Depuis le déclenchement de la crise de septembre 2002, les magasins du port sec de Bouaké sont de plus en plus désertés par les commerçants confrontés à un déficit d’approvisionnement et à des problèmes de liquidité.
Les magasins désespérément vides
Les jours sont difficiles pour Kouadio Miclo, détentrice de 4 magasins au marché de gros de Bouaké. Depuis l’éclatement de la crise, les affaires de cette commerçante vont de mal en pis. Son circuit d’approvisionnement en banane plantain s’est brusquement arrêté. Faute de liquidité pour relancer ses activités, elle a dû mettre la clé sous le paillasson. «Nos fournisseurs ne viennent plus ici. On les voit passer dans des camions chargés», regrette-t-elle. Pour pallier ce déficit d’approvisionnent, poursuit-elle, «j’envoyais mes deux camions de 5 et 8 tonnes chercher la banane dans les plantations. Malheureusement, il y a de cela un bon bout de temps, ces deux véhicules sont immobilisés dans un garage. Je n’ai pu avoir d’argent pour les remettre sur la route. C’est ce qui a précipité ma faillite». Basés à l’extrême gauche de la direction du marché, les bâtiments abritant les stands des commerçants de banane et des produits dérivés du manioc sont vides. Les portes sont hermétiquement closes. «Elles sont toutes parties à Abidjan et Daloa pour la survie de leurs activités commerciales. Les acheteurs n’entrent plus ici. Avant la crise, c’étaient 63 femmes qui exerçaient leurs activités ici», se rappelle Miclo.
Les commerçants se tournent les pouces
Même atmosphère morose un peu plus loin, à droite des bâtiments abritant les agences de la Bni et de la Caisse d’épargne. Là, se dressent 42 vastes magasins. C’est le domaine réservé aux grossistes exerçant dans la filière cola. Contrairement aux premiers magasins visités, ici, les grossistes n’ont pas tous baissé pavillon. Certains commerçants passent leur temps à l’ombre d’arbustes. Devant le premier stand, des manutentionnaires procèdent au déchargement d’un camion de 10 tonnes qui vient d’arriver de Gabiadji, dans la région de San Pedro. Assis dans un magasin quasiment vide, Koné Zoumana, propriétaire du second stand par ailleurs secrétaire général de la coopérative Cissé Woro, explique que la cola ne leur est pas livrée en période de crise. Les zones forestières où on la cultive débarquent directement la marchandise dans les pays qui sont nos principaux clients sans passer par le marché de gros. Pendant 7 ans, pour survivre, on a été obligé de dépenser toutes nos économies. Actuellement, avec l’amélioration du climat socio politique, la route est ouverte. Mais puisque nos caisses sont à sec, on ne peut plus rien acheter», s’indigne le secrétaire général de la coopérative, Cissé Woro. Avant de se remémorer les époques de vaches grasses: «Avant la crise, 4 coopératives se répartissaient 43 grands magasins. Le négoce de la noix battait son plein. A telle enseigne que d’autres commerçants installés en dehors du périmètre, frappaient à la porte du marché. De Danané, Soubré, Guiglo, Divo, Anyama, Bassam, Man…, les productions de colas convergeaient vers le marché de gros. Tous les magasins étaient régulièrement remplis. Les stocks qui s’entassaient pouvaient parfois toucher le toit. Ensuite, les camions remplissaient toutes les formalités, avant de mettre le cap sur les pays consommateurs, notamment : le Sénégal, le Mali, le Niger, le Nigeria, le Burkina Faso et la Mauritanie et la Gambie. Ceci est aujourd’hui un vieux souvenir». Les stands situés à proximité de la résidence du directeur d’exploitation baignent dans un calme plat. Les noix de colas desséchées amassées devant les portes entrouvertes évoquent la faillite des maîtres des lieux. Selon Koné Zoumana, au regard des difficultés d’approvisionnement, nombre de commerçants ont préféré aller dans les zones de production au Sud. A l’en croire, ils tardent à revenir à cause des frais de route exorbitants perçus par les Forces nouvelles. «De la zone ex-gouvernementale à Bouaké en passant par Djébonoua, on dépense près de 80.000 Fcfa. Et les frais de transport de la marchandise de Man à Bouaké oscillent entre 400.000 et 500.000 Fcfa», déplore le secrétaire général de Cissé Woro. Pour la relance de nos affaires, poursuit-il, «on a sollicité des prêts auprès des banques. Malheureusement, la procédure coince au niveau de l’aval qu’exigent ces établissements financiers. Comment peut-on demander un aval à des opérateurs économiques sinistrés par les affres de la crise armée», s’interroge-t-il.
