Sorcellerie ? : Le médecin reçoit des menaces de mort, son véhicule fait tonneau

Sorcier ? Nana S., cet ouvrier agricole de 55 ans qui flotte dans son boubou est loin de passer aux aveux. Il a été trainé d'Aboisso à Abidjan pour menace de mort sur un médecin: « Moi, un vieux avec six enfants, qu'est ce que je peux lui (le médecin) faire ? », explique-t-il ce 5 juin au juge des flagrants délits du Plateau. Le Dr Allé Felix, le plaignant, se tient auprès de lui. Il est beaucoup plus jeune. Il explique les motifs de sa plainte. Son cousin Claude qui a embauché Nana S., dans sa plantation lui devait la somme de 250.000 Fcfa. Mais plutôt que d'encaisser celui-ci, c'est à lui que le travailleur agricole vient réclamer son dû. Au motif qu'il est le nouveau propriétaire de la plantation. Vu qu'il refusait de payer la somme, Nana S., lui aurait dit au téléphone qu'il allait « se tuer lui-même ». Quelques heures après, Allé Félix fait tonneau dans sa voiture, plus précisément le 9 mai à 17 heures, sur la corniche. Coïncidence malheureuse ou acte de sorcellerie ? Le médecin ne se pose pas mille questions, il traduit le planteur en justice pour menace de mort. A la barre, le médecin veut requalifier les faits de sorcellerie. Trois faits fondent son jugement. D'abord, le numéro sur lequel Nana l'a appelé, selon lui, est un numéro secret qu'il ne donne à personne, à part ses intimes. Comment Nana a-t-il pu l'avoir ? Ensuite, le coup de fil était assez matinal : 7h 38 mn. Pourquoi un tel moment de la journée pour réclamer de l'argent à quelqu'un ? Enfin, les propos du planteur : « Il m'a dit au téléphone : tu n'as pas plus d'un an à vivre », explique le Dr Allé. Ce coup de fil a été effectué le 7 mai. Le samedi suivant, le médecin manque d'un doigt de casser la pipe. Mais le procureur n'est focalisé que sur les faits de menace de mort. Il demande au plaignant les preuves. Le Dr Allé estime que le planteur l'a appelé pendant 300 secondes et que cela a été vérifié par l'instruction. Nana, estime-t-il, n'a pas pu réclamer son argent pendant tout ce temps. Il faisait autre chose : des menaces de mort. Le prévenu se défend dans un français pénible: « Je lui ai seulement demandé de me payer mon argent. Il a refusé, j'ai donc dit que je laissais pour moi à Dieu ». Le juge demande au toubib s'il essaye d'établir un lien entre le coup de fil de Nana S. et son accident. Le Dr Allé : « Je crois savoir que la justice ivoirienne a condamné des gens pour des faits de sorcellerie(…) je crois au mysticisme ». Le procureur lui rappelle que la sorcellerie est certes punie par la loi mais qu'elle a besoin d'être prouvée. Il ajoute que les sorciers qui sont généralement reconnus comme tels font des aveux, ou laissent des preuves indéniables, ce qui n'est pas le cas de Nana. Le plaignant a non seulement été incapable de produire des preuves, mais il n'a pu brandir de témoins. A l'avocat de Nana d'être surpris : c'est assez paradoxal, dit-il, pour un médecin qui se doit d'être cartésien. « Chaque fois que vous opérez quelqu'un êtes-vous pour autant un sorcier ? M. le juge, libérez Nana pour qu'il retourne nourrir sa famille », plaide-t-il. Le planteur a été relaxé pour délit non établi.

Raphaël Tanoh