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Société Publié le vendredi 3 avril 2009 | Nord-Sud

Détournement de fonds en Côte d`Ivoire (Imam Moda Kassé) - “La prison ne suffit pas, les voleurs doivent rembourser…”

Pour El Hadj Moda Kassé, imam-adjoint de la mosquée de la Riviera Bonoumin, il faut faire en sorte que toutes les personnes emprisonnées pour des malversations financières ne profitent plus du fruit de leur vol après leur sortie de prison.

•Pourquoi, selon vous, l'argent attire tant les Ivoiriens aujourd'hui, au point où ils sont prêts à tout pour l'avoir?
Je pense que si nous constatons un tel état de fait aujourd'hui, c'est parce que beaucoup de personnes ont oublié la mission essentielle dévolue à l'être humain. Nous ne sommes pas sur terre forcement pour nous occuper de ce que nous allons gagner en terme matériel. Nous sommes sur cette terre pour être des vicaires, donc des représentants d'Allah le Créateur. Donc nous y sommes comme étant les représentants de l'équilibre social. Et pour qu'il y ait équilibre, il faut qu'il y ait partage du savoir, du pouvoir et de l'avoir. Si nous avions compris que personne ne doit avoir le monopole et que l'avoir ou le pouvoir ne devaient pas être les seuls critères de considération, nous n'aurions pas assisté à cette course acharnée et bien souvent illicite vers le matériel.

•Que dit l'Islam en matière de recherche de l'avoir ?
L'Islam définit trois sources licites d'acquisition de biens. La première est le travail, c'est-à-dire, l'argent qu'on a gagné à la sueur de son front. La deuxième source, c'est la donation. L'argent ou le bien qui appartenait à quelqu'un et qui te l'a donné de plein gré. La troisième, c'est l'acquisition par le biais de l'héritage. Il n'y a pas d'autre source d'acquisition licite de biens en Islam en dehors de ces trois. Quand on acquiert un bien qui ne s'inscrit pas dans ces provenances, qu'on sache qu'on a pêché et qu'on aura à rendre compte demain à Allah.

•Que pensez-vous de l'argent acquis par un agent de l'Etat qui ne vous exige rien pour vous rendre un service public, mais, à qui vous proposer une somme pour qu'il vous le rende plus rapidement que d'ordinaire ?
Celui qui donne doit donner de plein gré. Si c'est un don forcé, c'est un don arraché. Et quand un don est arraché, il devient illicite parce que celui qui a donné n'a pas donné le cœur tranquille.

•N'y a-t-il pas des raisons sociales à ce qu'on constate aujourd'hui ?
Bien sûr, nous pouvons ajouter la pauvreté grandissante, la paupérisation des couches les plus vulnérables. Nous pouvons constater que ceux qui en ont sont plus acharnés que ceux qui n'en n'ont pas. La course n'est pas propre à une catégorie sociale. Il n'y a pas de personnes qui, aujourd'hui, se disent : il faut que je marque une pause parce qu'il y a une manière de s'enrichir et une manière de s'éloigner de cette richesse illicite. La pauvreté ne peut cependant pas tout expliquer. On peut être pauvre et digne, c'est-à-dire, accepter de chercher avec dignité ce qu'on gagne. Parce que si on n'a pas gagné sa vie de façon illicite, honnêtement, on ne doit pas être fier de regarder ce bien. On doit en avoir honte. Et quand on a mal acquis, tôt ou tard, on sera rattrapé par sa conscience. Et tôt ou tard on saura aussi que si c'était à refaire, on ne devrait pas emprunter ce chemin. Parce que si ce que vous avez fait ne se répercute pas directement sur vous, il le sera sur votre travail, vos enfants, vos parents. Je veux dire qu'un bien mal acquis ne profite jamais. Dans l'immédiat, on peut penser avoir fait une bonne affaire, mais au fil du temps, le mal que vous avez commis va vous rattraper. Le Seigneur va te le montrer par tous les signaux, difficultés sur ton entourage, dans ton travail, sur tes souhaits et perspectives. Le Seigneur va te montrer par tous les signaux que tu vas mal digérer parce que tu as mal acquis. Tu semblais avoir bien mangé, mais, tu vas mal digérer.

