Quel schéma le MFA propose-t-il si les élections n'ont pas lieu. Dans l'entretien qu'il a bien voulu nous accorder, le président Anaky Kobéna Innocent, président du MFA, à cœur ouvert, donne son avis sur tous ces sujets brûlants de l'heure. Il en conclu pour demander que soit institué un nouvel ordre institutionnel si la Côte d'Ivoire ne va pas aux élections avant la fin de cette année. Interview.
M. le président, les signataires de l'accord de Ouagadougou semblent ne plus partager la même vision. Ils se tirent dessus. Quelle analyse faites-vous de cet état de fait ?
Effectivement, nous assistons depuis une dizaine de jours environ à ce qui ressemble fort bien à une cacophonie au plus haut niveau politique. Vous avez d'un côté, le clan présidentiel, le CNRD et les partis affiliés et même le ministre Tagro qui ne manquent pas une occasion de dire qu'aujourd'hui la balle est dans le camp des Forces nouvelles. Et que c'est du fait des Forces nouvelles si on n'arrive pas à sortir de cette crise. Et le mardi dernier, nous avons tous eu la grande surprise de lire ce communiqué des Forces nouvelles dans lequel elles aussi ont donné leur version des faits. Elles disent que c'est le camp présidentiel qui a la responsabilité de mener le pays vers la sortie de crise. Moi, je pense qu'au niveau de la Côte d'Ivoire on peut dire que bizarrement c'est une bonne chose qui nous est donnée. A la limite, c'est même une prophétie.
Laquelle ?
A savoir que voici un travail qui a été confié à deux personnes. Toute la classe politique ivoirienne de même que la communauté internationale a estimé qu'étant les deux les plus engagés dans cette crise, parce qu'étant les deux détenants des armes, ils étaient les seuls à même de nous amener à la paix, à la fin de cette crise, c'est-à-dire à des élections. Et si brusquement, au moment où nous croyons être dans la dernière ligne droite, ces deux commencent publiquement à se tirer dessus, ça veut dire qu'il faut être réaliste. En dépit de tout ce qu'ils nous ont donné comme assurance et en dépit de nos grands espoirs, nous, populations ivoiriennes, nous n'aurons pas les élections pour demain. Je pense que là, il faut s'en tenir aux déclarations des uns et des autres. Prendre ce qu'on peut tirer de la déclaration des Forces nouvelles. Et également de ce que le ministre Tagro récemment a dit pour ce qui est du camp présidentiel. A l'analyse de ces deux voix, nous voyons bien que nous sommes encore loin des élections.
Qu'est-ce qui fonde votre opinion ?
Prenons d'abord la déclaration des Forces nouvelles. Elles ont souligné cinq points et nous retenons quatre qui, pour eux, leur permettent de justifier que ce n'est pas de leur fait si le processus est bloqué. Premièrement, ils disent que la passation de charges entre les préfets et les com-zones qui était prévue le 04 mars 2009 et qui n'a pas eu lieu, est venu de la volonté froide de Désiré Tagro. Qui ne voulait pas permettre cette passation au motif qu'il n'avait pas encore sécurisé l'environnement. Que Tagro a volontairement laisser foirer la cérémonie alors que les représentations diplomatiques étaient là. Tagro n'était pas venu. Il n'a pas non plus convoqué les préfets. C'est-à-dire donc que Tagro a torpillé cette cérémonie. Et en lieu et place, il s'est plutôt préoccupé de continuer à procéder à des nominations et à des affectations de préfets et de sous préfets, de personnes qui apparemment défendront les couleurs de la refondation le moment venu. C'est là le premier argument donné par les Forces nouvelles.
Quel est le deuxième arrangement, selon vous ?
En ce qui concerne le redéploiement des forces de police et de gendarmerie, les Forces nouvelles disent, à mon avis de manière justifiée, que les accords prévoient que ce soit le centre de commandement intégré (CCI) qui le moment venu, organise cela avec des éléments pris simultanément dans les deux forces. A savoir les FDS et les Forces nouvelles. Cela n'est pas encore fait. Et les Forces nouvelles estiment que si les services de police et de gendarmerie ne sont pas encore déployées, ce n'est pas de leur fait. C'est le CCI qui n'est pas encore opérationnel.
Troisième argument, les Forces nouvelles font valoir un argument purement militaire, mais qui pour eux compte. Ils disent qu'il a été convenu de bloquer les avancements dans les deux armées depuis 2005. Eux ont obéi à cette consigne mais cela n'a pas été fait du côté gouvernemental. Ils demandent donc à Soro Guillaume de procéder aux avancements pour que l'équilibre soit rétabli. Vous devinez bien que c'est quelque chose qui est très lourd de conséquence si jamais on devrait arriver à cela.
Que doit-on comprendre par très lourd de conséquence ?
Je préfère vous dire que tout ce qui dans cette sortie de crise, touchera l'armée sera très lourd de conséquence. Mais pour le moment, on n'en a pas conscience. Il y a l'armée du nord et l'armée du sud. Mais, une armée, c'est un esprit, c'est un corps, c'est des règles, des principes. Et il faut y faire très attention. Jusqu'à présent, à mon avis, on n'y a pas prêté assez attention. Le dernier point développé par les Forces nouvelles, Soro a dit que le guichet unique a été ouvert. Mais, c'est une espèce de case vide qui a été construite. Rien ne marche et les Forces nouvelles estiment là aussi que ce n'est pas de leur fait. Si on prend ces quatre arguments et le fait que les Forces nouvelles concluent de façon claire et sans ambiguïté que c'est parce que Gbagbo et les siens ont peur des élections qu'ils perdront à tous les coups, qu'ils manoeuvrent pour les retarder, on comprend bien que nous ne sommes pas encore sortis de cette crise.
En réponse, quels arguments le ministre Tagro a-t-il développés ?
Tagro dit simplement que les accords de Ouaga dans leurs dernières dispositions prévoient le désarmement avant les élections. Ce qui est vrai. Mais, il faut bien comprendre que ce désarmement entraîne un certain nombre de préalables. Est-ce qu'aujourd'hui nous avons souscrit à tous ces préalables ? N'oublions pas que c'est cette fameuse enveloppe de 500 mille F CFA qui doit être remise à chaque ex-combattant des FN allant à la vie civile, également à chaque milicien ou membre des groupes d'auto-défense du sud qui retournent à la vie civile qui est le problème. Est-ce que ce capital est déjà trouvé ? Est-ce qu'il y a un bailleur de fonds qui a déjà remis cet argent à la Côte d'Ivoire ? Il y a environ trois mois de cela, le ministre de la défense lui-même a dit que la Côte d'Ivoire était incapable de trouver cet argent. Tous ces éléments, l'un dans l'autre, montrent bien que les élections sont encore loin en dépit des assurances qu'on a ici et là.
