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Économie Publié le samedi 16 mai 2009 | Nord-Sud

Alassane Salif Ndiaye (S.G Udpci) : “Le Fpi est responsable de la grande misère ambiante”

Qui a entraîné les Ivoiriens dans la pauvreté ? «La gouvernance est tellement approximative que ceux qui sont au pouvoir pensent beaucoup plus à leur ventre qu`aux populations», répond le professeur Alassane Salif N`Diaye, secrétaire général de l`Union pour la démocratie et la paix (UDPCI).


•La misère est en train d`engloutir les Ivoiriens. Les derniers chiffres avancés par le ministère du Plan établissent le taux de pénétration de la pauvreté à 48,9%. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?

Ce sombre tableau ne m`étonne pas. C`est la suite logique de la gestion catastrophique du monde depuis quelques décennies. Une partie nage dans l`opulence, généralement en puisant dans les ressources publiques, pendant que l`autre partie navigue dans la déshérence. La conséquence est qu`aujourd`hui, nous nous rendons compte que la pauvreté s`installe. Mais, lorsqu`on fait une analyse, l`on s`aperçoit rapidement que la pauvreté ne se trouve nulle part ailleurs que dans ce que l`on a appelé le tiers-monde. Les raisons en sont très simples. Première raison, dans ces pays du tiers-monde, nous n`avons pas pu privilégier l`école et la recherche qui devaient aboutir à l`industrialisation. Deuxième raison, c`est l`égoïsme de ceux qui depuis des décennies ont profité des richesses de nos terres et des richesses de nos sous-sol, et qui avaient eux la science et la technologie de les transformer pour les valoriser. Ces gens sont restés dans la société des loisirs alors qu`ils avaient la responsabilité de nous sortir de là par l`innovation et le goût du travail.


•Ce que vous venez de faire ressemble à un diagnostic au niveau global. Sans doute un excellent cours magistral mais l`on serait plus édifié si l`analyse est ramenée à nos spécificités intérieures.

Je dois rappeler que nous appartenons à un ensemble. Ce qui se passe en interne chez nous, est pratiquement similaire à ce qui se passe partout dans les pays africains. Cette pauvreté-là, je vous en ai donné des raisons. Mais, il y en a d`autres. Elles tirent toutes leurs sources dans la mal gouvernance.

Je veux insinuer que dans la plupart de nos pays, la gouvernance est tellement approximative que ceux qui sont au pouvoir pensent beaucoup plus à leur ventre qu`à distribuer rationnellement et équitablement les ressources de l`Etat. Les nouveaux riches, c`est dans nos régions du tiers-monde qu`on en parle. La corruption, elle est devenue pratiquement un système de gouvernance. Je ne vous parle pas du racket. Mais tout cela est coiffé par le fait que l`Etat est faible. Mon avis est que l`Etat n`a pas d`autorité parce que le dispositif pour enrayer ce genre de situations existe et devrait être actionné. Je veux parler tout simplement des problèmes d`impunité.


•Vous semblez en désaccord avec les méthodes de gestion actuelles de la chose publique. Mais les gouvernants répondent qu`ils sont victimes de la crise qui peut constituer un terreau fertile à tous les déséquilibres structurels. Un tel argumentaire peut-il vous assagir ?

Je voudrais rendre gloire à Dieu. En Côte d`Ivoire, la guerre n`a pas duré plus d`un an. Lorsqu`on fait un petit retour entre 2000 et 2002, c`est-à-dire avant les affrontements militaires, les tares que je viens de stigmatiser avaient commencé déjà à s`enraciner. Je ne nie pas que le contexte nouveau qui s`est présenté ait pu amplifier les choses mais de là à transformer cette guerre éphémère en un abri, c`est proprement inapproprié. Partout, on brandit la guerre et on veut tout lui imputer. On veut la prendre pour cacher les carences. Je dois dire que ce n`est ni sain, ni responsable. Vous conviendrez avec moi que malgré la brièveté de la guerre, ça continue. La misère ne s`arrête pas. C`est parce qu`un système a été mis en place où l`Etat n`existe pas. Du moins, il n`a pas de prérogatives, encore moins l`autorité suffisante pour empêcher que les lois républicaines soient bafouillées. Ne m`emmenez pas à vous dire ce qui se passe dans notre justice. Ne me contraignez pas à vous exposer ce qui se passe dans nos transports. Ne me force pas à revenir sur ce qui se passe au niveau des examens, dans nos écoles dont la plus prestigieuse était l`Ecole nationale d`administration (Ena). Ne parlons pas de ce qui se passe dans les admissions à l`école de police, à l`école de gendarmerie. Il serait malveillant de faire porter le chapeau de tous ces dysfonctionnements créés de toutes pièces à la guerre d`autant que la même chose se passait de 2000 à 2002. Bon Dieu, je refuse la fuite en avant.


