L'Abamssadeur français André Janier, a fini sa carrière en Côte d'Ivoire. Le diplomate français a en effet quitté Abidjan, dimanche dernier, après une longue interview accordée à la Rti 1ère Chaîne. Au cours de cet ultime entretien, il a fait le tour des questions d'actualité en Côte d'Ivoire. La sortie de crise, la date, la tenue probable et la sécurisation des élections, le réchauffement des relations entre la France et la Côte d'Ivoire, ses relations avec les leaders politiques ivoiriens, avec la presse nationale, les perspectives de relance économique et du développement à la fin de la crise, etc, tout a été passé au crible.
Dialogue direct
D'abord, bravo aux deux parties et enfin à tous les Ivoiriens qui s'approprient le processus de sortie de crise. Et il n'y avait pas d'autres solutions que pour résoudre un problème, les acteurs de ce problème décident de dialoguer entre eux. Et décident d'essayer de le résoudre. La France n'a jamais été associée, nous n'avons jamais dit que nous regrettions de ne pas être associés. Nous avons suivi cela et nous accompagnons. Donc premièrement, nous n'avons jamais regretté publiquement de ne pas être associé. Nous n'avons jamais fait de forcing pour être associés. Nous nous sommes toujours efforcés de ne pas intervenir. Pour ne pas ni phagocyter, ni saboter le processus. Et troisièmement, je me souviens que quelque part, je l'ai vécu sur le terrain. Le jour même de la signature de l'accord de Ouagadougou, le gouvernement français a publié un communiqué, saluant la signature de l'accord de Ouagadougou. Applaudissant et se réjouissant de ce que cet accord ait eu lieu, et en encourageant les Ivoiriens à travailler sur la base de cet accord. Si vous observez l'application de l'accord de Ouagadougou, je vous demande de me citer une seule fois où la France est intervenue pour empêcher l'application de cet accord.
Les résolutions de l'Onu
Les résolutions étaient toutes à l'initiative de la France mais je vous rappelle qu'elles ont été adoptées à l'unanimité des membres du conseil de sécurité. Quinze (15) membres unanimes. Jamais une réserve, jamais un veto. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Chine et la Russie n'ont pas mis leur veto. L'Afrique du Sud qui est au Conseil de sécurité ces dernières années ne s'est jamais abstenue. Cela veut dire que le contenu de ces résolutions avait été approuvé de bonne foi par l'ensemble des quinze (15) membres du Conseil de sécurité parce qu'à l'époque, je n'y étais pas. Mais à l'époque, ils ont jugé qu'il faut faciliter, encourager et accompagner la sortie de crise en Côte d'Ivoire et que c'était la voie à suivre. Il y a eu à juste titre l'accord de Ouagadougou qui est la conclusion du dialogue direct. Et les 15 membres du Conseil de sécurité ont unanimement approuvé l'accord de Ouagadougou et de la même façon, ont encouragé toutes les parties ivoiriennes à l'appliquer de bonne foi. Peut-être que, comme l'expérience le prouve, la solution de la crise était en provenance des Ivoiriens. Et que c'était à eux de prendre leur responsabilité et de composer (avec le mal) pour proposer un règlement. A l'époque, c'était impossible. Les deux principaux protagonistes ne se parlaient pas à l'époque. Ne communiquaient pas sur la situation et c'était complètement bloqué. S'il n'y avait pas eu l'accord de Ouagadougou, le pays serait aujourd'hui encore coupé en deux. Les deux protagonistes ont instauré un dialogue. Ils disent qu'ils se sont mis d'accord pour se parler entre eux et pour essayer de construire entre eux le processus de sortie de crise. Je ne crois pas qu'il faille critiquer la communauté internationale. Elle, elle était de bonne foi et dans de bonnes dispositions. A l'époque, on disait, puisqu'ils ne se parlent pas, il faut trouver une solution pour aider les Ivoiriens à sortir de leur crise. Ce n'était pas nécessairement la meilleure mais ce n'était pas non plus la plus mauvaise parce qu'il fallait trouver quelque chose, proposer quelque chose. Aujourd'hui, l'accord politique de Ouaga a eu lieu, il y a eu des accords complémentaires, la situation s'est beaucoup améliorée et a progressé sur le terrain. Je suis logique et ce médicament était mauvais (parce que) mais il a contribué en tout cas, j'espère qu'il aura contribué largement à apaiser la douleur et à redonner de la rigueur au peuple ivoirien.
