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Société Publié le jeudi 7 mai 2009 | Le Jour Plus

Enquête / Cimetières de Williamsville, Yopougon, Abobo…: On vend les organes des cadavres en morceaux - Des hauts lieux de business, de trafics intenses

Les cimetières d’Abidjan et banlieues ne font plus peur. La nuit, ils sont des lieux de trafics intenses. Messes noires dans les cimetières, exorcismes dans les hautes sphères, cultes religieux en faveur des divinités païennes et autres rites étranges. Les tombes sont fouillées et profanées. Des corps déterrés par des individus en quête d’organes humains pour la confection de talismans et autres fétiches qui conféreraient la puissance et apporteraient la richesse, etc. Selon les vœux des sorciers-guérisseurs, des magiciens, marabouts et autres acheteurs…Pendant deux semaines, nous avons suivi les traces des fossoyeurs et profanateurs des tombes, des trafiquants sans foi ni loi d’organes humains. Enquête interdite aux âmes sensibles.

Samedi 14 mars. Cimetière de Williamsville. Il est 21 heures 10. A proximité du quartier Paillet. Le silence est troublé par les cris des grillons et autres insectes. Des gros insectes et des oiseaux nocturnes survolent de temps à autres les habitations environnantes. Assis sur une étale servant à fumer du poisson. Dans la nuit noire, nous avons le regard tourné vers le cimetière. En vue de détecter un éventuel mouvement. Des cris et jurons venant des habitations précaires par intermittence chassent de temps à autre notre peur. Nous devisons tout bas comme pour nous donner de la contenance. A proximité des morts. Notre attente dure environ une heure. Quand soudain une lumière de torche perfore l’obscurité à une vingtaine de mètres de nous. Deux ombres faufilent entre les tombes. Tout d’un coup les deux individus s’immobilisent. Assis sous un hangar de fortune nous suivons la scène. Avec soin de ne pas se faire repérer. Curieux, mon compagnon et mois décidons de suivre la scène de plus près. Derrière un caveau, la scène que nous découvrons est des plus spectaculaires. L’une des personnes s’est complètement dévêtue. Son acolyte, pendant qu’il dit des incantations l’asperge d’eau d’un canari qu’ils ont sûrement emporté avec eux. La scène dure environ cinq minutes. Le monsieur se rhabille. Avec une main, il creuse le versant d’une tombe comme pour y enfouir quelque chose. Après quoi les deux individus quittent précipitamment les lieux. Nous revenons à notre poste d’observation. Il est 21 heures 30. Cette fois-ci l’attente dure beaucoup plus. Et la peur commence à m’envahir. Les histoires de revenants et autres esprits de mort hantent mon esprit. De temps à autre je fais sortir le citron que j’ai emmené avec moi. Selon certaines langues, ce fruit protégerait contre les esprits malfaisants. Mon compagnon, lui s’est acheté des bâtons de cigarette. Pour ne pas nous faire repérer. Nous nous sommes mis d’accord qu’il fume quelques-unes avant notre arrivée sur les lieux de sorte que l’odeur reste sur lui. Avec pour effet escompté de dissuader d’éventuels esprits malveillants. Après 30 minutes d’observation et d’inquiétude, une jeune fille et un jeune homme arrivent à notre niveau. Ils nous saluent et continuent leur route vers le cimetière. Pris de courage nous empruntons le même chemin qu’eux. Lorsque nous tentons de les dépasser, la fille lance : « J’espère que nos affaires vont bien marcher cette fois-ci. » Le garçon en quelques minutes enfouit quelque chose dans le sol. Et le couple rebrousse chemin. Nous, également. Nous longeons les habitations en bordure du cimetière pour ressortir vers l’entrée principale. Le gardien dans son blouson nous lance un regard inquisiteur. Il est 23 heures 05 minutes. Nous sautons dans le premier taxi qui pointe du nez au niveau du carrefour des Deux plateaux. Le lendemain, lorsque nous informons un riverain du cimetière de ce que nous avons vu la veille nous tombons des nues.

