un système de subvention importante des journaux, y compris Fraternité Matin, assorti de points. Et si l’on mettait deux milliards sur la table, on dira, Fraternité Matin représente la moitié des journaux en circulation, Fraternité Matin a un milliard et cent points, et les autres journaux, un milliard à se partager. Et, chaque fois qu’il y aura des articles du genre de celui dont nous parlons, on retire des points aux journaux incriminés. Ce retrait de points conduisant inévitablement à une baisse de la subvention. Avec cela, on peut assainir très rapidement l’univers de la presse. Il faut trouver un système qui permette aux journaux d’avoir un minimum d’indépendance.
Gooré Bi Hué : Vous êtes candidat à l’élection présidentielle. Quels sont les grands axes économiques de votre programme de gouvernement, surtout concernant la création de richesses et d’emplois ?
- Le binôme café-cacao reste une ressource importante pour l’économie de la Côte d’Ivoire. Alors, quelle solution allez-vous apporter pour redonner sa valeur à cette filière ?
Abel Doualy : Dans vos interventions, vous liez pauvreté à la crise. On parle aujourd’hui des PPTE, de l’APE, il y a aussi la fronde sociale avec de promesses d’augmentation de salaires. Alors, comment entrevoyez-vous la gestion de toutes ces questions ? Cela m’amène à vous demandez de faire un diagnostic de l’économie ivoirienne.
Touré Abdoulaye : A votre époque à la Primature, on a parlé de raccrochage, avec la diminution du salaire d’une catégorie d’enseignants. Qu’est-ce qui expliquait cette mesure ?
Pascal Soro : Quel est le rôle du pétrole dans la gestion de l’Etat de Côte d’Ivoire et quelle est sa place dans votre programme de gouvernement ? Deuxièmement, au dernier congrès du RDR à l’hôtel Ivoire, vous avez ouvertement appelé les Forces Nouvelles à vous rejoindre. Plusieurs mois après, quelle réponse avez-vous eue ?
ADO : Avant de parler du projet pour le pays, il faut d’abord poser un diagnostic. La situation actuelle est très difficile. Que ce soit au niveau du pouvoir d’achat que de l’augmentation des prix des denrées alimentaires. Quand je regarde les évolutions depuis 2005, sur certaines denrées comme le riz local ou importé, on est passé de 300 à 400 francs. Pour la viande de bœuf, on est passé à 50 % d’augmentation. De 1200 à 1700 francs. Le gaz de 3500 à 4375, etc. Au regard de ce qui précède, j’ai demandé à un jeune qui travaille dans mon cabinet, et qui gagne 100.000 francs - qui est un bon salaire par rapport au Smig - comment fait-il pour vivre. Il m’a répondu qu’il paie un loyer d’une chambre-salon à 35.000 francs. Sa facture d’électricité à 7000 francs, l’eau à 9000 francs, la popote 1500 francs par jour. Sans oublier ses frais de transport. Mais en me donnant ces détails, il a précisé : « patron, heureusement que vous m’aidez de temps en temps». Ce jeune est marié sans enfant. Sa femme ne travaille pas. Il mange peut-être deux fois par jour. Mais beaucoup de gens ne mangent qu’une fois quotidiennement. Dans nombre de familles, le mari et la femme ne travaillent pas. Les enfants essaient d’aller à l’école quand ils peuvent. C’est une situation dramatique. La Côte d’Ivoire n’a jamais connu cela depuis 15 ou 20 ans. Certes, nous étions moins nombreux. Toutefois, fondamentalement, il y a des problèmes économiques, de pauvreté que nous devrons résoudre.
Ce que j’offre le plus à mon pays, c’est ma qualité d’économiste. Pas celle d’homme politique. Mais nous sommes dans une situation dont il nous faut sortir. Il faut nécessairement un programme. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut des hommes et des femmes pour pouvoir gérer une telle situation qui demande une prise de conscience. Il faut avoir la capacité et la volonté d’attaquer tous ces problèmes.
Priorités
Premièrement, avoir un cadre macroéconomique. Cela apparaît peut être un peu curieux de le dire alors que le pays est en crise. On devrait dire qu’il faut injecter de l’argent. Mais si l’on y met de l’argent qu’il n’est pas bien dépensé, qu’obtient-on ? Des situations d’inflation. Il faut donc un cadre de gestion économique qui rassure les Ivoiriens. Car nombreux sont les Ivoiriens qui ont des comptes à l’étranger; ils gardent leur argent à l’extérieur parce qu’ils ne croient pas en notre pays, en sa gestion.
