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Faits Divers Publié le mercredi 20 janvier 2010 | Nord-Sud

Adjamé Bracodi : Une journée au violon

En compagnie de deux prévenus, nous avons touché du doigt la galère qui sévit dans un violon.

Au commissariat de police du 27ème arrondissement, il est 17 heures ce vendredi 15 janvier lorsque nous nous présentons au poste. «Revenez dans l’après-midi, le chef n’est pas là », nous avait éconduits un sous-officier un peu plus tôt le matin. Nous nous présentons cette fois sans le plaignant, Bahi K., chef du service «Police et Justice» qui nous accuse d’outrage public.

L’ambiance est à la Can angolaise

A l’entrée de la grande salle du commissariat, dans l’angle droit, se trouve un téléviseur. Il est en marche câblé sur la chaîne nationale, «La Première». Sébastien Ouégnin, journaliste sportif vient de prendre l’antenne, en compagnie de ses invités pour le plateau de la 27ème édition de la Coupe d’Afrique des nations (Can). Assis derrière le comptoir en béton et de forme rectangulaire, trois policiers dont une dame suivent attentivement les commentaires sportifs. Un bref arrêt pour présenter les civilités. Mais personne ne s’intéresse à nous. Car, la soirée est spéciale : les Eléphants croisent le fer avec les Black Stars du Ghana. « Il n’y a pas le feu. On gagne », lance l’un des téléspectateurs. Nous empruntons le couloir qui mène au bureau du chef du corps urbain. A peine sommes-nous entrés pour répondre à la plainte que l’officier, en tenue civile, sort de ses gonds. D’une voix autoritaire, il appelle le sous-officier de permanence. C’est un sergent de police de teint noir, 1, 80 m à la toise et vêtu d’un treillis de couleur bleue. Ce dernier arrive en courant et se met au garde-à-vous. «Prenez celui-là, mettez-le dedans», lance l’officier. Aussitôt dit aussitôt fait. Le chef de poste sans ménagement nous rudoie vers le violon contigu au comptoir. D’un geste prompt, il tourne la clé dans la serrure et les deux gros crochets ouvrent la porte en fer. A l’angle du comptoir, les deux autres violons sont vides. Un portique en acier se dresse au bout du couloir empêchant toute tentative d’évasion. Les deux autres policiers ne s’intéressent pas à nous, ils ont les yeux rivés sur le téléviseur où les invités de la télé livrent les commentaires et pronostics du match.

Au violon, ça ne rigole pas !

«Mon frère, dépêche-toi. Je ne suis pas là pour toi. Entre dedans là-bas. Je n’ai pas ton temps. Tu vois que le match va commencer d’un moment à l’autre», somme le chef de poste. Nous voilà au violon pour si peu de chose. Une pièce rectangulaire de quatre mètres carrés où la lumière très vive surchauffe la cellule. La couleur jaune du mur s’est transformée en marron. Des graffitis ont été laissés par des prévenus qui y ont séjourné. Une façon pour eux de marquer leur territoire ou leur passage. On peut lire, entre autres, des noms:

Kenzo de Treich, Abou Memza ou encore Koné Moussa. Un balaie traîne par terre juste à côté d’un petit tas d’ordures entassées dans un sachet de couleur noire. Notre compagnon de cellule a déjà passé trois jours derrière les barreaux. Il se nomme Kouadio Séraphin, 30 ans, vendeur de téléphones portables au «black market » à Adjamé. Affublé d’un pantalon jean de couleur kaki et d’un tee-shirt pâle, il ne tient presque plus sur ses jambes. Assis sur l’estrade, le visage émacié, très diminué physiquement, Séraphin évite le contact en baissant les yeux. Le temps d’observation dure dix minutes. D’un pas mesuré, nous nous approchons, de lui pour échanger. Toujours méfiant, il nous dévisage. Au même moment, le coup d’envoi du match vient d’être donné. Le groupe de téléspectateurs composé en majorité de policiers se gonfle.

