Au moment où la Côte d'Ivoire est en train de célébrer avec faste l'obtention du point de décision de l'Initiative en faveur des Pays pauvres très endettés (PPTE), il convient de s'interroger sur les avantages et les inconvénients de ce programme pour notre pays, la Côte d'Ivoire.
En effet, plusieurs pays ont déjà obtenu le point d'achèvement depuis plusieurs années mais restent toujours au point de départ de leur développement. Il s'agit tout près de nous dans notre espace communautaire de l'Union Monétaire Ouest Africaine ( UEMOA) des pays suivants : Bénin, Burkina Faso, Mali, Niger et Sénégal. Ce point d'achèvement auquel notre pays pourrait aspirer dans un an ou deux ans, en fonction du rythme auquel nos autorités vont imprimer aux réformes est la période effective où la remise des dettes sera concédée. Des pays sortant de conflit comme le Libéria, la République centrafricaine , le Tchad, le Congo Brazza se trouvent aujourd'hui dans la même situation que la Côte d'Ivoire, à savoir dans la phase intérimaire de cheminement vers le point d'achèvement après avoir obtenu le point de décision. Beaucoup d'entre eux sont retardés par les réformes structurelles qu'ils n'arrivent pas à mener à terme, ces réformes ayant un fort contenu de bonne gouvernance. Cela se comprend aisément dans la mesure où la remise de dette est concédée par le contribuable des pays riches. Ceux-ci deviennent de plus en plus exigeants et ne voudraient pas que les fonds ristournés aux pays pauvres soient détournés par leurs dirigeants.
Pourquoi les pays qui ont obtenu des allègements massifs de leur dette sont toujours au même stade de leur développement ?
Il est important à ce stade d'utiliser un mécanisme simplifié pour expliquer le PPTE : Kouadio , planteur au village, doit, depuis 10 ans, la somme de 100 000 FCFA à Yao, fonctionnaire de son état. Malgré les relances, le débiteur n'est jamais parvenu à faire le remboursement à Yao. A l'issue de la 10ème année, Yao convoque le débiteur devant les autorités coutumières et religieuses du village et lui fait la proposition suivante :
-Yao décide de faire un abandon de dette d'une valeur de 100 000 FCFA avec pour témoins les autorités coutumières et religieuses du village ;
-Cet abandon est assorti des conditions suivantes : Kouadio devra utiliser les ressources " ristournées " aux soins d'éducation et de santé de sa famille à raison de 20 000 F par mois. 10 000 F seront consacrés aux soins de santé et 10 000 F serviront aux frais d'études.
Du point de vue du créancier, le fonctionnaire Yao, la remise de la dette ne lui coûtera rien car n'importe comment cette dette ne sera jamais honorée par le débiteur. Monsieur Yao aura bonne conscience et son image se trouvera auréolée dans le village. Il ne décaissera aucune ressource additionnelle.
Du côté du débiteur, récipiendaire de ces ressources, il a l'impression de s'être enrichi de 20 000 F supplémentaire par mois. Mais ce sont des ressources virtuelles dans la mesure où n'importe comment en bon père de famille, il devra consacrer un tel niveau de ressource à l'éducation et à la santé de ses enfants. Il va opérer une réaffectation de son propre budget familial avec cette fois-ci la contrainte de le faire du fait de l'engagement pris devant les autorités coutumières et religieuses du village. En effet, il a été délégué à l'Autorité coutumière et religieuse le pouvoir et le droit de surveiller l'exécution de leur engagement.
Par analogie et pris à l'échelle d'un pays dit PPTE, c'est le même mécanisme de fonctionnement qui est suivi. Cette fois-ci, le débiteur est la Côte d'Ivoire, le créancier est toute la communauté internationale (bilatéraux et multilatéraux) et l'autorité coutumière et religieuse chargée d'assurer le monitoring ou suivi du mécanisme est symbolisée par les institutions de Bretton Woods, à savoir le FMI et la Banque mondiale. Ne dit-on pas que le " FMI est l'huissier des pays riches pour récupérer leur dette auprès des pays pauvres ? "
Donc la remise de dette, après le point d'achèvement, ne correspond pas à l'obtention de ressources additionnelles massives pour les pays. Elle correspond plutôt à une réaffectation de leurs propres ressources budgétaires pour des actions pro-pauvres , en particulier, dans les domaines de la santé, de l'éducation et des infrastructures de base. Ces réaffectations budgétaires s'opèrent en fonction du contenu du Document cadre de réduction de la pauvreté (DSRP), un document rédigé par les autorités avec une large participation de la société civile et du secteur privé. Le DSRP est lui-même axé sur la poursuite des objectifs de développement du Millénaire qui prévoit qu'en 2015, la pauvreté devra être éradiquée dans le monde selon les différents engagements pris à Monterrey au Mexique en 2001 !