Deuxièmement, il faut faire en sorte que les investisseurs, reviennent. Car les crises politiques successives n’ont pas aidé notre pays. Fondamentalement, cela a occasionné des départs. Ces responsables de Pme sont partis. On a ainsi réduit les richesses. Des personnels de maison, des chauffeurs, etc. se retrouvent au chômage. Les questions sociales n’ont pas été résolues. L’amélioration de la qualité des infrastructures dans l’éducation, la santé, etc. je peux passer des heures en à parler, mais je ne voudrais pas m’étendre sur ce volet. Cependant, je voudrais seulement dire que nous avons besoin de reprendre la gestion économique en main. On trouve facilement les grands axes dans mon discours-programme du Congrès. Nous sommes en train de finaliser le programme de gouvernement que nous allons publier. Un programme dans lequel les priorités sont indiquées.
J’en ai deux grandes. La première: l’amélioration de la qualité du service public. C’est-à-dire, tout ce qui a trait à l’éducation, à la santé, aux infrastructures (eau, électricité, routes).
Le deuxième grand volet, c’est la question de l’emploi des jeunes. Puisque le chômage est très élevé. Plus de 50% de la population active et 85 % des chômeurs sont des jeunes. Il y a un travail de fond à faire pour développer un système de production qui emploie les jeunes. Et qui rassure les investisseurs. C’est en créant de nouveaux investissements dans le domaine des services et autres que nous allons créer l’emploi.
Protection
des paysans
Dans mon discours programme à Yamoussoukro, j’ai clairement démontré que le paysan qui produit le café-cacao est le plus mal loti dans la distribution des recettes provenant de ce secteur. Il n’a même pas 50% des revenus. Nous avions proposé que le prix aux producteurs soit à 650F. J’ai été heureux de constater que quelques temps après, le gouvernement a pris une décision fixant ce prix à 650 ou à 700 F. c’est une excellente décision.
Toutefois, il faut deux structures. Une pour le café-cacao et une autre pour le coton-l’anacarde et autres. Tout cela peut se faire sans difficulté. Puisque cela existait. Et ça marchait. Les paysans étaient mieux protégés. Pourquoi a-t-on créé toutes ces structures et que rien ne marche? Le comble, c’est qu’on retrouve ces personnes désignées pour gérer ces structures, en prison. C’est aberrant. Il eût fallu laisser les structures en l’état. On aurait gaspillé moins d’argent, eu moins de problème. On n’aurait pas frustré les familles de toutes ces personnes emprisonnées. Je considère que la gestion économique est un élément fondamental du débat que nous devrons avoir à l’occasion de l’élection présidentielle. Qui peut faire quoi ? Comment le faire? Avec quels moyens et quelles équipes?
On m’a parlé du rôle du pétrole. Je préfère ne pas aller dans les détails dans ce secteur dans lequel il y a problème. Le FMI et la Banque Mondial ont exprimé des exigences. Celles-ci ont été acceptées par le gouvernement dans le programme de la facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance. C’est une très bonne chose, puisque les informations seront données au gouvernement de manière régulière. La question du café et du cacao est donc incorporée dans le programme qui conduit au Ppte. La question pétrolière y est également incorporée. Dieu merci que nous avons ce programme pour nous protéger.
Décrochage
des enseignants
Avant d’aborder la question subsidiaire de la diminution des salaires des enseignants, il faut noter que j’ai géré la Banque centrale. Ce sont huit pays, des milliers d’employés... J’ai été directeur Afrique du Fonds monétaire international. Avec, sous ma responsabilité, le plus grand département composé, non seulement de l’Afrique subsaharienne mais aussi de l’Algérie, de la Libye, du Maroc, de la Tunisie, etc. Quand je suis devenu directeur général adjoint du Fmi, j’avais en charge, non seulement les pays mais aussi la politique du personnel de l’Institution, et ce sont plus de 3500 personnes.