Absence de financement
Ce problème d’aval est aussi le souci majeur de Ballo Bazoumana, président de la filière oignon. La traite de l’oignon violet, d’origine nigérienne et burkinabé, bat son plein. Pourtant, le commerçant se dit amer. «Nos partenaires exigent le paiement cash alors que nous sommes contraints de céder le plus souvent notre marchandise à crédit. La crise nous a ruinés», se lamente le président de la filière. Un constat saute aux yeux. L’espace qu’occupent les grossistes d’oignon, connaît assez d’agitation. La raison, selon Ballo, c’est ce que l’approvisionnement de l’espace en oignon n’est pas uniquement tributaire de la zone sud. «De janvier à août, comme c’est le cas maintenant, c’est le négoce de l’oignon violet. Après cette période, les regards se tournent vers la zone portuaire d’Abidjan pour l’achat de l’oignon venant des Pays Bas. On travaille ici, sans répit, c'est-à-dire durant les douze mois de l’année», informe-t-il. Derrière les bâtiments abritant les magasins d’oignon, des klaxons de motos et véhicules et autres bruits de tout genre suscitent la curiosité. Vente à la criée, transactions financières, disputes de femmes autour de bascules sur le mode de pesée… Située en face de l’entrée principale, cette zone abrite les magasins d’ignames. Sur les quais, les camions de tubercule ne désemplissent pas. Dans un bazar à ciel ouvert, Aboulaye S, détenteur de magasin d’igname, est très pensif. Assis devant sa bascule, il dit traverser aussi une période de vaches maigres. Le flux d’igname qui transite par son magasin a littéralement chuté. «Avant la crise, je pouvais acheminer des zones de production 5 à 10 tonnes d’igname et les convoyer vers les zones forestières qui demeurent les localités où la demande est forte», se souvient-il. Et d’ajouter : «nous sommes confrontés à d’énormes problèmes. Sortir les chargements de ces zones rurales situées parfois à plus 300 Km, relève d’un véritable parcours de combattant. Les pistes, depuis le début de la crise, n’ont pas été reprofilées. Nous sommes obligés de supprimer l’étape du marché de gros à cause des frais de route élevés. Cela nous évite de payer des taxes dans les deux zones. Certes, ce n’est pas normal, mais c’est un mal nécessaire», observe-t-il. L’opérateur économique s’insurge contre la concurrence déloyale que leur livrent des acheteurs et transporteurs des pays limitrophes. «Ils s’approvisionnent directement auprès des cultivateurs dans les villages sans passer par le marché de gros. Ce qui réduit substantiellement le flux de marchandises qui transite ici », se plaint-il. Les espoirs suscités par l’inauguration le 16 avril 1998, de ce vaste « port sec» sous-régional du vivrier, se sont fondus progressivement. Il s’agissait pour l’Etat ivoirien de faire de la capitale du centre une plaque incontournable dans le circuit de distribution du vivrier tant dans la sous-région qu’au plan international. Les gouvernants d’alors avaient à cœur d’améliorer le niveau de revenu des producteurs, de mieux nourrir le consommateur (quantité/ qualité prix) et d’augmenter les prix d’achat pour le producteur et/ou augmenter les quantités vendues sur le marché. Pour relever ces défis, ce joyau économique est concédé à la société d’exploitation du Mgb (Marché de gros de Bouaké). Ses nombreux efforts pour atteindre les objectifs fixés seront annihilés par la crise du 19 septembre. Tous les opérateurs économiques réclament son retour pour permettre la reprise de leurs affaires.