Le PPTE de la Côte d'Ivoire
Le PPTE n'est pas une initiative nouvelle pour la Côte d'Ivoire. A l'origine, vers la fin des années 1990, ce programme avait été conçu pour permettre à quatre pays ( Bolivie, Burkina, Côte d'Ivoire et Ouganda) de bénéficier d' un allègement de leur dette. A l'époque, la Côte d'Ivoire a dû forcer pour pouvoir en bénéficier en faisant valoir des arguments de " pays pauvres très endettés " alors que la Côte d'Ivoire était classée parmi les pays à revenu intermédiaire. C'est ce " forcing ", entre autres, que certains bilatéraux ont fait payer à la Côte d'Ivoire et a retardé l'obtention du point de décision. Ce qui n'est pas une mauvaise chose en soi car le PPTE originel permettait des allègements de dette de près de 68% du stock de la dette au point d'achèvement. L'initiative a évolué depuis 2004-2005 vers un allègement à 100% en incluant la dette auprès des institutions multilatérales, ce dont le PPTE originel ne prenait pas en compte
Il convient de préciser à ce stade que le PPTE d'un pays est forcément adossé au programme triennal financé par la Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et pour la Croissance (FRPC) du FMI. C'est la seule bouffée d'oxygène dont la Côte d'Ivoire peut bénéficier. Elle porte sur près de 258 milliards de FCFA . Sur ce montant, la Côte d'Ivoire devra rembourser immédiatement 60 milliards de FCFA au FMI au titre du dernier programme avant la FRPC. Il nous restera alors à tirer le reste soit environ 200 milliards sur trois ans en raison de 1/6 tous les six mois, soit environ 33 milliards chaque semestre. Avouons que pour un pays qui a un budget annuel de près de 2000 milliards, les ressources du FMI ne vont représenter qu'à peine 3,3% du total. Espérons que la Banque mondiale pourra apporter des ressources plus importantes, car le chiffrage du financement de notre DSRP jusqu'en 2015, pour nous permettre de réaliser les objectifs de développement du millénaire, est d'environ 17 000 milliards de francs CFA . Le communiqué du dernier conseil des ministres daté du 27 mars précise : " les axes stratégiques du DSRP sont assortis d'actions prioritaires de développement dont le coût global s'élève à 17 645 037 milliards sur la période 2009-2015. Le financement de ces actions sera assuré par les ressources propres de l'Etat de Côte d'Ivoire, les ressources PPTE et les ressources extérieures complémentaires provenant des multilatéraux et les partenaires bilatéraux. " A supposer qu'on bénéficie d' une remise totale de notre dette auprès de bilatéraux et multilatéraux (la dette privée, celle du Club de Londres est à exclure de l'initiative PPTE) au point d'achèvement, soit environ 5000 milliards de FCFA, il restera à mobiliser 12 000 milliards de FCFA d'ici 2015. Où obtenir ce supplément de ressources ?
Les réformes structurelles du programme appuyées par la FRPC ne pourraient pas permettre le franchissement du point d'achèvement avant 2011.