Les cimetières, lieux de trafics intenses

« La nuit, on voit des torches allumées dans le cimetière. Mais nous ne savons pas ce que les gens cherchent là bas. Notre balcon donne sur le cimetière comme vous le constatez. Ce qui nous permet d’apprécier ces mouvements. Selon certaines indiscrétions, ces personnes y vont la nuit pour le partage des butins s’agissant des bandits et les autres pour des sacrifices ou rituels… Généralement les mouvements démarrent après vingt heures », explique S.C. une riveraine du cimetière de Williamsville. Selon ses témoignages, cela est devenu de la routine pour leur famille qui ne se pose plus la question du pourquoi de la présence de ces individus en pleine nuit dans l’univers des morts. « On ne peut dissocier le cimetière de notre existence qui a deux facettes, le visible et l’invisible qui est le cimetière. Lequel oriente le visible. Et tous les éléments y affèrent sont sous le sceau du sacré pour les vivants, ou inducteurs de puissances. Dès lors, on lui accorde tous les pouvoirs, des dimensions surnaturelles. Ce qui fait que l’individu a tendance à s’orienter vers cet espace. On ne peut pas enlever cela de la mentalité des Africains », explique le porte parole des Limmoudims de Rabbi Jésus, le professeur Aboubakar Sidick. Aujourd’hui les cimetières d’Abidjan et banlieue sont des lieux de trafics intenses. Messes noires dans les cimetières, exorcismes dans les hautes sphères, cultes religieux en faveur des divinités païennes et autres rites étranges. Les tombes sont fouillées. Des corps déterrés par des individus sans scrupule . En quête d’organes humains pour des pratiques occultes qui rendraient riche et donneraient des pouvoirs surnaturels. A partir des organes extraits, marabouts et autres féticheurs confectionnent des fétiches pour leurs clients qui courent après la puissance et autres "pouvoirs". Sorciers, guérisseurs, magiciens, marabouts et autres acheteurs témoignent en substance. « La nuit, il y a beaucoup de choses qui se passent ici au cimetière. Certaines personnes viennent nous demander des services tels que enterrer des corps de parents, leur trouver des parties d’organes humains ou faire des sacrifices ». Ce sont des confidences à nous faites par le jeune Ousmane , le mardi 02 mars devant le cimetière municipal d’Abobo. Toutes choses qui n’ont pas manqué de nous édifier. Résidant dans le quartier précaire de Biabou, il est avec ses amis ceux que l’on appelle généralement « les rats des cimetières ». Tantôt fossoyeurs, tantôt à la disposition des personnes pour les sales boulots au sein des cimetières. Il connaît tous les coins et recoins qui mènent au cimetière « sans se faire voir par des regards indiscrets ». Ousmane a la corpulence qui en impose et le regard perçant comme celui d’un fauve. C’est un jeune homme de teint noir. « Depuis huit ans, je travaille au cimetière. C’est grâce à ce petit boulot que je me nourris », explique t-il. Les cheveux hirsutes, le T-shirt délavé par l’usure du temps, le jeune Ousmane est le prototype du petit prêt à tout. Il est du genre d’homme à qui il ne faut pas faire confiance une seconde. Cependant vu son caractère éveillé nous lui demandons de nous procurer-pour les besoins de l’enquête- les os du pied d’un accidenté. Nous lui précisons que l’exhumation doit se faire en notre présence. Une précaution à prendre pour ne pas qu’il nous fournisse du faux. Et nous rassurer surtout que ces pratiques existent bel et bien. « Pas de problème chef. C’est cinquante mille FCFA », décide t-il. Au finish nous nous sommes mis d’accord autour de la somme de dix mille. Non sans un marchandage serré. « Actuellement on nous surveille beaucoup parce que les gens racontent que c’est nous qui déterrons les corps des gens. » Ajoute-il. Nous le rassurons. Rendez-vous est pris pour le vendredi suivant.