Les résolutions sur la Côte d'Ivoire
A l'époque, avant l'accord de Ouagadougou, le chef de l'Etat ne pouvait pas appliquer toutes ses prérogatives sur l'ensemble du territoire, ces prérogatives lui étaient accordées par la constitution, mais il ne pouvait pas les appliquer. A Bouaké, l'administration du territoire lui échappait. Ce que la communauté internationale a essayé de faire c'est de confier la gestion non pas de la direction du gouvernement de l'Etat mais la gestion de la sortie de crise en choisissant une troisième personne qui serait neutre, puisque les deux protagonistes ne se parlaient pas. Et comme je le disais tout à l'heure, si on n'avait pas essayé alors était-ce la bonne solution ou pas ? A l'époque, ceux qui l'ont préconisée pensaient que ça aurait pu être une solution que de confier à une personnalité neutre le soin de gérer la sortie de crise jusqu'à ce que le chef de l'Etat de la Côte d'Ivoire puisse exercer ses pouvoirs sur l'ensemble du territoire. Voilà comment je peux expliquer cela. Alors, ça n'a pas fonctionné jusqu'au bout. Mais l'accord de Ouagadougou a permis de dépasser les écueils. Je peux vous dire, dans le cas particulier de la Côte d'Ivoire, nous l'avons applaudi à l'époque et nous continuons à encourager les Ivoiriens à l'appliquer.
Les accords de défense
Aujourd'hui, les réalités ont changé. Elles ne sont plus les mêmes et le président Sarkozy, dans un discours important qu'il a prononcé au Cap en Afrique du Sud l'année dernière, je pense que c'était le 27 février, a reconnu que les accords étaient aujourd'hui dépassés. Aujourd'hui, une nouvelle génération est arrivée aux affaires dans les deux pays, dans les deux continents, en Europe et en Afrique. Donc il a reconnu de façon tout à fait logique et il avait raison et il a proposé de revoir un par un tous ces accords avec les pays concernés. Autant que je puisse le savoir, nous voulons une présence et une coopération française franche. Je crois que nous ne voulons plus de présence française permanente sur votre territoire. Le président Sarkozy a enregistré cela. Le dialogue se poursuit, mais rien ne sera fait pour contraindre la volonté de venir pour contrarier vos droits. Aujourd'hui, la France n'a plus ni la volonté, ni les moyens d'entretenir des bases militaires permanentes sur l'ensemble des pays qui avaient signé les accords de défense avec elle. Elle considère que la sécurité du continent incombe en priorité aux Africains. Que c'est à eux de prendre la responsabilité individuellement ou collectivement d'assurer leur propre sécurité.
