C`est le début de la troisième et dernière partie de notre débat sur les maux de l`école ivoirienne. Après les interventions du ministère de l`Education nationale, de la Convention de la société civile, des enseignants, des étudiants et des parents d`élèves (jeudi et vendredi), nous abordons aujourd`hui les analyses et propositions de solutions des partis politiques. Le Pr Alhassane Salif N`Diaye, secrétaire général de l`Union pour la démocratie et pour la paix en Côte d`Ivoire (Udpci), enseignant à la retraite et ancien ministre de la Recherche scientifique, a été le premier à nous accorder une interview sur le sujet. Nous vous en proposons la première partie.
Comment avez-vous accueilli les mauvais résultats scolaires de ces dernières années ?
Dans ma profession d`enseignant, chaque fois qu`au terme des examens, les résultats ne sont pas brillants, plutôt que de regarder du côté des élèves et étudiants, c`est sur moi-même que je porte le regard critique. Il est très facile de dire que les enfants n`ont pas travaillé. Mais le maître qui, pendant une année, a eu à former des personnes doit se poser des questions quand les catastrophes surviennent à ce niveau-là. Je pense d`abord et avant tout à une grande responsabilité des enseignants. Je pense aussi à l`environnement de l`école aujourd`hui. Le maître a été « assassiné » à l`école. La discipline a foutu le camp. Les enfants dictent leur volonté. Appuyés par une organisation syndicale qui, en fin de compte, régente l`école sur tous les plans, académique, social. Ce qui, à la limite entraîne ce manquement, il y a le bras séculier d`une organisation qui se dit syndicale qui permet d`avoir le diplôme sans pratiquement faire d`effort. Il faut compter aussi avec la démission des parents. Tout cela crée un climat qui débouche inéluctablement sur ce genre de résultats. Si rien n`est fait dès maintenant, c`est dans 25 à 30 ans, que l`école ivoirienne sera dans l`état où elle était en 1980. Il y a urgence !
A quel niveau se situe la responsabilité des enseignants ?
L`excuse que pourrait avancer les enseignants, c`est premièrement la forte demande en formation qui leur est confiée. A l`époque, les professeurs avaient au moins 100 étudiants à encadrer et aujourd`hui ils en sont entre 300 et 400 par enseignant. Dans les Grandes écoles comme les écoles de Yamoussoukro, un enseignant devrait encadrer au moins 25 étudiants et au maximum 50. Aujourd`hui, ils sont plus de 150. Ce poids démographique dans les écoles fait que l`enseignant est débordé.
L`enseignant est-il responsable des effectifs pléthoriques ?
Pour se dédouaner, l`enseignant peut avancer les effectifs pléthoriques et infrastructures qui manquent. Mais je dis que l`enseignant doit se questionner lui-même. Repartir ses cours comme il devrait le faire, soutenir l`élève, tel qu`il devrait le faire. Est-ce que les programmes qui lui sont confiés à inculquer à l`enfant sont réalisés. Est-ce qu`au cours de l`année il y a des contrôles de l`élève. En raison des effectifs pléthoriques cela n`est pas possible. Mais l`un dans l`autre, tant que cela n`est pas fait, cela veut dire que l`enseignant ne veut pas travailler. Il pouvait se poser un certain nombre de questions. Un enseignant peut démissionner.
Au supérieur, les enseignants ont pourtant tapé du poing sur la table pour décrier leurs conditions de travail…
J`ai été doyen de faculté. Les effectifs n`étaient pas aussi conformes à ce que nous exprimons, c`est-à-dire 150, 50 ou 25. Mais enfin, j`ai secoué mes collègues en disant de faire attention, de surveiller les étudiants, car on risquait la catastrophe. En tant que professeurs d`université, ils ne devaient pas aussi de manière catégorique se dire qu`ils ont 25 heures de cours. Je leur ai suggéré d`aller à 30, 40 parce que les effectifs sont pléthoriques.
N`est-ce pas leur demander l`impossible ?
