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Politique Publié le mardi 12 mai 2009 | Notre Voie

Traoré Amadou dit Le Puissant: “Moi, membre fondateur du FPI”

Ils étaient quatre dans une chambre d’étudiant à Strasbourg (France), à jeter les bases de ce qui allait être plus tard, le Front populaire ivoirien. Dans cette bande de quatre étudiants, Traoré Amadou alias Traoré Le Puissant est celui que les militants du FPI ( parti au pouvoir) n’ont sûrement jamais vu. De passage à Abidjan pour assister sa mère malade, Traoré Le Puissant a été retrouvé par Laurent Gbagbo et par … Notre Voie. Il a accepté de nous ouvrir son livre des souvenirs dans la palpitante histoire du FPI. Interview.

Notre Voie : Monsieur Traoré, de passage en Côte d’Ivoire, chez vous, depuis quelques jours, vous avez rencontré le président Gbagbo, votre vieux compagnon de lutte. Quelles impressions tirez-vous de ces retrouvailles ?

Traoré Amadou Le Puissant : (Silence) J’étais au bord des larmes. J’étais ému. Je suis ému d’avoir retrouvé l’homme, Laurent Gbagbo, mon camarade de lutte, aujourd’hui président de la République. Je me suis automatiquement souvenu des durs moments, des débuts de notre lutte où l’on ne nous faisait aucun cadeau. Des moments terribles passés avec en face, des adversaires qui n’étaient pas des enfants de chœur. Alors, après tout cela, revoir Laurent Gbagbo à la présidence aujourd’hui, donne forcément des frissons.


N.V : Il y a aussi que vous ne vous êtes plus revus, semble-t-il, depuis très longtemps ?

T.A : Oui, exactement quarante ans. Nous ne nous voyions plus depuis 40 ans.


N.V. : Où étiez-vous passé ?

T.A. : (Rire) J’ai toujours demeuré dans la clandestinité !


N.V. : Comme si la lutte n’était pas encore terminée ?

T.A. : Non, la lutte n’est pas terminée. Même aujourd’hui encore, notre lutte n’est pas terminée…


N.V. : Mais entre-temps, il y a eu le multipartisme en 1990. Pourquoi n’êtes-vous pas sorti de la clandestinité comme tout le monde ?

T.A. : Oui, il y a eu le multipartisme en 1990, on m’a même sollicité pour occuper des postes ministériels en Côte d’Ivoire…


N.V. : Qui vous a sollicité ?

T.A. : Mais, les gens du PDCI, l’ancien parti unique au pouvoir ! Et j’ai refusé parce que le multipartisme, pour moi, n’était qu’une étape dans notre lutte. De plus, je tenais à ce serment que nous avions fait à Strasbourg et que nous appelions “Le Serment des Quatre de Strasbourg”.


N.V. : Quels ont été les premiers mots échangés en revoyant le président Gbagbo ?

T.A. : Dès qu’il m’a vu, il a crié “Traoré Le Puissant !” et s’est jeté dans mes bras. Moi, j’étais ému. Il n’a pas changé, l’homme Gbagbo. Il n’a pas oublié mon nom de guerre, Le Puissant. Dans la clandestinité, chacun de nous avait un petit nom, un nom de guerre (rires). Alors, moi, j’ai crié “Monsieur le Président !”.


N.V. : Dans les milieux du Front populaire ivoirien, chaque fois que le président Gbagbo veut revisiter l’histoire de son parti, votre nom, Traoré Le Puissant, revient constamment…

T.A. : Oui, parce que ce nom renvoie à des moments très forts. Mais, en réalité, je m’appelle Traoré Amadou. Amadou est mon prénom et Traoré est mon nom, à l’état civil. Mes parents sont de la sous-préfecture de Tienko, département d’Odienné, au Nord-Ouest de la Côte d’Ivoire, mais je suis né à Treichville.


N.V. : Pourquoi “Le Puissant” comme nom de guerre dans la clandestinité ?

T.A. : Sûrement parce que parmi les quatre qui avions fait le serment de Strasbourg, j’étais le plus bouillant ! On m’appelait aussi “Manogo”, le poisson insaisissable. Vous savez, le président Gbagbo a une mémoire d’éléphant. Il y a des détails de cette lutte que moi j’ai oubliés mais lui, il s’en souvient toujours et me les a rappelés.


N.V. : Parlons donc de ce point de départ qu’est Strasbourg. C’est de cette ville “Carrefour européen” de France que, semble-t-il, tout est parti avec la bande des quatre…

T.A. : Oui, vous avez raison. Notre lutte est partie de la réunion de la bande des quatre. Cette réunion s’est déroulée dans ma chambre d’étudiant, une chambre qui n’était même pas bien chauffée (rires). Il y faisait très froid…


N.V. : C’était quoi l’ordre du jour de cette réunion ?