Le départ du 43ème Bima
Je vous ai dit tout à l'heure que la France n'a ni les moyens, ni la volonté d'entretenir des bases militaires permanentes dans chaque pays. Le départ annoncé du 43ème Bima répond à cette volonté. Pour le 43ème Bima, la décision a été prise pour le départ définitif de la Côte d'Ivoire. Même au-delà de la disparition du 43ème Bima. Dans le cas précis de la Côte d'Ivoire, ça ne correspond pas avec un départ instantané des forces françaises parce qu'à côté, il y a la Force licorne qui, elle, est présente en Côte d'Ivoire, non pas conformément à des accords passés entre la Côte d'Ivoire et la France, mais conformément à une résolution du Conseil de sécurité. Qui est renouvelée d'année en année. La dernière fois, c'était à la fin du mois de janvier 2009 que la résolution 1865 reconduit pour une année le mandat de l'Onuci et des forces françaises qui soutiennent l'Onuci. A ce titre-là, les militaires français continuent à stationner sur le territoire ivoirien. Et je n'ai jamais entendu officiellement en Côte d'Ivoire, une autorité qui conteste la présence de la force licorne…
Les bases françaises
A l'époque, au début des années 60, au lendemain des indépendances. A la demande des chefs d'Etat des pays concernés qui ont conclu les accords. Si aujourd'hui, 50 ans après, les nouveaux chefs d'Etat veulent renouveler ou pensent le contraire, je vous garantis que sans état d'âme, la France acceptera les desiderata de ces chefs d'Etat. Pour la Côte d'Ivoire, j'étais présent. Il y a eu une délégation française, le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Défense. Et puis en Côte d'Ivoire, on a été reçu de façon amicale par le chef de l'Etat. Ensuite, il y a eu une longue séance de travail à laquelle j'ai assisté. Mais comme je vous l'ai dit, la délégation française avait proposé aux autorités ivoiriennes, dans un premier temps, de les écouter et de prendre note et prendre acte des autorités ivoiriennes…Encore une fois, il faut bien distinguer le 43ème Bima qui est appelé à disparaître, qui est issu des accords bilatéraux de défense et la Force licorne qui est ici selon un mandat, à la demande des Nations-Unies. Alors, le volume de la Force Licorne, vous avez 4000 soldats. Ce volume a été réduit d'année en année. Surtout d'ailleurs à partir de 2007, suite à la signature de l'accord politique de Ouagadougou. Pour accompagner l'amélioration de la situation sur le terrain. Ce qui est tout à fait logique. Et cette réduction de l'effectif est aussi logique parce que pour accomplir le mandat qui lui a été assigné par le Conseil de sécurité des Nations-Unies, la Force Licorne n'a plus besoin d'entretenir aujourd'hui 4000 ou 5000 hommes sur le terrain. Avec le minimum, ça suffit largement. Nous nous sommes engagés auprès des Nations-Unies pour qu'au cas où la situation l'exigerait et au cas où les Nations-Unies le demanderaient, pour renforcer très rapidement les effectifs de la Force Licorne. Et les jours à venir, nous avons une forte foi que ça n'arriverait jamais. Ce que nous souhaitons, c'est que les soldats de Licorne partent le plus rapidement possible parce que ça voudra dire que la Côte d'Ivoire est complètement réunifiée, que les Ivoiriens cohabitent à nouveau et qu'ils n'ont plus besoin de l'assistance des Nations-Unies pour les aider dans cette cohabitation.
Echanges économiques entre la Côte d'Ivoire et la France
Aujourd'hui, la France reste le premier partenaire économique de la Côte d'Ivoire. En dehors du pétrole parce que le pétrole fausse le jeu, ça évolue…ça bouleverse les chiffres. En dehors du pétrole, la France est le premier importateur, le premier exportateur et le premier investisseur en Côte d'Ivoire. Largement devant les autres partenaires de la Côte d'Ivoire. On a dit que les opérateurs économiques français étaient partis après les évènements de novembre 2004, aujourd'hui subsistent en Côte d'Ivoire plus de 400 entreprises françaises. Ses filéales des grands groupes français qui sont à peu près tous représentés en Côte d'Ivoire, une centaine environ. Et 400 petites et moyennes entreprises françaises ou ivoiro-françaises. De très loin, c'est donc la présence économique la plus grande en Côte d'Ivoire. Ces entreprises françaises emploient aujourd'hui 40.000 personnes sur le marché du travail ivoirien. Dont moins de 10% de Français. La Cie et la Sodeci. Le président n'est pas français. Les directeurs généraux ne sont pas français. La Sir, le président n'est pas français…quelques centaines de Français travaillent dans le secteur privé ici. Quatre centaines d'entreprises emploient 40.000 employés…Avant la crise, il y avait à peu près 20.000 Français résidant en Côte d'Ivoire. Au moment de la crise en majorité des familles, des femmes et des enfants. Je n'étais pas là mais je me souviens avoir vu cela à la télévision. Il y avait des hommes mais pas des milliers d'hommes. Certains ne sont pas revenus pour des raisons économiques parce que leurs entreprises avaient été détruites…Beaucoup ont renvoyé leurs femmes et leurs enfants en France et ils sont restés pour protéger leur unité de production. La plupart n'ont pas arrêté sinon quelques jours ou quelques semaines. Mais aujourd'hui, il en reste 400 entreprises, je cite les chiffres du ministère de l'Economie et des finances ivoiriennes. Ces entreprises françaises représentent à peu près le 1/3 du produit intérieur brut de la Côte d'Ivoire. Toutes les entreprises françaises sont dans le secteur formel en Côte d'Ivoire. Pour l'emploi, comparé avec d'autres pays, beaucoup d'entreprises françaises sont des filiales de groupes qui ont été ivoirisés ou avec des Ivoiriens et des expatriés français, avec des capitaux français, avec la technologie française. Ces chiffres qui sont du ministère de l'Economie et des finances sont la réalité existante.