Ce n`était pas l`impossible. Je crois que, c`est cette année qu`on connaît cette catastrophe-là. Il y a d`autres raisons et d`autres causes. L`enseignant aujourd`hui ne se sent pas totalement responsable de l`enfant qui lui est confié. Pour les raisons que j`ai évoquées plus haut. Lorsque vous arrivez dans un établissement, le responsable syndical peut vous empêcher à la limite de dispenser le cours s`il ne vous a pas frappé entre temps. Il vous exige les devoirs qu`il faut que vous leur donniez, décrète le calendrier des examens et la moyenne qu`il faut pour être admis. Mais lorsque le maître va prendre le pot avec son élève dans le maquis d`à côté, cela le désacralise. Toutes ces choses font que c`est copain-copain. Alors que le maître devrait être une sorte d`icône. Du coup, l`école s`en va à vau-l`eau. J`ai parlé de la responsabilité des parents. Ecrasés par les contingences sociales aujourd`hui, combien sont-ils qui, au retour de l`école, consacrent cinq minutes à leurs enfants, ne serait-ce que pour voir leur progression ? Il y a une dizaine d`année, les syndicats de parents d`élèves étaient extrêmement forts. Où sont-ils aujourd`hui ? Ils ne peuvent pas dire qu`ils ignorent ce qui se passe à l`école. Hélas ! La société dans laquelle nous vivons, qui est gérée par les refondateurs, a complètement mis une croix sur tout ce qui est moral, travail et honnêteté. La société se reflétant au niveau de l`école, on retrouve les mêmes choses. On entend parler du racket au niveau de la police, au niveau de notre administration. On fait le racket aujourd`hui à l`université. Le cas de l`Ena est symptomatique. A l`université, on vend des licences. On paye la maîtrise. L`argent est devenu Dieu. Cela a commencé depuis 1985, en fonction des idéologies, un étudiant de tel bord peut rester chez lui, parce que son maître est le président de son parti. En tout cas, sous l`influence de son parti, on peut obtenir la licence. L`école a quitté le statut qui était le sien. A savoir un sanctuaire inviolable. Quand il n`y a pas de règles, il n`y a pas de morale.
Au niveau de l`Udpci, avez-vous déjà mené une réflexion sur le sujet?
L`école est la colonne vertébrale au sein du programme de gouvernement de notre parti.
Justement que prévoit votre programme surtout pour redresser la barre ?
Pour enseigner, il faut avoir la capacité de le faire. On a l`impression qu`avec la crise, on a souvent vu des enseignants volontaires. Qui les a jaugés pour en faire des enseignants ? C`est la période de crise, donc on peut prendre n`importe qui pour devenir enseignant. Jusqu`au niveau de l`université, il y a subitement eu des bénévoles. Où sont passé les inspecteurs pour essayer de juger la qualité des enseignants avant de leur confier des enfants. Dans ces classes, quelle est la structure qui vient contrôler ? Quel est le programme qu`ils diffusent au près des étudiants ? Qui contrôle cela ? Enseignent-ils selon le programme officiel de l`Education nationale ou alors bricolent-ils ?
Que proposez-vous concrètement ?
Premièrement, revaloriser les écoles de formation des enseignants. L`Ecole normale supérieure aujourd`hui et cela est une dérive, délivre des licences, des maîtrises alors que ce n`est pas sa vocation. La vocation d`une école supérieure, c`est prendre les licenciés et les maîtrisards, leur donner une formation pédagogique et en faire des certifiés. Si aujourd`hui, ces établissements veulent, comme les facultés, délivrer des maîtrises et des licences, ils perdent totalement leur vocation. A tel enseigne qu`est enseignant quelqu`un qui a la licence. Il n`a aucune formation pédagogique. 2.500 enseignants du secondaire sont annoncés, mais aucun n`a reçu une formation de pédagogie.
Ces enseignants ont remplacé les enseignants titulaires qui avaient fui les zones de guerre…
Ne mettons pas tout sur la guerre. Allez à l`université de Cocody. Les enseignants y sont-ils ?
Comptez le nombre d`enseignants, ils sont ministres, c`est normal. Mais comptez le nombre de DG, ceux qui sont PCA, ceux qui sont dans des structures où leur formation ne devrait pas les faire entrevoir. Les enseignants ont déserté l`université.
Ne sont-ils pas libres d`aller servir l`Etat à d`autres postes.
Lorsque vous vous rendez compte que l`environnement qui est le vôtre, l`infrastructure, les moyens qui vous sont proposés ne suffisent pas, vous avez la liberté de démissionner. Ils sont enseignants, ils font mal, ils savent qu`ils font mal, mais ils continuent d`où leur responsabilité.
N`est-ce pas l`Etat qui devrait prévoir ce genre de situation ?
