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Art et Culture Publié le lundi 21 décembre 2009 |

Cadeaux aux enfants / Pr. Francis Akindès (Sociologue): "Ce que vous offrez à un enfant participe à la construction de son être"

Eburnews - Le professeur Francis Akindès est le chef de département d’anthropologie et sociologie à l’Université de Bouaké-la-neuve. Dans cette interview, il explique la place des jouets dans la vie des enfants.

Nous sommes en fin d’année, les parents vont offrir des cadeaux à leurs progénitures. Quel type de jouet faut-il conseiller ?

Francis Akindès : En fin d’année, c’est l’occasion pour les parents d’être un peu plus large avec les enfants, en leur offrant des cadeaux. D’ailleurs, lorsque les enfants ne reçoivent pas de cadeaux de leurs parents, par rapport à leurs amis, ils ont le sentiment d’être à la marge. Car à noël ou pratiquement en fin d’année, les parents savent qu’ils ont une obligation de largesse vis-à-vis des enfants et les enfants attendent comme un droit des cadeaux de leurs parents. Sur ce système de droits et d’obligations entre parents en cette période précise de l’année, se construit tout un marché florissant de cadeaux parmi lesquels les jeux constituent l’essentiel. La fin de l’année est l’occasion pour les enfants d’avoir des habits neufs mais surtout des jeux. Ce sont, dans l’imaginaire des enfants et le monde féroce de comparaison qui est leur, deux signes de distinction et de marqueurs de différence. Le jeu participe de l’apprentissage à la fois de la culture de partage et de la propriété. Il n’y a qu’à voir les relations entre les enfants le jour même où les jeux cadeaux leur sont délivrés. La fierté dans le comportement de ceux qui ont la chance de recevoir les jeux de leur choix et des jeux valorisé ou valorisants aux yeux des autres. L’envie et la jalousie dans le regard de ceux qui n’en ont pas reçu. Le discours sans pitié de comparaison entre les jeux reçus. Les manifestations de l’ego dans le rapport à l’autre qui se traduisent par l’excès de l’usage de la première personne de l’adjectif possessif mon. Les réflexes ou l’envie de partage ou non. Bref des jeux de nature diverse, de qualité et de valeurs différentes, qui participent donc diversement à la construction de la personnalité et à l’éducation des enfants.

Quel type de cadeaux offrir à un enfant ?

F.A : Il important d’attirer l’attention des parents sur le fait que les jeux et les jouets ne sont pas neutres socialement. Un jeu ou un jouet participe à la formation de la personnalité des enfants ainsi qu’à leur éducation. Car derrière l’objet ludique, il y a un système de valeur de socialisation. On ne demande pas aux parents, lorsqu’ils doivent offrir un jeu ou un jouet aux enfants, de s’obliger à un exercice de réflexion philosophique. Devant chaque jeu ou jouet, ils doivent néanmoins s’interroger sur ce qu’il peut apporter à l’éducation de l’enfant. Car l’on apprend aussi en jouant. C’est d’ailleurs la meilleure forme d’apprentissage. Celle qui a les effets les plus durables. En clair, ce que vous offrez à un enfant participe à la construction de son être. Simone de Beauvoir disait qu’on ne naît pas femme. On le devient. On ne naît non plus homme, on le devient. On ne naît pas violent, on le devient. Les jeux et les jouets offerts aux enfants peuvent participer insidieusement à la construction de cette identité féminine, de cette identité masculine ou à la banalisation d’une culture de la violence. Derrière les couleurs des jeux se cachent des valeurs structurantes. Si vous offrez un jouet qui inspire la violence, vous favorisez sans le savoir, une banalisation de la culture de la violence chez l’enfant.

On voit souvent des cadeaux en forme de pistolet…

F.A : Oui. Pas que des pistolets. Des armes de guerre de toute nature, des avions de chasse, des chars. A Noël, les enfants s’amusent à se faire la guerre, les armes à la main. Une simulation de la guerre et de vraies batailles rangées. Ils se donnent des grades dans des armées imaginaires et se font passer pour des flics ou même des chefs de gang, le pistolet sur les hanches. Constatez combien les métiers des armes fascinent les enfants. Les jouets y sont pour beaucoup même s’ils ne sont pas les seules causes. Mais sachez que lorsque vous offrez de façon répétitive un pistolet-jouet à un enfant, vous l’habituez ainsi insidieusement au maniement d’armes à feu. Il banalise le fait de porter, de voir une arme. Les jouets-pistolets sont tout, sauf éducatifs.

Comment est donc structuré le marché des jouets ?