Coopération économique entre la France et la Côte d'Ivoire
La coopération n'a pas véritablement pris un coup. Les entreprises françaises contribuent à environ 30% du produit intérieur brut et payent la moitié de l'Impôt. Ce que j'entends souvent, c'est que les Français pillent la Côte d'Ivoire. Les opérateurs économiques français et les entreprises françaises sont présents dans presque tous les secteurs. L'assurance, la banque, le transport, la manutention portuaire, les aéroports, le port etc… Tous les secteurs sont pris. Sauf, le pétrole et le cacao. Les entreprises françaises sont quasi absentes dans deux secteurs en Côte d'Ivoire : le pétrole et le cacao.
Normalisation des relations France-Côte d'Ivoire
La normalisation générale des relations. En France, le secteur privé est vraiment privé. Les entreprises privées ne demandent pas l'autorisation de l'Etat français. Elles payent leurs impôts ici. Ce sont deux choses tout à fait différentes. (…) La normalisation de la situation dépend de la situation socio-économique de la Côte d'Ivoire. Elle était instable, elle est en voie de normalisation et de stabilisation. Mais je parlais tout à l'heure d'investissement, nos cousins à l'étranger hésitent à revenir en Côte d'Ivoire, à investir massivement en Côte d'Ivoire tant qu'ils ne sont pas rassurés sur la stabilisation de la situation en Côte d'Ivoire. C'est une étape très importante qui passe par les organisations des élections en Côte d'Ivoire. Il y a 15 jours à Paris, il y a eu un séminaire (…) où les investisseurs disaient, nous, nous sommes prêts à revenir en Côte d'Ivoire, à réinvestir mais pour cela, nous attendons que la situation soit complètement normalisée. Si vous étiez hommes d'affaires, vous n'iriez investir dans un pays que s'il n'y aura plus d'évènements, d'incidents et que vous n'êtes pas certain que ce pays va être réunifié, si vous n'êtes pas certain que le chef de gouvernement exerce ses prérogatives sur l'ensemble du territoire (…) L'une des questions de la normalisation en Côte d'Ivoire c'est le règlement, du moins, l'apurement de la dette. La dette de la Côte d'Ivoire avec les partenaires bilatéraux s'élève à 80%. Nous sommes convaincu que si on enlève le poids de la dette, cela va permettre aux autorités ivoiriennes et au gouvernement de faire un effort financier supplémentaire en direction de la sortie de crise, de la reconstruction du pays et du développement du pays.
Election présidentielle 2009
J'arrive au terme de ma carrière diplomatique. Le pays qui m'a le plus marqué dans ma carrière, c'est la Côte d'Ivoire. Non seulement en tant qu’ambassadeur et Français. C'est pour cela que je suis optimiste sur les relations entre la Côte d'Ivoire et la France parce que nulle part ailleurs qu'en Côte d'Ivoire, je n'ai été accueilli avec autant de générosité. Nulle part ailleurs, je n'ai été passionné par les missions qui m'ont été confiées dans ce pays. Voilà les souvenirs que je conserve de la Côte d'Ivoire. Trop de bons souvenirs en terme de générosité et d'hospitalité. En ce qui concerne la Côte d'Ivoire et la France, c'est la proximité entre nos deux peuples. Entre les 300.000 Ivoiriens qui vivent en France et les 12.000 Français qui vivent en Côte d'Ivoire. C'est cela le plus important et c'est cela qui anime les relations entre les deux peuples. Certains ont essayé de les malmener, de les détruire, en vain. Ils se sont cassés les dents. Et je pense que tous ceux qui essayent se casseront les dents de la même façon.