Il arrive des moments où l’on doit faire des choix. Mon choix en 1991, était que j’avais plein de jeunes qui avaient achevé leur formation en médecine mais qui n’avaient pas d’emploi. Et nous étions à un stade où nous n’avions plus d’argent face à cette préoccupante situation. Nous étions soumis à des plafonds avec le programme du Fonds monétaire, nous ne pouvions pas les recruter. La solution provisoire à trouver c’était de les recruter avec un salaire compatible avec les autres salaires de la Fonction publique. Puisqu’ils avaient eu le décrochage qui faisait que les enseignants avaient un salaire plus élevé. A cette même période, je travaillais sur la dévaluation. Et je savais qu’une fois cette opération achevée, et la dévaluation faite, cela me donnera la marge de les remettre au niveau des autres enseignants. Cela m’a permis de recruter des centaines de nouveaux diplômés qui seraient au chômage si l’on n’avait pas pris cette décision. Le gouvernement qui m’a succédé aurait dû procéder au décrochage de ces jeunes enseignants. La marge que créait la dévaluation permettait de le faire. Chaque gouvernement a ses options. Moi, je l’aurais fait. Et je l’ai publiquement fait savoir. Ce qui me permet d’être très à l’aise pour vous donner des informations concernant cette affaire. Maintenant cela a été fait. Je m’en réjouis. Il faut passer aux autres secteurs. Un pays qui n’a pas un système judiciaire crédible ne peut avoir d’investissements. Il faut également aller vers le décrochage des magistrats. Il faudra aussi prendre le problème de la sécurité à bras le corps. En fonction de ses moyens et selon un planning qui permet à l’Etat de supporter ces décisions de souveraineté.
Financement du
programme du Rdr
J’ai vu qu’il y a eu beaucoup de doute sur la question du financement de notre programme. Alors, j’ai tenu à la clarifier. Je voudrais aussi vous dire les mesures phares que j’ai dans le programme parce que pour les lecteurs de Fraternité Matin, cela est important.
C’est dire que nous avons des choses concrètes aussi bien au niveau de chaque secteur que de leur financement. Pour la modernisation de l’agriculture, nous avons prévu 300 milliards; pour les infrastructures, 1500 milliards… Ces chiffres pourront être élevés puisque dans le Document de stratégie de réduction de la pauvreté (Dsrp) de la Banque mondiale, je vois que pour l’éducation et la santé, on pourra donner des ressources additionnelles. Au lieu de dix mille milliards, nous pourrons aller jusqu’à douze mille milliards, malgré la crise financière.
Agnès Kraidy : Quelle place accordez-vous à la femme et quelle est votre vision par rapport à son intégration à tous les niveaux, notamment au sein de votre parti, le RDR ? Deuxièmement, vous réclamer la création d’un Etat-nation. C’est ce qui ce passe aujourd’hui dans le monde, avec l’implication des Etats dans le financement des structures privées surtout en cette période de crise financière mondiale. Est-ce une nouvelle idéologie politique pour M. Ouattara qui, pourtant, était libéral ?
Jean-Baptiste Béhi : Que pensez-vous de la gestion actuelle du sport ivoirien et si vous êtes président, quelle place accorderez-vous au sport en Côte d’Ivoire ?
Ernest Aka Simon : Vos militants vous reprochent de n’être pas trop sur le terrain, pour les grandes rencontres et autres meeting. Ne pensez-vous pas qu’en restant ainsi, vous risquez de mettre vos militants à dos ?
Ferro Bally : Le RDR à 15 ans et vous êtes à sa tête depuis le 1er août 1999. Si c’était à refaire, referiez-vous cet engagement ? Ensuite, vous annonciez que votre programme de gouvernement sera connu quelques semaines avant le scrutin présidentiel. Accepteriez-vous le principe d’un débat télévisé avec les autres leaders, permettant aux ivoiriens de mieux apprécier votre programme de gouvernement ?
Marc Yevou : Revenant sur le concept de l’ivoirité, selon vous quel est aujourd’hui l’état des lieux ? Le concept a-t-il disparu ? Et après l’épisode de l’ivoirité, quel sens donnez-vous à votre alliance avec le président Bédié au sein du RHDP ? Et quel commentaire faites-vous d’une éventualité de candidature unique du RHDP à l’élection présidentielle ?
Abel Doualy : Quelles sont les chances pour le RDR de remporter les élections dès le premier tour, sans une alliance ?
Jean-Baptiste Akrou : Dans un article d’Afrique Magazine, Venance Konan a écrit deux phrases que je vous lis : « S’il devient président (parlant de vous), la Côte d’Ivoire explosera dans les heures qui suivront » et « Devant les difficultés quotidiennes qu’ils affrontent, peu leur importe l’origine de celui qui viendra les sauver ». Dans laquelle de ces deux phrases vous vous retrouvez?
