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Faits Divers Publié le lundi 30 novembre 2009 | Nord-Sud

Mariage, rivalité, stérilité… : Les marabouts disent-il la vérité aux femmes ?

Au moindre problème de foyer, les femmes n'hésitent pas à appeler au secours les marabouts. Ces conseillers des femmes sont-ils crédibles? Nord-Sud a enquêté.

Le métier de marabout est devenu une vraie aubaine pour beaucoup de personnes par ces temps de vaches maigres. Le mariage ou la stérilité sont les principaux appâts de ces diseurs de bonnes paroles pour soutirer de l'argent ou autres biens matériels aux femmes. Le résultat n'est pas toujours garanti. Jeudi 29 octobre. Le marché de Yopougon Selmer ne grouille pas de monde.

Normal, il est 14 heures passée. A cette heure, les femmes ont déjà terminé la cuisine. Et c'est l'heure que nous avons choisie pour rendre visite à Ibrahim Kouakou, le marabout du coin. Ce dernier est réputé pour ses prouesses. Ibrahim est assis sur une chaise, dans son lieu de travail d'environ deux mètres carrés, construit en contre-plaqué. Il observe à peine la paume gauche de sa «cliente» et mâche lentement du Kaolin blanc. Il demande ensuite les raisons de notre visite.

Étrange ! Le devin ignore les raisons de la visite même après six minutes de présence. Nous nous présentons quand même comme la maîtresse d'un homme qui veut la place de l'épouse légale. La mayonnaise prend.

-« Est-ce que le monsieur travaille ? », interroge le voyant.
- « Oui, dans une banque », répond avec conviction le reporter.

Chez Ibrahim Kouakou, l'escroquerie est flagrante. Elle se remarque déjà par ses grimaces. L'air faussement pensif, notre consultant ricane soudainement. Puis il redevient serein, l'œil rivé sur le petit rectangle de sable fin qu'il ne touche pas des doigts. Le marabout du marché veut sans doute convaincre. Il lance en remuant la tête: « Vous êtes Akan, n'est-ce pas ? Mes génies précisent même que vous êtes Ebrié». Grosse erreur de voyance qui frise le ridicule, car nous sommes d'une autre ethnie, de l’ouest. Mais, il faut jouer le jeu et confirmer. Mis en confiance malgré cette erreur rocambolesque, Ibrahim présente son diagnostic. Il affirme d'abord que la «maîtresse» que nous sommes n'est plus dans les bonnes grâces de son banquier d'amant.

C'est l'épouse légale, au teint clair- la fausse amante est de teint noir- qui empêche la relation par voie de maraboutage. « Toi, tu dors alors que ta rivale qui est de teint clair ne dort pas. Elle tourne beaucoup. Tu as eu la chance d'être venu ici à temps», sermonne-t-il. L'homme poursuit : «Mais pour bien profiter de lui, envoie-moi le parfum “Nuit de jeunesse” et une bouteille de liqueur de qualité ». Selon le marabout, le parfum va servir à « laver » sa cliente pour éloigner les démons.

La liqueur, elle, appartient aux génies bienfaiteurs. Puis, très vite, ce sont les négociations financières. Ibrahim demande d'abord une somme de 10 000 Fcfa pour réaliser le mariage a priori impossible, face à une rivale qui tourne beaucoup. Seulement cinq minutes après, l'homme se contredit dans son diagnostic: « Mes génies disent que les parents du monsieur lui proposent une autre femme. Voilà pourquoi il vous néglige ». Il vient ainsi de déplacer le problème. Du vrai charabia.

A la fin de l'audition qui a duré une vingtaine de minutes, Ibrahim revient à la charge : «C'est vous que le banquier préfère». Dégoutée par tant de mensonges, nous payons 525 Fcfa pour la consultation et prenons congés tout en promettant de revenir. Celle qui est désillusionnée, c'est plutôt notre accompagnatrice, Mlle Mireille K. qui avait l'habitude de fréquenter ce faux marabout.