•C`est bizarre mais, la misère, vous la liez à la dégénerescence morale et surtout à la mauvaise qualité de la formation. Qu`auriez-vous fait si vous étiez aux affaires ?

La bonne formation, j`ai fait cela entre 1986 et 1993. J`ai créé avec le Premier ministre de l`époque, l`université d`Abobo-Adjamé et l`université de Bouaké. Nous encouragions les enfants à aller à l`école. A cette époque-là, nous avons dégraissé la fonction publique car nous avions trop de fonctionnaires qui, souvent même, étaient fictifs. Oui, si j`étais aux affaires, c`est ce que j`aurais poursuivi. J`aurais emmené les enfants à l`école. J`aurais dit aux enfants que c`est par le travail qu`ils peuvent réussir. J`aurais dit à tout fonctionnaire de faire son travail. J`aurais dit aux forces de l`ordre de veiller à la sécurité des citoyens et leur bien-être. Si j`étais aux affaires, j`aurais dit aux civils de ne pas avoir peur de la tenue d`un militaire, d`un policier ou d`un gendarme parce que son rôle est d`assurer la sécurité, la sérénité. Au fait, si j`étais au pouvoir, j`aurais pris l`argent du pays pour réhabiliter les infrastructures du pays. Quand on parcourt la Côte d`Ivoire d`aujourd`hui, on se pose des questions : Où passe l`argent des milliers de barils de pétrole produits par jour sur nos plateformes ? Où va l`argent du gaz, du café ou du cacao ? Que fait-on pour le petit paysan du Nord qui plante son anacarde et son coton ? En fait, si j`étais au pouvoir, j`allais instaurer la bonne gouvernance et faire la promotion de l`excellence. Malheureusement, quand on se surprend à regarder notre télévision nationale, à écouter notre radio qui sont financées par le contribuable, on remarque qu`on ne fait que l`apologie des inconnus qui, parait-il aujourd`hui, sont au pouvoir.


•En clair, la responsabilité, dites-vous, incombe à ceux qui sont au pouvoir aujourd`hui ?

Si nous en sommes là aujourd`hui, les responsables c`est ceux qui sont à la grande tête de l`Etat. Ils sont comptables de la misère ambiante.


•Il y a aussi le surendettement qui fait partie de l`héritage des années 1986 à 1993... mais aussi de l`ère du général Robert Guéi que vous incarnez également…

Je vous apprends que le pays le plus endetté du monde s`appelle les Etats-Unis? Ils ne sont pas Pays pauvre très endetté (PPTE). C`est parce que dans le monde mondialisé, dans le monde globalisé on a besoin de ce transfert de fonds. Il est nécessaire pour l`investissement. Autant dire que pour le développement, on est obligé de s`endetter. Mais on rembourse les dettes par la bonne gouvernance.


•Mais, ils disent qu`ils sont en train de payer les vieilles dettes qui ont résulté des écarts de gestion que vous avez faits…

C`est de bonne guerre en politique. Ils disent qu`ils sont en train de payer ce que nous avons pris comme dette, mais ils n`ont pas dit ce qu`ils ont pris comme dette en 7 ans. L`Etat est une continuité. Dans quelques temps, quand nous reviendrons au pouvoir, nous n`allons pas crier sur tous les toits que l`Etat est endetté. Nous savons qu`ils ont pris de l`argent, mais qu`ils n`ont pas construit le pays. Si nous faisons preuve d`objectivité et d`honnêteté, nous devons tous reconnaître que les dettes qui ont été contractées dans les années 1990-1995, ont servi à quelque chose. C`est à cette période-là qu`on disait de la Côte d`Ivoire qu`elle avait le meilleur réseau routier de l`Afrique au Sud du Sahara. C`est sous notre gouvernance, que la Côte d`Ivoire avait des hôtels qui ont fait que le tourisme prospérait un peu. C`est sous notre gouvernance que les Grandes écoles ont été construites. C`est la dette, c`est l`argent qui nous été prêté qui a permis de faire tout cela en plus de nos ressources propres.