Véritables voleurs d’os humains, de linceul…

A 18 heures, c’est à dire à une heure du rendez-vous, notre interlocuteur nous appelle pour nous signifier un changement du lieu de rendez-vous. « Ne venez pas devant le cimetière mais plutôt devant la pharmacie. Je vous attendrai là bas », indique-il. Pris de peur pour ce changement brusque du lieu du rendez-vous, nous faisons appel à un jeune homme pour nous accompagner en plus du reporter photographe. Il est 18 heures 20. Nous voilà devant la pharmacie en question. En compagnie de trois autres jeunes, la vingtaine révolue aussi mal vêtus que lui, Ousmane nous fait signe de les rejoindre. Devant son regard interrogateur, vu la présence d’un intrus- le reporter photographe- je m’empresse de lui faire savoir que mon patron exige que je sois photographié au moment des rites. Notre interlocuteur se rebiffe par rapport au tarif convenu. Après environ trente minutes de (re)marchandage, il accepte avec ses compagnons, l’air pas gai. « Nous allons passer par un autre chemin pour arriver au cimetière. Il y a beaucoup de pistes », me rassure le jeune homme. Après une dizaine de minutes de marche à faufiler les habitations, nous arrivons en bordure du cimetière non clôturé. « Ici c’est le cimetière des personnes abandonnées », nous confie Ousmane. Nous nous enfonçons dans la broussaille. La peur commence à m’envahir davantage. Surtout en compagnie de ces inconnus. « Avez-vous été lavé avec des médicaments pour vous protéger contre les esprits des cimetières ? » L’interrogeai-je, la peur au ventre. « Non, depuis 2001 que je travaille au cimetière, je ne me suis jamais lavé avec quelque chose. C’est le courage. Sinon, il n’y a rien », lâche t-il en poursuivant son chemin dans la broussaille. A quelques mètres, il nous fait signe de ne pas allumer de lumière au risque nous faire repéré. Dans la broussaille, on perçoit une tombe fraîchement fouillée. « Vous nous avez demandé les pieds d’un accidenté. La recherche nous a fatigué », lâche le jeune homme. Il s’accroupit auprès de la tombe et enfouit sa main droite dans la terre et en ressort avec des os. « Nous avons creusé mes amis et moi dans la journée pour nous faciliter le travail », explique le jeune fossoyeur. En me tendant les os. Je n’eus point le courage de les saisir. Bien au contraire, à la vue de ces organes humains, la peur eut raison de moi. Mon sang fit un quart de tour. Je commence à trembler de tout mon corps. Pour la première fois je vois de mes yeux des os humains fraîchement déterrés. Une pensée me traverse l’esprit à l’instant. Suspendre l’enquête et me sauver. Je n’y peux rien. Je dois aller jusqu’au bout. Pour percer des mystères et révéler aux yeux de tous, l’existence d’un trafic macabre, amoral et immoral. « Dans quel monde sommes-nous ? Pour de l’argent, on est prêt à tout », dis-je intérieurement. « Le trafic des organes humains est un commerce pratiqué par des âmes sans foi ni loi, murmurai-je ». C’est au pas de course que nous remboursons chemin. Mon regard tombe sur un hôtel à proximité du cimetière. « Cet hôtel reçoit-il des clients », posai-je la question aux jeunes gens. « Bien sûr, il y des fois où il n’y pas de places ici. Tellement c’est fréquenté », lâche un des jeunes. Lorsque nous prenons le taxi de retour, il est presque 20 heures. Avant de nous séparer les jeunes gens nous font une doléance. « Si certaines personnes vous appellent, dites-leur que ce n’est plus la peine. Ne dites pas que vous nous avez vus. » Dans le taxi, mon compagnon fait la révélation que c’est en groupe de cinq qu’ils ont trouvé la tombe et ont déterré le corps. Mais au moment de prendre l’argent un groupe a préféré se faire payer à l’insu des autres jeunes.
Après cette découverte, nous décidons de chercher à comprendre le mystère des cimetières auprès des personnes versées dans les sciences occultes. Samedi 07 mars. Nous avons rendez-vous avec un célèbre marabout dans le quartier populaire de derrière rail dans la commune d’Abobo. Dans la villa où il nous reçoit M. Ouattara, marabout depuis vingt ans sourit à notre question de savoir si les cimetières et les morts possèdent des puissances. « Le pouvoir des cimetières est très large. A travers le cimetière, on fait beaucoup de choses. Les organes des morts, les plantes et même le sable … pris au cimetière entrent dans la confection de divers médicaments et talismans. Certaines personnes vont recueillir leur puissance à partir des cimetières pour guérir des malades, d’autres pour éviter des mauvais sorts etc. A travers les cadavres, les revenants, qui leur procurent des forces », nous confie-il. Au milieu de ses talismans. Selon lui le cimetière et l’esprit des morts sont des chemins pour nuire à son prochain ou acquérir certains pouvoirs surnaturels. A en croire le mystique, « ce monde du mystère est très large et dépasse l’entendement de l’homme. Même les herbes, les plantes qui sont au cimetière ont des puissances. Il suffit de déposer certaines choses au cimetière pour entrer en contact avec les esprits des morts qui vous parlent et vous indiquent le chemin pour enrichir ou guérir telle ou telle personne ». « Quelles choses peut-on déposer au cimetière pour acquérir la puissance », me questionnai-je ?