T.A. : Faire quelque chose pour la dignité de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique.


N.V. : Quels étaient les membres de la bande des quatre ?

T.A. : Il y avait Laurent Gbagbo, Assoa Adou, Bernard Zadi Zaourou et moi-même, Traoré Amadou Le Puissant. Nous étions quatre.


N.V. : Et vous avez fait, autour de cet ordre du jour, un serment. C’était quoi le serment de Strasbourg ?

T.A. : Le serment de Strasbourg, c’était ceci : “Quoiqu’il arrive à chacun d’entre nous, celui qui demeure en vie, même s’il est tout seul, doit tout faire pour conquérir le pouvoir d’Etat et changer la Côte d’Ivoire”.


N.V. : De quels moyens d’action disposiez-vous au moment où vous faisiez ce terrible serment ?

T.A. : Nous n’avions à cette époque qu’un seul moyen d’action, notre sacrée foi en la lutte. Nous avions, depuis le début, la foi de notre combat, une foi immense et implacable. Et cela est vrai puisque cette foi nous a conduits au pouvoir. Laurent Gbagbo a respecté notre serment. Il l’a appliqué sans jamais dévier et nous avons gagné. Mais à présent, la lutte doit continuer. Elle n’est pas terminée.


N.V. : Quel est le regard que vous jetez sur ce parcours vers la prise du pouvoir ?

T.A. : Cette lutte a été très dure, mais je crois que c’est le président Gbagbo qui a eu la meilleure formule pour la résumer. Il m’a dit : “Ah, Traoré Le Puissant, nous avions commencé à quatre mais aujourd’hui, si tu vois tous ceux qui se réclament du Front populaire !”. C’est ça. On a démarré à quatre, au départ en 1969-1970 et on est des millions à y croire aujourd’hui.


N.V. : Vous étiez, tous les quatre, des étudiants ?

T.A. : Nous étions tous des étudiants…


N.V. : Et vous aviez projeté de conquérir le pouvoir d’Etat quoi qu’il arrive…

T.A. : Exactement ! Quoi qu’il arrive ; même s’il ne restait qu’un seul vivant, celui-ci devait tout mettre en œuvre pour prendre le pouvoir.


N.V. : Monsieur Traoré, votre serment, reconnaissez-le, donne froid dans le dos. A cette époque, l’Afrique connaissait déjà ses coups d’Etat et vous étiez face à un féroce régime comme celui d’Houphouet-Boigny. Comptiez-vous le renverser aussi par un coup d’Etat ou une rébellion ?

T.A. : Mais non ! Nous, à cette époque, nous avions un grand dessein pour notre pays et pour l’Afrique : la santé pour tous, l’école et la formation pour tous, la démocratie pour la Côte d’Ivoire, l’indépendance totale pour notre pays. Non, ce dessein-là ne cohabite pas avec la violence et les armes. Nous voulions être indépendants et maîtres chez nous. Nous voulions que l’Occident cesse de nous dicter ce que nous devrions faire. Or, si vous observez bien, vous vous rendrez compte que ceux qui prenaient le pouvoir par les armes et par les coups d’Etat étaient toujours - ils le sont encore de nos jours - des gens manipulés, des marionnettes. Leur rôle était plutôt d’éliminer les dignes fils de l’Afrique. Non, nous ne cherchions pas le pouvoir par la violence mais par la démocratie.


N.V. : Oui, mais Monsieur Traoré Le Puissant, en face, il y avait Houphouet et le PDCI tout puissant…

T.A. : (Rires) Ah, quel jeu de mots ! Traoré Le Puissant, le PDCI tout puissant (rires)…


N.V. : Alors, pour déboulonner un tel pouvoir, quelles étaient vos armes secrètes, vous les quatre étudiants de Strasbourg ?

T.A. : Disons que nous avions considéré que nos meilleures armes, c’étaient la formation et la sensibilisation. D’abord, nous avions créé les cellules de formations politique et idéologique. Nous étions formés au Marxisme-Léninisme. Nous avions lu Mao Tse Toung, Karl Max, Engel, Ho Chi Min, etc. Nous avions suivi toutes les formations complètes et appris les théories pour la conquête du pouvoir. Ça, c’est une arme plus redoutable que les fusils et les coups d’Etat. De plus, c’est une arme positive, intellectuelle.