Monsieur le président, de l'analyse que vous développez, qui fait alors blocage selon vous ?
Qui fait blocage ou alors qu'est-ce qui fait blocage ? Je pense qu'aujourd'hui la Côte d'Ivoire n'a pas cette exclusivité dans l'histoire. Une sortie de crise armée, c'est toujours très compliqué et difficile. On ne la réalise que quand, au final, la confiance s'installe entre les parties belligérantes. Il ne fait pas de doute à notre avis que l'un des gros problèmes aujourd'hui, c'est que les éléments des Forces nouvelles n'ont pas du tout confiance en Gbagbo et son camp pour ce qui est de leur sécurité si jamais ils procèdent au désarmement. Quelqu'un qui, à un moment donné, s'est trouvé dans les conditions de prendre les armes, les dépose le jour où il estime que sa survie n'est pas en danger. L'un des gros problèmes que nous avons, c'est d'abord cette confiance qui n'est pas au rendez-vous.
Ensuite, il faut dire que plus nous traînons dans la situation que nous vivons actuellement, plus ceux qui tirent profit continuent d'en profiter. De ce point de vue, il ne faut pas se voiler la face. Le clan Gbagbo et les refondateurs, contrairement à ce qu'ils disent (aller aux élections vite, vite) ne sont pas du tout pressés à aller aux élections. Moi, je dirai que nous au MFA, on pense que s'il n'y a pas quelque chose de fort qui se passe, presqu'une espèce de Tsunami, nous n'aurons pas les élections en 2009. Et ils nous entraîneront jusqu'en 2010. A cette date, sans pression toujours, ce n'est pas sûr qu'il y ait des élections.
Qu'entendez-vous par forte pression pour obtenir des élections ?
La force pression, ce serait qu'un jour s'exprime de manière globale et forte la volonté du peuple. On a beau dire, il s'agit du peuple de Côte d'IVoire, de son destin, du devenir de ses enfants. A notre avis, au dernier moment, c'est lui qui aura à décider. C'est un peu le sens de l'appel que nous avons eu à lancer à la télévision lorsqu'on nous a accepté enfin d'ailleurs le 18 mars dernier. Nous disons encore aux ivoiriens : "En dernier ressort, votre destin est entre vos mains. C'est à vous d'en prendre conscience et d'en décider. Mais surtout et maintenant, réaliser qu'il faut tuer en vous la peur, la terreur qu'on a mis dans le peuple ivoirien depuis mars 2004 lorsqu'il y a la dernière volonté de manifestation de l'opposition". C'est le lieu de dire aux Ivoiriens que ceux à quoi on a assisté en mars 2004 n'est pas à vrai dire la répression d'une manifestation. Ça a été plutôt une espèce de crimes froidement organisés pour traumatiser la population et gagner des années en tranquillité. Car qu'est-ce qui s'est passé ? Il n'y a pas réellement eu de marche ou de mouvement de foule d'un quartier à l'autre. Tout était verrouillé depuis 3H du matin. Personne n'a pu quitter son quartier pour aller dans l'autre. Par contre, les gens ont été dans des cours communes dans certains quartiers, par rapport à des listes qui avaient été établies. Ils ont repéré des personnes qui ont été froidement abattues. Quelquefois, on a abattu des personnes pour donner l'impression d'une action populaire. Alors qu'il s'agissait d'une liquidation ciblée. C'est un peu ce que font certains pays en situation difficile. D'ailleurs, je n'exclus pas pour cette action qui a été très bien menée, que les gens n'aient eu recours à des experts. Que les ivoiriens comprennent bien qu'on les a assassinés pour confisquer à jamais leur liberté, leur pays et leurs biens. Ils ne peuvent pas assister à cela éternellement les bras croisés. Il faut qu'ils se réveillent.
Croyez-vous ce peuple capable de pression ?
De part mes études, mes activités professionnelles et politiques, j'ai eu la chance de visiter beaucoup de pays. Je crois connaître beaucoup de peuples. Je peux vous dire que contrairement à ce que j'entends souvent, les Ivoiriens ne sont pas un peuple plus velléitaire qu'un autre ou alors plus peureux qu'un autre. Il s'agit simplement d'une prise de conscience de l'état réel dans lequel ils se trouvent. Je dis d'ailleurs souvent pour rire que notre principal adversaire pour notre libération effective ici en Côte d'Ivoire, pour la prise en main de notre destin, c'est le fait que nous avons bénéficié d'un pays relativement riche, à la terre luxuriante, qui permet à tout le monde d'arriver plus ou moins à prendre conscience de certaines choses. C'est peut-être, selon moi, le problème des Ivoiriens. Sinon, les Ivoiriens sont à mon avis un peuple intelligent, relativement bien informé de ce qui se passe et dans le monde et chez lui-même. Je suis sûr, je sais que ce déclic ne tardera pas à se produire.
Monsieur le président, vous êtes pessimiste quant à la sortie de crise par des élections. Quelle doit être aujourd'hui l'attitude du Rhdp auquel vous appartenez face à cette situation ?
Ecoutez, le Rhdp a aujourd'hui une responsabilité historique, un devoir historique envers les Ivoiriens. C'est le fait qu'il soit majoritaire dans le pays. C'est, de ce fait, le Rhdp que les Ivoiriens, qui sont dans la détresse, regardent. Si ce Rhdp reconnaît, et Dieu merci il le dit dans tous ses communiqués, que le peuple souffre, que le peuple est dans la misère, que ce pays est pillé par des prédateurs sans foi ni loi, ce Rhdp là se doit d'être celui qui forcément contribuera à ce que cette prise de conscience se fasse et que ce déclic advienne. Donc, le Rhdp a le devoir d'être à la tête de toutes les pressions qui doivent se faire ou s'exercer sur ce régime. C'est vous dire donc que le Rhdp doit désormais comprendre qu'il est un rassemblement d'opposition aux côtés du peuple et qu'il se doit de prendre cette cause matin, midi, soir et surtout le faire pour le peuple. On doit arrêter avec le Rhdp trop policé et trop poli que nous avons vu ces dernières années. A telle enseigne même que quelquefois, la population se demande si ces leaders du Rhdp ne sont pas des vice présidents de Gbagbo.
Estimez-vous que le Rhdp a failli en certains points dans la gestion de la crise ?
Ecoutez, le peu que je peux vous dire est que si depuis 2005 que le mandat de Laurent Gbagbo est arrivé à terme, nous sommes à la 4ème année et qu'il est encore au pouvoir et que le pays continue à être géré de la même manière avec les souffrances des populations qui s'aggravent de plus en plus, c'est que quelque part, il y a quelque chose que le Rhdp aurait dû faire et qu'il n'a pas fait. Mais ce n'est pas tard. Il est temps qu'il se réveille et le peuple lui sera reconnaissant.