Chaleur et odeurs….

L’ambiance est bon enfant. Les dribbles, les coups de reins et autres actions d’éclats des Pachydermes ivoiriens sont accompagnés de cris d’encouragement. « C’est bien joué. Allez-y ! On veut des buts là ! Oooh ! Ce n’est pas vrai. Comment Drogba peut-il manquer cette occasion là !», entend-on. Impossible pour nous de voir les images des actions. Nous suivons le match via les commentaires. Séraphin se lève pour regarder vainement à travers la petite ouverture. « Tu ne peux rien voir. Reviens t’asseoir », suggérons-nous. « Occupe-toi de tes oignons. Tu es chaud sur moi. Tu as un problème ? Dis-moi, que fais-tu ici ? », interroge Séraphin, visiblement agacé par notre présence. Pendant cinq minutes, le contact est interrompu. Mais nous reprenons langue et Séraphin demande la raison de la garde-à-vue. « J’ai eu une prise de bec avec mon chef de service. Il m’accuse de l’avoir insulté. C’est pour cela que je suis ici », expliquons-nous. Il n’en croit pas ses oreilles. Pour lui, c’est un acte anodin comme il en existe à longueur de journée au «Black-market ». A la question de savoir pour quelle raison il se trouve dans les mailles des filets de la police, d’un air calme, il explique sa mésaventure. « En novembre 2009, j’ai vendu un ordinateur portable à Mohamed à 75.000 Fcfa. Il m’a fait une avance de 60.000 Fcfa. Il a promis me donner les 15.000 Fcfa restant dans un délai de deux semaines. Je précise qu’il bénéficiait d’une garantie de quinze jours. A la date indiquée, le 24 décembre, il est arrivé avec l’appareil en se plaignant de l’écran qui refusait de s’allumer. Après vérification, j’ai découvert que l’écran avait été remplacé. Je lui ai dit de remettre l’écran original avant que je ne lui rembourse son argent. Il a refusé et les choses ont dégénéré. Il a porté plainte contre moi et la police est allée me chercher au Black », raconte Séraphin. Selon lui, avant l’arrivée des flics, il a été tabassé par deux gros bras envoyés par Mohamed. « Ils m’ont roué de coups. Les éléments qui m’ont appréhendé ont aussi participé à la bastonnade. J’ai été torturé durant quatre jours c’est-à-dire jusqu’au 28 décembre », soutient-il, précisant que ses parents ont payé 40.000 Fcfa pour le faire sortir de là. La conversation s’interrompt à nouveau. On entend un grand bruit venant de la grande salle : « But ooh ! But ooh ! But ooh ! ».