Abel Doualy : De plus en plus, lors des rencontres internationales, les bailleurs de fonds, surtout les institutions de Bretton Woods, sont pratiquement vouées aux gémonies. On dénonce ce que les grands penseurs appellent aujourd’hui, l’unilatéralisme des puissances internationales. Et les PAS (Programme d’ajustement structurel, ndlr) qui étaient des programmes sauveurs ou de sauvetage sont aujourd’hui dénoncés pas certains pays. Si vous arrivez au pouvoir, allez-vous reconduire ces PAS ou allez-vous voir la coopération sous un angle asiatique qui fait, aujourd’hui, école dans le monde ? Ensuite comment parviendrez-vous à faire entrer dans le subconscient des ivoiriens la période de sècheresse du budget de l’Etat durant votre période de Primature et les pluies de milliards qui ont suivis après votre départ ?
ADO : L’Etat que je souhaite construire après les élections, c’est un Etat fort. J’y crois beaucoup. Le fait d’être libéral ne veut pas dire qu’on ne doit pas être un Etat fort. Pour un pays en voie de développement, l’Etat doit être fort parce qu’il est souvent la source de l’investissement, la protection de l’investissement privé. Il assure également la protection des citoyens.
Je suis libéral, c’est vrai, mais je suis pour un Etat fort. C’est d’ailleurs lamode. En France, aux Etats-Unis, l’Etat est en train de nationaliser les banques, d’y injecter de l’argent. J’ai été un peu un précurseur dans ce domaine. J’en suis heureux parce que j’estime que les extrêmes, ce n’est jamais bon. Rien que l’Etat ou rien que le privé, ce n’est pas ce qu’il faut.
Femmes en politique
Nous avons tous les jours la possibilité d’en faire la démonstration. Nous sommes le seul parti politique qui allons aux réunions internationales avec une ou deux femmes dans notre délégation. Si la délégation est de trois personnes, il y a une femme; et souvent, c’est Mme Diabaté. Si elle est au-delà de cinq personnes, il y en a deux… Nous en faisons une condition parce que c’est ainsi qu’on va arriver à instaurer l’équité dans la gestion de notre société. Nous sommes malheureusement dans une société qui ne va pas totalement dans ce sens; mais nous faisons un effort particulier.
ADO et le sport
Tout le monde connaît mon attachement à ce secteur, notamment au football. Malheureusement, nous vivons une douloureuse situation depuis dimanche. J’ai été très navré de voir ce qui s’est passé. J’avais d’ailleurs adressé un message au président Anoma (Fif). Souvenez-vous aussi que c’est quand j’étais Premier ministre que nous avons remporté la Coupe d’Afrique de Nations (Can) en 1992. Malheureusement, depuis cette date, personne n’a pu en faire autant; c’est peut-être une chance que j’ai eue avec le ministre René Diby à cette époque.
Absence d’ADO
sur le terrain
Dire que je vais me mettre à dos les militants? Mais vous devez savoir que chaque parti a sa stratégie. Nous, nous avons estimé que nous ne voulions pas aller dans le flou. Si nous n’avons pas de dates pour les élections, ça n’a pas de sens pour moi, sans critiquer qui que ce soit, d’entreprendre un certain nombre d’activités. Nous gérons le parti. Et, en fonction des exigences du moment, nous allons organiser les contacts avec les militants. Nous sommes le seul parti, depuis cinq ans, à avoir fait un congrès du parti, des jeunes et des femmes. Ce sont quand même des moments importants durant lesquels il y a un contact avec les militants. Les deux autres grands partis ne l’ont pas fait depuis cinq ans à ma connaissance, ni le Fpi ni le Pdci. Nous avons procédé à une restructuration qui a créé quelquefois beaucoup de difficultés. C’est qu’après les élections, il y a toujours beaucoup de problèmes à régler. D’où la création de l’inspection qui est allée souvent sur le terrain pour démêler les problèmes même s’ils n’ont jamais été réglés définitivement. A Yamoussoukro ou ailleurs, nous avons encore des problèmes. Des responsables sont donc sur le terrain. Mme Diabaté a quand même fait plus de 20 mille Km dans le sud ou le sud-est. Des ministres également se sont souvent déplacés: Amadou Gon, Hamed Bakayoko, Amadou Soumahoro… Il y a un contact permanent avec la base. Mais il y a aussi la gestion du parti. Tous les mercredi après-midi, nous avons un comité de direction comprenant 20 personnes qui dure de 15h à 19h. On gère un parti comme un Etat, une entreprise. J’ai également eu beaucoup de voyages à l’extérieur, notamment dans toutes les négociations des différents accords. Je crois que les militants comprennent assez toutes ces questions. Ce n’est pas que je n’ai pas envie d’être sur le terrain. Pour les meetings, on en a fait suffisamment, en 1999, 2000, 2001, 2002. Mais comme je le souhaite, la date des élections sera annoncée dans les jours qui viennent, nous aurons un chronogramme pour que le président du parti qui est candidat à l’élection présidentielle, puisse aller sur le terrain.