Chacun est libre effectivement d`aller servir dans les conditions que l`Etat fixe. Je ne suis pas libre d`aller être chirurgien si je ne le suis pas. C`est vraiment l`image qui est celle de l`école aujourd`hui. Des gens qui n`ont pas la formation et qui exercent. Comme il n`y a pas d`Etat, c`est pourquoi nous en sommes-là. Il n`y a pas de règles, il n`y a pas de sanctions. Dans notre conception à l`Udpci, on ne va pas à l`école pour échouer. On va le démontrer.
Interview réalisée par Cissé Sindou
Comment avez-vous accueilli les mauvais résultats scolaires de ces dernières années ?
Dans ma profession d`enseignant, chaque fois qu`au terme des examens, les résultats ne sont pas brillants, plutôt que de regarder du côté des élèves et étudiants, c`est sur moi-même que je porte le regard critique. Il est très facile de dire que les enfants n`ont pas travaillé. Mais le maître qui, pendant une année, a eu à former des personnes doit se poser des questions quand les catastrophes surviennent à ce niveau-là. Je pense d`abord et avant tout à une grande responsabilité des enseignants. Je pense aussi à l`environnement de l`école aujourd`hui. Le maître a été « assassiné » à l`école. La discipline a foutu le camp. Les enfants dictent leur volonté. Appuyés par une organisation syndicale qui, en fin de compte, régente l`école sur tous les plans, académique, social. Ce qui, à la limite entraîne ce manquement, il y a le bras séculier d`une organisation qui se dit syndicale qui permet d`avoir le diplôme sans pratiquement faire d`effort. Il faut compter aussi avec la démission des parents. Tout cela crée un climat qui débouche inéluctablement sur ce genre de résultats. Si rien n`est fait dès maintenant, c`est dans 25 à 30 ans, que l`école ivoirienne sera dans l`état où elle était en 1980. Il y a urgence !
A quel niveau se situe la responsabilité des enseignants ?
L`excuse que pourrait avancer les enseignants, c`est premièrement la forte demande en formation qui leur est confiée. A l`époque, les professeurs avaient au moins 100 étudiants à encadrer et aujourd`hui ils en sont entre 300 et 400 par enseignant. Dans les Grandes écoles comme les écoles de Yamoussoukro, un enseignant devrait encadrer au moins 25 étudiants et au maximum 50. Aujourd`hui, ils sont plus de 150. Ce poids démographique dans les écoles fait que l`enseignant est débordé.
L`enseignant est-il responsable des effectifs pléthoriques ?
Pour se dédouaner, l`enseignant peut avancer les effectifs pléthoriques et infrastructures qui manquent. Mais je dis que l`enseignant doit se questionner lui-même. Repartir ses cours comme il devrait le faire, soutenir l`élève, tel qu`il devrait le faire. Est-ce que les programmes qui lui sont confiés à inculquer à l`enfant sont réalisés. Est-ce qu`au cours de l`année il y a des contrôles de l`élève. En raison des effectifs pléthoriques cela n`est pas possible. Mais l`un dans l`autre, tant que cela n`est pas fait, cela veut dire que l`enseignant ne veut pas travailler. Il pouvait se poser un certain nombre de questions. Un enseignant peut démissionner.
Au supérieur, les enseignants ont pourtant tapé du poing sur la table pour décrier leurs conditions de travail…
J`ai été doyen de faculté. Les effectifs n`étaient pas aussi conformes à ce que nous exprimons, c`est-à-dire 150, 50 ou 25. Mais enfin, j`ai secoué mes collègues en disant de faire attention, de surveiller les étudiants, car on risquait la catastrophe. En tant que professeurs d`université, ils ne devaient pas aussi de manière catégorique se dire qu`ils ont 25 heures de cours. Je leur ai suggéré d`aller à 30, 40 parce que les effectifs sont pléthoriques.
N`est-ce pas leur demander l`impossible ?