Moustiques et puces: des compagnons gênants

L’attaquant des Eléphants, Gervinho vient d’ouvrir le score. L’horloge murale indique 18h45. C’est le délire. La dizaine de flics présents explose de joie. Le temps de savourer ce but libérateur et nous revenons à nos moutons. Séraphin continue de parler. « Quand je suis sorti alors j’ai appelé mon beau-frère. Il se nomme D. Alexis. Il est le garde du corps du colonel Assi qui travaille aux Renseignements généraux. Je précise que lors de ma bastonnade j’ai perdu mes deux téléphones portables plus la somme de 57.000 Fcfa empilés dans mon portefeuille. Il m’a donc dit de porter plainte contre Mohamed. Ce que j’ai fait en allant au 17ème arrondissement à Niangon (Yopougon). Munis de la convocation, mon beau-frère et moi, sommes venus chez Mohamed à Adjamé où il travaille comme apprenti mécanicien », ajoute notre interlocuteur. L’interpellation de celui qu’il accuse de vol n’a pas eu lieu. Le patron de Mohamed trouve un terrain d’entente avec le plaignant. Séraphin réclame 317.000 Fcfa pour réparer le préjudice. « Nous sommes tombés d’accord sur 300.000 Fcfa. Son patron m’a remis l’argent en présence de son beau-frère. Nous sommes rentrés à la maison. Je lui ai donné 60.000 Fcfa comme argent de poche », déclare-t-il. Mais l’affaire est loin de prendre fin puisque dix-sept jours après sa libération (28 décembre, ndlr) c’est-à-dire le 12 janvier, Séraphin retourne au violon. Mohamed et son patron portent plainte contre lui pour escroquerie portant sur la somme de 300.000 Fcfa. Le bout du tunnel est encore dans le lointain pour lui. « Je suis là depuis le 12 janvier. J’ai appelé mon cousin, W. Ange, membre du service secret de la présidence. Il se trouve à Yamoussoukro mais il m’a dit qu’il est en route pour Abidjan. Dès qu’il arrive, je sors d’ici », se persuade notre voisin de geôle qui ne s’est pas lavé depuis quatre jours. La forte odeur qu’il dégage et sa mauvaise haleine sont repoussantes. A cela s’ajoute la chaleur intense qui règne dans la pièce. On transpire à grosses gouttes, notre tee-shirt de couleur blanche est trempé de sueur. Nous gagnons davantage la confiance de Séraphin qui nous confie ceci : « Je suis père d’un gosse. Il a neuf mois. Ce matin (vendredi, ndlr), ma femme, Marie-Jeanne, m’a rendu visite. Ça me fait du bien. Elle est venue avec ma grande sœur. Avant de partir, elle m’a donné 500 Fcfa. J’ai donné l’argent au gérant de cabine. Et il a payé du pain sucré pour moi. C’est ce que j’ai mangé ».

La solitude

Nos échanges sont de nouveau interrompus quand les Eléphants ont marqué leur second but. Le 27ème faillit voler en éclats tant le tonnerre d’applaudissements et les cris de joie des hommes du commissaire Koui Bernard fusent de toutes parts. Soudain, l’explosion de joie est transie par des pleurs. « Je n’ai rien fait. Ouahi ! Ouahi ! Ouahi ! », s’égosille un jeune homme, saisi à la ceinture et traîné à même le sol par deux gaillards accompagnés d’une jeune fille au regard effaré. Ils se dirigent vers le comptoir. « Nous sommes venus porter plainte. Nous sommes les surveillants des lieux. Ce jeune a refusé de payer la passe puis il a porté main à la demoiselle », affirme l’un des gros bras. « Ok, chef de poste mettez-le dedans », enjoint le responsable du corps urbain. Coulibaly Djibril, c’est le nom du nouvel arrivant, fait de la résistance pour nous rejoindre au violon. L’adjointe du chef de poste lui administre un coup de matraque sur les fesses pour lui faire savoir qu’on ne badine pas en ces lieux. Djibril en pleurs est jeté dans la pièce. Il chiale sans cesse. « Au nom de Dieu. Je n’ai rien. Pardon laissez-moi sortir de là. Je vais m’expliquer. Je n’ai rien. Je passais dans le coin avec mon ami. On revenait de Renault où nous travaillons. J’habite Abobo Agbékoï. La fille là m’a attrapé par le bras. Elle voulait qu’on aille coucher. J’ai refusé c’est ainsi qu’elle a mis sa main dans ma poche où se trouvait mon argent (4.125 Fcfa, il nous les montre, ndlr). J’ai tiré sa main puis je l’ai tapée du revers de la main. Elle s’est mise alors à crier. Selon elle, il y a deux mois que je l’ai agressée avec une bouteille cassée», mais le sous-officier lui intime l’ordre de se taire. Djibril s’éloigne au fond de la pièce. Il descend la fermeture-éclair de son jean troué par endroits et taché d’huile de moteur. Le flic qui suit ses premiers mouvements l’interpelle. « Hé, tu pisses tu lapes. On est clair sur ce point. C’est la règle numéro un. Si tu veux pisser tu signales et on t’envoie dehors », lui dit-elle. « Non je ne pisse pas », répond le jeune ferrailleur de 18 ans qui se déchausse (il porte des chaussures en caoutchouc, ndlr). Puis, il se met à prier en tournant le visage vers le lever du soleil. Il récite des autres versets coraniques et prend la fathia. Mais en pleine prière, le chef de poste vient lui dire de changer de position. « Faut pas prier pour jeter un sort sur nous », lui lance-t-on. Le jeune homme continue sous le regard médusé de Séraphin qui change de position en se mettant à droite. Djibril fait des exhortations puis essuie son visage avec ses deux paumes. « Ma mère m’a toujours dit de faire des prières. Surtout quand je suis dans la merde comme c’est le cas aujourd’hui. Je ne sais même pas pourquoi je suis venu à Adjamé aujourd’hui (vendredi, ndlr). Il y a une voisine de la cour qui m’avait pourtant déconseillé de sortir », affirme-t-il, en montrant sa blessure à la lèvre supérieure. Selon lui, il a été bastonné par les deux gaillards lors de son interpellation. La chemise de manches longues multicolore porte des traces de sang par endroit. Ayant retrouvé ses esprits, Djibril nous demande à tour de rôle le motif de notre garde-à-vue. Nous lui expliquons les faits pour lesquels chacun de nous est écroué. Lui, confie être issu d’une famille de six enfants dont quatre filles. Djibril soutient qu’il n’a jamais connu son géniteur nommé Konaté Moussa. «Ma mère est rentrée en Guinée en 2007. Je loue une chambre avec mon frère à 5.000 Fcfa. On se débrouille à la ferraille d’Adjamé. Nous sommes une famille dispersée. On n’a aucune nouvelle de notre grande sœur. Elle est portée disparue depuis 2004. C’est la première fois que je rentre dans un violon. Elle voulait me forcer à coucher comme j’ai refusé alors elle a menti en m’accusant de l’avoir agressée », se défend-il.

