La crise socio économique que traverse la Côte d’Ivoire a étiolé comme une peau de chagrin, le portefeuille de plusieurs familles. Face à cette misère galopante, des mères de familles se ruent tous les matins sur les décharges publiques d’Abidjan à la recherche de papiers ou autres objets en plastique dont la vente devant leur permettre de nourrir leurs progénitures.
Il est 8 heures, ce samedi matin, au centre de groupage des ordures situé à quelques encablures de la mairie d’Abobo. Trois dames dont deux, portant sur le dos, leurs progénitures, fouinent cette décharge puante, chaussées de sandales qui couvrent à peine leurs pieds. Sans gêne ou crainte des maladies, elles enfoncent leurs mains nues dans les détritus pour en sortir des sachets qu’elles mettent dans un sac de 50 Kilogrammes. Non loin de cette décharge, des garçonnets, mordent à belles dents dans les beignets que viennent de leur acheter leurs génitrices. « Maman, Moussa veut voler mon beignet » lance le plus petit à l’une des femmes occupée dans les ordures. Au même moment, arrive sur les lieux, deux autres femmes essoufflées. « Je parie que vous avez déjà tout collecté », se plaint la plus jeune du groupe. « Non, nous venons tout juste d’arriver. Et puis, ce n’est pas la seule décharge où tu peux avoir assez de papiers ou objets en plastique », répond la mère de Moussa. Elles posent leurs enfants auprès de Moussa et se jettent, sans autre précaution, dans ces tas d’immondices. Les spectacles de ce genre sont légion dans le district d’Abidjan. Que ce soit à Abobo, Adjamé, Yopougon, Koumassi, voire Cocody, les fouilles dans les ordures sont devenues des voies de sortie de misère de plusieurs familles.
Les raisons d’un choix
En effet, avec la paupérisation qui a gagné du terrain, de nombreuses mères de familles ont décidé d’investir les tas d’immondices à la recherche de plastiques ou autres objets recyclables. Ce, dans le but d’offrir le repas quotidien à leurs enfants et à un mari qui est soit licencié, soit au chômage, faute d’emploi. Au nombre de celles-ci, il y a dame C. Mariam, mère de quatre enfants dont deux sont au collège. Rencontrée à un centre de groupage d’Abobo, elle nous a expliqué les raisons de son choix. « Mon mari travaillait dans une entreprise au port d’Abidjan. A la suite des événements de novembre 2004, son employeur qui était un français est rentré dans son pays. La situation était devenue très invivable. N’ayant pas de fonds de commerce, je me suis lancée dans cette activité sur le conseil de ma camarade Sita que voici de l’autre côté », nous relate-t-elle avec beaucoup d’amertume. Les pieds plongés dans les ordures et indifférente à tout, Sita est occupée à sortir ses « articles » malgré les mouches et la puanteur. Elle porte sur le dos son enfant de 2 ans qui ne cesse de pleurer. Autour d'elle, des hommes s'adonnent à la même occupation. Très satisfaite de son butin matinal, elle accepte de se livrer à nous. « Vous savez, je fus une grande commerçante. Nous avions un soir reçu la visite de cambrioleurs qui nous ont dépouillés. J’ai perdu une somme de 1,450 millions F cfa ce jour là. Pour ne pas nous appesantir indéfiniment sur cette adversité, j’ai décidé avec mon mari, d’embrasser cette activité. Je travaille au niveau d’Abobo et lui à Adjamé. Nous essayons de reconstituer notre épargne pour mener une activité plus honorable. Pour le moment, ce travail nous permet de soutenir les études de nos enfants qui sont en classe de 4e, 3e et 1ère».
A la merci d’employeurs et acheteurs véreux
Contrairement à Sita et Mariam qui travaillent pour leur propre compte, dames Salimata et Bintou ont un employeur. Ce qui fait qu’elles sont obligées de se réveiller très tôt tous les matins, pour se rendre dans les décharges et les marchés publics à la recherche des sachets récupérables. « Notre travail consiste à ramasser les sachets plastiques. Nous sommes rémunérées en fonction du nombre de sacs de sachets que nous pouvons apporter (sac de 50 kg) », relatent elles avant de préciser : « A nos débuts dans ce travail, nous n’avions pas d’argent pour payer les frais de transport d’Abobo à la zone industrielle de Yopougon. Nous avons approché M. Sékou qui a accepté de nous aider. En contrepartie, il a exigé être notre patron. Nous n’avons pas vu cela en mal. Surtout que l’urgence pour nous était de nourrir nos enfants. Nous enviions cependant celles qui travaillaient à leur propre compte » regrettent-elles. Tout comme elles, plusieurs autres femmes rencontrées dans la commune d’Abobo ou à Adjamé, ont affirmé faire ce travail pour le compte d'employeurs. « Ce n’est pas du tout facile de faire ce travail pour le compte de quelqu’un. Celui qui vous emploie à pour souci de faire assez de profits. Très avide d’argent, certains patrons truquent leur bascule. Ainsi un sac qui devrait peser 25 kilogrammes, fera avec leur bascule, 20 à 22 kilogrammes. C’est dommage », dénonce Mme Traoré rencontrée au niveau de la décharge située à la gare nord d’Adjamé. En plus de ces employeurs véreux, il y a l’attitude ‘’malhonnête’’ de certains acheteurs grossistes. En effet, une fois que les dames ont collecté, lavé et mis en sac de 100 Kilogrammes, les sachets, elles se rendent à la zone industrielle de Yopougon pour écouler leur marchandise. « Tant qu’un colis n’a pas été acheté, on est stressé, car, l’usine peut dire que la marchandise n’est pas de première qualité. A ce moment, c’est à un vil prix arbitraire qu’elle achète les produits » dénonce la mère du petit Moussa.
