La marque des grands

Comme on s'y attendait, après l'incident du complexe sportif de Yopougon, les confrères de l'opposition n'ont pas manqué de ruer dans les brancards. C'est tout de même logique ! Face à l'éclaboussant succès de la visite de Jesse Jackson à Abidjan qu'ils avaient pris soin de rendre infréquentable par leurs imprécations, il leur fallait montrer qu'ils n'ont rien perdu de leur verve haineuse. Cet incident était donc du pain benit. Et dans le flot des émotions, ils n'ont pas pu percevoir la grandeur d'âme de l'hôte. Pourtant, c'était le trait le plus remarquable. Jesse Jackson dont l'épouse s'est fracturé la jambe dans cette chute a ravalé ce fait au rang d'incident. "Cet incident ne doit pas occulté ou faire oublier cette tournée riche en enseignements, en honneur et en fraternité que j'ai reçu partout où je suis passé" . Et pour démonter qu'il ne s'agit pas de propos hypocritement courtois, il a continué son programme en se rendant au siège du groupe fraternité matin, puis à la télévision pour étouffer les interprétations fantaisistes. C'est d'ailleurs au cours d'une conférence donnée au sein des locaux du confrère qu'il a annoncé avec la placidité qui caractérise les grands, la blessure de sa femme. Refusant ainsi de donner dans la mystification et la surenchère très à la mode en Côte d'Ivoire, ces temps-ci. Il s'est même empressé de dédouaner les organisateurs. Avec à la clé, peu avant son départ, un engagement ferme dont le prestige fait pâlir: "désormais je suis ton parrain". Il fallait achever la symphonie. La veille, au palais de la culture, son discours dense et habile n'a pas donné de grain à moudre aux pourfendeurs de la république aux aguets. Les contraignant a des analyses pour le moins insipides. L'ancien compagnon de Luther King qu'on a voulu retrouver dans un camp pour se donner les raisons de le mettre sur le gril, s'est posé en véritable chantre de la démocratie. Sans donner de leçon. S'invitant dans les états- majors des partis politiques ou s'entretenant avec les plus capricieux au téléphone. Ceux qui attendaient des invectives à l'endroit du camp présidentiel ont été certainement déçus par la hauteur d'esprit de l'hôte de Blé Goudé. Ils ne pouvaient que l'être. Jesse Jackson, en combattant aguerri de la liberté, a su faire la part des choses entre les passions politiques et le besoin de liberté et de démocratie du peuple. Et ces besoins, il le sait très bien, ne s'expriment pas dans les analyses à la limite de l'hérésie de spécialistes locaux ou occidentaux. Mais dans la population. C'est certainement pourquoi, il n'a pas hésité à aller à la rencontre de Véronique Aka et ses femmes du Moyé ; à communier avec les jeunes au complexe sportif de Yopougon. C'est cela la marque des grands.
Emmanuel Fofana