Interview réalisée par Jean Prisca, Jules Claver,
Saint-Clair et Foumsséké
Dialogue direct
D'abord, bravo aux deux parties et enfin à tous les Ivoiriens qui s'approprient le processus de sortie de crise. Et il n'y avait pas d'autres solutions que pour résoudre un problème, les acteurs de ce problème décident de dialoguer entre eux. Et décident d'essayer de le résoudre. La France n'a jamais été associée, nous n'avons jamais dit que nous regrettions de ne pas être associés. Nous avons suivi cela et nous accompagnons. Donc premièrement, nous n'avons jamais regretté publiquement de ne pas être associé. Nous n'avons jamais fait de forcing pour être associés. Nous nous sommes toujours efforcés de ne pas intervenir. Pour ne pas ni phagocyter, ni saboter le processus. Et troisièmement, je me souviens que quelque part, je l'ai vécu sur le terrain. Le jour même de la signature de l'accord de Ouagadougou, le gouvernement français a publié un communiqué, saluant la signature de l'accord de Ouagadougou. Applaudissant et se réjouissant de ce que cet accord ait eu lieu, et en encourageant les Ivoiriens à travailler sur la base de cet accord. Si vous observez l'application de l'accord de Ouagadougou, je vous demande de me citer une seule fois où la France est intervenue pour empêcher l'application de cet accord.
Les résolutions de l'Onu
Les résolutions étaient toutes à l'initiative de la France mais je vous rappelle qu'elles ont été adoptées à l'unanimité des membres du conseil de sécurité. Quinze (15) membres unanimes. Jamais une réserve, jamais un veto. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Chine et la Russie n'ont pas mis leur veto. L'Afrique du Sud qui est au Conseil de sécurité ces dernières années ne s'est jamais abstenue. Cela veut dire que le contenu de ces résolutions avait été approuvé de bonne foi par l'ensemble des quinze (15) membres du Conseil de sécurité parce qu'à l'époque, je n'y étais pas. Mais à l'époque, ils ont jugé qu'il faut faciliter, encourager et accompagner la sortie de crise en Côte d'Ivoire et que c'était la voie à suivre. Il y a eu à juste titre l'accord de Ouagadougou qui est la conclusion du dialogue direct. Et les 15 membres du Conseil de sécurité ont unanimement approuvé l'accord de Ouagadougou et de la même façon, ont encouragé toutes les parties ivoiriennes à l'appliquer de bonne foi. Peut-être que, comme l'expérience le prouve, la solution de la crise était en provenance des Ivoiriens. Et que c'était à eux de prendre leur responsabilité et de composer (avec le mal) pour proposer un règlement. A l'époque, c'était impossible. Les deux principaux protagonistes ne se parlaient pas à l'époque. Ne communiquaient pas sur la situation et c'était complètement bloqué. S'il n'y avait pas eu l'accord de Ouagadougou, le pays serait aujourd'hui encore coupé en deux. Les deux protagonistes ont instauré un dialogue. Ils disent qu'ils se sont mis d'accord pour se parler entre eux et pour essayer de construire entre eux le processus de sortie de crise. Je ne crois pas qu'il faille critiquer la communauté internationale. Elle, elle était de bonne foi et dans de bonnes dispositions. A l'époque, on disait, puisqu'ils ne se parlent pas, il faut trouver une solution pour aider les Ivoiriens à sortir de leur crise. Ce n'était pas nécessairement la meilleure mais ce n'était pas non plus la plus mauvaise parce qu'il fallait trouver quelque chose, proposer quelque chose. Aujourd'hui, l'accord politique de Ouaga a eu lieu, il y a eu des accords complémentaires, la situation s'est beaucoup améliorée et a progressé sur le terrain. Je suis logique et ce médicament était mauvais (parce que) mais il a contribué en tout cas, j'espère qu'il aura contribué largement à apaiser la douleur et à redonner de la rigueur au peuple ivoirien.