•On a cependant l'impression autour de nous que ceux qui volent s'épanouissent au fil du temps…
Il y a la quantité de ce qu'on gagne et la baraka que ce bien contient. Quand on gagne bien sa vie, le Seigneur y met sa baraka. La baraka ici, c'est l'ordre que Dieu donne à ce bien de t'être utile. Une chose est d'avoir un bien, une autre est d'en profiter pleinement. Si tu as mal acquis des biens, le Seigneur en extirpe sa baraka, et ces biens ne vont jamais te profiter. Pis encore, ces biens vont être comme un fardeau pour toi, ils vont t'agacer.

•Certaines personnes pensent que la recherche de la facilité est propre à l'Africain, voire à l'Ivoirien. Quel est votre avis sur cette opinion ?
Je pense personnellement que les gens doivent enlever de leur esprit l'ostentation, le m'as-tu vu. Quand tu te réfères à ceux qui ont plus de moyens que toi, que tu cherches à rattraper ceux qui sont socialement mieux lotis, et que tu n'as pas les moyens de les rattraper, tu risques de t'adonner à toutes la pratiques pour pouvoir t'enrichir. L'essentiel de l'être humain, ce n'est pas l'apparence. L'essentiel n'est pas ce qu'il a, mais ce qu'il est. Nous avons vu des gens qui ont refusé toutes sortes de promesses et de propositions en voulant garder leur dignité, leur honorabilité, leur sainteté. Parce que cela ne se monnaie pas. Je pense que l'Ivoirien doit comprendre qu'aujourd'hui, le repère dans ce monde moderne et civilisé n'est pas ce qu'on a, mais ce qu'on est.

•Parlez-vous souvent de ce sujet pendant vos prêches ?
Bien sûr. Et évidemment, il y a des personnes qui, à travers nos interventions, se remettent en cause, quand bien même le pourcentage n'est pas satisfaisant.

•Justement on a l'impression que rien ne change malgré tout ce que disent les hommes de Dieu…
Certaines personnes prennent beaucoup plus de temps à réaliser ce que nous leur disons, ce qui les arrange ici-bas comme dans l'au-delà. Nous constatons que beaucoup d'habitants de ce pays ne croient qu'à l'immédiat. Tous les moyens sont bons pour dire : j'ai compris, mais en attendant, il faut que j'ai d'abord ceci et cela, et j'aurai le temps de me repentir. Nous leur faisons toujours comprendre qu'ils ne maîtrisent pas toujours leur vie, ni le temps. C'est pour cela que le Coran dit dans un chapitre : « Méfiez-vous de la course à la richesse. Vous allez accourir vers la richesse jusqu'à ce que vous vous retrouviez devant les tombes. » Nous leur faisons comprendre que la mort n'attend pas et qu'elle frappe à tous les âges, sans distinction de catégorie sociale. Elle peut vous emporter même quand vous êtes en bonne santé. Pour nous, si les gens prennent encore du temps à changer, c'est parce que ces pratiques sont tellement ancrées dans les comportements qu'il faut peut-être une dose de patience pour voir les mentalités changer. Nous n'allons pas nous lasser. Nous allons continuer à en parler où toute la nation nous écoute. Notre devoir est de moraliser et dire aux uns et aux autres qui que tu sois, rien ne t'empêchera d'avoir ce qui est prévu pour toi.

•Ceux qui gagnent de l'argent d'une manière ou d'une autre pourront vous rétorquer qu'ils l'obtiennent par la volonté de Dieu…
Nous leur rétorquons : « Pourquoi Dieu n'a pas voulu, selon toi, que tu te couches à la maison pour que ce bien te trouve là-bas ? Si tu penses à la fatalité pour dire que c'est Dieu qui l'a décidé, pourquoi n'as-tu pas emprunté un bon chemin en te disant que si Dieu a décidé que j'ai tel bien, je l'aurai.»

