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Société Publié le mardi 4 août 2009 | Nord-Sud

Médicaments de la route : Ces “docteurs” qui défient les hôpitaux

La vente de médicaments dans les véhicules de transport en commun prend de l'ampleur. Sur presque toutes les lignes, durant les trajets, les vendeurs, très prolixes, proposent aux voyageurs des remèdes à tous les maux. Quelle est la qualité de ces médicaments ? D'où viennent-ils ? Qui les vend ? Nord-Sud a enquêté.

Les cars, les mini cars (gbakas) et même certains autobus sont devenus des pharmacies ambulantes. Sur plusieurs lignes, des délégués médicaux d'une nouvelle race embarquent comme des passagers ordinaires, et, en cours de trajet, avec la complicité des transporteurs, ils se mettent débout et entament leur speech commercial. Ce mardi 7 juillet, un homme en blouson bleu, la trentaine, se tient soudainement debout à bord d'un Gbaka de 32 places assurant le trajet Abobo (Habitat)-Adjamé. La voix imposante, il attire les regards vers lui : « Excusez-moi pour le dérangement. Je suis venu avec un cadeau pour vous. Si tu as des courbatures, maux de reins, ballonnements de ventre, faiblesse sexuelle, tu es concerné !». Sans s'occuper du désintérêt de certains passagers, il sort de son sac en bandoulière le fameux «cadeau» : Un flacon de sirop de couleur verte. Avec des dessins illustrant les maux cités. Entre autres, un ventre ballonné, un vieillard qui se tient les reins, une femme qui a la mine grise tient sa tête entre les mains. « Une véritable panacée !», s'écrie un voisin qui semble s'étonner de ce que ce petit flacon puisse, à lui seul, guérir tous ces maux. Le vendeur, qui parlait de cadeau, se contredit : « Ce n'est pas tout à fait un cadeau. Au cabinet il coûte 3.000 Fcfa. Dans les cars, il est vendu à 1.000 Fcfa. Mais, pour vous spécialement, je le fais à 500 Fcfa». C'est le délire. Les commandes fusent de partout. Jean-Noël est spécialisé dans ce type de commerce. Il se fait même appeler « docteur ». Il donne des conseils aux passagers qui lui expliquent leurs bobos. Il est quasiment impossible d'effectuer un voyage à Abidjan ou à l'intérieur du pays sans rencontrer des ambulants comme Jean-Noël. On les retrouve à la gare et dans les cars. Les plaquettes et les flacons qu'ils proposent portent rarement un nom ou une date de péremption.

Vendeurs ou médecins?

Patrice, un autre vendeur rencontré à la gare d'Adjamé explique : « C'est à cause du coût élevé de la publicité que nous occupons les véhicules. Nous le faisons pour aider les malades», confie-t-il. Le docteur Florent Aka Kroo, président de l'ordre national des médecins n'accorde pas de crédit à ces vendeurs. Pour lui, « Il y a plusieurs personnes qui, malheureusement, jettent le discrédit sur la médecine dans le pays. Les vendeurs de médicaments dans les cars ne sont pas des médecins. Et le vrai malade n'est pas en train de voyager », fait-il remarquer. « Aujourd'hui, ces vendeurs nous poursuivent le long des trajets. C'est embêtant », s'offusque M. P. Norbert, agent municipal à Cocody. Jean-Noël, lui-même, reconnaît le bien fondé de ces reproches : « Nous ne sommes pas toujours acceptés. On nous vilipende et on nous menace. Les gens disent que nous les gênons. Nous nous en excusons ». Patrice trouve en ce commerce, un moyen d'échapper au chômage : «Les concours ne marchent pas. J'ai eu un travail qui me réussit. Je ne peux pas l'abandonner». Selon le code de déontologie de la médecine, toute personne qui établit un diagnostic par consultation verbale sans être médecin, est passible d'une peine d'emprisonnement et d'une amende. Mais, en attendant, les « médecins » des cars établissent les diagnostics et vendent leurs médicaments. Gérard Beugré qui réside aux Deux Plateaux raconte : « J'ai acheté des comprimés dans un car. Après les avoir absorbés, c'est le contraire de l'effet souhaité qui s'est produit. Mon mal a empiré », regrette Gérard qui jure à qui veut l'entendre qu'il ne s'aventurerait plus dans ce genre de « deal ». L'époux de Joëlle S., une jeune commerçante au Plateau, a vécu une histoire similaire. Les médicaments qu'elle a achetés dans un car n'ont pas guéri son mari. «Le vendeur m'a rassuré que je passerai des nuits agréables si mon mari buvait son sirop. La bouteille est presque vide. Et depuis, rien ne s'est produit », se plaint-elle au bord de la déprime. Joëlle se réjouit tout de même du fait que des effets indésirables ne se soient pas signalés. Aline Tiento vit à Yopougon et est mère de 4 enfants. Exerçant dans le domaine du vivrier, elle est une habituée des voyages à l'intérieur du pays. Son attachement à ces médicaments est plutôt sans limite. « J'ai confiance en ces comprimés. C'est ce que j'utilise pour soigner mes enfants. En plus ils ne coûtent pas chers », a-t-elle confié.