Vous demandez le retrait de Bédié et de Ouattara du Cpc ?
C'est exactement cela. Leur retrait du Cpc, ce n'est d'ailleurs pas le Mfa qui le veut, c'est le peuple qui attend cela pour mieux comprendre. Parce que, dans ce genre de lutte, il y a deux camps. Il y a le camp de ceux qui oppriment, qui pillent, qui volent. Et il y a le camp de ceux qui sont du côté des opprimés et ceux qu'on pille.
Monsieur le président, Madame Hamza, ministre du Mfa, dont vous avez demandé le retrait, ne vous a pas suivi non plus. Comment réagissez-vous suite à cela ?
Ecoutez, vous avez vous-même donné la réponse à votre question. Le Mfa l'a retirée du gouvernement. Si Madame Hamza qui, à l'époque, a été proposée par le Mfa au gouvernement, veut rester au gouvernement, ça résulte donc du fait que Madame Hamza, premièrement n'est pas du Mfa ou n'est plus du Mfa. Il s'agit peut-être du fait qu'elle était désignée au gouvernement autrement qu'appartenant au Mfa. Donc, Madame Hamza peut rester au gouvernement. Au Mfa, cela ne nous fait ni chaud ni froid. Nous disons simplement, aujourd'hui, haut et fort, à toute la population ivoirienne que nous nous sommes retirés de ce gouvernement. Nous l'avons signifié au Président, au premier ministre ainsi qu'au facilitateur et à l'Onu. Le Mfa est sorti du gouvernement et invite les autres partis du Rhdp à faire de même et ce, le plus rapidement possible.
Madame Hamza n'est donc plus militante du Mfa ?
Je ne sais pas dans quel cercle elle continue de militer, mais nous ici au Mfa, on ne la voit pas.
Vous avez pris son refus de sortir du gouvernement comme un camouflet ?
Je vous répondrai, pas du tout. Nous avons, nous, au Mfa, et c'est une logique que nous suivons depuis une très longue période... Nous avions prévu le moment venu, d'arrêter notre participation à ce gouvernement par solidarité avec le peuple. Et le fait que Madame Hamza ne nous suive pas ne nous gène même pas, parce que, c'est peut-être la meilleure confirmation pour nous, qu’en fait elle n'était plus des nôtres. Elle est ailleurs. Nous savons pour qui elle roule. Mais ce n'est pas à nous d'étaler cela sur la voie publique.
Monsieur le président, l'actualité c'est l'arrêt ou non de l'opération d'identification sur l'entendue du territoire. Le débat divise un peu la classe politique. Quel est votre avis?
La classe politique est divisée, c'est très simple. Vous avez ceux qui estiment avoir fait rapidement le plein de leur frigo pour pouvoir avoir un bon repas le jour des élections et ceux qui ont été plus ou moins spectateurs ou qui n'ont pas tenu compte de certains facteurs. Je pense que ce n'est pas réellement un facteur qui divise. Pour le moment, comme il est évident que Laurent Gbagbo et les siens veulent gagner du temps par rapport aux élections et comme par rapport aux statistiques que nous avons obtenues, ils ont beaucoup de retard dans les zones estimées leur être favorables. Ils ne vont pas accepter l'arrêt de l'identification, elle va se poursuivre. Donc, tout le monde y trouvera forcément son compte. Même ceux qui estiment avoir fait le plein de leurs sympathisants ou militants, même s'il y a un militant de plus par jour, c'est toujours bon à prendre. Parce que dans tous les cas, Sokouri Bohui et même Fologo ont eu à le dire, ils n'arrêteront pas, ils continueront.
Monsieur le président, vous, au Mfa, quel est votre avis ?
Nous pensons que la question principale et fondamentale, c'est la date des élections. Et alors, à partir de la date des élections, on peut se prononcer quant à la date d'arrêt de l'enrôlement. Imaginez que Gbagbo nous entraîne, pas seulement à fin 2009, mais à fin 2010. Arrêter aujourd'hui ne servirait à rien. Il ne ferait qu'éliminer des citoyens des élections qui d'ailleurs n'ont pas encore été identifiés non pas parce qu'ils ne veulent pas, mais parce que les conditions matérielles ne le permettent pas. Donc, il vaut mieux continuer l'identification jusqu'à ce qu'on sache exactement quelle est la date des élections.
Monsieur le président, si en 2009, il n'y a pas d'élection, que pourrait-il arrivé à la Côte d'Ivoire ?
En 2009, le problème s’il n'y a pas d'élection. Mais, c'est sûr qu'il n'y aura pas d'élection. Alors, à ce niveau, au Mfa, nous avons pris le temps de réfléchir et de faire une proposition qui, aujourd'hui, rencontre l'assentiment de beaucoup de groupes politiques et de la société civile. Nous avons dit que la meilleure manière de mettre fin aux atermoiements et à toutes les manœuvres de Gbagbo et de son clan, par rapport à la date des élections, c'est de décider maintenant et sans attendre d'une transition ou d'un nouvel ordre institutionnel. Et le Rhdp était sur la bonne voie. A sa dernière réunion du 18 décembre 2008, il avait fixé comme date le 30 avril. Nous savons que ce ne sera pas tenu et nous lisons ici une déclaration du directoire du Rhdp pondue aujourd'hui (Ndlr mercredi 14 avril) même sur la situation, qui dit que le Rhdp demande au président de la République, au Premier ministre et au Président de la Cei de fixer sans délai la date des élections présidentielles qui devront avoir impérativement lieu avant la fin de l'année 2009. Donc, le Rhdp ne se tient plus à Avril, il va jusqu'à fin décembre 2009. Au Mfa, nous pensons que c'est une mauvaise appréciation politique. Attendre fin décembre, c'est ajouter 5 à 6 mois de plus, et donner encore plus de temps à ceux qui sont en place et qui ont la main sur les moyens du pays de continuer à les accaparer pour se préparer pour plus tard. Nous invitons encore, et ce n'est pas tard, le Rhdp à décider maintenant un nouvel ordre institutionnel, une nouvelle transition. Et cela, si l'ensemble des leaders du Rhdp y consent et si les 4 partis se mettent ensemble, les autres partis qui sont pour cette idée et la société civile ivoirienne, nous pourrons obtenir cela de l'ONU. A savoir que, trop c'est trop, il est temps d'arrêter ce système. Ce qu'il faut voir, c'est moins ces élections qu'on va reporter sans arrêt que les souffrances du peuple ivoirien. C'est cela qui est intolérable et c'est cela qu'il faut arrêter. C'est à cela et avant tout à cela que répond notre idée de transition.