N.V. : Mais après, il fallait aller vers les autres, les sensibiliser et arracher leur adhésion…

T.A. : Et là aussi, ça a été très dur. Vous savez, à l’époque, on se prenait pour des communistes et moi, j’avais ma barbe. Dans ces conditions, on vous arrête tout de suite dès que vous débarquez à l’aéroport d’Abidjan. En Côte d’Ivoire comme en France, le pourvoir PDCI vous faisait suivre par des espions, partout. Il fallait les démasquer et poursuivre la lutte.


N.V. : De 1982 à 1988, le président Gbagbo est contraint à l’exil en France. Qu’avez-vous fait pendant cette période de six ans ?

T.A. : Au niveau de l’Europe, notre objectif était de démontrer qu’il n’y avait ni la liberté d’expression ni la démocratie en Côte d’Ivoire. Nous avions organisé beaucoup de conférences publiques et de campagne dans les médias proches de nous, la presse de Gauche. Nous avons mis à nu les dérives du pouvoir en place, pouvoir soutenu par l’ancienne puissance coloniale. Mais notre lutte embrassait un univers plus large, partant de la Côte d’Ivoire à l’Afrique du Sud de l’Apartheid, en passant par la lutte pour les indépendances dans les colonies portugaises comme la Guinée Bissau, l’Angola, le Mozambique, etc.


N.V. : En 1988, votre leader, le camarade Laurent Gbagbo met fin à son exil en France et rentre au pays. Quels souvenirs gardez-vous de ce retour au bercail ?

T.A. : Ecoutez, nous avions déjà obtenu quelques résultats flatteurs en Occident. Il fallait donc transposer le combat sur place en Côte d’Ivoire. Il fallait le faire tôt ou tard. Le retour de Laurent Gbagbo sonnait l’amorce de la lutte sur le terrain. Il fallait courir le risque. Il fallait à tout prix appliquer notre serment, le serment de Strasbourg.


N.V. : Alors qu’est-il resté vraiment de ce serment quand on sait que dès la proclamation du multipartisme, Assoa Adou rallie le Parti ivoirien des travailleurs (PIT) de Francis Wodié, Zadi Zaourou crée son propre parti et vous même, vous restez en France ?

T.A. : Pour être franc, disons que le serment de Strasbourg a vacillé mais il ne s’était pas éteint. N’oubliez surtout pas qu’on s’est dit que même s’il ne restait qu’un seul individu dans la bande des quatre, celui-ci devait continuer le combat. De toutes les façons, vous constatez avec moi qu’en dehors de Zadi Zaourou, nous, les trois autres, sommes là. Les faiblesses du parcours font partie aussi de la palpitante histoire.


N.V. : Mais vous, on ne vous a pas vu pendant ces moments de faiblesses. Où étiez-vous passé ?

T.A. : Merci de cette question. Moi, j’ai continué mon combat au niveau de l’Europe et les autres le savent. Il fallait continuer à influencer les opinions en Occident et c’est ce que j’ai fait jusqu’aujourd’hui, humblement.


N.V. : Le 30 avril 1990, le multipartisme est proclamé en Côte d’Ivoire…

T.A. : Bon Dieu ! C’était le jour le plus heureux de ma vie dans cette lutte. C’est en rencontrant le président Gbagbo au Palais présidentiel, mercredi 6 mai dernier, que j’ai encore ressenti une telle sensation de joie.


N.V. : En octobre 2000, Laurent Gbagbo gagne les élections en Côte d’Ivoire…

T.A. : Bon, là j’ai de la joie, mais une joie teintée d’inquiétudes. Le jour de gloire était arrivé, mais personne ne pouvait cerner les réactions des adversaires, à commencer par le chef de la junte militaire, le général Robert Guéi, battu. Et les événements que vit le pays de nos jours m’ont donné raison.


N.V. : Après 18 mois de pouvoir, le régime de votre camarade de lutte a été attaqué par une rébellion. Quelle a été votre sentiment ?

T.A. : En toute sincérité, j’ai été surpris et choqué. J’imaginais toutes sortes d’adversité pour Laurent Gbagbo et le FPI, sauf la guerre. Je ne croyais pas des Ivoiriens capables de déclarer la guerre à leur pays, mais j’ai tout compris au développement des événements : cette attaque a été orchestrée, planifiée et exécutée de l’extérieur, avec des financements venus de l’extérieur.
On voulait tuer le régime naissant dans l’œuf, pour sauvegarder certains intérêts politico-économiques. Heureusement que nos camarades tiennent encore bon.
Le Bon Dieu reste de notre côté (rires).


Interview réalisée par César Etou
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