•Mais c`est aussi sous votre gouvernance qu`il y a eu les programmes d`ajustement structurels qui ont marqué le début de la déshérence économique ?

Les ajustements structurels c`est aussi la Côte d`Ivoire. Je vous rappelle que de façon globale, l`ajustement structurel n`est pas collé à la Côte d`Ivoire. L`ajustement structurel a touché tous les pays. C`est ce qui est notre premier point de départ. Mais les gens utilisent nos ressources, à la limite nos intelligences dans des sociétés dites de loisirs pendant que nous nous enfonçons dans la société de déshérence. L`ajustement structurel est un programme de la Banque mondiale et ça ne concernait pas que la Côte d`Ivoire. C`est valable pour le Sénégal, le Tchad. Même l`Afrique du Sud a connu l`ajustement structurel. Les gens ont pensé toujours dans leurs propres intérêts et nous avons géré l`ajustement structurel avec responsabilité.


•Avec l`atteinte du point de décision, tout le monde se plaît à penser que la Côte d`Ivoire repart du bon pied. Partagez-vous cet optimisme ?

Précisons d`abord que nous ne sommes pas encore éligibles au Ppte. Certes, l`option est bonne mais il est exagéré de se mettre à s`exciter et à jubiler de la sorte. Nous sommes heureux de savoir qu`on est parmi les pays pauvres très endettés. On n`a pas encore l`argent mais même lorsqu`on l`aura, ce sera mis dans des créneaux bien précis pour nous apprendre où apprendre à nos gouvernants qu`on ne fait pas ce qu`on veut avec l`argent de la communauté internationale. L`argent du Ppte est ciblé. Il est destiné à la santé, l`éducation, les infrastructures. Si nous en sommes arrivés à attendre la solidarité internationale, c`est parce que la santé est dans un état piteux. L`école est pratiquement moribonde si elle n`est pas morte.


•Vous parlez de mise en ordre de tout le système. Le Ppte est-il la panacée pour régler les problèmes induits par la pauvreté ?

Vous devez à quelqu`un et la personne dit qu`au lieu de lui rembourser cet argent, il faut construire des écoles, des routes etc. Si ce plan-là est appliqué, le Ppte peut être une panacée. Maintenant, l`argent qui doit être remboursé, on suivra sa destination. Or depuis quelques temps, on ne sait pas où va l`argent de la Côte d`Ivoire.


•Des études montrent que la misère grandissante est la conséquence du déficit d`emplois. Comment doit-on faire pour activer le système de production ?

Il faut faire revenir les investisseurs en Côte d`Ivoire. Pour que cela se fasse, il faut que nous ayons un Etat. Et l`Etat, c`est la justice, c`est l`administration. C`est tout ce qui est loin des pots de vin, du racket pour avoir un petit papier, etc. Le monde est globalisé. Cela signifie que ce qui se passe ici, dans notre petite Côte d`Ivoire-là, est su du monde entier.

Alors pour mettre tout ça en ordre, il faut un gouvernement légal, un président de la République légitime. Il faut que l`Etat se mette à fonctionner, que l`Etat s`impose dans la gestion d`un pays. En définitive, il faut que l`Etat retrouve son autorité et que toutes les dérives cessent.


•Quand vous circulez en ville que vous voyez les populations manifester contre la pauvreté, quel sentiment cela vous inspire ? Est-ce que vous n`éprouvez pas de la honte en tant qu`acteur politique ?

Je suis effectivement honteux en tant qu`acteur politique. Quand je dis que j`ai honte, il faut que l`écho porte. Quand les gens sortent et disent « on a faim » et qu`on les tue à la Kalachnikov, qui peut être aussi outré que moi, responsable politique ? Ce n`est pas seulement le responsable politique, c`est le peuple qui réagit. J`ai honte des ordures, j`ai honte de la mendicité sur toutes les artères d`Abidjan. Oui, j`ai honte. Parce que la Côte d`Ivoire a trop de compétences, trop d`expertise, trop d`expérience pour que nous en soyons-là, dans la pauvreté et la misère.

Interview réalisée par Lanciné Bakayoko
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