Création du Rdr
A la question de savoir si je serais prêt à recréer le Rdr si c’était à refaire, je voudrais préciser que ce n’est pas moi qui ai créé le Rdr. Vous l’oubliez, c’est Djéni Kobina. Les gens ne me croient peut-être pas, mais je n’ai rien à voir avec la création du Rdr. Djéni Kobina l’a créé alors que j’étais à Washington. Un certain nombre de personnes dont Mmes Henriette Diabaté, Jacqueline Oble… sont venues me voir et m’ont dit qu’elles souhaitaient que je sois leur candidat à l’élection présidentielle, en 1995. J’ai décliné la proposition. Quand j’ai fini mon mandat au Fmi et que je suis rentré, j’ai été porté à la présidence de ce parti. J’avais une forte sympathie pour le Rdr parce que je considérais que c’était un parti ouvert, qui voulait le changement, une modernisation de la Côte d’Ivoire. Je suis content d’avoir adhéré à ce parti et je suis très fier que les militants m’aient porté à leur tête. Mais c’est à Djéni Kobina que ce crédit doit aller.
Élections et débats
télévisés
Certainement que j’accepterai un débat télévisé. Je considère qu’à un moment donné, il faudrait un débat télévisé; mais j’estime qu’il sera plus utile au deuxième tour, s’il y en a. Pour que les deux principaux candidats déroulent leur vision de la gestion de la Côte d’Ivoire aux Ivoiriens. Un débat télévisé au premier tour, je trouve que ce n’est pas très utile.
Ivoirité
Ces questions de l’exclusion on fait beaucoup de mal à ce pays. Je considère que c’est un domaine dans lequel nous faisons beaucoup de progrès. Il y a moins d’exclusion et ces élections permettront à beaucoup de gens qui n’avaient pas pu obtenir leurs papiers pour diverses raisons de les avoir, de participer à la vie nationale, politique comme économique. Je le dis, je n’ai pas de rancœur. C’est moi qui ai pris l’initiative de contacter le président Bédié pour que nous formions ensemble le Rhdp parce que j’estime que nous avons la même philosophie. Nous sommes tous deux houphouétistes, des libéraux. Le Rdr est issu du Pdci…
Candidature unique
Bédié comme moi avons dit que nous ne sommes pas pour une candidature unique au premier tour. Mabri est aussi du même avis. Anaky a eu des positions un peu différentes de temps en temps. Mais pour le moment, la majorité des acteurs au sein du Rhdp est contre la candidature unique.
Victoire au 1er tour
Le Rdr a-t-il les chances de remporter l’élection présidentielle au premier tour ? Nous disons : ‘‘In challah’’. Nous prions pour qu’il en soit ainsi. Mais vous savez, en politique, tout n’est pas de gagner les élections, c’est l’après élections. Je considère que ce pays a beaucoup de problèmes. Même si le Rdr devait gagner au premier tour, il ne peut pas exclure les autres. Pour ma part, je pense que quel que soit le résultat des élections, si nous sommes aux affaires, nous allons gérer avec tous les partis : le Pdci, le Fpi, l’Udpci, le Pit, etc.
Quand j’étais directeur général adjoint du Fmi, je m’occupais de l’Afrique du Sud. Ma première mission, en 1995, je l’ai effectuée en Afrique du Sud, par principe car j’ai une très grande admiration pour Nelson Mandela. Après ma rencontre avec le président Mandela, tous les ministres liés à l’Economie que j’ai vus étaient des Blancs. Après ma mission, je suis reparti voir Mandela et je lui ai dit: «M. le Président, j’ai vu tel et tel ministre». Il m’a répondu: «oui, tu n’as vu que des Blancs». Il a ajouté: «c’est comme ça parce que c’est la transition». Il faut donc que tout le monde se sente concerné et sache que l’Afrique du Sud appartient à tous. C’est comme cela que je vois les choses. Tous les grands partis, et même les petits partis, dont le président a une notoriété nationale, doivent contribuer au redressement de la Côte d’Ivoire. Voilà un peu mon projet. Gagner au premier tour ne veut pas dire gérer seul.
