“Pourquoi l’Unesco devrait s’approprier la mosquée de Kong” Après une semaine passée à l’école de la culture et des traditions ivoiriennes, à l’occasion de la 7è édition du Festival international de la route des reines et des rois, le docteur Hanifi Mohamed, architecte-décorateur, se dit satisfait et milite pour une meilleure implication des autorités ivoiriennes dans la promotion de la chefferie traditionelle. Il parle des merveilles de Kong. Docteur Hanifi Mohamed vous êtes architecte-décorateur. Vous avez effectué le déplacement d’Abidjan pour prendre part au Festi-Rois 2009. Qu’est-ce qui peut bien expliquer votre présence aux côtés du professeur Amoa Urbain ? La profession de l’architecte est une fonction qui est au service de la société, donc au service de l’histoire. Je suis au service de nos ancêtres et de l’histoire de l’Afrique. Afin de retracer leur histoire à partir de leur architecture, avec leurs coutumes et traditions. Comment pourrais-je prospérer dans le domaine de l’architecture si je ne fais pas recours à notre passé ou à notre culture ? Un architecte n’est pas un constructeur. C’est plutôt un concepteur de l’histoire. C’est quelqu’un qui participe réellement à la construction de l’histoire à travers l’architecture. Vous savez, la construction et l’architecture utilisent à peu près les mêmes ingrédients notamment la pierre, du ciment, de la terre, etc. Il ne s’agit pas de mettre les pierres les unes sur les autres. En ce moment, on ferait de la construction. Il s’agit de savoir comment les mettre les unes sur les autres, selon la tradition, selon les coutumes et les lieux, selon les climats, etc. Une architecture africaine est surement différente de celle de l’Europe. Parce que si on a une couleur de la peau, celle-ci dépend des conditions climatiques. Et si on a une physionomie, cela répond à des données climatiques. La maison que bâtit l’architecte est fonction d’une physionomie qui recouvre les aspirations des individus de la société. Il faut que l’architecture réponde à des données générales parce qu’il n’y a pas d’architecture générale. Si on fait seulement de la construction, elle correspond à une paresse intellectuelle. Faire de l’architecture, c’est faire l’effort pour actualiser le passé, ce qui signifie qu’il faut se référer à son passé, pour travailler dans le présent et se projeter vers le futur. C’est ce qu’ont fait nos ancêtres en Afrique. Par exemple, la Mosquée de Kong est une œuvre architecturale qui devrait être inscrite au titre des monuments de l’Unesco. Parce que cette architecture n’appartient pas seulement à l’Afrique, c’est un patrimoine du monde. En tant qu’architecte, je suis un opérateur culturel du monde. J’ai le droit de répondre et de me référer d’abord à l’histoire. Certainement que vous connaissiez le royaume de Kong. Quelle a été votre réaction en le découvrant ? Non, je ne le connaissais pas. Je viens de le découvrir. La ville de Kong est le nombril de la culture de cette région. C’est le début de notre histoire, de notre présent et de notre futur. Mais, c’est à nous de cultiver de façon très consciente pour les générations à venir. Parce que la mondialisation avec son progrès technologique vraiment écrasant, si on ne fait pas attention à conjuguer parfaitement culture et technologie, on risque d’oublier notre racine, et on deviendra comme des bateaux sans mât. Il ne faut pas confondre la culture, l’histoire avec la technologie. La technologie est au service de l’histoire. J’ai vu les deux mosquées, ce sont des merveilles de l’histoire. En tant qu’architecte, quel est votre regard de l’architecture des mosquées de Kong ? Je vous assure, c’est l’expression sublime de la technologie de la forme avec un matériel très pauvre, de la terre et des bâtons. C’est une forme très élevée de l’architecture, de la résistance des matériaux parce que les bâtons ne sont pas mis au hasard. Ils sont mis pour augmenter la résistance de la terre. C’est-à-dire, le béton-armé. L’Afrique connaissait déjà le béton-armé sans la technologie moderne. Kong a trois (3) siècles, mais, les deux mosquées sont toujours débout même avec un matériau pauvre : la terre et un morceau de bois. Où est la vraie intelligence ? C’est l’intelligence humaine qui a fait en sorte que cette histoire est encore debout. C’est à nous d’honorer notre passé, nos rois et chefs traditionnels et de construire notre futur. Il faut répéter une bonne histoire, pas une histoire de destruction mais celle de construction. C’est à nous Africains de la