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Faits Divers Publié le mardi 13 octobre 2009 | Nord-Sud

Boulevard Lagunaire : Elle défie tous les jours la mort avec son bébé

Vous l’avez sûrement vue plus d’une fois, vous qui empruntez très souvent le boulevard lagunaire, non loin de la cathédrale. Elle est assise sur une pierre, au bord de la grande artère, à quelques centimètres du passage des véhicules. Sur ses jambes, un garçon d’à peine 3 ans que les rayons solaires grillent tout autant que la femme. Beaucoup se posent ces questions à sa vue : Que fait-elle là ? N’a-t-elle pas peur que les véhicules la renversent? Parce qu’il suffit d’un tout petit écart de roue pour qu’elle soit écrasée avec l’enfant…Mais, détrompez-vous, ce n’est pas une folle. Cette femme a une vie. Nous l’avons rencontrée ce lundi sur son lieu de “travail” : au bord du boulevard lagunaire. Il est 10h. Avant de l’approcher, nous hésitons et observons. Des automobilistes lui jettent des pièces de monnaie au passage. Elle les ramasse, même celles qui se retrouvent sur cette voie express, sans se soucier du danger qu’elle court. Ce type de scène se reproduit plusieurs fois. Elle est assise sous un soleil ardant, avec pour seule protection un pagne sur la tête. Elle tient son enfant sur ses pieds. Il est presque midi quand elle quitte enfin sa place pour trouver un peu d’ombre sous une pancarte publicitaire. Elle est vêtue d’un tricot gris déchiré au niveau de la hanche droite et d’un pagne aux couleurs vives qui semble être le seul vêtement propre sur elle. Ses cheveux mal frisés et sa face souriante, lui donnent un air d’allégresse. Mais, elle cache son visage et évite notre regard. La gêne, la timidité ? Elle met le pagne qui lui servait de parasol au sol et s’assoit là-dessus. « Viens », dit-elle à l’enfant. Le petit, qui a un visage hagard, tient en main une boîte de sardine qu’un automobiliste lui a balancée au passage pendant qu’ils étaient assis sur la chaussée. Il porte un tee-shirt et un caleçon sales. Sa boîte de sardine semble lui tenir à cœur et il ne la quitte pas une seconde. Il marche vers la femme et s’assoit à l’ombre. Fait-il la différence entre cette ombre et le soleil torride où il était depuis des heures pour chercher la pitance quotidienne ? Oui. Car, il ne tarde pas à s’endormir. « Comment vous appelez-vous ? » La question fait sourire la dame. Mais, elle répond au bout de quelques secondes. « Aïcha ». Et d’ajouter : « J’ai 19 ans ». Sa peau, brûlée par le soleil, lui donne cependant l’air d’une femme qui a deux fois son âge. Elle fronce les cils quand elle veut fixer sont interlocuteur dans les yeux. Le petit est son fils. Il s’appelle Moussa. Il a trois ans. Elle vient mendier avec lui sur le boulevard tous les jours aux mêmes heures. De 4h du matin à 15 h. Pourquoi cet endroit dangereux ? « Avant, je mendiais devant l’Aip (Agence ivoirienne de presse). La police nous a interdit le coin et tous les autres coins du Plateau », explique-t-elle clairement.

«Je n’ai pas peur des voitures»

Elle n’a trouvé d’autre endroit que le boulevard. « N’avez-vous pas peur des véhicules ? » « Voiture ne me cogne pas », répond-elle avec un sourire. «Sûr ? ». « Oui », insiste-t-elle. Il suffit pourtant d’un rien pour qu’un véhicule la ramasse, elle et l’enfant. « Je ne suis pas Dieu, mais, voiture ne me cogne pas », répète-t-elle comme si elle comptait sur quelque chose. Et l’enfant, ne craint-elle pas qu’il soit renversé, et puis, avec ce soleil cuisant et la fatigue, il peut tomber malade. « Il ne tombe pas malade ». Mais, voyons… « Sa maladie, c’est le paludisme, mais, ça passe. Je le soigne avec les feuilles », se justifie-t-elle. Les feuilles dont elle parle se trouvent à l’endroit même où elle se repose. Des feuilles d’acacia. L’enfant qui dormait, se réveille. Toujours le même regard hagard. Il marche vers la route sa sardine en main, mais, sa mère le rappelle à l’ordre. « Reviens, Moussa, assieds-toi ici ». Il obéit. Elle le sert contre elle et il se rendort sous la chaleur maternelle. Une chaleur maternelle tout contraste avec le risque qu’elle lui fait courir tous les jours. C’est certainement à cause de lui que les automobilistes ont pitié et donnent de l’argent à Aïcha. « Il le jette sur moi parce qu’ils ne peuvent pas s’arrêter-là ». Elle gagne entre 1.000 et 2.000 Fcfa dans la journée. « Mais, il y a des jours où je ne gagne rien du tout ». Et quand c’est ainsi, elle dort au Plateau, vers Versus Bank, à la belle étoile, avec Moussa qui ignore jusqu’où la folie de sa mère peut le conduire. Aïcha explique qu’elle a de la famille. Mais, elle est venue dans la mendicité à cause de cette même famille. « Je suis née à Abidjan. Ma mère est morte dès mon enfance pendant que nous étions à Abobo-derrière rail. Elle m’a confiée à ma grand-mère qui est décédée aussi. Je suis ensuite allée chez mes oncles toujours à Abobo. Ils m’ont rejetée dès que j’ai eu mon bébé », relate-t-elle avec la même allégresse comme si ses souvenirs ne lui disaient rien. Le père de l’enfant est maçon à Adjamé, dit-elle. « Il se débrouille. Mais, il m’a chassée de chez lui, avec mon bébé parce qu’il aime une autre femme », ajoute Aïcha. Elle a trouvé refuge en ce moment chez d’autres connaissances à la Riviera-Attoban. « On vient tous d’Odienné ». Mais, ces derniers tout autant pauvres qu’elle, ne se préoccupent pas de son sort. Elle est donc obligée de venir se « chercher » en ce lieu dangereux. Quand elle le peut, elle va dormir à la Riviera-Attoban. Quand elle ne le peut pas elle dort dans les rues du Plateau. Entre les véhicules qu’elle affronte tous les jours et les violeurs à la recherche de la proie facile, tout peut lui arriver à tout moment. « Je n’ai jamais été violée ni agressée », rassure-t-elle cependant. Pourquoi ne pas abandonner pendant qu’il est temps, ce métier suicidaire qui engage la vie de son enfant. Aîcha le voudrait bien, mais, que faire ? Les samedis et les dimanches, elle se rend « au feu de Marcory », dit-elle pour mendier. Les seuls jours de rupture avec le danger des véhicules. A 15h, elle commence à se diriger vers la « Pyramide ». En bavardant avec elle au bord de la route, des automobilistes nous jettent des regards interrogateurs. Parce que la conversation tourne souvent à la plaisanterie et aux éclats de rire. La particularité de Aïcha c’est que chaque jour qu’on la voit exposée aux véhicules on se demande si le lendemain elle sera encore là…

Raphaël Tanoh
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