Ado président, la Côte d’Ivoire exploserait ?
Des gens disent que si je devenais Président, la Côte d’Ivoire exploserait. Je trouve que les gens ont la mémoire courte. Ou est-ce parce que l’intox a tellement marché? Souvenez-vous que j’ai été Président par intérim de mars jusqu’au 9 décembre 1993. Le Président Houphouët-Boigny est parti en France, je l’ai accompagné à l’aéroport et il n’est plus revenu. Pendant neuf mois, j’ai géré le pays. A-t-il explosé? La Côte d’Ivoire n’a pas explosé. J’ai tout de même été Premier ministre, tout le monde savait que le Président Houphouët-Boigny était absent 4 à 5 mois dans l’année. J’étais donc Président par intérim, plusieurs mois pendant cette période et la Côte d’Ivoire n’a pas explosé. Alors, si j’arrivais à la tête du pays, pourquoi exploserait-il? C’est vraiment prendre les Ivoiriens, passez-moi l’expression, pour des idiots. Je trouve cela indécent de la part de ceux qui tiennent de tels propos. Je n’irai pas dans la rue si Laurent Gbagbo est élu ou réélu ou si Bédié est réélu. Pourquoi la Côte d’Ivoire exploserait ? Les Ivoiriens veulent la paix, il faut arrêter ce genre de propos, il y a des esprits chagrins qui regrettent le passé. C’est leur problème. Mais ce que je veux, c’est servir mon pays
Conclusion
La situation de notre pays est difficile, mais elle n’est pas sans espoir. Les Ivoiriens souffrent. Les mouvements sociaux se multiplient et ils sont légitimes. L’Etat est ébranlé par des affaires. Le système actuel a donc démontré ses limites.
Je suis sûr que les Ivoiriens ont pris conscience des dangers que court notre pays. L’heure n’est plus à la politique du «tout ou rien». La démocratie implique de nouveaux comportements responsables, respectueux, républicains tout simplement.
Si nous avons raté notre passé récent, nous pouvons réussir notre avenir proche.
La première étape consiste à organiser des élections propres et transparentes. C’est pourquoi, je demande à chacun d’y mettre du sien et de faire des concessions pour aller au bout du processus de sortie de crise. Tant que nous n’organiserons pas d’élections, tant que nous n’aurons pas mis fin à la crise politique, nous ne pourrons pas résoudre la crise sociale et économique. Allons donc aux élections et dotons notre pays d’institutions crédibles.
La seconde étape consiste à se mettre au travail. Il faudra un travail de longue haleine pour restaurer la confiance, faire revenir les investisseurs et redresser notre économie. Je suis prêt à le faire car je connais bien les problèmes de nos compatriotes.
J’ai des propositions de solutions. Des solutions pour sortir la Côte d’Ivoire de la crise et la faire entrer dans une nouvelle ère de prospérité. Des solutions pour la paix et la justice sociale, la santé, l’emploi, l’éducation, la sécurité… Des solutions pour les jeunes, les femmes, les paysans, les entreprises… Des solutions pour chaque Ivoirien, pour sa famille, pour sa région. Des solutions pour notre pays.
Ce projet de société, j’entends le mener à bien avec toutes les composantes de la nation, au-delà des clivages et des querelles du passé.
Nous ne pouvons réussir que si nous sommes tous unis. C’est ma priorité: rassembler toutes les énergies autour de l’essentiel, la paix et le bonheur de nos compatriotes.
Chers amis de Fraternité Matin, merci encore pour ce matin de fraternité ! Vous m’avez donné l’occasion de redire à tous les Ivoiriens et à toutes les Ivoiriennes que je les comprends et qu’ils peuvent compter sur moi.
J’aime la Côte d’Ivoire. C’est pourquoi, aujourd’hui, plus que jamais, je suis déterminé à ce que le pays d’Houphouët-Boigny redevienne la vitrine de l’Afrique.
Comme tous les Ivoiriens, je veux la paix et la tolérance et je nourris de grandes espérances pour notre chère Côte d’Ivoire.
Ensemble, nous pouvons réussir à relever tous ces défis