Elles font la plonge dans les caniveaux
Dans la commune de Yopougon, plus précisément dans la zone du Chu et au niveau du Banco, un autre ordre de mères de famille exerce dans le domaine de la pré-collecte de papiers plastiques. Elles sont spécialisées dans le lavage des balles de plastiques récupérées. Le grand caniveau situé dans la zone du Chu de Yopougon est l’une de leurs zones de prédilection. A notre arrivée sur ces lieux, elles s’affairent sans souci à leur activité. Pagne attaché à la taille à mi-genou et foulard sur la tête, elles sont accroupies dans l'eau dont elles ignorent l’origine. Elles lavent le « produit » sans aucune précaution d'hygiène. Les grosses mouches survolent les lieux. A quelques mètres, le cadavre d’un chien en putréfaction pollue l’air ambiant. Une bande de cinq gamins, dont trois ont l’âge d’aller à l’école, consomment de l’attiéké. Cécilia, dont l’âge avoisine la quarantaine, sort de l’eau à grandes enjambées, pour secourir sa fillette qui venait d’être sauvée d’un accident de la circulation par un passant. «Merci beaucoup Monsieur. Grâce à toi, mon mari ne va pas m’engueuler ce soir» dit-elle. Profitant de cette circonstance, nous lui demandons, pourquoi elle a opté pour une telle activité ? Elle a répondu en ces termes : « Chaque jour, je viens avec mes voisines du quartier laver les plastiques. Nous habitons Yopougon Port-bouët II. J’ai préféré ce travail à bien d’autres parce qu’il ne demande pas de fonds de commerce. Je peux avoir 2.000 F.cfa par jour. Ce qui me permet d’aider mon époux qui souffre d’un mal pernicieux depuis quelques années». En effet, au niveau de cet espace bruyant et malodorant, l’argent circule d’une main à l’autre. Un homme assis sur un banc, surveille attentivement, les va-et-vient des dames qui sont en train de laver ses colis de plastiques. Elles plongent les sachets dans l'eau, les frottent et les ressortent pour le séchage. Il nous révèle :« J’emploie des jeunes pour la récupération de sachets plastiques et des femmes pour les laver. Quand nous venons avec les sachets, nous sollicitons l'aide des dames et surtout des jeunes filles pour les laver. Le prix homologué ici pour le kilogramme de papiers plastiques lavés est de 50 Fcfa »
Une activité qui nourrit son homme
A la question de savoir si cette activité était rentable, les dames ont été toutes formelles. « Le sachet plastique récupérable nourrit son homme. Le prix au kilogramme varie en fonction du type de sachets. Les sachets utilisés pour vendre l'eau glacée (10 Fcfa l'unité) et les sachets noirs et bleus (25 ou 50 Fcfa l'unité) sont payés à bas prix. Soit 100 Fcfa le kg. Les grands sachets, ceux utilisés pour couvrir les marchandises ainsi que les sachets lourds, sont par contre prisés. Ils sont payés à 150 F voire 200 Fcfa le kg. Par jour, nous pouvons faire un tas de quatre à cinq balles de sachets et nous retrouver avec 5.000 Fcfa voire 8.000 Fcfa. Il faut aussi signaler qu’à côté des papiers plastiques, nous récupérons très souvent des bouteilles, du cuivre et de l’aluminium que nous allons vendre à la ‘’casse’’ » affirme avec beaucoup de fierté la mère du petit Moussa. « Je peux faire un chiffre d’affaire quotidien de 3.000 Fcfa minimum » renchérit-elle. A la question de savoir si les odeurs et les risques de maladies ne leur font pas peur, la bande à C. Mariam répond sans faux fuyant : « Nous y sommes habituées. L'odeur ne nous dit plus rien. De toutes les façons, les microbes ne tuent pas les Africains. Et puis l’essentiel pour nous est de parvenir à nourrir nos enfants ».
