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Société Publié le mercredi 23 décembre 2009 | Fraternité Matin

Tambourineur du palais: Néhoua Dakouri, le maître du « Tigballa » livre ses secrets

Comment et depuis quand êtes-vous entré au Palais de la Présidence de la République avec votre tam-tam ?

Je joue mon tam-tam au Palais depuis…1984. Mais je suis entré au sein même du Palais seulement en 2002.

De 1984 à 2002, où le jouiez-vous?

Je le jouais à la porte du Palais, je veux dire dehors.

Pourquoi jouiez-vous dehors ?

Des gardes-corps du Président de la République ne voulaient pas de bruit. Ils m’empêchaient d’entrer. Or, quand je joue le tam-tam, je parle, je cause. Je jouais donc dehors, mais on m’entendait depuis l’intérieur du Palais.

C’était au temps du Président Félix Houphouet Boigny…

Oui, oui. J’ai joué le tam-tam devant le Président Houphouet et il m’ a encouragé.

Comment êtes-vous arrivé à la porte du Palais ?

Personne ne m’y invitait. Je venais quand j’entendais dire qu’il y avait un événement important. Tous les soirs, je suivais le journal télévisé de 20 h, j’écoutais le journal à la radio. Je suivais l’actualité en général et j’avais une idée des grands rendez-vous du Chef de l’Etat avec les populations ou avec d’autres visiteurs. Et dès que j’avais la nouvelle, je venais avec mon tam-tam.

En quelle année êtes-vous entré pour jouer sur l’esplanade du Palais ?

C’est en 2002, avec le Président Laurent Gbagbo. Il y a un chef du Palais qu’on appelle Kassaraté, c’est lui qui m’a fait entrer. Mais dès que j’ai mis mon tam-tam, des chauffeurs ont voulu que je l’enlève, parce que, ont-ils dit, c’est leur place. Le même Kassaraté a demandé que je reste. Et je suis resté. Mais le temps est passé et tout se passe bien aujourd’hui, avec tout le monde. Tout se passe tellement bien aujourd’hui que quand il y a un conseil des ministres, une rencontre importante de la population ou de quelque autorité que ce soit avec le Président, quand il y a une manifestation d’envergure, quelqu’un du Palais m’appelle au téléphone et je viens.

Mais quand ce sont des groupes qui ne mettent pas la main à leurs poches, je ne viens pas.

Que voulez-vous dire ?

Cela veut dire que les groupes qui ne me voient pas quand je joue, je ne viens pas jouer quand ils viennent chez le Chef de l’Etat. Mais ceux qui me manifestent qu’ils savent que je joue pour eux, ou que j’apporte quelque chose à leur cérémonie, je viens. Quand je joue, je suis au soleil. Et j’ai soif. En plus je paye le transport pour venir ici. Il faut qu’on paye mon transport.

Oui, mais vous avez dit vous-même que personne ne vous a invité.

Même s’ils ne m’ont pas invité, ils peuvent savoir que je joue pour eux et me prendre comme tel.

Quels sont les groupes qui ne mettent pas la main à la poche ?

Non. Je ne peux pas vous avancer des noms. Ils se reconnaîtront. Une chose est sûre, quand ils viennent voir le Président, moi, je ne viens pas.

Alors, quels sont les groupes qui mettent la main à la poche ?

Là, je peux parler. D’ailleurs, vous me donnez l’occasion de les saluer publiquement. Ce sont les ministres du gouvernement actuel. Eux au moins donnent un peu quand ils passent. Certains me donnent cinq mille francs, d’autres dix mille francs. De sorte que quand je quitte le palais le soir, ma marmite à la maison peut bouillir. Et c’est encourageant.

Combien de francs vous arrive-t-il d’emporter à la maison ?

On ne peut pas le dire à la presse.

Mais on peut dire un peu quand même.

Oui. Alors comme vous insistez, je vais vous dire que je peux avoir entre cinquante et soixante mille francs, quand il y a un conseil des ministres.

En dehors de ce que vous donnent les âmes généreuses, la Présidence vous paye-t-elle pour ce que vous faites ?

Non. Du moins on ne me payait pas dans le temps. Mais je prenais ce que les âmes généreuses me donnaient. Dieu merci, aujourd’hui, j’ai un petit salaire ici à la Présidence de la République et je remercie le Président Laurent Gbagbo.