Par qui sera dirigée la transition que vous proposez ?
Pour ce qui est de cette transition, nous en avons déjà parlé à plusieurs reprises. Il s'agissait de réunir dans un collège qu'on appellerait le "Haut conseil de la transition", constitué des représentants de toutes les forces vives du pays. Des représentants de tous les partis politiques, des religieux, de la chefferie traditionnelle, des syndicats de travailleurs, les organisations de jeunesse, des femmes etc. Et même les responsables de nos forces de défense et de sécurité. Ce "Haut conseil de la transition" sera une espèce de nouvelle instance détentrice de la légitimité d'un pays. Et c'est ce "Haut conseil" qui va désigner un Premier ministre, chef du gouvernement, qui aura pour tâche, avec une feuille de route et un chronogramme précis pour qu'on arrive à des élections dans un délai de 18 à 24 mois. Mais surtout avec comme priorité de s'attaquer aux problèmes cruciaux de la Côte d'Ivoire, à savoir ce qui peut être fait en urgence, pour atténuer les souffrances de la population et pour ramener la confiance dans le pays par un véritable état de droit. Et aussi, sur le plan économique, retrousser les manches et se mettre au travail, parce que le pays est en train de dégringoler. On doit redresser notre économie, reprendre même notre agriculture, et nos productions qui commencent à baisser d'année en année. Notre patrimoine industriel est effondré à 50%. Il faut aussi créer de nombreux emplois pour nos jeunes. La Côte d'Ivoire a une population jeune sans emploi de 60% à 70%. C'est une véritable bombe sur laquelle nous sommes. Et si on ne prend garde, elle éclatera un jour.
Monsieur le président, vous parliez tout à l'heure de faire une pression sur ceux qui ont la charge du processus pour que nous allions rapidement aux élections. Pensez-vous que dans l'état actuel de l'économie de la Côte d'Ivoire, elle a encore les ressources et le temps de faire cette transition ?
Justement, cette transition est la solution au problème du pays. Nous savons tous que les résultats des élections risquent d'être fortement contestés par des groupes. Et si c'était le cas, nous ne savons pas si nous n'allons pas nous retrouver dans une situation de crise, civile ou civilo-militaire. C'est dire qu'il vaut mieux, avant même de savoir si le prochain président ivoirien sera Bédié, Gbagbo, Alassane, Mabri, Anaki ou autres, qu'on se donne un petit stop, une petite trève pour s'occuper de redresser le pays. Entre-temps, les esprits se seront beaucoup calmés de part et d'autre et le pays sera mieux préparé de cette manière à aller à des élections apaisées, sereines.
Quelle place va occuper les Forces nouvelles dans le Haut conseil dont vous parlez ?
Les Forces nouvelles ne sont pas exclues. Elles feront partie de ce Haut conseil de la transition. On n'exclut personne. D'ailleurs, je vais vous faire plaisir, le Fpi y sera. Nous allons les y tirer s'ils ne veulent pas.
Sur les antennes de Radio Côte d'Ivoire, vous avez dit que c'est le Président Gbagbo qui est l'obstacle au processus de sortie de crise. Sokouri Bohui qui est responsable des élections au Fpi a donné une réponse à cette question sur Rfi. Il a dit que le Fpi n'était pas au pouvoir parce que sur 31 ministres au gouvernement, le Fpi n'en a que 8. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Très bien. Sur 31 ministres, il y a 8 ministres Fpi donc il reste 23 ministres. Considérez que les 23 autres ministres sont des accompagnateurs du pouvoir Fpi et du pouvoir de Gbagbo parce que, comme j'ai eu à le dire, et je suis fondé à le dire, pour avoir été membre du gouvernement pendant trois ans et demi, c'est Laurent Gbagbo qui a la totalité du pouvoir ici en Côte d'Ivoire. Qu'il n'y ait pas d'illusion, et d'erreur. Il faut que les populations le sachent. C'est Gbagbo qui décide seul de tout et de tout. Donc Sokouri Bohui peut dire ce qu'il veut, mais la vérité c'est cela. Il n'y a pas de partage du tout. Les autres des partis du Rhdp ne devraient pas hésiter à retirer leurs ministres de ce gouvernement parce qu'il apparaissent aux yeux des populations ivoiriennes et de la communauté internationale comme des complices de cet état de fait, comme viennent de le dire les Forces nouvelles dans leur communiqué. Ces ministres ne sont même pas partie prenante des décisions les plus importantes. Vous savez tout comme moi que très souvent des décrets ne passent jamais en conseil des ministres. Ils sont signés le dimanche ou de nuit chez Gbagbo. Ce n'est pas un secret, tout le monde le sait. Ce n'est pas de la gouvernance, ni de la démocratie.
Quel commentaire faites-vous du récent communiqué des Forces nouvelles ?
Pour ce qui est du communiqué fait par les Forces nouvelles hier (Ndlr mardi dernier), nous pensons que c'est une espèce d'appel de Soro Guillaume lui-même aux Ivoiriens et à la communauté internationale sur le fait que Laurent Gbagbo est en train de freiner le processus. Soro Guillaume ne démissionnera pas, personne ne le souhaite. Mais, c'est comme une sorte de prophétie qu'ils nous lancent pour dire attention sur les élections avec Laurent Gbagbo, il y a danger ! A notre avis, voici comment il faut comprendre ce communiqué des Forces nouvelles. Ce communiqué a été fait par les collaborateurs de Soro. Ils ont peut-être pris une initiative et sont allés un peu fort par rapport à ce qui devrait être leur pouvoir. Mais, il faut bien comprendre que ce communiqué est comme une sonnette d'alarme des Forces nouvelles et donc de Soro qui est leur chef. Ceci pour nous dire, attention, voici ce que Gbagbo et la refondation sont en train de faire, à vous de prendre vos responsabilités. Ne venez pas nous accuser à l'avenir, si ce que nous crayons se trouve avéré, à vous de prendre vos responsabilités.
Que doit-on donc retenir de ce communiqué qui fait tant de vagues ?
Lorsque je vous dis que la déclaration des Forces Nouvelles est un signal fort, un appel à la prise de conscience, sinon même une prophétie comme aux temps bibliques, c'est que SORO, qui, dans le numéro de prestidigitation que GBAGBO sert en permanence aux ivoiriens depuis 2005, se trouve de facto en tant que Premier Ministre, dans le rôle forcé d'assistant ou d'acolyte, nous dit sans détours ceci : je vous préviens que le lapin ou la colombe qui doivent sortir du tour d'illusion du grand maître Mandrake KOUDOU, et que nous appelons élections en 2009, ne sortira pas. Je préfère ouvertement me désolidariser du jeu, même si je demeure en fonctions pour des raisons compréhensibles .