F.A : Comme je le disais tantôt, les jeux et les jouets sont de diverses natures. A côté des jeux vulgaires parce que sans portée éducative positive dont je parlais tantôt, il y a des jeux qui permettent de travailler la motricité, la mémoire, le sens de la créativité, l’habileté, d’autres, l’intelligence de la prise de décision. Ces jeux se subdivisent généralement en deux catégories : les jouets ou jeux de société qui se jouent à plusieurs et ceux qui cultivent l’individualité. Le développement de l’électronique touche également le secteur des jeux et des jouets (Nitendo DS, Wii, etc …). Tous ces jeux sont pour la plupart importés. A une gamme variée de jeux et de jouets, correspond une gamme variée de prix. L’accès au marché des jeux et jouets pour les ménages est fonction de leur portefeuille. Et c’est aussi un bon champ de lecture des inégalités sociales. Lorsque vous entrez dans la gamme des jouets qui développent chez l’enfant les qualités susmentionnées, ce sont déjà des jouets qui ont un certain prix, mais qui, de ce fait, excluent un type de clientèle. Généralement les jouets qui sont les moins chers, donc à portée de budgets modestes, sont souvent des jouets qui n’intègrent pas souvent de dimension éducative positive. Leurs choix sont souvent le résultat d’option d’achat sous pression financière. Ce peut être aussi par méconnaissance du lien entre le ludique et l’éducatif. Mais l’on comprend aisément comment la forte pression sociale à noël lorsque le budget familial est sur corde raide peut conduire un parent à faire le choix des jouets à bas prix sans souci de valeur socialisante derrière l’objet offert, même lorsqu’il en a conscience. Plus vous avez les moyens, plus vous pouvez offrir des palettes de jeux éducatifs. Moins vous avez de moyens plus vous avez des chances d’offrir des jouets qui ne présentent aucun intérêt éducatif positif pour l’enfant.

Voulez-vous dire que ce sont les pauvres qui offrent de mauvais cadeaux à leurs enfants ?

F.A : La corrélation entre modestie des moyens et risque de ne pouvoir offrir des jeux éducatifs est forte. Aujourd’hui dans l’industrie des jouets à la portée des bourses des moins nantis, le positionnement chinois est très fort. A part la motricité et l’éveil des plus petits, la gamme de jouets éducatifs qu’offrent les jouets chinois est limitée. Bon nombre de parents, sous le poids de la contrainte financière, sont souvent déchirés entre offrir un jouet, en tant que simple jeu et offrir un jouet éducatif. Comme quoi l’éducation, même à travers le jouet à un coût que tout le monde ne peut payer. Je n’ai pas encore évoqué la question du coût global de la satisfaction de cette obligation parentale d’offrir des jouets aux enfants lorsque vous multipliez le prix par jouet avec le nombre d’enfants qu’il faut satisfaire. N’oubliez pas que les familles africaines sont de taille relativement importante. Il faut parfois rajouter aux enfants du couple, les neveux et nièces ou les nombreux enfants spirituels par le fait des parrainages. Les jouets en fin d’année, c’est un budget.

Quel est l’appel que vous aves à lancer à l’endroit des parents ?

F.A : Le devoir d’un parent c’est aussi de savoir faire plaisir à son enfant. Quand ils veulent choisir des jouets, qu’ils soient sensibles à l’influence que le jouet pourrait avoir sur l’enfant. S’ils choisissent un jouet qui initie l’enfant à la violence, qu’ils ne s’étonnent pas que dans la durée l’enfant développe des comportements violents. S’ils veulent contribuer à développer la mémoire, la créativité chez l’enfant, qu’ils allouent plus de moyens à rechercher des jouets qui permettent aux enfants, même en jouant de continuer à travailler la mémoire et la créativité. Les parents doivent comprendre que derrière le choix d’un jouet il y a aussi un choix de société mais qui passe par l’éducation que les parents donnent à leurs enfants. Les enfants d’aujourd’hui, ce sont les adultes de demain. Ce sont eux qui feront la société de demain. Ce geste anodin qui consiste à offrir un jouet à un enfant peut avoir des répercutions sociales et sociétales que nous minimisons souvent.

Quel est le jouet idéal pour un enfant

F.A : Il y a des situations dans lesquelles les parents décident du choix d’un jouet pour les enfants et constatent par la suite que l’enfant n’apprécie pas le jouet, malgré sa cherté. Dans le choix d’un jouet, il faut associer l’enfant si possible. Si le parent désire maintenir l’effet surprise, il peut développer la stratégie suivante : amener l’enfant dans un espace de vente de jouer et scruter discrètement le ou les jeux ou jouets pour lesquels il a une attirance. Ceci permet d’intégrer le souhait de l’enfant dans le choix qui sera dans ce cas plus optimal. Car, il faut trouver le bon équilibre entre le budget disponible, la valeur éducative des jeux et le souhait de l’enfant. Le choix d’un jouet doit être toujours équilibré entre ce que désire l’enfant et le message que le parent voudrait faire passer à travers un jeu. Sur la base du principe de cet équilibre à observer, vous voyez donc qu’il n’y a donc pas de jouet idéal !

Réalisée par K.A.Parfait
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