Aboubakar Sangaré
Il est 8 heures, ce samedi matin, au centre de groupage des ordures situé à quelques encablures de la mairie d’Abobo. Trois dames dont deux, portant sur le dos, leurs progénitures, fouinent cette décharge puante, chaussées de sandales qui couvrent à peine leurs pieds. Sans gêne ou crainte des maladies, elles enfoncent leurs mains nues dans les détritus pour en sortir des sachets qu’elles mettent dans un sac de 50 Kilogrammes. Non loin de cette décharge, des garçonnets, mordent à belles dents dans les beignets que viennent de leur acheter leurs génitrices. « Maman, Moussa veut voler mon beignet » lance le plus petit à l’une des femmes occupée dans les ordures. Au même moment, arrive sur les lieux, deux autres femmes essoufflées. « Je parie que vous avez déjà tout collecté », se plaint la plus jeune du groupe. « Non, nous venons tout juste d’arriver. Et puis, ce n’est pas la seule décharge où tu peux avoir assez de papiers ou objets en plastique », répond la mère de Moussa. Elles posent leurs enfants auprès de Moussa et se jettent, sans autre précaution, dans ces tas d’immondices. Les spectacles de ce genre sont légion dans le district d’Abidjan. Que ce soit à Abobo, Adjamé, Yopougon, Koumassi, voire Cocody, les fouilles dans les ordures sont devenues des voies de sortie de misère de plusieurs familles.
Les raisons d’un choix
En effet, avec la paupérisation qui a gagné du terrain, de nombreuses mères de familles ont décidé d’investir les tas d’immondices à la recherche de plastiques ou autres objets recyclables. Ce, dans le but d’offrir le repas quotidien à leurs enfants et à un mari qui est soit licencié, soit au chômage, faute d’emploi. Au nombre de celles-ci, il y a dame C. Mariam, mère de quatre enfants dont deux sont au collège. Rencontrée à un centre de groupage d’Abobo, elle nous a expliqué les raisons de son choix. « Mon mari travaillait dans une entreprise au port d’Abidjan. A la suite des événements de novembre 2004, son employeur qui était un français est rentré dans son pays. La situation était devenue très invivable. N’ayant pas de fonds de commerce, je me suis lancée dans cette activité sur le conseil de ma camarade Sita que voici de l’autre côté », nous relate-t-elle avec beaucoup d’amertume. Les pieds plongés dans les ordures et indifférente à tout, Sita est occupée à sortir ses « articles » malgré les mouches et la puanteur. Elle porte sur le dos son enfant de 2 ans qui ne cesse de pleurer. Autour d'elle, des hommes s'adonnent à la même occupation. Très satisfaite de son butin matinal, elle accepte de se livrer à nous. « Vous savez, je fus une grande commerçante. Nous avions un soir reçu la visite de cambrioleurs qui nous ont dépouillés. J’ai perdu une somme de 1,450 millions F cfa ce jour là. Pour ne pas nous appesantir indéfiniment sur cette adversité, j’ai décidé avec mon mari, d’embrasser cette activité. Je travaille au niveau d’Abobo et lui à Adjamé. Nous essayons de reconstituer notre épargne pour mener une activité plus honorable. Pour le moment, ce travail nous permet de soutenir les études de nos enfants qui sont en classe de 4e, 3e et 1ère».
A la merci d’employeurs et acheteurs véreux
Contrairement à Sita et Mariam qui travaillent pour leur propre compte, dames Salimata et Bintou ont un employeur. Ce qui fait qu’elles sont obligées de se réveiller très tôt tous les matins, pour se rendre dans les décharges et les marchés publics à la recherche des sachets récupérables. « Notre travail consiste à ramasser les sachets plastiques. Nous sommes rémunérées en fonction du nombre de sacs de sachets que nous pouvons apporter (sac de 50 kg) », relatent elles avant de préciser : « A nos débuts dans ce travail, nous n’avions pas d’argent pour payer les frais de transport d’Abobo à la zone industrielle de Yopougon. Nous avons approché M. Sékou qui a accepté de nous aider. En contrepartie, il a exigé être notre patron. Nous n’avons pas vu cela en mal. Surtout que l’urgence pour nous était de nourrir nos enfants. Nous enviions cependant celles qui travaillaient à leur propre compte » regrettent-elles. Tout comme elles, plusieurs autres femmes rencontrées dans la commune d’Abobo ou à Adjamé, ont affirmé faire ce travail pour le compte d'employeurs. « Ce n’est pas du tout facile de faire ce travail pour le compte de quelqu’un. Celui qui vous emploie à pour souci de faire assez de profits. Très avide d’argent, certains patrons truquent leur bascule. Ainsi un sac qui devrait peser 25 kilogrammes, fera avec leur bascule, 20 à 22 kilogrammes. C’est dommage », dénonce Mme Traoré rencontrée au niveau de la décharge située à la gare nord d’Adjamé. En plus de ces employeurs véreux, il y a l’attitude ‘’malhonnête’’ de certains acheteurs grossistes. En effet, une fois que les dames ont collecté, lavé et mis en sac de 100 Kilogrammes, les sachets, elles se rendent à la zone industrielle de Yopougon pour écouler leur marchandise. « Tant qu’un colis n’a pas été acheté, on est stressé, car, l’usine peut dire que la marchandise n’est pas de première qualité. A ce moment, c’est à un vil prix arbitraire qu’elle achète les produits » dénonce la mère du petit Moussa.