Interview réalisée par Eddy Péhé, Paul Koffi, Assalé Tiémoko et Serge amany
M. le président, les signataires de l'accord de Ouagadougou semblent ne plus partager la même vision. Ils se tirent dessus. Quelle analyse faites-vous de cet état de fait ?
Effectivement, nous assistons depuis une dizaine de jours environ à ce qui ressemble fort bien à une cacophonie au plus haut niveau politique. Vous avez d'un côté, le clan présidentiel, le CNRD et les partis affiliés et même le ministre Tagro qui ne manquent pas une occasion de dire qu'aujourd'hui la balle est dans le camp des Forces nouvelles. Et que c'est du fait des Forces nouvelles si on n'arrive pas à sortir de cette crise. Et le mardi dernier, nous avons tous eu la grande surprise de lire ce communiqué des Forces nouvelles dans lequel elles aussi ont donné leur version des faits. Elles disent que c'est le camp présidentiel qui a la responsabilité de mener le pays vers la sortie de crise. Moi, je pense qu'au niveau de la Côte d'Ivoire on peut dire que bizarrement c'est une bonne chose qui nous est donnée. A la limite, c'est même une prophétie.
Laquelle ?
A savoir que voici un travail qui a été confié à deux personnes. Toute la classe politique ivoirienne de même que la communauté internationale a estimé qu'étant les deux les plus engagés dans cette crise, parce qu'étant les deux détenants des armes, ils étaient les seuls à même de nous amener à la paix, à la fin de cette crise, c'est-à-dire à des élections. Et si brusquement, au moment où nous croyons être dans la dernière ligne droite, ces deux commencent publiquement à se tirer dessus, ça veut dire qu'il faut être réaliste. En dépit de tout ce qu'ils nous ont donné comme assurance et en dépit de nos grands espoirs, nous, populations ivoiriennes, nous n'aurons pas les élections pour demain. Je pense que là, il faut s'en tenir aux déclarations des uns et des autres. Prendre ce qu'on peut tirer de la déclaration des Forces nouvelles. Et également de ce que le ministre Tagro récemment a dit pour ce qui est du camp présidentiel. A l'analyse de ces deux voix, nous voyons bien que nous sommes encore loin des élections.
Qu'est-ce qui fonde votre opinion ?
Prenons d'abord la déclaration des Forces nouvelles. Elles ont souligné cinq points et nous retenons quatre qui, pour eux, leur permettent de justifier que ce n'est pas de leur fait si le processus est bloqué. Premièrement, ils disent que la passation de charges entre les préfets et les com-zones qui était prévue le 04 mars 2009 et qui n'a pas eu lieu, est venu de la volonté froide de Désiré Tagro. Qui ne voulait pas permettre cette passation au motif qu'il n'avait pas encore sécurisé l'environnement. Que Tagro a volontairement laisser foirer la cérémonie alors que les représentations diplomatiques étaient là. Tagro n'était pas venu. Il n'a pas non plus convoqué les préfets. C'est-à-dire donc que Tagro a torpillé cette cérémonie. Et en lieu et place, il s'est plutôt préoccupé de continuer à procéder à des nominations et à des affectations de préfets et de sous préfets, de personnes qui apparemment défendront les couleurs de la refondation le moment venu. C'est là le premier argument donné par les Forces nouvelles.
Quel est le deuxième arrangement, selon vous ?
En ce qui concerne le redéploiement des forces de police et de gendarmerie, les Forces nouvelles disent, à mon avis de manière justifiée, que les accords prévoient que ce soit le centre de commandement intégré (CCI) qui le moment venu, organise cela avec des éléments pris simultanément dans les deux forces. A savoir les FDS et les Forces nouvelles. Cela n'est pas encore fait. Et les Forces nouvelles estiment que si les services de police et de gendarmerie ne sont pas encore déployées, ce n'est pas de leur fait. C'est le CCI qui n'est pas encore opérationnel.
Troisième argument, les Forces nouvelles font valoir un argument purement militaire, mais qui pour eux compte. Ils disent qu'il a été convenu de bloquer les avancements dans les deux armées depuis 2005. Eux ont obéi à cette consigne mais cela n'a pas été fait du côté gouvernemental. Ils demandent donc à Soro Guillaume de procéder aux avancements pour que l'équilibre soit rétabli. Vous devinez bien que c'est quelque chose qui est très lourd de conséquence si jamais on devrait arriver à cela.
Que doit-on comprendre par très lourd de conséquence ?
Je préfère vous dire que tout ce qui dans cette sortie de crise, touchera l'armée sera très lourd de conséquence. Mais pour le moment, on n'en a pas conscience. Il y a l'armée du nord et l'armée du sud. Mais, une armée, c'est un esprit, c'est un corps, c'est des règles, des principes. Et il faut y faire très attention. Jusqu'à présent, à mon avis, on n'y a pas prêté assez attention. Le dernier point développé par les Forces nouvelles, Soro a dit que le guichet unique a été ouvert. Mais, c'est une espèce de case vide qui a été construite. Rien ne marche et les Forces nouvelles estiment là aussi que ce n'est pas de leur fait. Si on prend ces quatre arguments et le fait que les Forces nouvelles concluent de façon claire et sans ambiguïté que c'est parce que Gbagbo et les siens ont peur des élections qu'ils perdront à tous les coups, qu'ils manoeuvrent pour les retarder, on comprend bien que nous ne sommes pas encore sortis de cette crise.
En réponse, quels arguments le ministre Tagro a-t-il développés ?
Tagro dit simplement que les accords de Ouaga dans leurs dernières dispositions prévoient le désarmement avant les élections. Ce qui est vrai. Mais, il faut bien comprendre que ce désarmement entraîne un certain nombre de préalables. Est-ce qu'aujourd'hui nous avons souscrit à tous ces préalables ? N'oublions pas que c'est cette fameuse enveloppe de 500 mille F CFA qui doit être remise à chaque ex-combattant des FN allant à la vie civile, également à chaque milicien ou membre des groupes d'auto-défense du sud qui retournent à la vie civile qui est le problème. Est-ce que ce capital est déjà trouvé ? Est-ce qu'il y a un bailleur de fonds qui a déjà remis cet argent à la Côte d'Ivoire ? Il y a environ trois mois de cela, le ministre de la défense lui-même a dit que la Côte d'Ivoire était incapable de trouver cet argent. Tous ces éléments, l'un dans l'autre, montrent bien que les élections sont encore loin en dépit des assurances qu'on a ici et là.
Monsieur le président, de l'analyse que vous développez, qui fait alors blocage selon vous ?