Pour éviter les conclusions hâtives sur la crédibilité des marabouts, nous avons contacté un autre voyant dans la commune d'Abobo. Décor spécial chez Bakary Frima : peaux de moutons accrochées au mur, grigris bizarres ça et là, cornes d'animaux, gros canaris... Ce «karamôgô» (le nom en langue malinké des marabouts) officie à quelques mètres de l'immeuble Sylla à Abobo gare. Nous nous sommes présentée à son cabinet comme une femme stérile qui vit en concubinage à Cocody avec un cadre de banque. Le karamôgô bien sûr ne s'est pas rendu compte de la blague ! Il s'est dit prêt à accélérer le processus du mariage et même de l'enfantement. Son diagnostic est effrayant : « un vilain génie vous a empoisonnée. Il a attaché votre ventre pour ne pas que vous ayez des enfants. C'est lui qui est contre votre mariage. Il faut qu'on le chasse avant de nous occuper du mariage. Sinon vous allez perdre votre mari».
Bakary Frima trace des traits sur une feuille de papier blanc. Puis il murmure et s'exclame en retroussant les manches de son boubou : «mes génies demandent un mouton ou à défaut un coq âgé de deux ans. En plus deux poulets que vous aller déguster en famille». Notre mari fictif est présenté par Bakary Frima comme une personnalité à ne pas négliger. Il fait cette précision certainement dans le but d'accélérer le sacrifice du mouton. Mme Koffi, une femme mariée, qui ignore notre identité réelle, nous recommande un vieux lanceur de cauris au quartier Sos d'Abobo, au motif qu'il est « très fort ». Solidarité féminine quand tu nous tiens ! Vendredi 30 octobre. Il est 9 heures 31. C'est à notre tour d'entrer dans la minuscule chambre de la cour commune qui sert de bureau au féticheur. La chaleur nous accueille. Près d'une dizaine de sachets noirs accrochés au mur donnent une ambiance lugubre à la pièce. A cela s'ajoute le nombre indéchiffrable de bouteilles remplies de décoctions multicolores qui traînent ça et là. Le jeu commençait à devenir inquiétant. Le vieil homme mince, vêtu d'un boubou, est assis sur une natte. Plus de peur que de mal. Il mord, lui aussi, à la fausse histoire de stérilité. Mais il est moins gourmand dans les recommandations. « Tenez ce Kaolin, il va vous permettre d'avoir des enfants. Si vous êtes reconnaissante, envoyez-moi un complet de vêtements. Si c'est une fille, envoyez un complet de femme et si c'est un garçon, je veux un complet pour homme», suggère-t-il. Son diagnostic aussi est moins traumatisant et aguicheur: « Ne vous inquiétez pas. Vous allez même faire quatre enfants », rassure le vieil homme, après avoir interrogé ses cauris. Pendant ce temps, trois visiteurs dont un homme, patientent sur un banc, à l'entrée de la chambre.

De petites visites dans différentes communes d'Abidjan qui démontrent, si besoin en était, que n'est pas marabout qui veut.

« Le faux féticheur, c'est celui qui est lui-même misérable alors qu'il prétend rendre les autres riches. Il vit dans une petite maison. Ses vêtements sont délavés. Pour le démasquer, il faut être un vrai voyant. Celui qui n'a pas de pouvoir ne peut rien contre le faux marabout », soutient le voyant Petit Marteau. Il tire la couverture à lui en indiquant qu'il a «deux immeubles en construction».

Selon Petit marteau, les sacrifices dépendent de la valeur du travail à faire. A cet effet, les marabouts demandent souvent des moutons et de fortes sommes d'argent. Le docteur Coulibaly Djakalidja, anthropologue et sociologue à l'université de Cocody, soutient quant à lui, qu'il existe de « faux marabouts », à partir du moment où cette pratique est devenue une sorte de business. « Le marabout avait pour rôle originel la formation et l'encadrement social. C'est une personne qui permettait en quelque sorte de sécuriser la société, à partir de sa connaissance.

Malheureusement, ce métier est devenu aujourd'hui un fond de commerce », regrette-t-il. Le spécialiste souhaite que « le client se pose des questions, surtout lorsqu'on lui demande des sacrifices irréalistes ».

N.D
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