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Société Publié le lundi 19 octobre 2009 | Le Temps

Education nationale : Quand les maîtres succombent au dieu argent

Le métier d'enseignant est un véritable sacerdoce. S'il est reconnu comme un métier passionnant, les concernés le définissent comme une fonction ingrate. Les formateurs de la Nation se considèrent en effet, au vu de l'ampleur de leur tâche, comme des travailleurs sous-payés. Ils exercent, en effet, un métier difficile qui n'offre que le salaire mensuel comme avantage. C'est pour cette raison que de nombreux enseignants ont, par le biais de concours, abandonné la craie pour l'Ena. A la sortie de cette prestigieuse école, ils sont assurés de jouir, en plus de leur salaire, de nombreux autres privilèges financiers. Malheureusement, pour les "maîtres", le gouvernement pour interrompre l'hémorragie que subit l'éducation nationale, leur a injustement fermé hermétiquement la porte de l'Ena. Finalement, les enseignants sont condamnés à ce métier "sans jus" jusqu'à la fin de leur carrière. Et devant la possibilité qu'ont la plupart des autres fonctionnaires et agents de l'Etat de se faire de l'argent quotidiennement de façon malhonnête, les enseignants se sont malheureusement laissé séduire par le dieu argent. Ils ont trouvé des parades pour se faire de l'argent facile. "Si l'on peut s'enrichir frauduleusement dans une totale impunité, pourquoi pas nous aussi ?" telle est en quelque sorte, la rengaine qui fonde leurs dérives. Ne courrons-nous tous pas vers le chaos si ceux qui sont chargés d'éduquer la Nation ont succombé au dieu Argent ? Aujourd'hui, la situation a atteint des limites étourdissantes. Dans le diagnostic pour comprendre le mal dont souffre le système scolaire et universitaire, on oublie souvent d'évoquer le virus de l'argent facile. On révèle certes le cas des professeurs qui vendent des notes, des moyennes ou des fascicules, mais on n'oublie que ce sont ceux qui occupent des postes de responsabilité dans le monde scolaire (Directeurs d'école, conseillers pédagogiques du primaire, conseillers d'orientation, chefs d'établissement, les inspecteurs, Directeurs départementaux, Directeurs centraux, etc) qui ont introduit le poison de l'argent dans le système. Du primaire jusqu'au supérieur, le monde de l'éducation et de la formation, est infecté par le germe de l'argent du déshonneur. Le Coges (le Comité de gestion), une idée lumineuse, destinée à faire face immédiatement aux dépenses mineures est devenue, depuis quelques années, une caisse noire, où se servent, sans vergogne les Iep (Inspecteurs de l'enseignement primaire), les proviseurs et les Dren (Directeur régional de l'éducation nationale). D'où vient que les Iep et les Dren ont droit à un pourcentage sur la somme payée par chaque élève pour le compte des Coges ? Les parents d'élèves cooptés pour présider ce comité, contre les intérêts de leurs pairs, participent gloutonnement à ce vol organisé. Que dire de ceux qui gèrent, comme des "boîtes à sou", au sommet, la cantine scolaire, le Sapep, la Deco, la Desac? Sur le dos et avec les moyens de l'Etat, ils se remplissent les poches, les comptes et les ventres, en toute impunité. N'importe quoi ! Au privé, les critères exigés pour ouvrir un établissement n'ont pas besoin d'être respectés, il suffit de payer une belle somme au Sapep pour bénéficier d'une autorisation. Alors comment s'étonner lorsque le monde de l'enseignement privé est infesté par des hommes d'affaires véreux ? Que dire du droit d'inscription au public ? Au primaire comme au secondaire, les Directeurs, les conseillers et les proviseurs exigent que les parents payent le double ou le triple du montant officiel. A côté de cette surfacturation des droits d'inscription, les responsables de nos lycées et collèges pratiquent en toute impunité le recrutement parallèle qui a pris officiellement fin depuis plus d'une dizaine d'années. Pour mieux s'adonner à cet enrichissement illicite, les chefs d'établissement ont eu l'idée d'associer les enseignants. A ceux-ci, il est permis d'inscrire un cas (un élève). Faut-il accepter cette proposition indécente ou la refuser quand les enseignants savent que le recrutement parallèle se fera de toutes les façons avec ou sans eux ? Qui est fou ? D'accord ou pas, c'est à eux que revient la tâche de gérer les effectifs démentiels des salles de classe en déficit de table-bancs. Le piège est grandement ouvert ! Les Dren qui ont, eux aussi, les mains dans le plat, laissent faire. Quels résultats attend-on d'un enseignant dans une classe de cent élèves assis souvent à trois ou quatre par table? Où allons-nous ? Le Centre d'information et d'orientation (Cio) ! Vous connaissez ? C'est la structure chargée d'orienter les élèves en sixième et en seconde. Après la sortie officielle des orientations, les parents d'élèves sont surpris de voir leurs enfants orientés dans des villes éloignées de leur lieu de service. Pourquoi? C'est parce qu'il manque de structures d'accueil. Alors pourquoi demande-t-on aux parents d'élèves de verser une somme de 20000 Fcfa ou plus pour la réaffectation de leurs enfants dans leur ville d'origine alors même qu'il y a déficit de structures d'accueil ? S'il est donc possible de ramener un enfant orienté à Abengourou à Tanda, pourquoi ne pas, dès le départ, le maintenir dans cette ville où il a été reçu à l'entrée en sixième ou en seconde ? Et puis, où va l'argent collecté par les Cio ? Les parents d'élèves, les pauvres victimes de cette arnaque, comme d'habitude se contentent de grogner dans leur salon, tout juste pour impressionner sûrement leurs épouses. Existe-il d'ailleurs une association de parents d'élèves dans ce pays ? Doit-on encore attendre que le président de la république descende lui-même dans les écoles pour mettre de l'ordre ? Pauvre Laurent Gbagbo!... Ne peut-on pas s'organiser pour dire non à cette escroquerie ? Où allons-nous ? Où sont passés les inspecteurs de l'éducation nationale dont le rôle justement, est d'inspecter pour freiner les dysfonctionnements et les dérives dans le système scolaire ? Comment peut-on être efficace lorsque la venue d'un inspecteur dans un lycée est annoncée une semaine d'avance au proviseur ? Comment peut-on faire correctement son travail lorsqu'à la fin d'un contrôle, le proviseur visité doit offrir à "son contrôleur" un repas copieux bien arrosé de vin rouge et enfin une enveloppe ? Qu'en est-il du mode de recrutement des instituteurs adjoints (Ia) ? Ici, c'est la célébration de la médiocrité. Pour être admis en tant que (Ia), il faut débourser de l'argent. Peu importe le niveau du candidat, il suffit au préalable, d'acheter un Bepc sur le marché. C'est ainsi que des individus mal formés voire "déformés" se retrouvent instituteurs adjoints. Comment peut-on rêver de former des cadres compétents si la base est déjà faussée ? Qui ne sait dans ce pays que le Cepe n'est point une épreuve mais une foire à la tricherie ? N'importe quoi ! Que dire des examens pédagogiques au primaire ? Là aussi, il y a beaucoup à dire. Pour être reçu à son concours d'intégration, de titularisation ou de Cap, l'instituteur n'a pas d'autre choix que de verser des billets de banque à son Iep. L'instituteur qui, après des années de service en brousse, désire exercer son métier en ville, doit se saigner financièrement pour espérer voir son désir pris en compte. Un aspirant au poste de Directeur ou de conseiller doit gentiment corrompre l'Iep. Peu importe son expérience ou sa compétence. Les responsables de nos écoles et nos Directions sont-ils tombés sur la tête ? Le ministre de tutelle en est-il informé ? Il est connu de tous que tous les compartiments de la société ivoirienne sont pourris. Mais lorsque cette décomposition atteint le secteur de l'éducation et de la formation, la société est simplement en danger. La fonction enseignante est tellement importante dans toutes les stratégies de développement, que les gouvernants doivent prendre des mesures pour sauver l'essentiel. Nous pensons que c'est dans ce sens que le Président de la République a pris un décret en faveur d'un nouveau profil pour les enseignants. Bien payés, ils n'auront pas d'autre choix que de se consacrer à leur travail. Ces derniers attendent que la mise en application du décret débute effectivement à la fin du mois de novembre comme promis. Il faut de plus avoir un regard rigoureux sur "les patrons" du système. Il est tellement facile et habituel d'accuser les enseignants craies en main que l'on ne se rend pas compte de la "responsabilité chancelante des responsables" dans la déchéance de l'école. Cependant, les enseignants, patrons ou pas, eux-mêmes, doivent comprendre qu'ils constituent le pilier central de la "cathédrale nationale". On attend d'eux qu'ils fleurissent et qu'ils embaument la Nation de leur noble fragrance. On entend d'eux de la lumière pour éclairer les consciences et chasser les ténèbres de l'ignorance et de l'immoralité. Un enseignant n'est pas simplement un pédagogue. C'est un modèle de comportement, un éducateur, c'est-à-dire, un fonctionnaire chargé d'inculquer aux citoyens des savoirs, des savoir-faire et surtout des savoir-être. Qu'ils acceptent de faire le sacrifice de l'intégrité pour sauver la Nation en danger !

Etty Macaire
01430490 / 07001689
ethimacaire@yahoo.fr
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