Qui fait blocage ou alors qu'est-ce qui fait blocage ? Je pense qu'aujourd'hui la Côte d'Ivoire n'a pas cette exclusivité dans l'histoire. Une sortie de crise armée, c'est toujours très compliqué et difficile. On ne la réalise que quand, au final, la confiance s'installe entre les parties belligérantes. Il ne fait pas de doute à notre avis que l'un des gros problèmes aujourd'hui, c'est que les éléments des Forces nouvelles n'ont pas du tout confiance en Gbagbo et son camp pour ce qui est de leur sécurité si jamais ils procèdent au désarmement. Quelqu'un qui, à un moment donné, s'est trouvé dans les conditions de prendre les armes, les dépose le jour où il estime que sa survie n'est pas en danger. L'un des gros problèmes que nous avons, c'est d'abord cette confiance qui n'est pas au rendez-vous.
Ensuite, il faut dire que plus nous traînons dans la situation que nous vivons actuellement, plus ceux qui tirent profit continuent d'en profiter. De ce point de vue, il ne faut pas se voiler la face. Le clan Gbagbo et les refondateurs, contrairement à ce qu'ils disent (aller aux élections vite, vite) ne sont pas du tout pressés à aller aux élections. Moi, je dirai que nous au MFA, on pense que s'il n'y a pas quelque chose de fort qui se passe, presqu'une espèce de Tsunami, nous n'aurons pas les élections en 2009. Et ils nous entraîneront jusqu'en 2010. A cette date, sans pression toujours, ce n'est pas sûr qu'il y ait des élections.
Qu'entendez-vous par forte pression pour obtenir des élections ?
La force pression, ce serait qu'un jour s'exprime de manière globale et forte la volonté du peuple. On a beau dire, il s'agit du peuple de Côte d'IVoire, de son destin, du devenir de ses enfants. A notre avis, au dernier moment, c'est lui qui aura à décider. C'est un peu le sens de l'appel que nous avons eu à lancer à la télévision lorsqu'on nous a accepté enfin d'ailleurs le 18 mars dernier. Nous disons encore aux ivoiriens : "En dernier ressort, votre destin est entre vos mains. C'est à vous d'en prendre conscience et d'en décider. Mais surtout et maintenant, réaliser qu'il faut tuer en vous la peur, la terreur qu'on a mis dans le peuple ivoirien depuis mars 2004 lorsqu'il y a la dernière volonté de manifestation de l'opposition". C'est le lieu de dire aux Ivoiriens que ceux à quoi on a assisté en mars 2004 n'est pas à vrai dire la répression d'une manifestation. Ça a été plutôt une espèce de crimes froidement organisés pour traumatiser la population et gagner des années en tranquillité. Car qu'est-ce qui s'est passé ? Il n'y a pas réellement eu de marche ou de mouvement de foule d'un quartier à l'autre. Tout était verrouillé depuis 3H du matin. Personne n'a pu quitter son quartier pour aller dans l'autre. Par contre, les gens ont été dans des cours communes dans certains quartiers, par rapport à des listes qui avaient été établies. Ils ont repéré des personnes qui ont été froidement abattues. Quelquefois, on a abattu des personnes pour donner l'impression d'une action populaire. Alors qu'il s'agissait d'une liquidation ciblée. C'est un peu ce que font certains pays en situation difficile. D'ailleurs, je n'exclus pas pour cette action qui a été très bien menée, que les gens n'aient eu recours à des experts. Que les ivoiriens comprennent bien qu'on les a assassinés pour confisquer à jamais leur liberté, leur pays et leurs biens. Ils ne peuvent pas assister à cela éternellement les bras croisés. Il faut qu'ils se réveillent.
Croyez-vous ce peuple capable de pression ?
De part mes études, mes activités professionnelles et politiques, j'ai eu la chance de visiter beaucoup de pays. Je crois connaître beaucoup de peuples. Je peux vous dire que contrairement à ce que j'entends souvent, les Ivoiriens ne sont pas un peuple plus velléitaire qu'un autre ou alors plus peureux qu'un autre. Il s'agit simplement d'une prise de conscience de l'état réel dans lequel ils se trouvent. Je dis d'ailleurs souvent pour rire que notre principal adversaire pour notre libération effective ici en Côte d'Ivoire, pour la prise en main de notre destin, c'est le fait que nous avons bénéficié d'un pays relativement riche, à la terre luxuriante, qui permet à tout le monde d'arriver plus ou moins à prendre conscience de certaines choses. C'est peut-être, selon moi, le problème des Ivoiriens. Sinon, les Ivoiriens sont à mon avis un peuple intelligent, relativement bien informé de ce qui se passe et dans le monde et chez lui-même. Je suis sûr, je sais que ce déclic ne tardera pas à se produire.
Monsieur le président, vous êtes pessimiste quant à la sortie de crise par des élections. Quelle doit être aujourd'hui l'attitude du Rhdp auquel vous appartenez face à cette situation ?
Ecoutez, le Rhdp a aujourd'hui une responsabilité historique, un devoir historique envers les Ivoiriens. C'est le fait qu'il soit majoritaire dans le pays. C'est, de ce fait, le Rhdp que les Ivoiriens, qui sont dans la détresse, regardent. Si ce Rhdp reconnaît, et Dieu merci il le dit dans tous ses communiqués, que le peuple souffre, que le peuple est dans la misère, que ce pays est pillé par des prédateurs sans foi ni loi, ce Rhdp là se doit d'être celui qui forcément contribuera à ce que cette prise de conscience se fasse et que ce déclic advienne. Donc, le Rhdp a le devoir d'être à la tête de toutes les pressions qui doivent se faire ou s'exercer sur ce régime. C'est vous dire donc que le Rhdp doit désormais comprendre qu'il est un rassemblement d'opposition aux côtés du peuple et qu'il se doit de prendre cette cause matin, midi, soir et surtout le faire pour le peuple. On doit arrêter avec le Rhdp trop policé et trop poli que nous avons vu ces dernières années. A telle enseigne même que quelquefois, la population se demande si ces leaders du Rhdp ne sont pas des vice présidents de Gbagbo.
Estimez-vous que le Rhdp a failli en certains points dans la gestion de la crise ?
Ecoutez, le peu que je peux vous dire est que si depuis 2005 que le mandat de Laurent Gbagbo est arrivé à terme, nous sommes à la 4ème année et qu'il est encore au pouvoir et que le pays continue à être géré de la même manière avec les souffrances des populations qui s'aggravent de plus en plus, c'est que quelque part, il y a quelque chose que le Rhdp aurait dû faire et qu'il n'a pas fait. Mais ce n'est pas tard. Il est temps qu'il se réveille et le peuple lui sera reconnaissant.
