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Économie Publié le vendredi 11 septembre 2009 | Nord-Sud

Hausse des prix du carburant : Une nouvelle fronde sociale en latence

Cette fois-ci, ils estiment que les prix du carburant ont dépassé le seuil du tolérable. Opérateurs économiques et associations de consommateurs promettent des journées chaudes à Abidjan si l’Etat n’équilibre pas la balance.

Il y a quasiment un peu plus d’un an. La crise alimentaire mondiale avait secoué de nombreux pays surtout en Afrique. La flambée des prix (juin et juillet 2008) des denrées alimentaires de première nécessité (maïs, riz, lait,…) a entraîné une fronde sociale à Abidjan et dans d’autres villes de l’intérieur. Spéculations, désorganisation des filières de production, anarchie des prix sur le marché…, les raisons sont multiples. Mais, la situation a atteint son point culminant avec la hausse des prix du carburant en juillet 2008, consécutivement à celle du cours du baril du pétrole (149 dollars le baril). Le super sans plomb est passé à 795 Fcfa le litre au lieu de 615 Fcfa et le gasoil à 785 Fcfa le litre contre 545 Fcfa/l. Des émeutes violentes et mortelles ont paralysé les rues d’Abidjan et ont contraint le gouvernement à revoir les prix à la baisse. Mais mieux, après de nombreux réajustements en dents de scie, les pouvoirs publics ont décidé de procéder désormais à une fixation automatique qui tient compte des fluctuations internationales du cours du baril. Contrairement au système des prix bloqués. Malheureusement la dernière envolée des prix des produits pétroliers, semble irriter les opérateurs économiques et les associations de consommateurs. En effet depuis le 2 septembre, le super sans plomb est livré à 733 Fcfa le litre contre 684 Fcfa et le gasoil à 589 Fcfa au lieu de 532 Fcfa. Quand le cours du baril tourne autour de 69 dollars. Les transporteurs, les commerçants et les associations de consommateurs craignent que l’on ne retombe dans le contexte de 2008 avec les nombreuses manifestations de rue contre la cherté de la vie. D’autant que la colère monte progressivement dans leur milieu. Offusqués par le niveau actuel des prix du carburant, les transporteurs se disent floués par les autorités du pays. Ils annoncent déjà une grève illimitée qui débutera le lundi.

Vers une flambée générale des prix

«Nous allons rentrer en grève à partir de lundi. Nous avons déposé un préavis depuis le mardi dans quatre ministères. C’est-à-dire ceux des Transports, de l’Intérieur, de la Fonction publique et de la Défense. On ne peut pas accepter de s’aligner au cours du baril en bottant en touche les préoccupations des opérateurs que nous sommes. Les prix sont intenables en Côte d’Ivoire à cause des nombreuses taxes et autres prélèvements incongrus», fustige Touré Adama (Président de la Coordination des gares). Il en veut pour preuve le stock de sécurité qui représente 6 Fcfa sur chaque litre. «On ne devrait plus avoir d’augmentation brutale des prix dès lors qu’un stock de sécurité existe. Au lieu que le stock de sécurité vienne atténuer la situation, nous assistons à une situation beaucoup plus complexe. On a le sentiment que les autorités sont aux aguets. Dès qu’il y a un dollar sur le baril, on assiste à une hausse de plus de 20 Fcfa sur le carburant», déplore-t-il, jugeant la nouvelle hausse disproportionnée. «La hausse actuelle ne reflète pas la réalité puisque le baril est à moins de 70 dollars. De plus il y a deux Tva (douane 82 F/l et impôts 15 F/l) sur les prix du gasoil que nous avons constamment dénoncées. Nous som­mes mem­bre du comité permanent de concertation. Cela nous a permis d’être outillé en la matière. Ce sont des taxes incongrues qui ont été critiquées par les bailleurs de fonds également. La Côte d’Ivoire a fait la promesse de les supprimer. Mais rien n’est fait jusqu’à présent», s’inquiète le président de la Coordination. Selon lui, la tarification prend également en compte les ministères et leur démembrement. «Mais en même temps des prélèvements de 22 Fcfa et 28 Fcfa sont effectués respectivement sur le gasoil et sur le sans plomb, pour constituer la dotation de l’armée. C’est incompréhensible», explique le transporteur dont la structure a essayé de répercuter la hausse des prix du carburant (qui représente 45% de leur charge d’exploitation) sur ses tarifs. «Nous avons essayé d’augmenter nos tarifs, mais la population a commencé à boycotter nos véhicules par manque de moyens financiers. La population marche beaucoup à cause du coût élevé des transports. C’est vraiment pitoyable. Elle nous met la pression pour qu’on immobilise nos véhicules. Cela fait cinq jours que nous sommes en discussion avec les différentes couches socioprofessionnelles», soutient-il. La grosse inquiétude gagne également les compagnies de transport. Selon Touré Al­ma­my, secrétaire général de l’Union patronale des transporteurs de Côte d’Ivoire, «le flou demeure toujours dans la fixation des prix du carburant.» Avant de s’interroger sur le rôle du comité interministériel (un cadre permanent de concertation) qui avait été mis sur pied pour se réunir chaque fois avec les différents acteurs. «Apparemment ce n’est pas fait. L’Etat aligne les prix sur les cours mondiaux du baril. Mais quelle a été la base de fixation de ces prix? Parce que les tarifs étaient déjà trop élevés en Côte d’Ivoire. Tout ceci manque de logique. Aujourd’hui, le gasoil se vend à 350 Fcfa le litre au Ghana, la différence est trop importante. Or on est producteur de pétrole», regrette-t-il. Ce n’est pas avec beaucoup d’enthousiasme que «nous allons répercuter cette nouvelle hausse sur nos tarifs. Sur certaines destinations comme l’Ouest du pays, on n’a pas encore ajusté les prix. Parce que les populations ont de sérieux problèmes financiers. On est vraiment embêté en cette période de crise. Beaucoup de personnes ont perdu leur emploi et la rentrée scolaire arrive à grand pas. Si nous devons augmenter nos tarifs, ce sera au minimum 500 Fcfa.» Mais le calcul n’est pas simple puisqu’il doit tenir compte du taux de remplissage et de la distance.