Les résolutions sur la Côte d'Ivoire
A l'époque, avant l'accord de Ouagadougou, le chef de l'Etat ne pouvait pas appliquer toutes ses prérogatives sur l'ensemble du territoire, ces prérogatives lui étaient accordées par la constitution, mais il ne pouvait pas les appliquer. A Bouaké, l'administration du territoire lui échappait. Ce que la communauté internationale a essayé de faire c'est de confier la gestion non pas de la direction du gouvernement de l'Etat mais la gestion de la sortie de crise en choisissant une troisième personne qui serait neutre, puisque les deux protagonistes ne se parlaient pas. Et comme je le disais tout à l'heure, si on n'avait pas essayé alors était-ce la bonne solution ou pas ? A l'époque, ceux qui l'ont préconisée pensaient que ça aurait pu être une solution que de confier à une personnalité neutre le soin de gérer la sortie de crise jusqu'à ce que le chef de l'Etat de la Côte d'Ivoire puisse exercer ses pouvoirs sur l'ensemble du territoire. Voilà comment je peux expliquer cela. Alors, ça n'a pas fonctionné jusqu'au bout. Mais l'accord de Ouagadougou a permis de dépasser les écueils. Je peux vous dire, dans le cas particulier de la Côte d'Ivoire, nous l'avons applaudi à l'époque et nous continuons à encourager les Ivoiriens à l'appliquer.
Les accords de défense
Aujourd'hui, les réalités ont changé. Elles ne sont plus les mêmes et le président Sarkozy, dans un discours important qu'il a prononcé au Cap en Afrique du Sud l'année dernière, je pense que c'était le 27 février, a reconnu que les accords étaient aujourd'hui dépassés. Aujourd'hui, une nouvelle génération est arrivée aux affaires dans les deux pays, dans les deux continents, en Europe et en Afrique. Donc il a reconnu de façon tout à fait logique et il avait raison et il a proposé de revoir un par un tous ces accords avec les pays concernés. Autant que je puisse le savoir, nous voulons une présence et une coopération française franche. Je crois que nous ne voulons plus de présence française permanente sur votre territoire. Le président Sarkozy a enregistré cela. Le dialogue se poursuit, mais rien ne sera fait pour contraindre la volonté de venir pour contrarier vos droits. Aujourd'hui, la France n'a plus ni la volonté, ni les moyens d'entretenir des bases militaires permanentes sur l'ensemble des pays qui avaient signé les accords de défense avec elle. Elle considère que la sécurité du continent incombe en priorité aux Africains. Que c'est à eux de prendre la responsabilité individuellement ou collectivement d'assurer leur propre sécurité.
Le départ du 43ème Bima
Je vous ai dit tout à l'heure que la France n'a ni les moyens, ni la volonté d'entretenir des bases militaires permanentes dans chaque pays. Le départ annoncé du 43ème Bima répond à cette volonté. Pour le 43ème Bima, la décision a été prise pour le départ définitif de la Côte d'Ivoire. Même au-delà de la disparition du 43ème Bima. Dans le cas précis de la Côte d'Ivoire, ça ne correspond pas avec un départ instantané des forces françaises parce qu'à côté, il y a la Force licorne qui, elle, est présente en Côte d'Ivoire, non pas conformément à des accords passés entre la Côte d'Ivoire et la France, mais conformément à une résolution du Conseil de sécurité. Qui est renouvelée d'année en année. La dernière fois, c'était à la fin du mois de janvier 2009 que la résolution 1865 reconduit pour une année le mandat de l'Onuci et des forces françaises qui soutiennent l'Onuci. A ce titre-là, les militaires français continuent à stationner sur le territoire ivoirien. Et je n'ai jamais entendu officiellement en Côte d'Ivoire, une autorité qui conteste la présence de la force licorne…
Les bases françaises