•Selon-vous pourquoi Dieu qui enseigne et recommande la vertu et qui est omnipotent permet-il que des humains s'enrichissent par le mal ? Ne doit-il pas les en empêchez tout de suite ?
S'il l'avait fait, l'homme même lui aurait dit que c'est parce qu'il l'a obligé à suivre telle voie qu'il a emprunté telle autre. Dieu dit dans le Coran : « Nous vous montrons le chemin de la droiture et le chemin de l'inconduite.» C'est d'ailleurs là tout le sens du jugement dernier. Si tout le monde avait été contraint à être bon, le jugement dernier n'aurait pas de sens. Si tout le monde avait été contraint à respecter la loi, les tribunaux n'auraient pas de sens. Quel que soit ce qu'on fait, il y a des récalcitrants qui choisissent la voie de la déviation. Et c'est la raisons pour laquelle Dieu a créé un jour où chacun rendra compte de ses actes.

•On constate malheureusement que certaines personnes, dont les richesses ont des origines douteuses, sont celles qui financent les lieux de culte et entretiennent parfois les guides religieux. Ces guides ne se rendent-ils pas coupables en acceptant ce genre d'aide ?
J'ai dit au début de mon intervention qu'il y a trois sources d'acquisition de bien en Islam : ce que tu as gagné par ton travail, ce qu'on t'a donné et l'héritage. L'Islam ne te demande pas comment ton donateur a eu son bien. Il est loisible que ta curiosité puisse te pousser à aller chercher à savoir qui est celui qui t'a fait le don et comment l'a-t-il acquis? S'il est avéré que toi-même tu sais que ton bienfaiteur t'entretient avec de l'argent illicite, ta responsabilité, cette fois-ci devant Dieu, c'est d'être complice de l'enrichissement illicite. Devant Dieu tu répondras à la question de savoir pourquoi tu ne l'as pas empêché de continuer sur ce chemin-là. Mais, lorsque quelqu'un vient te faire un don, l'Islam ne te condamne pas parce que tu n'as pas cherché à savoir l'origine du don qui t'a été fait.

•Est-il arrivé à votre mosquée ou à vous-même personnellement de refuser des dons dont les origines vous semblaient douteuses ?
Il m'est arrivé de refuser un cadeau. J'ai demandé à celui qui l'avait envoyé comment il l'avait obtenu. Il ressortait de son explication que c'était mal acquis. J'ai donc refusé. Il était étonné de me voir refuser parce que d'autres guides à qui il avait rendu visite avant moi avaient accepté le même cadeau. Je lui ai répondu que tous les guides ne sont pas les mêmes. Je pense que nous avons l'obligation de décourager tous ceux qui pensent qu'ils peuvent amasser l'illicite et venir se donner bonne conscience auprès de nous.

•Un bien mal acquis ne devient-il pas licite lorsqu'il est utilisé pour la cause de Dieu ?
Dieu est pur et n'accepte que le pur. Si la source est impure, vous aurez construit 100.000 mosquées, Dieu ne l'acceptera pas. De même, il n'acceptera pas que vous voliez des centaines de milliards de francs pour faire partir des centaines de personnes à La Mecque. Quand la source est impure, le Seigneur rejette votre don quel que soit l'acte que vous allez poser. Cela n'efface pas et ne peut pas effacer votre péché ou vous permettre d'avoir des bénédictions. C'est comme une fausse fondation. Tout ce que vous construisez au-dessus s'écroule.

•On a assisté il y a quelques mois à l'emprisonnement de barons de la filière café-cacao soupçonnés d'avoir détourné des fonds. Que pensez-vous de cette opération ?
Je pense qu'il ne faut pas se limiter à une seule filière. Il faut toucher l'ensemble des secteurs de la vie. C'est partout que les gens s'enrichissent illicitement. Il faut les mettre aux arrêts, mais, cela ne suffit pas. Il faut arracher les biens volés pour les reverser dans la caisse publique pour qu'ils servent à l'ensemble des contribuables. Parce que si on se contente d'emprisonner ceux qui ont détourné des fonds, cela veut dire que lorsqu'ils auront fini de purger leur peine, ils vont profiter de ces biens mal acquis. Il faut auditer tous les secteurs et sanctionner les coupables.

Interview réalisée par C. S.
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