Vous demandez le retrait de Bédié et de Ouattara du Cpc ?
C'est exactement cela. Leur retrait du Cpc, ce n'est d'ailleurs pas le Mfa qui le veut, c'est le peuple qui attend cela pour mieux comprendre. Parce que, dans ce genre de lutte, il y a deux camps. Il y a le camp de ceux qui oppriment, qui pillent, qui volent. Et il y a le camp de ceux qui sont du côté des opprimés et ceux qu'on pille.
Monsieur le président, Madame Hamza, ministre du Mfa, dont vous avez demandé le retrait, ne vous a pas suivi non plus. Comment réagissez-vous suite à cela ?
Ecoutez, vous avez vous-même donné la réponse à votre question. Le Mfa l'a retirée du gouvernement. Si Madame Hamza qui, à l'époque, a été proposée par le Mfa au gouvernement, veut rester au gouvernement, ça résulte donc du fait que Madame Hamza, premièrement n'est pas du Mfa ou n'est plus du Mfa. Il s'agit peut-être du fait qu'elle était désignée au gouvernement autrement qu'appartenant au Mfa. Donc, Madame Hamza peut rester au gouvernement. Au Mfa, cela ne nous fait ni chaud ni froid. Nous disons simplement, aujourd'hui, haut et fort, à toute la population ivoirienne que nous nous sommes retirés de ce gouvernement. Nous l'avons signifié au Président, au premier ministre ainsi qu'au facilitateur et à l'Onu. Le Mfa est sorti du gouvernement et invite les autres partis du Rhdp à faire de même et ce, le plus rapidement possible.
Madame Hamza n'est donc plus militante du Mfa ?
Je ne sais pas dans quel cercle elle continue de militer, mais nous ici au Mfa, on ne la voit pas.
Vous avez pris son refus de sortir du gouvernement comme un camouflet ?
Je vous répondrai, pas du tout. Nous avons, nous, au Mfa, et c'est une logique que nous suivons depuis une très longue période... Nous avions prévu le moment venu, d'arrêter notre participation à ce gouvernement par solidarité avec le peuple. Et le fait que Madame Hamza ne nous suive pas ne nous gène même pas, parce que, c'est peut-être la meilleure confirmation pour nous, qu’en fait elle n'était plus des nôtres. Elle est ailleurs. Nous savons pour qui elle roule. Mais ce n'est pas à nous d'étaler cela sur la voie publique.
Monsieur le président, l'actualité c'est l'arrêt ou non de l'opération d'identification sur l'entendue du territoire. Le débat divise un peu la classe politique. Quel est votre avis?
La classe politique est divisée, c'est très simple. Vous avez ceux qui estiment avoir fait rapidement le plein de leur frigo pour pouvoir avoir un bon repas le jour des élections et ceux qui ont été plus ou moins spectateurs ou qui n'ont pas tenu compte de certains facteurs. Je pense que ce n'est pas réellement un facteur qui divise. Pour le moment, comme il est évident que Laurent Gbagbo et les siens veulent gagner du temps par rapport aux élections et comme par rapport aux statistiques que nous avons obtenues, ils ont beaucoup de retard dans les zones estimées leur être favorables. Ils ne vont pas accepter l'arrêt de l'identification, elle va se poursuivre. Donc, tout le monde y trouvera forcément son compte. Même ceux qui estiment avoir fait le plein de leurs sympathisants ou militants, même s'il y a un militant de plus par jour, c'est toujours bon à prendre. Parce que dans tous les cas, Sokouri Bohui et même Fologo ont eu à le dire, ils n'arrêteront pas, ils continueront.
Monsieur le président, vous, au Mfa, quel est votre avis ?
Nous pensons que la question principale et fondamentale, c'est la date des élections. Et alors, à partir de la date des élections, on peut se prononcer quant à la date d'arrêt de l'enrôlement. Imaginez que Gbagbo nous entraîne, pas seulement à fin 2009, mais à fin 2010. Arrêter aujourd'hui ne servirait à rien. Il ne ferait qu'éliminer des citoyens des élections qui d'ailleurs n'ont pas encore été identifiés non pas parce qu'ils ne veulent pas, mais parce que les conditions matérielles ne le permettent pas. Donc, il vaut mieux continuer l'identification jusqu'à ce qu'on sache exactement quelle est la date des élections.
Monsieur le président, si en 2009, il n'y a pas d'élection, que pourrait-il arrivé à la Côte d'Ivoire ?
En 2009, le problème s’il n'y a pas d'élection. Mais, c'est sûr qu'il n'y aura pas d'élection. Alors, à ce niveau, au Mfa, nous avons pris le temps de réfléchir et de faire une proposition qui, aujourd'hui, rencontre l'assentiment de beaucoup de groupes politiques et de la société civile. Nous avons dit que la meilleure manière de mettre fin aux atermoiements et à toutes les manœuvres de Gbagbo et de son clan, par rapport à la date des élections, c'est de décider maintenant et sans attendre d'une transition ou d'un nouvel ordre institutionnel. Et le Rhdp était sur la bonne voie. A sa dernière réunion du 18 décembre 2008, il avait fixé comme date le 30 avril. Nous savons que ce ne sera pas tenu et nous lisons ici une déclaration du directoire du Rhdp pondue aujourd'hui (Ndlr mercredi 14 avril) même sur la situation, qui dit que le Rhdp demande au président de la République, au Premier ministre et au Président de la Cei de fixer sans délai la date des élections présidentielles qui devront avoir impérativement lieu avant la fin de l'année 2009. Donc, le Rhdp ne se tient plus à Avril, il va jusqu'à fin décembre 2009. Au Mfa, nous pensons que c'est une mauvaise appréciation politique. Attendre fin décembre, c'est ajouter 5 à 6 mois de plus, et donner encore plus de temps à ceux qui sont en place et qui ont la main sur les moyens du pays de continuer à les accaparer pour se préparer pour plus tard. Nous invitons encore, et ce n'est pas tard, le Rhdp à décider maintenant un nouvel ordre institutionnel, une nouvelle transition. Et cela, si l'ensemble des leaders du Rhdp y consent et si les 4 partis se mettent ensemble, les autres partis qui sont pour cette idée et la société civile ivoirienne, nous pourrons obtenir cela de l'ONU. A savoir que, trop c'est trop, il est temps d'arrêter ce système. Ce qu'il faut voir, c'est moins ces élections qu'on va reporter sans arrêt que les souffrances du peuple ivoirien. C'est cela qui est intolérable et c'est cela qu'il faut arrêter. C'est à cela et avant tout à cela que répond notre idée de transition.
Par qui sera dirigée la transition que vous proposez ?