Ce n`était pas l`impossible. Je crois que, c`est cette année qu`on connaît cette catastrophe-là. Il y a d`autres raisons et d`autres causes. L`enseignant aujourd`hui ne se sent pas totalement responsable de l`enfant qui lui est confié. Pour les raisons que j`ai évoquées plus haut. Lorsque vous arrivez dans un établissement, le responsable syndical peut vous empêcher à la limite de dispenser le cours s`il ne vous a pas frappé entre temps. Il vous exige les devoirs qu`il faut que vous leur donniez, décrète le calendrier des examens et la moyenne qu`il faut pour être admis. Mais lorsque le maître va prendre le pot avec son élève dans le maquis d`à côté, cela le désacralise. Toutes ces choses font que c`est copain-copain. Alors que le maître devrait être une sorte d`icône. Du coup, l`école s`en va à vau-l`eau. J`ai parlé de la responsabilité des parents. Ecrasés par les contingences sociales aujourd`hui, combien sont-ils qui, au retour de l`école, consacrent cinq minutes à leurs enfants, ne serait-ce que pour voir leur progression ? Il y a une dizaine d`année, les syndicats de parents d`élèves étaient extrêmement forts. Où sont-ils aujourd`hui ? Ils ne peuvent pas dire qu`ils ignorent ce qui se passe à l`école. Hélas ! La société dans laquelle nous vivons, qui est gérée par les refondateurs, a complètement mis une croix sur tout ce qui est moral, travail et honnêteté. La société se reflétant au niveau de l`école, on retrouve les mêmes choses. On entend parler du racket au niveau de la police, au niveau de notre administration. On fait le racket aujourd`hui à l`université. Le cas de l`Ena est symptomatique. A l`université, on vend des licences. On paye la maîtrise. L`argent est devenu Dieu. Cela a commencé depuis 1985, en fonction des idéologies, un étudiant de tel bord peut rester chez lui, parce que son maître est le président de son parti. En tout cas, sous l`influence de son parti, on peut obtenir la licence. L`école a quitté le statut qui était le sien. A savoir un sanctuaire inviolable. Quand il n`y a pas de règles, il n`y a pas de morale.
Au niveau de l`Udpci, avez-vous déjà mené une réflexion sur le sujet?
L`école est la colonne vertébrale au sein du programme de gouvernement de notre parti.
Justement que prévoit votre programme surtout pour redresser la barre ?
Pour enseigner, il faut avoir la capacité de le faire. On a l`impression qu`avec la crise, on a souvent vu des enseignants volontaires. Qui les a jaugés pour en faire des enseignants ? C`est la période de crise, donc on peut prendre n`importe qui pour devenir enseignant. Jusqu`au niveau de l`université, il y a subitement eu des bénévoles. Où sont passé les inspecteurs pour essayer de juger la qualité des enseignants avant de leur confier des enfants. Dans ces classes, quelle est la structure qui vient contrôler ? Quel est le programme qu`ils diffusent au près des étudiants ? Qui contrôle cela ? Enseignent-ils selon le programme officiel de l`Education nationale ou alors bricolent-ils ?
Que proposez-vous concrètement ?
Premièrement, revaloriser les écoles de formation des enseignants. L`Ecole normale supérieure aujourd`hui et cela est une dérive, délivre des licences, des maîtrises alors que ce n`est pas sa vocation. La vocation d`une école supérieure, c`est prendre les licenciés et les maîtrisards, leur donner une formation pédagogique et en faire des certifiés. Si aujourd`hui, ces établissements veulent, comme les facultés, délivrer des maîtrises et des licences, ils perdent totalement leur vocation. A tel enseigne qu`est enseignant quelqu`un qui a la licence. Il n`a aucune formation pédagogique. 2.500 enseignants du secondaire sont annoncés, mais aucun n`a reçu une formation de pédagogie.
Ces enseignants ont remplacé les enseignants titulaires qui avaient fui les zones de guerre…
Ne mettons pas tout sur la guerre. Allez à l`université de Cocody. Les enseignants y sont-ils ?
Comptez le nombre d`enseignants, ils sont ministres, c`est normal. Mais comptez le nombre de DG, ceux qui sont PCA, ceux qui sont dans des structures où leur formation ne devrait pas les faire entrevoir. Les enseignants ont déserté l`université.
Ne sont-ils pas libres d`aller servir l`Etat à d`autres postes.
Lorsque vous vous rendez compte que l`environnement qui est le vôtre, l`infrastructure, les moyens qui vous sont proposés ne suffisent pas, vous avez la liberté de démissionner. Ils sont enseignants, ils font mal, ils savent qu`ils font mal, mais ils continuent d`où leur responsabilité.
N`est-ce pas l`Etat qui devrait prévoir ce genre de situation ?
Chacun est libre effectivement d`aller servir dans les conditions que l`Etat fixe. Je ne suis pas libre d`aller être chirurgien si je ne le suis pas. C`est vraiment l`image qui est celle de l`école aujourd`hui. Des gens qui n`ont pas la formation et qui exercent. Comme il n`y a pas d`Etat, c`est pourquoi nous en sommes-là. Il n`y a pas de règles, il n`y a pas de sanctions. Dans notre conception à l`Udpci, on ne va pas à l`école pour échouer. On va le démontrer.
Interview réalisée par Cissé Sindou