En outre, le programme FRPC-PPTE obtenu par la Côte d'Ivoire impose des conditionnalités de bonne gouvernance et des réformes structurelles dont la cadence imprimée par le gouvernement déterminera l'horizon de franchissement du point d'achèvement. Plus lentement, le gouvernement entreprendra les réformes, plus éloignée sera l'atteinte du point d'achèvement. Ces réformes portent sur le secteur du pétrole et de l'énergie, le secteur du café-cacao, la fonction publique. Comme l'a précisé le Représentant-résident du FMI dans Frat-mat du 28 mars dernier : " De façon concrète, il y aura, entre autres, une loi contre l'enrichissement illicite, un cadre de lutte contre la corruption qui sera mis en place de manière à donner confiance aux opérateurs privés . "
Au niveau des réformes structurelles qui relèvent du domaine réservé de la Banque mondiale, dans le cadre de la division du travail entre les deux institutions de Bretton woods, il y a deux points sur lesquels le non respect par nos autorités pourrait constituer un blocage. Il s'agit de l'introduction du mécanisme d'ajustement automatique des prix des produits pétroliers sur le marché international et de la masse salariale de l'Etat (militaires et fonction publique civile). Au niveau du mécanisme d'ajustement automatique des prix, bien qu'un tel mécanisme permettrait de résorber le déficit de la SIR et de réduire les subventions de l'Etat au secteur de l'énergie, il conviendrait de trouver un filet de sécurité pour les couches sociales les plus défavorisées en cas de hausse du prix du Brent sur le marché international. Sinon l'engagement pris par le gouvernement, dans le cadre du programme appuyé par la FRPC, d'introduire le mécanisme d'ajustement automatique pourrait être remis en cause en cas de hausse du prix international du pétrole entraînant ainsi un blocage du programme donc l'éloignement conséquent du point d'achèvement.
Pour ce qui est de la masse salariale, il atteint aujourd'hui un seuil de 43% des recettes fiscales propres alors que la norme souscrite par notre pays au niveau de l'UEMOA prévoit 35%. Le programme appuyé par la FRPC a donc introduit un critère sur la maîtrise de la masse salariale. Or l'atteinte du point de décision du PPTE a fait naître de grands espoirs relatifs à l'augmentation des salaires. Cela se comprend aisément dans la mesure où le PPTE est un effort de la part des contribuables des pays développés pour alléger la dette des pays pauvres. Ces contribuables des pays riches ne comprendraient pas pourquoi l'abandon de leurs créances servirait à financer les augmentations de salaire des fonctionnaires des pays pauvres ! C'est pourquoi la seule issue pour augmenter les salaires ne proviendrait que des économies que le gouvernement pourrait réaliser grâce à un audit rigoureux de la fonction publique qui permettrait de sortir les agents fictifs. Toute autre tentative d'augmenter la masse salariale est une entrave au programme, et entraînerait de facto un éloignement du point d'achèvement.
Les avantages du PPTE
pour les
populations ivoiriennes
Le PPTE présente toutefois des avantages pour les populations ivoiriennes car il va permettre de disposer de ressources dont la bonne utilisation pourrait contribuer à la réduction de la pauvreté même si le niveau de ressources n'est pas celui qui est espéré. La communauté internationale est tenue de surveiller l'exécution de notre budget et l'utilisation des ressources, qu'elles soient des ressources propres ou des ressources provenant des bailleurs de fonds. Il convient de noter que l'absence de programme avec les institutions de Bretton Woods pendant une longue période a induit un relâchement de la discipline budgétaire. La Côte d'Ivoire pourra ainsi renouer avec un cycle budgétaire normal que nous n'avons pas observé depuis 2001. Ce cycle comporte une préparation du budget de juin à août, la présentation de la première mouture du budget au Parlement en septembre ou octobre suivie d'un vote par le Parlement avant novembre ou décembre. Dans une situation normale, l'exécution du budget intervient dès janvier de l'année suivante. Une loi de règlement vient sanctionner l'exécution du budget à la fin du cycle, en général une année après. Or, nous avons un budget exécuté par ordonnance, sans loi de règlement ce qui est un appel à la mauvaise gouvernance.
Au-delà de ces avantages, le PPTE présente également des inconvénients qu'il conviendrait de révéler à la population pour tempérer les espérances suscitées par cette initiative.
Les inconvénients du PPTE pour la Côte d'Ivoire
Nous pouvons dénombrer trois inconvénients directs pour le bénéficiaire du PPTE.