Elles font la plonge dans les caniveaux
Dans la commune de Yopougon, plus précisément dans la zone du Chu et au niveau du Banco, un autre ordre de mères de famille exerce dans le domaine de la pré-collecte de papiers plastiques. Elles sont spécialisées dans le lavage des balles de plastiques récupérées. Le grand caniveau situé dans la zone du Chu de Yopougon est l’une de leurs zones de prédilection. A notre arrivée sur ces lieux, elles s’affairent sans souci à leur activité. Pagne attaché à la taille à mi-genou et foulard sur la tête, elles sont accroupies dans l'eau dont elles ignorent l’origine. Elles lavent le « produit » sans aucune précaution d'hygiène. Les grosses mouches survolent les lieux. A quelques mètres, le cadavre d’un chien en putréfaction pollue l’air ambiant. Une bande de cinq gamins, dont trois ont l’âge d’aller à l’école, consomment de l’attiéké. Cécilia, dont l’âge avoisine la quarantaine, sort de l’eau à grandes enjambées, pour secourir sa fillette qui venait d’être sauvée d’un accident de la circulation par un passant. «Merci beaucoup Monsieur. Grâce à toi, mon mari ne va pas m’engueuler ce soir» dit-elle. Profitant de cette circonstance, nous lui demandons, pourquoi elle a opté pour une telle activité ? Elle a répondu en ces termes : « Chaque jour, je viens avec mes voisines du quartier laver les plastiques. Nous habitons Yopougon Port-bouët II. J’ai préféré ce travail à bien d’autres parce qu’il ne demande pas de fonds de commerce. Je peux avoir 2.000 F.cfa par jour. Ce qui me permet d’aider mon époux qui souffre d’un mal pernicieux depuis quelques années». En effet, au niveau de cet espace bruyant et malodorant, l’argent circule d’une main à l’autre. Un homme assis sur un banc, surveille attentivement, les va-et-vient des dames qui sont en train de laver ses colis de plastiques. Elles plongent les sachets dans l'eau, les frottent et les ressortent pour le séchage. Il nous révèle :« J’emploie des jeunes pour la récupération de sachets plastiques et des femmes pour les laver. Quand nous venons avec les sachets, nous sollicitons l'aide des dames et surtout des jeunes filles pour les laver. Le prix homologué ici pour le kilogramme de papiers plastiques lavés est de 50 Fcfa »
Une activité qui nourrit son homme
A la question de savoir si cette activité était rentable, les dames ont été toutes formelles. « Le sachet plastique récupérable nourrit son homme. Le prix au kilogramme varie en fonction du type de sachets. Les sachets utilisés pour vendre l'eau glacée (10 Fcfa l'unité) et les sachets noirs et bleus (25 ou 50 Fcfa l'unité) sont payés à bas prix. Soit 100 Fcfa le kg. Les grands sachets, ceux utilisés pour couvrir les marchandises ainsi que les sachets lourds, sont par contre prisés. Ils sont payés à 150 F voire 200 Fcfa le kg. Par jour, nous pouvons faire un tas de quatre à cinq balles de sachets et nous retrouver avec 5.000 Fcfa voire 8.000 Fcfa. Il faut aussi signaler qu’à côté des papiers plastiques, nous récupérons très souvent des bouteilles, du cuivre et de l’aluminium que nous allons vendre à la ‘’casse’’ » affirme avec beaucoup de fierté la mère du petit Moussa. « Je peux faire un chiffre d’affaire quotidien de 3.000 Fcfa minimum » renchérit-elle. A la question de savoir si les odeurs et les risques de maladies ne leur font pas peur, la bande à C. Mariam répond sans faux fuyant : « Nous y sommes habituées. L'odeur ne nous dit plus rien. De toutes les façons, les microbes ne tuent pas les Africains. Et puis l’essentiel pour nous est de parvenir à nourrir nos enfants ».
Aboubakar Sangaré