A l'époque, au début des années 60, au lendemain des indépendances. A la demande des chefs d'Etat des pays concernés qui ont conclu les accords. Si aujourd'hui, 50 ans après, les nouveaux chefs d'Etat veulent renouveler ou pensent le contraire, je vous garantis que sans état d'âme, la France acceptera les desiderata de ces chefs d'Etat. Pour la Côte d'Ivoire, j'étais présent. Il y a eu une délégation française, le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Défense. Et puis en Côte d'Ivoire, on a été reçu de façon amicale par le chef de l'Etat. Ensuite, il y a eu une longue séance de travail à laquelle j'ai assisté. Mais comme je vous l'ai dit, la délégation française avait proposé aux autorités ivoiriennes, dans un premier temps, de les écouter et de prendre note et prendre acte des autorités ivoiriennes…Encore une fois, il faut bien distinguer le 43ème Bima qui est appelé à disparaître, qui est issu des accords bilatéraux de défense et la Force licorne qui est ici selon un mandat, à la demande des Nations-Unies. Alors, le volume de la Force Licorne, vous avez 4000 soldats. Ce volume a été réduit d'année en année. Surtout d'ailleurs à partir de 2007, suite à la signature de l'accord politique de Ouagadougou. Pour accompagner l'amélioration de la situation sur le terrain. Ce qui est tout à fait logique. Et cette réduction de l'effectif est aussi logique parce que pour accomplir le mandat qui lui a été assigné par le Conseil de sécurité des Nations-Unies, la Force Licorne n'a plus besoin d'entretenir aujourd'hui 4000 ou 5000 hommes sur le terrain. Avec le minimum, ça suffit largement. Nous nous sommes engagés auprès des Nations-Unies pour qu'au cas où la situation l'exigerait et au cas où les Nations-Unies le demanderaient, pour renforcer très rapidement les effectifs de la Force Licorne. Et les jours à venir, nous avons une forte foi que ça n'arriverait jamais. Ce que nous souhaitons, c'est que les soldats de Licorne partent le plus rapidement possible parce que ça voudra dire que la Côte d'Ivoire est complètement réunifiée, que les Ivoiriens cohabitent à nouveau et qu'ils n'ont plus besoin de l'assistance des Nations-Unies pour les aider dans cette cohabitation.
Echanges économiques entre la Côte d'Ivoire et la France
Aujourd'hui, la France reste le premier partenaire économique de la Côte d'Ivoire. En dehors du pétrole parce que le pétrole fausse le jeu, ça évolue…ça bouleverse les chiffres. En dehors du pétrole, la France est le premier importateur, le premier exportateur et le premier investisseur en Côte d'Ivoire. Largement devant les autres partenaires de la Côte d'Ivoire. On a dit que les opérateurs économiques français étaient partis après les évènements de novembre 2004, aujourd'hui subsistent en Côte d'Ivoire plus de 400 entreprises françaises. Ses filéales des grands groupes français qui sont à peu près tous représentés en Côte d'Ivoire, une centaine environ. Et 400 petites et moyennes entreprises françaises ou ivoiro-françaises. De très loin, c'est donc la présence économique la plus grande en Côte d'Ivoire. Ces entreprises françaises emploient aujourd'hui 40.000 personnes sur le marché du travail ivoirien. Dont moins de 10% de Français. La Cie et la Sodeci. Le président n'est pas français. Les directeurs généraux ne sont pas français. La Sir, le président n'est pas français…quelques centaines de Français travaillent dans le secteur privé ici. Quatre centaines d'entreprises emploient 40.000 employés…Avant la crise, il y avait à peu près 20.000 Français résidant en Côte d'Ivoire. Au moment de la crise en majorité des familles, des femmes et des enfants. Je n'étais pas là mais je me souviens avoir vu cela à la télévision. Il y avait des hommes mais pas des milliers d'hommes. Certains ne sont pas revenus pour des raisons économiques parce que leurs entreprises avaient été détruites…Beaucoup ont renvoyé leurs femmes et leurs enfants en France et ils sont restés pour protéger leur unité de production. La plupart n'ont pas arrêté sinon quelques jours ou quelques semaines. Mais aujourd'hui, il en reste 400 entreprises, je cite les chiffres du ministère de l'Economie et des finances ivoiriennes. Ces entreprises françaises représentent à peu près le 1/3 du produit intérieur brut de la Côte d'Ivoire. Toutes les entreprises françaises sont dans le secteur formel en Côte d'Ivoire. Pour l'emploi, comparé avec d'autres pays, beaucoup d'entreprises françaises sont des filiales de groupes qui ont été ivoirisés ou avec des Ivoiriens et des expatriés français, avec des capitaux français, avec la technologie française. Ces chiffres qui sont du ministère de l'Economie et des finances sont la réalité existante.