En premier lieu, le pays bénéficiaire à l'effet que les économistes qualifient de " hasard moral ". Le hasard moral naît du fait que dorénavant, les créanciers qui ont remis la dette éprouveront une réticence à octroyer des prêts au pays à qui ils ont concédés une annulation de dette. Comme dans l'exemple simplifié que nous avons donné entre le créancier Kouadio et son débiteur Yao, le créancier réfléchira par deux fois avant de s'engager à nouveau dans une opération de crédit avec son ancien débiteur et ceci pour respecter l'adage qui dit qu'on ne prête qu'aux riches ! En effet, les pays PPTE sont estampillés " mauvais payeurs ". C'est pourquoi, pour éviter que ces pays ne retombent dans une trappe d'endettement, la communauté internationale leur impose, après le point de décision, de ne s'endetter qu'à des taux dits concessionnels pendant une longue période. Ainsi, une fois sortis du PPTE, les pays bénéficiaires de l'initiative n'ont plus accès au marché international des capitaux pour financer leur développement.
En deuxième lieu, les bailleurs de fonds bilatéraux ayant déjà consenti des allègements massifs de dette , dans le cadre du Club de Paris, ne sont pas prêts à faire des dons ou des prêts à taux faible aux pays PPTE pour contribuer à leur développement. Bien que les pays riches se soient engagés, dans le cadre du consensus de Monterrey en 2001, à augmenter la part de leur richesse, le produit intérieur brut, consacrée à l'aide publique au développement, ceux-ci vont comptabiliser les effacements de dette dans leurs ressources consacrées aux pays pauvres. Ainsi, au moment où la plupart des pays riches connaît les effets dévastateurs de la crise financière internationale, le premier poste qui est réduit dans leur budget sera la part consacrée à l'aide publique au développement, réduisant ainsi les dons espérés par les pays pauvres. Ce qui amenuisent considérablement l'espoir des pays pauvres dans leur cheminement vers les objectifs de développement du millénaire. De ce fait, un pays bénéficiaire d'un effacement de sa dette dans le cadre de l'initiative PPTE ne devrait plus compter sur l'aide bilatérale.
Enfin, dans la mesure où le pays sortant du PPTE n'a ni accès au marché financier international, ni aux ressources de l'aide publique au développement des bilatéraux pour financer son développement, il ne pourra compter que sur l'assistance financière des institutions multilatérales que sont le FMI, la Banque mondiale et la BAD pour combler son gap de financement car ses ressources propres seront toujours insuffisantes. De ce fait, les pays sortant du PPTE ne seront que des utilisateurs permanents des ressources et donc des programmes des institutions de Bretton Woods. Ces pays ne pourront pas eux-mêmes trouver leur propre voie pour leur dévéloppement.
En effet, plusieurs pays ont déjà obtenu le point d'achèvement depuis plusieurs années mais restent toujours au point de départ de leur développement. Il s'agit tout près de nous dans notre espace communautaire de l'Union Monétaire Ouest Africaine ( UEMOA) des pays suivants : Bénin, Burkina Faso, Mali, Niger et Sénégal. Ce point d'achèvement auquel notre pays pourrait aspirer dans un an ou deux ans, en fonction du rythme auquel nos autorités vont imprimer aux réformes est la période effective où la remise des dettes sera concédée. Des pays sortant de conflit comme le Libéria, la République centrafricaine , le Tchad, le Congo Brazza se trouvent aujourd'hui dans la même situation que la Côte d'Ivoire, à savoir dans la phase intérimaire de cheminement vers le point d'achèvement après avoir obtenu le point de décision. Beaucoup d'entre eux sont retardés par les réformes structurelles qu'ils n'arrivent pas à mener à terme, ces réformes ayant un fort contenu de bonne gouvernance. Cela se comprend aisément dans la mesure où la remise de dette est concédée par le contribuable des pays riches. Ceux-ci deviennent de plus en plus exigeants et ne voudraient pas que les fonds ristournés aux pays pauvres soient détournés par leurs dirigeants.
Pourquoi les pays qui ont obtenu des allègements massifs de leur dette sont toujours au même stade de leur développement ?
Il est important à ce stade d'utiliser un mécanisme simplifié pour expliquer le PPTE : Kouadio , planteur au village, doit, depuis 10 ans, la somme de 100 000 FCFA à Yao, fonctionnaire de son état. Malgré les relances, le débiteur n'est jamais parvenu à faire le remboursement à Yao. A l'issue de la 10ème année, Yao convoque le débiteur devant les autorités coutumières et religieuses du village et lui fait la proposition suivante :
-Yao décide de faire un abandon de dette d'une valeur de 100 000 FCFA avec pour témoins les autorités coutumières et religieuses du village ;
-Cet abandon est assorti des conditions suivantes : Kouadio devra utiliser les ressources " ristournées " aux soins d'éducation et de santé de sa famille à raison de 20 000 F par mois. 10 000 F seront consacrés aux soins de santé et 10 000 F serviront aux frais d'études.