Pour confronter ses dires nous prenons attaches avec un sorcier guérisseur, maître Amani, spécialiste des anti-balles ( ?!) et des travaux de cimetières. Il dit communiquer en direct avec les génies qui lui indiquent les conduites à tenir. Il travaille tous les jours de la semaine, sauf le vendredi qui selon lui, est le jour saint de ses génies. Ainsi, le vendredi 13 mars, nous sommes à son cabinet. Il est 8 heures 15. Au milieu de ses médicaments à base de décoctions perchés sur les murs d’une construction inachevée, le mystique ne fait pas de mystère autour de la puissance des cimetières. « Les cimetières ont des puissances. C’est indéniable. Quand nous allons prendre ou enterrer des choses là bas la nuit, au retour, il y a des choses. Nous sentons par exemple des bruits de tôles, de tam tams, du vent qui nous…suivent. Ce qui atteste de la puissance des morts. Les morts savent qu’on est allé prendre des choses. Ils nous parlent. Ils ne nous font pas de mal parce qu’ils savent qu’on est allé prendre des choses mais pas pour faire du mal », explique cet ancien Karateka. Entre deux gorgées de vin rouge.

Ceux qui fréquentent les cimetières

Si le trafic des organes humains est une véritable activité pour des gens sans foi ni loi, elle est également multiforme. Une chose est sûre. Avec de l’argent, on peut se procurer tout ce que l’on désir avec les rats des cimetières. Le sexe, le crâne, les os, le linceul, etc. Un commerce dans lequel se sont spécialisées certaines personnes qui, dans bien de cas, ne travaillent même pas dans les cimetières. Qui sont devenus parfois trop vastes pour les gardiens. Surtout en l’absence de clôture. Ce qui fait qu’il y a plusieurs entrées. Toutes choses qui contrarient le travail des gardiens. « Les cimetières sont vastes. Il n’y a pas de clôture. Donc les gens peuvent passer où ils veulent pour avoir accès et opérer », explique N.M. au cimetière de Yopougon. Le mercredi 04 mars, nous sommes allés nous promener- dans le cadre de cette enquête- au cimetière de Yopougon. Curieusement, aucun garde ne nous a dit mot. Cela du fait de la contiguïté du cimetière et des habitations. C’est à peine si les jeunes gens des alentours ne jouent pas au football entre les tombes. Qui ne leur font plus peur. A juste titre, certaines sources indiquent que les cimetières d’Abidjan sont de véritables fumoirs. Ou encore le lieu privilégié des bandits pour partager leur butin. « Au moins, on est sûr de ne pas être surpris dans les cimetières. Surtout la nuit où tout le monde a peur d’y mettre les pieds », nous explique K. S, un ancien dur de la nuit, reconverti. Après plusieurs tours à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), il s’est assagi. Apparemment.