Des manifestations de rue en préparation

Les commerçants n’entendent pas subir à leur niveau les effets de la dernière flambée du carburant. Selon Soumahoro Farikou, vice-président de la Fédération nationale des commerçants de Côte d’Ivoire (Fenacci), cette hausse qui est «déplorable et exagérée» sera automatiquement impactée sur les prix des marchandises. Une fois que la tendance haussière est suivie par les transporteurs. Les associations de consommateurs estiment que l’Etat est en train de créer le même environnement qui a irrité les populations en 2008 à travers les manifestations de rue contre la cherté de la vie. «Nous sommes plus qu’ébahi et en peine face aux différentes flambées du prix du carburant et des produits dérivés. Le gouvernement n’ignore pas les préoccupations des Ivoiriens dans un contexte de sortie de crise qui assujettit la bourse d’une partie importante de la population. Les salaires des fonctionnaires n’ont pas connu une amélioration depuis des décennies. Malgré ces difficultés, l’Etat procède régulièrement à différente phase d’augmentation. Toute chose qui risque d’exacerber les tensions », prévient Marius Comoé, président de la Fédération des associations des con­sommateurs actifs de Côte d’Ivoire. Selon lui, la seule préoccupation qui devrait guider l’action gouvernementale demeure à tout point de vue, l’amélioration des conditions et du cadre de vie des Ivoiriens. «Malheureusement, la flambée brutale des prix du carburant a nécessairement des répercussions sur le coût de la vie, à travers la hausse des prix du vivrier et même des matériaux de construction. Et de toute autre activité découlant du commerce. Nous n’en pouvons plus. Si aucune solution n’est trouvée, nous allons prendre les rues. Nous nous donnerons les moyens de fermer toutes les stations-service et de paralyser la ville d’Abidjan», insiste-t-il. Pour lui, les associations de consommateurs n’ont jamais été associées au cadre de discussion qui précède l’élaboration des prix. «Le cadre permanent est devenu une sorte de réunion pour juste contenter la population quand elle veut hausser le ton. Les populations sont fortement éprouvées. Cette hausse démesurée constitue à notre avis la goutte d’eau qui fait déborder le vase», hurle Comoé Marius. L’Association pour la protection des consommateurs actifs de Côte d’Ivoire (Aproca-CI) de Soumahoro Ben N’Faly estime que l’on tend vers une situation inextricable et explosive. «Nous avons été ignoré par le cadre permanent qui agit de façon unilatérale. Nous allons projeter un sit-in devant la primature pour crier notre ras-le-bol», avertit-il visiblement très remonté. Convaincu que la gestion des ressources pétrolières souffre d’un manque de transparence. De source proche du ministère des Mines et de l’Energie, cette hausse est justifiée eu égard au mode de calcul en vigueur (fixation automatique des prix en fonction de l’évolution du cours mondial du baril). La fixation du prix à la pompe est effectuée en tenant compte de la moyenne des prix mondiaux. Cette moyenne part du 25 du mois au 24 du mois suivant. «Si la moyenne au niveau de la variation excède les 2,5%, on procède à un réajustement à la hausse ou à la baisse de 30 à 40 Fcfa sur les prix à la pompe. Ces méthodes ne souffrent d’aucune ambiguïté», précise l’agent du ministère.


Cissé Cheick Ely
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