Le temps du regret

Séraphin commence à regretter son geste. Il se confesse : « Aujourd’hui, je suis seul. J’ai du remords pour mon acte. Mais aussi par rapport à mon fils et ma femme. J’aurai dû être sage en pensant à eux. Ils ont besoin de moi mais je ne suis pas là. C’est ma faute tout cela. J’ai tiré toutes les leçons de cette expérience ». Il nous invite à croire à son repentir. Selon lui, il est sincère car il vient de toucher le fond. «Je ne souhaite même pas à mon ennemi de séjourner ici. Je vais retourner au village puis rejoindre mon oncle à Borotou. Il est le directeur technique de Sucrivoire. Je vais trouver du boulot pour m’occuper de ma petite famille », espère-t-il. Quant à Djibril, il avance que ce malheur lui est arrivé car il a refusé d’appliquer les conseils de sa mère. « Elle m’a dit de ne jamais frapper une femme. Elle m’a aussi dit de m’éloigner de la mauvaise compagnie. Si j’avais suivi ces conseils je ne serai pas là aujourd’hui. Mais tout ce que Dieu fait est bon. Je vais sortir d’ici. Désormais, je saurai comment me tenir dans la vie», confie-t-il. Le repentir et le remords peuvent-ils aider Séraphin et Djibril à sortir de là ? Pas si sûr. Les Eléphants viennent de battre les Black Stars par le score de trois buts à un. La grande salle se vide progressivement. Mais le chef de poste et ses deux collègues assurent la permanence toute la nuit du samedi. Bahi K., qui a porté plainte contre nous pour outrage public a de la pudeur et se ravise. Un arrangement à l’amiable est conclu. Il retire sa plainte ce qui autorise l’officier en charge de l’affaire à nous relaxer. Nous sortons du violon à 21h15 en laissant derrière les barreaux nos deux compagnons d’infortune.

Un reportage réalisé par Ouattara Moussa (stagiaire)


NB : Les noms des prévenus ont été changés
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