Le choc des témoignages

L'attitude de la jeune Léa, vendeuse de ces produits, a laissé perplexe dame Élizabeth : « Elle m'a proposé des comprimés de couleur orange contre les plaies de ventre et les douleurs dans le dos. Mais, elle a longtemps hésité sur la posologie », rapporte-t-elle. Jean-Noël, lui est confiant: « Ce sont des médicaments qui soignent vraiment. C'est parce que les pharmaciens ont peur de la concurrence qu'ils nous en veulent. Nos médicaments ne sont pas chers et soignent beaucoup de maladie», se défend-il. Dr Parfait Kouassi, président de l'ordre des pharmaciens de Côte d'Ivoire apporte la réplique : « Il n'y a pas de nouvelle trouvaille. La science, malgré ses énormes progrès, n'a pas encore trouvé le médicament qui soigne tout. Et je doute qu'on en trouve un jour. Il n'y a que les ignorants pour croire en ces énormités. C'est de l'escroquerie pure et simple», soutient-il. Pour lui, « ceux qui disent être soulagés après la prise de ces médicaments sont sous l'effet placébo (guérison psychologique). Si nous dénonçons ce phénomène, c'est pour son impact désastreux sur la santé des populations. Regardez autour de vous, toutes ces maladies bizarres, ces insuffisances rénales qui pullulent, ces allergies incompréhensibles, ces nombreuses morts inexpliquées». Que font les autorités pour contrôler ce phénomène ? Nous avons joint le chargé de communication du ministère de la Santé. Malheureusement, M. N'Da Siméon n'a pu nous éclairer : « Nous sommes déjà au week-end. J'ai un séminaire dès lundi», a-t-il répondu. Et plus rien.

Sur les traces des médicaments

Interrogés sur l'origine des comprimés proposés dans les cars de voyages, la majorité des vendeurs parlent de «circuits chinois.» Une clinique nous a été indiquée. Elle se trouve entre la cité universitaire d'Abobo 1 et la citée Sogefiha de la même commune. Nous nous y rendons le mardi 21 juillet à 8h, en simulant un mal de dos. Une pile de plaquettes de comprimés et de boîtes de sirop sont rangées dans une pièce après la véranda de la villa. Un stock important de cartons occupe tout le parking «Ici tout est chinois», rappelle une jeune asiatique aux longs cheveux noirs dans un français approximatif. C'est la réceptionniste et en même temps le médecin. Séance tenante, elle relève notre tension. D'autres palpations s'en suivent. Le diagnostic est établi. Nous le percevons avec difficulté : « Ce sont les nerfs du dos. Il faut une injection et des comprimés. Ça fait 3.800 Fcfa par jour sur trois jours», assure-t-elle. Une carte de consultation nous est offerte. Nous avons payé 500 Fcfa pour la consultation. La réceptionniste, pardon, le médecin reste peu bavarde au sujet des comprimés vendus dans les véhicules. La raison est qu'elle ne parle pas français. Confrontée à ce problème de langue, nous avons préféré nous retirer. Traoré Ahmed, un riverain confirme : «Des jeunes revendeurs se ravitaillent ici. Ils s'installent aux abords de la route. Ceux qui veulent vite écouler leurs stocks vont dans les cars», murmure-t-il. Nous apprenons plus tard, que ces revendeurs sont payés selon le bénéfice réalisé sur chaque boîte ou flacon. Les médicaments vendus dans les cars ne sont pas uniquement chinois. Nous y découvrons du paracétamol et de l'aspirine vendus dans les pharmacies. Certaines plaquettes de comprimés proposées aux voyageurs portent des messages en anglais. Mais, elles sont rares. Sur trois vendeurs, un seul avait en sa possession des flacons rouges où on lit « painful » (Ndlr douloureux en anglais) et « headache » (Ndlr mal de tête). « Tout le monde sait que c'est le marché d'Adjamé-Roxy qui ravitaille tous ces vendeurs. Ces flacons viennent de là-bas. Tout le monde est concerné», avoue le vendeur. Adjamé-Roxy est un marché de gros où sont écoulés des médicaments réputés être de contrebande, prohibés et mal conservés.


N.D.
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