Du point de vue du créancier, le fonctionnaire Yao, la remise de la dette ne lui coûtera rien car n'importe comment cette dette ne sera jamais honorée par le débiteur. Monsieur Yao aura bonne conscience et son image se trouvera auréolée dans le village. Il ne décaissera aucune ressource additionnelle.
Du côté du débiteur, récipiendaire de ces ressources, il a l'impression de s'être enrichi de 20 000 F supplémentaire par mois. Mais ce sont des ressources virtuelles dans la mesure où n'importe comment en bon père de famille, il devra consacrer un tel niveau de ressource à l'éducation et à la santé de ses enfants. Il va opérer une réaffectation de son propre budget familial avec cette fois-ci la contrainte de le faire du fait de l'engagement pris devant les autorités coutumières et religieuses du village. En effet, il a été délégué à l'Autorité coutumière et religieuse le pouvoir et le droit de surveiller l'exécution de leur engagement.
Par analogie et pris à l'échelle d'un pays dit PPTE, c'est le même mécanisme de fonctionnement qui est suivi. Cette fois-ci, le débiteur est la Côte d'Ivoire, le créancier est toute la communauté internationale (bilatéraux et multilatéraux) et l'autorité coutumière et religieuse chargée d'assurer le monitoring ou suivi du mécanisme est symbolisée par les institutions de Bretton Woods, à savoir le FMI et la Banque mondiale. Ne dit-on pas que le " FMI est l'huissier des pays riches pour récupérer leur dette auprès des pays pauvres ? "
Donc la remise de dette, après le point d'achèvement, ne correspond pas à l'obtention de ressources additionnelles massives pour les pays. Elle correspond plutôt à une réaffectation de leurs propres ressources budgétaires pour des actions pro-pauvres , en particulier, dans les domaines de la santé, de l'éducation et des infrastructures de base. Ces réaffectations budgétaires s'opèrent en fonction du contenu du Document cadre de réduction de la pauvreté (DSRP), un document rédigé par les autorités avec une large participation de la société civile et du secteur privé. Le DSRP est lui-même axé sur la poursuite des objectifs de développement du Millénaire qui prévoit qu'en 2015, la pauvreté devra être éradiquée dans le monde selon les différents engagements pris à Monterrey au Mexique en 2001 !
Le PPTE de la Côte d'Ivoire
Le PPTE n'est pas une initiative nouvelle pour la Côte d'Ivoire. A l'origine, vers la fin des années 1990, ce programme avait été conçu pour permettre à quatre pays ( Bolivie, Burkina, Côte d'Ivoire et Ouganda) de bénéficier d' un allègement de leur dette. A l'époque, la Côte d'Ivoire a dû forcer pour pouvoir en bénéficier en faisant valoir des arguments de " pays pauvres très endettés " alors que la Côte d'Ivoire était classée parmi les pays à revenu intermédiaire. C'est ce " forcing ", entre autres, que certains bilatéraux ont fait payer à la Côte d'Ivoire et a retardé l'obtention du point de décision. Ce qui n'est pas une mauvaise chose en soi car le PPTE originel permettait des allègements de dette de près de 68% du stock de la dette au point d'achèvement. L'initiative a évolué depuis 2004-2005 vers un allègement à 100% en incluant la dette auprès des institutions multilatérales, ce dont le PPTE originel ne prenait pas en compte
Il convient de préciser à ce stade que le PPTE d'un pays est forcément adossé au programme triennal financé par la Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et pour la Croissance (FRPC) du FMI. C'est la seule bouffée d'oxygène dont la Côte d'Ivoire peut bénéficier. Elle porte sur près de 258 milliards de FCFA . Sur ce montant, la Côte d'Ivoire devra rembourser immédiatement 60 milliards de FCFA au FMI au titre du dernier programme avant la FRPC. Il nous restera alors à tirer le reste soit environ 200 milliards sur trois ans en raison de 1/6 tous les six mois, soit environ 33 milliards chaque semestre. Avouons que pour un pays qui a un budget annuel de près de 2000 milliards, les ressources du FMI ne vont représenter qu'à peine 3,3% du total. Espérons que la Banque mondiale pourra apporter des ressources plus importantes, car le chiffrage du financement de notre DSRP jusqu'en 2015, pour nous permettre de réaliser les objectifs de développement du millénaire, est d'environ 17 000 milliards de francs CFA . Le communiqué du dernier conseil des ministres daté du 27 mars précise : " les axes stratégiques du DSRP sont assortis d'actions prioritaires de développement dont le coût global s'élève à 17 645 037 milliards sur la période 2009-2015. Le financement de ces actions sera assuré par les ressources propres de l'Etat de Côte d'Ivoire, les ressources PPTE et les ressources extérieures complémentaires provenant des multilatéraux et les partenaires bilatéraux. " A supposer qu'on bénéficie d' une remise totale de notre dette auprès de bilatéraux et multilatéraux (la dette privée, celle du Club de Londres est à exclure de l'initiative PPTE) au point d'achèvement, soit environ 5000 milliards de FCFA, il restera à mobiliser 12 000 milliards de FCFA d'ici 2015. Où obtenir ce supplément de ressources ?