Mais en dehors de tout cela, je me sens honoré de voir le Président de la République passer presque tous les jours. Combien d’Ivoiriens le voient comme moi ? Je le vois avec tous ses hôtes les plus illustres. C’est un honneur. Dans mon salon, je n’ai pas de fauteuils. Mais j’y ai exposé des photos où j’ai posé avec de nombreux Présidents d’ici et d’ailleurs. C’est beaucoup. En plus, beaucoup de personnes ont fini par me connaître et me font des honneurs quand on se rencontre. Tout cela parce que je joue le tam-tam au Palais. J’ai une carte d’accès au Palais. J’y entre donc quand je veux et j’en sors quand je veux. Cela n’est pas rien. J’ai un fils qui m’a acheté une voiture. Mais tout le monde est convaincu que c’est le Président qui me l’a achetée. Je dis tant mieux, c’est un honneur pour moi. Mais ce n’est pas lui qui me l’a achetée.

Vous êtes donc satisfait du tam-tam que vous jouez au Palais depuis 1984.

Oui. J’en suis satisfait et fier.

Quel était votre objectif quand vous veniez ici ? Peut-on considérer que vous l’avez atteint ?

Non. Je n’ai pas encore atteint mon objectif. En réalité, mon objectif premier, c’est d’avoir une maison. Un toit où dormir.

Si l’on vous donne une maison, vous n’allez plus jouer le tam-tam…

Pourquoi pas ? Bien au contraire. Je jouerai tant que j’aurai le souffle pour le faire.

Vous dites que quand vous jouez le tam-tam, vous parlez. Que dites-vous et à qui ?

Je parle aux personnalités qui arrivent, qui passent. Selon que c’est une femme ou un homme. Selon que la personnalité est grande, petite de teint clair ou noir, grosse ou mince, chacun a son nom. Je les salue, je dis leurs qualités physiques, morales, intellectuelles. Je chante leurs louanges avec les tam-tams qu’on appelle «Tigballa» ou tam-tam parleur en français.

Quand le Président Laurent Gbagbo arrive, que lui dites-vous par exemple avec votre tam-tam ?

Lui, il est initié. Et il répond bien. Le Président Houphouet-Boigny répondait également en son temps. De même que le président Henri Konan Bédié. Sauf le chef de l’Etat Robert Guéi. Les militaires le suivaient et moi, j’avais peur de lui. Je n’ai donc pas joué le tam-tam pour lui.

Que dites-vous au Président Laurent Gbagbo quand il passe ?

Je l’appelle par son nom : «Koudou Gbagbo ! Koudou Gbagbo !». Et il répond bien : «Oha ! Oha ! Dakouri, je suis là». Je lui dis qu’il est grand de taille et dans l’âme, et il mérite respect et considération. Je lui dis qu’il est plus puissant que ceux que les gens craignent. Je lui dis qu’il est au sommet et qu’il le mérite. D’ailleurs, il m’a demandé d’ajouter : «Klékoro» à son nom.

Ça veut dire quoi ?

Ça veut dire «Figure de masque», symbole de grandeur et de bravoure.

Aujourd’hui (jeudi 17 décembre 2009), on vous a vu faire une photo avec le Président Gbagbo. C’est la première fois que vous posez avec un Président depuis 1984 ?

Non, pas du tout. J’ai plusieurs fois posé avec les Présidents de la République : Houphouet, Thabo Mbeki, Denis Sassou Nguesso, et bien d’autres autorités d’ici et d’ailleurs. Mais aujourd’hui, c’est particulier.

Pourquoi ?

Parce qu’on m’a demandé de préparer la relève. Depuis un moment donc, je joue avec un de mes neveux, Dogba Clovis. Il est étudiant. Mais quand je l’appelle, il laisse l’école et il vient. Aujourd’hui, j’ai saisi l’occasion de cette photo pour le présenter au Président. J’en suis plus qu’heureux.

Considérez-vous que la relève est assurée avec votre neveu qui est étudiant ?

Oui. Je le considère. Mais même si avec ses diplômes il arrivait à avoir un emploi, il y a d’autres fils qui maîtrisent aussi le «Tigballa». Il n’y a pas de crainte pour la relève (interrogé, Clovis Dogba, étudiant en Dea de Sociologie, a affirmé qu’il souhaiterait avoir un emploi à la hauteur de ses diplômes. Ndlr).

Interview réalisée par Pascal Soro
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