Aujourd’hui, avec la crise socio-économique sont nés des réseaux de profanateurs de tombes qui profitent du délaissement des cimetières. Sur leur liste il y a des hommes politiques, des guérisseurs, des cadres de tous ordres, même des femmes, à la recherche d`une ascension sociale. Ces âmes cupides, sans foi ni loi, sollicitent régulièrement des organes génitaux, la langue, le sang, les yeux, les phalanges de l’être humain, pour des besoins surnaturels. « Il y a quelque temps de cela lorsque j’allais nettoyer la tombe de mon père très tôt les matins, je rencontrais des hommes publiques bien connus au cimetière de Williamsville. Je ne sais pour quelle raison. Je ne dirai pas leurs noms, mais beaucoup se reconnaîtront dans ces propos », nous a confié un guide religieux sous le sceau de l’anonymat. En ce qui concerne les organes prélevés, ils seraient vendus à prix d’or. « Si c’est sur les cadavres nouvellement enterrés cela revient plus cher. Sinon les anciens cadavres, c’est moins. Les tarifs peuvent aller jusqu`à 250 mille fcfa », nous explique Ousmane au cimetière d’Abobo. Mais selon lui, les professionnels sont beaucoup plus chers et traiteraient avec les boss qui sont des gens nantis. « Nous avons des « vieux pères » qui sont allés en Europe après seulement trois ken (affaires, ndlr) de cadavre avec les personnes nanties », nous a expliqué notre interlocuteur.
Les clients viennent nombreux pour chercher ce qu’un guérisseur ou un sorcier leur a demandé pour soigner un mal, parvenir à leurs fins dans les domaines amoureux et professionnels ou encore réparer une offense. Souvent, ils font appel à des fossoyeurs pour se procurer des os ou des organes humains. « Des gens se sont apparemment spécialisés dans ce type de trafic, explique Mme Kouadio, riveraine du cimetière de Williamsville. Ils s’aventurent dans des cimetières et déterrent les corps de ceux qui n’ont pas de famille, des tombes sur lesquelles personne ne viendra se recueillir ». Des opérations macabres rendues possibles dans la mesure où les cimetières d’Abidjan et banlieue sont soumis à une surveillance moins accrue. Dans notre quête de vérifier l’existence de ce trafic, nous prenions attache le vendredi 06 mars dernier à 8 heures 20 mn avec un responsable de cimetière. Sur conseil de nos guides, nous nous sommes présentés comme un acheteur de crâne humain en vue d’un rituel.