réaliser, car on a les moyens de le faire. On a l’intelligence. Il suffit de tourner la tête légèrement envers notre histoire ancestrale, nos reines, nos rois et nos chefs traditionnels. C’est un devoir de le construire pour nos enfants. Si on a de l’amour pour eux. Etes-vous convaincu de l’impact social de la chefferie traditionnelle dans le développement des Etats africains ? Je n’ai absolument aucun doute. J’ai une confiance totale, sans aucun doute, en la démarche du professeur Amoa Urbain. Je rends hommage à ce monsieur et à tous ceux qui croient en ce Festi-Rois. Il faut avoir le courage de le saluer parce qu’il croit en son idée. Il ne sera pas seul dans le futur et il n’est pas seul dans le présent. Cela fait sept (7) ans que cette opération se répète. Peut-on instaurer la paix si on ne connaît pas notre histoire ? Peut-on instaurer la paix sans nous approcher les uns des autres ? Parce que la paix se construit par l’amour et l’amour se construit par la compréhension. La compréhension d’autrui est basée sur la tolérance. Nos ancêtres, les reines et les rois et aussi les honorables dignitaires ont participé à la construction de l’Afrique. Ce continent n’aurait jamais existé s’il n’y avait pas des processus de paix. Le Festi-Rois enseigne l’amour et la paix. La route que le professeur Amoa Urbain est en train de tracer, est un chemin d’amour. Ce chemin ne sera pas sans problème parce que tout ce qui est grandiose rencontre forcément des petits problèmes qu’il faut régler. C’est à nous d’accoucher notre Afrique. Il y aura un prix à payer. Après une semaine passée, du 2 au 9 août 2009, dans l’antre de la chefferie traditionnelle, que peut-on retenir de la 7ème édition du festival international la route des reines et des rois ? Le Festi-Rois n’est pas terminé. Il a commencé et il est à sa fin. Il continue dans le cœur de tout un chacun. Il se manifeste tout seulement une fois par an. Mais durant l’année, ça travaille ! Ce n’est pas seulement une manifestation d’année, c’est aussi une célébration de siècle qui se renouvelle chaque année. Il a commencé il y a sept (7) ans, il a repris l’histoire de nos ancêtres. Mais, c’est un projet qui continuera pour toute la vie. S’il y a une guerre et qu’on ne comprend pas les tenants et les aboutissants, elle va se répéter. Il faut comprendre l’histoire. La route des reines et des rois a commencé avec Amoa Urbain mais le chemin est long. C’est le succès qu’il aura. Franchement, je crois en ce projet. Qu’est-ce qui vous a poussé à suivre ce ‘’fou’’ de professeur Amoa Urbain dans cette aventure… ? Je n’ai vu de ma vie une personne raisonnable qui est arrivé au sommet, sans rêve. C’est seulement par les rêves, très forts, qui vous prennent dans les émotions les plus fortes. Il y a un prix à payer. Le professeur Amoa Urbain en est très conscient. Tous les génies, au niveau mondial, sont un peu fous parce que c’est cette folie qui va au-delà de la raison. Le professeur Amoa urbain n’est pas un fou, c’est un génie. Il est en train de prendre une explosion de génie. Ce n’est pas de la folie. Le rêve ne fait pas partie de la raison mais plutôt de la folie. Un rêve n’est pas logique. Il est au-delà de la logique. En italien, on parle de la ‘’transcendescia’’. Ce rêve du professeur Amoa Urbain est au-delà de la raison. Ce qui m’a fait croire à ce projet, c’est que je suis, moi aussi, Africain. Quelle que soit la couleur de la peau, ce n’est pas ce qui est important. Mais la couleur de notre âme qui doit l’être. C’est ça mon combat. C’est à nous de cultiver les hommes parce que la paix nous arrivera. Il ne faut pas faire la guerre. Parce que pour maintenir la paix, il faut beaucoup d’énergies. Alors que pour la paix, il faut un petit effort au début. Que pourrez-vous demander à certaines autorités ivoiriennes qui sont encore réticentes par rapport au Festi-Rois? Il faut donner le temps à chacun de nous de métaboliser et d’accepter les choses. Les nouveautés créent toujours des chocs au début. Il faut du temps pour s’habituer. Il faut leur donner du temps pour qu’ils comprennent les effets de l’histoire. Ce chemin de « La route des reines et des rois », il faut donner le temps à chacun de nous de voir que c’est notre chemin à tous et non celui du professeur Amoa. S’il y a des gens qui ne comprennent pas encore. Vous savez, on grandit, peu importe si nous sommes adultes, donnons le temps aux gens de grandir. Chacun a son temps pour grandir.
Entretien réalisé à Bouaké par Krou Patrick
Entretien réalisé à Bouaké par Krou Patrick