Coopération économique entre la France et la Côte d'Ivoire
La coopération n'a pas véritablement pris un coup. Les entreprises françaises contribuent à environ 30% du produit intérieur brut et payent la moitié de l'Impôt. Ce que j'entends souvent, c'est que les Français pillent la Côte d'Ivoire. Les opérateurs économiques français et les entreprises françaises sont présents dans presque tous les secteurs. L'assurance, la banque, le transport, la manutention portuaire, les aéroports, le port etc… Tous les secteurs sont pris. Sauf, le pétrole et le cacao. Les entreprises françaises sont quasi absentes dans deux secteurs en Côte d'Ivoire : le pétrole et le cacao.
Normalisation des relations France-Côte d'Ivoire
La normalisation générale des relations. En France, le secteur privé est vraiment privé. Les entreprises privées ne demandent pas l'autorisation de l'Etat français. Elles payent leurs impôts ici. Ce sont deux choses tout à fait différentes. (…) La normalisation de la situation dépend de la situation socio-économique de la Côte d'Ivoire. Elle était instable, elle est en voie de normalisation et de stabilisation. Mais je parlais tout à l'heure d'investissement, nos cousins à l'étranger hésitent à revenir en Côte d'Ivoire, à investir massivement en Côte d'Ivoire tant qu'ils ne sont pas rassurés sur la stabilisation de la situation en Côte d'Ivoire. C'est une étape très importante qui passe par les organisations des élections en Côte d'Ivoire. Il y a 15 jours à Paris, il y a eu un séminaire (…) où les investisseurs disaient, nous, nous sommes prêts à revenir en Côte d'Ivoire, à réinvestir mais pour cela, nous attendons que la situation soit complètement normalisée. Si vous étiez hommes d'affaires, vous n'iriez investir dans un pays que s'il n'y aura plus d'évènements, d'incidents et que vous n'êtes pas certain que ce pays va être réunifié, si vous n'êtes pas certain que le chef de gouvernement exerce ses prérogatives sur l'ensemble du territoire (…) L'une des questions de la normalisation en Côte d'Ivoire c'est le règlement, du moins, l'apurement de la dette. La dette de la Côte d'Ivoire avec les partenaires bilatéraux s'élève à 80%. Nous sommes convaincu que si on enlève le poids de la dette, cela va permettre aux autorités ivoiriennes et au gouvernement de faire un effort financier supplémentaire en direction de la sortie de crise, de la reconstruction du pays et du développement du pays.
Election présidentielle 2009
J'arrive au terme de ma carrière diplomatique. Le pays qui m'a le plus marqué dans ma carrière, c'est la Côte d'Ivoire. Non seulement en tant qu’ambassadeur et Français. C'est pour cela que je suis optimiste sur les relations entre la Côte d'Ivoire et la France parce que nulle part ailleurs qu'en Côte d'Ivoire, je n'ai été accueilli avec autant de générosité. Nulle part ailleurs, je n'ai été passionné par les missions qui m'ont été confiées dans ce pays. Voilà les souvenirs que je conserve de la Côte d'Ivoire. Trop de bons souvenirs en terme de générosité et d'hospitalité. En ce qui concerne la Côte d'Ivoire et la France, c'est la proximité entre nos deux peuples. Entre les 300.000 Ivoiriens qui vivent en France et les 12.000 Français qui vivent en Côte d'Ivoire. C'est cela le plus important et c'est cela qui anime les relations entre les deux peuples. Certains ont essayé de les malmener, de les détruire, en vain. Ils se sont cassés les dents. Et je pense que tous ceux qui essayent se casseront les dents de la même façon.
Interview réalisée par Jean Prisca, Jules Claver,
Saint-Clair et Foumsséké