Le trafic des organes humains, un commerce…

Carte sur table, notre interlocuteur avance la somme de 300 mille fcfa. Nous ne tombons pas d’accord. Je décide de me rabattre sur un jeune homme du coté de Yopougon. Grâce à un ami vivant à quelques encablures du cimetière. Là, les choses vont vite. Il me faut aller jusqu’au bout de mes investigations à l’effet de percer des mystères et surtout stigmatiser des dérapages sociales. Rendez-vous est pris pour le vendredi 13 mars à 16 heures. Nous arrivons devant le cimetière à 16 heures 45 mn. Selon les vœux de notre interlocuteur nous nous faisons passer pour des visiteurs qui veulent se recueillir sur la tombe d’un proche. Ni le gardien civil encore moins les deux agents des forces de l’ordre ne nous demandent quelque chose. Sous le chaud soleil, nous empruntons la voie qui divise les tombes chrétiennes et musulmanes. Notre interlocuteur nous rejoint après cinq minutes de marche. Du haut de son mètre soixante dix, son regard de fauve impose à première vue le respect. Habillé d’une chemise pagnes à manches courtes qui met en exergue un corps robuste endurci par les rudes épreuves au quotidien. Nous laissons la voie principale en direction des tombes fraîches. Après quelques minutes de recherche, notre gaillard qui est rejoint par un autre compagnon de taille moyenne avec des vêtements rapiécés et le pantalon remonté à la cuisse. Il a à l’épaule une daba. Très vite la tombe la mieux indiquée est repérée par le second qui semble connaître le cimetière comme sa paume. Muni de sa daba, il se mit à creuser. Au bout de cinq minutes, il atteint les bois de protection du cadavre. Un air glacial me traverse tout le corps. Comme ayant senti ma gène, l’un de nos compagnons prit peur. Et me demanda. « J’espère que cela ne va pas nous créer des problèmes. » Je lui répondis non. Sa crainte devient grande lorsque j’ai exigé que le reporter qui m’accompagne prenne la photo du corps. Je les rassure en leur disant que mon patron est exigeant et qu’il voudrait voir les preuves de ce qu’on a vraiment déterré les organes d’un mort. Rassuré, l’exhumation peut se poursuivre. Un coup de daba fracasse la planche de protection du cadavre. Un des membres du cadavre apparaît dans un silence de cimetière. Notre reporter photographe en profite pour faire des photos. Lorsque les deux fossoyeurs descendirent dans la tombe pour mettre le cadavre plein d’asticots avec un liquide gluant qui coulait de la bouche d’où sortaient des bêtes immondes, hors du trou. Mon preneur d’images et mois ne pouvions contenir notre peur. En détalant mes jambes ont fini par le lâcher. Tout se mélangeant dans le boubou que je portais, je me suis même écroulé de tout mon long. Avec la poussière. Ce qui n’a pas manqué de marrer les deux fossoyeurs. Une dizaine de mètres plus loin, je rattrape le reporter qui tremblait pour sa part comme une feuille morte. Voulant coûte que coûte poursuivre l’investigation, après avoir repris nos esprits, je le tiens par la main pour retourner auprès de la tombe. A notre arrivée, l’un des fossoyeurs enlève une lame de sa poche puis attrape le linceul qu’il se met à déchirer. Mettant en exergue toute la laideur du cadavre en pleine putrefaction. A cet instant précis, je sentis la terre disparaître sous mes pieds. Comme pris d’un vertige, je manque de tomber à la renverse. Le reporter photo avait du mal à ajuster sa prise. Sa main tremblait à l’image d’un môme terrassé par une crise de paludisme. Comme si de rien n’était, notre fossoyeur du jour nous demande la partie du cadavre nous intéressant. D’une voix à peine audible, après avoir repris nos esprits, nous lui demandons plutôt un morceau de linceul et des cheveux. Il se mit à couper le tissu jauni par la terre. « Vous voulez gros ou petit morceau », nous interroge t-il. « Tout juste un morceau de linceul et des cheveux», lui répondis-je. Lorsqu’il arrive sur le crâne, une grosse envie de rendre sur le champ, s’empare de moi à la vue de la salive et du liquide jaunâtre qui sortait de la bouche du mort mélangé aux asticots. Après avoir emballé les cheveux gris dans le morceau de linceul, les deux compagnons redescendent le corps dans la tombe et l’ensevelissent .Ce qu’ils firent en quelques secondes. Nous glissons les 30 mille FCFA aux fossoyeurs comme convenu. « N’avez-vous pas peur de faire ce travail », lui demandai-je. « On est habitué. Mais souvent il faut boire ou prendre des substances pour pouvoir résister », lâche l’un de nos interlocuteurs. Avant de nous apprendre que le corps qui venait d’être exhumé, a été enterré il y a six jours. Après quelques mètres de marche ensemble, ils prirent un autre chemin comme ils étaient venus. Ni vu, ni connu. Lorsque nous traversons la grande entrée du cimetière, il est 17 heures 26. Toute la nuit, la scène de cruauté m’empêcha de dormir. A chaque instant je revoyais ce film horrible de l’exhumation. Je compris alors qu’il urge pour les maires et le district d’Abidjan de renforcer la sécurité des cimetières dans le district d’Abidjan.

Abou Traoré
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