Pour ce qui est de cette transition, nous en avons déjà parlé à plusieurs reprises. Il s'agissait de réunir dans un collège qu'on appellerait le "Haut conseil de la transition", constitué des représentants de toutes les forces vives du pays. Des représentants de tous les partis politiques, des religieux, de la chefferie traditionnelle, des syndicats de travailleurs, les organisations de jeunesse, des femmes etc. Et même les responsables de nos forces de défense et de sécurité. Ce "Haut conseil de la transition" sera une espèce de nouvelle instance détentrice de la légitimité d'un pays. Et c'est ce "Haut conseil" qui va désigner un Premier ministre, chef du gouvernement, qui aura pour tâche, avec une feuille de route et un chronogramme précis pour qu'on arrive à des élections dans un délai de 18 à 24 mois. Mais surtout avec comme priorité de s'attaquer aux problèmes cruciaux de la Côte d'Ivoire, à savoir ce qui peut être fait en urgence, pour atténuer les souffrances de la population et pour ramener la confiance dans le pays par un véritable état de droit. Et aussi, sur le plan économique, retrousser les manches et se mettre au travail, parce que le pays est en train de dégringoler. On doit redresser notre économie, reprendre même notre agriculture, et nos productions qui commencent à baisser d'année en année. Notre patrimoine industriel est effondré à 50%. Il faut aussi créer de nombreux emplois pour nos jeunes. La Côte d'Ivoire a une population jeune sans emploi de 60% à 70%. C'est une véritable bombe sur laquelle nous sommes. Et si on ne prend garde, elle éclatera un jour.
Monsieur le président, vous parliez tout à l'heure de faire une pression sur ceux qui ont la charge du processus pour que nous allions rapidement aux élections. Pensez-vous que dans l'état actuel de l'économie de la Côte d'Ivoire, elle a encore les ressources et le temps de faire cette transition ?
Justement, cette transition est la solution au problème du pays. Nous savons tous que les résultats des élections risquent d'être fortement contestés par des groupes. Et si c'était le cas, nous ne savons pas si nous n'allons pas nous retrouver dans une situation de crise, civile ou civilo-militaire. C'est dire qu'il vaut mieux, avant même de savoir si le prochain président ivoirien sera Bédié, Gbagbo, Alassane, Mabri, Anaki ou autres, qu'on se donne un petit stop, une petite trève pour s'occuper de redresser le pays. Entre-temps, les esprits se seront beaucoup calmés de part et d'autre et le pays sera mieux préparé de cette manière à aller à des élections apaisées, sereines.
Quelle place va occuper les Forces nouvelles dans le Haut conseil dont vous parlez ?
Les Forces nouvelles ne sont pas exclues. Elles feront partie de ce Haut conseil de la transition. On n'exclut personne. D'ailleurs, je vais vous faire plaisir, le Fpi y sera. Nous allons les y tirer s'ils ne veulent pas.
Sur les antennes de Radio Côte d'Ivoire, vous avez dit que c'est le Président Gbagbo qui est l'obstacle au processus de sortie de crise. Sokouri Bohui qui est responsable des élections au Fpi a donné une réponse à cette question sur Rfi. Il a dit que le Fpi n'était pas au pouvoir parce que sur 31 ministres au gouvernement, le Fpi n'en a que 8. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Très bien. Sur 31 ministres, il y a 8 ministres Fpi donc il reste 23 ministres. Considérez que les 23 autres ministres sont des accompagnateurs du pouvoir Fpi et du pouvoir de Gbagbo parce que, comme j'ai eu à le dire, et je suis fondé à le dire, pour avoir été membre du gouvernement pendant trois ans et demi, c'est Laurent Gbagbo qui a la totalité du pouvoir ici en Côte d'Ivoire. Qu'il n'y ait pas d'illusion, et d'erreur. Il faut que les populations le sachent. C'est Gbagbo qui décide seul de tout et de tout. Donc Sokouri Bohui peut dire ce qu'il veut, mais la vérité c'est cela. Il n'y a pas de partage du tout. Les autres des partis du Rhdp ne devraient pas hésiter à retirer leurs ministres de ce gouvernement parce qu'il apparaissent aux yeux des populations ivoiriennes et de la communauté internationale comme des complices de cet état de fait, comme viennent de le dire les Forces nouvelles dans leur communiqué. Ces ministres ne sont même pas partie prenante des décisions les plus importantes. Vous savez tout comme moi que très souvent des décrets ne passent jamais en conseil des ministres. Ils sont signés le dimanche ou de nuit chez Gbagbo. Ce n'est pas un secret, tout le monde le sait. Ce n'est pas de la gouvernance, ni de la démocratie.
Quel commentaire faites-vous du récent communiqué des Forces nouvelles ?
Pour ce qui est du communiqué fait par les Forces nouvelles hier (Ndlr mardi dernier), nous pensons que c'est une espèce d'appel de Soro Guillaume lui-même aux Ivoiriens et à la communauté internationale sur le fait que Laurent Gbagbo est en train de freiner le processus. Soro Guillaume ne démissionnera pas, personne ne le souhaite. Mais, c'est comme une sorte de prophétie qu'ils nous lancent pour dire attention sur les élections avec Laurent Gbagbo, il y a danger ! A notre avis, voici comment il faut comprendre ce communiqué des Forces nouvelles. Ce communiqué a été fait par les collaborateurs de Soro. Ils ont peut-être pris une initiative et sont allés un peu fort par rapport à ce qui devrait être leur pouvoir. Mais, il faut bien comprendre que ce communiqué est comme une sonnette d'alarme des Forces nouvelles et donc de Soro qui est leur chef. Ceci pour nous dire, attention, voici ce que Gbagbo et la refondation sont en train de faire, à vous de prendre vos responsabilités. Ne venez pas nous accuser à l'avenir, si ce que nous crayons se trouve avéré, à vous de prendre vos responsabilités.
Que doit-on donc retenir de ce communiqué qui fait tant de vagues ?
Lorsque je vous dis que la déclaration des Forces Nouvelles est un signal fort, un appel à la prise de conscience, sinon même une prophétie comme aux temps bibliques, c'est que SORO, qui, dans le numéro de prestidigitation que GBAGBO sert en permanence aux ivoiriens depuis 2005, se trouve de facto en tant que Premier Ministre, dans le rôle forcé d'assistant ou d'acolyte, nous dit sans détours ceci : je vous préviens que le lapin ou la colombe qui doivent sortir du tour d'illusion du grand maître Mandrake KOUDOU, et que nous appelons élections en 2009, ne sortira pas. Je préfère ouvertement me désolidariser du jeu, même si je demeure en fonctions pour des raisons compréhensibles .
Interview réalisée par Eddy Péhé, Paul Koffi, Assalé Tiémoko et Serge amany