Les réformes structurelles du programme appuyées par la FRPC ne pourraient pas permettre le franchissement du point d'achèvement avant 2011.
En outre, le programme FRPC-PPTE obtenu par la Côte d'Ivoire impose des conditionnalités de bonne gouvernance et des réformes structurelles dont la cadence imprimée par le gouvernement déterminera l'horizon de franchissement du point d'achèvement. Plus lentement, le gouvernement entreprendra les réformes, plus éloignée sera l'atteinte du point d'achèvement. Ces réformes portent sur le secteur du pétrole et de l'énergie, le secteur du café-cacao, la fonction publique. Comme l'a précisé le Représentant-résident du FMI dans Frat-mat du 28 mars dernier : " De façon concrète, il y aura, entre autres, une loi contre l'enrichissement illicite, un cadre de lutte contre la corruption qui sera mis en place de manière à donner confiance aux opérateurs privés . "
Au niveau des réformes structurelles qui relèvent du domaine réservé de la Banque mondiale, dans le cadre de la division du travail entre les deux institutions de Bretton woods, il y a deux points sur lesquels le non respect par nos autorités pourrait constituer un blocage. Il s'agit de l'introduction du mécanisme d'ajustement automatique des prix des produits pétroliers sur le marché international et de la masse salariale de l'Etat (militaires et fonction publique civile). Au niveau du mécanisme d'ajustement automatique des prix, bien qu'un tel mécanisme permettrait de résorber le déficit de la SIR et de réduire les subventions de l'Etat au secteur de l'énergie, il conviendrait de trouver un filet de sécurité pour les couches sociales les plus défavorisées en cas de hausse du prix du Brent sur le marché international. Sinon l'engagement pris par le gouvernement, dans le cadre du programme appuyé par la FRPC, d'introduire le mécanisme d'ajustement automatique pourrait être remis en cause en cas de hausse du prix international du pétrole entraînant ainsi un blocage du programme donc l'éloignement conséquent du point d'achèvement.
Pour ce qui est de la masse salariale, il atteint aujourd'hui un seuil de 43% des recettes fiscales propres alors que la norme souscrite par notre pays au niveau de l'UEMOA prévoit 35%. Le programme appuyé par la FRPC a donc introduit un critère sur la maîtrise de la masse salariale. Or l'atteinte du point de décision du PPTE a fait naître de grands espoirs relatifs à l'augmentation des salaires. Cela se comprend aisément dans la mesure où le PPTE est un effort de la part des contribuables des pays développés pour alléger la dette des pays pauvres. Ces contribuables des pays riches ne comprendraient pas pourquoi l'abandon de leurs créances servirait à financer les augmentations de salaire des fonctionnaires des pays pauvres ! C'est pourquoi la seule issue pour augmenter les salaires ne proviendrait que des économies que le gouvernement pourrait réaliser grâce à un audit rigoureux de la fonction publique qui permettrait de sortir les agents fictifs. Toute autre tentative d'augmenter la masse salariale est une entrave au programme, et entraînerait de facto un éloignement du point d'achèvement.
Les avantages du PPTE
pour les
populations ivoiriennes
Le PPTE présente toutefois des avantages pour les populations ivoiriennes car il va permettre de disposer de ressources dont la bonne utilisation pourrait contribuer à la réduction de la pauvreté même si le niveau de ressources n'est pas celui qui est espéré. La communauté internationale est tenue de surveiller l'exécution de notre budget et l'utilisation des ressources, qu'elles soient des ressources propres ou des ressources provenant des bailleurs de fonds. Il convient de noter que l'absence de programme avec les institutions de Bretton Woods pendant une longue période a induit un relâchement de la discipline budgétaire. La Côte d'Ivoire pourra ainsi renouer avec un cycle budgétaire normal que nous n'avons pas observé depuis 2001. Ce cycle comporte une préparation du budget de juin à août, la présentation de la première mouture du budget au Parlement en septembre ou octobre suivie d'un vote par le Parlement avant novembre ou décembre. Dans une situation normale, l'exécution du budget intervient dès janvier de l'année suivante. Une loi de règlement vient sanctionner l'exécution du budget à la fin du cycle, en général une année après. Or, nous avons un budget exécuté par ordonnance, sans loi de règlement ce qui est un appel à la mauvaise gouvernance.
Au-delà de ces avantages, le PPTE présente également des inconvénients qu'il conviendrait de révéler à la population pour tempérer les espérances suscitées par cette initiative.
Les inconvénients du PPTE pour la Côte d'Ivoire
Nous pouvons dénombrer trois inconvénients directs pour le bénéficiaire du PPTE.
En premier lieu, le pays bénéficiaire à l'effet que les économistes qualifient de " hasard moral ". Le hasard moral naît du fait que dorénavant, les créanciers qui ont remis la dette éprouveront une réticence à octroyer des prêts au pays à qui ils ont concédés une annulation de dette. Comme dans l'exemple simplifié que nous avons donné entre le créancier Kouadio et son débiteur Yao, le créancier réfléchira par deux fois avant de s'engager à nouveau dans une opération de crédit avec son ancien débiteur et ceci pour respecter l'adage qui dit qu'on ne prête qu'aux riches ! En effet, les pays PPTE sont estampillés " mauvais payeurs ". C'est pourquoi, pour éviter que ces pays ne retombent dans une trappe d'endettement, la communauté internationale leur impose, après le point de décision, de ne s'endetter qu'à des taux dits concessionnels pendant une longue période. Ainsi, une fois sortis du PPTE, les pays bénéficiaires de l'initiative n'ont plus accès au marché international des capitaux pour financer leur développement.
En deuxième lieu, les bailleurs de fonds bilatéraux ayant déjà consenti des allègements massifs de dette , dans le cadre du Club de Paris, ne sont pas prêts à faire des dons ou des prêts à taux faible aux pays PPTE pour contribuer à leur développement. Bien que les pays riches se soient engagés, dans le cadre du consensus de Monterrey en 2001, à augmenter la part de leur richesse, le produit intérieur brut, consacrée à l'aide publique au développement, ceux-ci vont comptabiliser les effacements de dette dans leurs ressources consacrées aux pays pauvres. Ainsi, au moment où la plupart des pays riches connaît les effets dévastateurs de la crise financière internationale, le premier poste qui est réduit dans leur budget sera la part consacrée à l'aide publique au développement, réduisant ainsi les dons espérés par les pays pauvres. Ce qui amenuisent considérablement l'espoir des pays pauvres dans leur cheminement vers les objectifs de développement du millénaire. De ce fait, un pays bénéficiaire d'un effacement de sa dette dans le cadre de l'initiative PPTE ne devrait plus compter sur l'aide bilatérale.
Enfin, dans la mesure où le pays sortant du PPTE n'a ni accès au marché financier international, ni aux ressources de l'aide publique au développement des bilatéraux pour financer son développement, il ne pourra compter que sur l'assistance financière des institutions multilatérales que sont le FMI, la Banque mondiale et la BAD pour combler son gap de financement car ses ressources propres seront toujours insuffisantes. De ce fait, les pays sortant du PPTE ne seront que des utilisateurs permanents des ressources et donc des programmes des institutions de Bretton Woods. Ces pays ne pourront pas eux-mêmes trouver leur propre voie pour leur dévéloppement.