Marcel Konan
Les magasins désespérément vides
Les jours sont difficiles pour Kouadio Miclo, détentrice de 4 magasins au marché de gros de Bouaké. Depuis l’éclatement de la crise, les affaires de cette commerçante vont de mal en pis. Son circuit d’approvisionnement en banane plantain s’est brusquement arrêté. Faute de liquidité pour relancer ses activités, elle a dû mettre la clé sous le paillasson. «Nos fournisseurs ne viennent plus ici. On les voit passer dans des camions chargés», regrette-t-elle. Pour pallier ce déficit d’approvisionnent, poursuit-elle, «j’envoyais mes deux camions de 5 et 8 tonnes chercher la banane dans les plantations. Malheureusement, il y a de cela un bon bout de temps, ces deux véhicules sont immobilisés dans un garage. Je n’ai pu avoir d’argent pour les remettre sur la route. C’est ce qui a précipité ma faillite». Basés à l’extrême gauche de la direction du marché, les bâtiments abritant les stands des commerçants de banane et des produits dérivés du manioc sont vides. Les portes sont hermétiquement closes. «Elles sont toutes parties à Abidjan et Daloa pour la survie de leurs activités commerciales. Les acheteurs n’entrent plus ici. Avant la crise, c’étaient 63 femmes qui exerçaient leurs activités ici», se rappelle Miclo.
Les commerçants se tournent les pouces
Même atmosphère morose un peu plus loin, à droite des bâtiments abritant les agences de la Bni et de la Caisse d’épargne. Là, se dressent 42 vastes magasins. C’est le domaine réservé aux grossistes exerçant dans la filière cola. Contrairement aux premiers magasins visités, ici, les grossistes n’ont pas tous baissé pavillon. Certains commerçants passent leur temps à l’ombre d’arbustes. Devant le premier stand, des manutentionnaires procèdent au déchargement d’un camion de 10 tonnes qui vient d’arriver de Gabiadji, dans la région de San Pedro. Assis dans un magasin quasiment vide, Koné Zoumana, propriétaire du second stand par ailleurs secrétaire général de la coopérative Cissé Woro, explique que la cola ne leur est pas livrée en période de crise. Les zones forestières où on la cultive débarquent directement la marchandise dans les pays qui sont nos principaux clients sans passer par le marché de gros. Pendant 7 ans, pour survivre, on a été obligé de dépenser toutes nos économies. Actuellement, avec l’amélioration du climat socio politique, la route est ouverte. Mais puisque nos caisses sont à sec, on ne peut plus rien acheter», s’indigne le secrétaire général de la coopérative, Cissé Woro. Avant de se remémorer les époques de vaches grasses: «Avant la crise, 4 coopératives se répartissaient 43 grands magasins. Le négoce de la noix battait son plein. A telle enseigne que d’autres commerçants installés en dehors du périmètre, frappaient à la porte du marché. De Danané, Soubré, Guiglo, Divo, Anyama, Bassam, Man…, les productions de colas convergeaient vers le marché de gros. Tous les magasins étaient régulièrement remplis. Les stocks qui s’entassaient pouvaient parfois toucher le toit. Ensuite, les camions remplissaient toutes les formalités, avant de mettre le cap sur les pays consommateurs, notamment : le Sénégal, le Mali, le Niger, le Nigeria, le Burkina Faso et la Mauritanie et la Gambie. Ceci est aujourd’hui un vieux souvenir». Les stands situés à proximité de la résidence du directeur d’exploitation baignent dans un calme plat. Les noix de colas desséchées amassées devant les portes entrouvertes évoquent la faillite des maîtres des lieux. Selon Koné Zoumana, au regard des difficultés d’approvisionnement, nombre de commerçants ont préféré aller dans les zones de production au Sud. A l’en croire, ils tardent à revenir à cause des frais de route exorbitants perçus par les Forces nouvelles. «De la zone ex-gouvernementale à Bouaké en passant par Djébonoua, on dépense près de 80.000 Fcfa. Et les frais de transport de la marchandise de Man à Bouaké oscillent entre 400.000 et 500.000 Fcfa», déplore le secrétaire général de Cissé Woro. Pour la relance de nos affaires, poursuit-il, «on a sollicité des prêts auprès des banques. Malheureusement, la procédure coince au niveau de l’aval qu’exigent ces établissements financiers. Comment peut-on demander un aval à des opérateurs économiques sinistrés par les affres de la crise armée», s’interroge-t-il.
Absence de financement
Ce problème d’aval est aussi le souci majeur de Ballo Bazoumana, président de la filière oignon. La traite de l’oignon violet, d’origine nigérienne et burkinabé, bat son plein. Pourtant, le commerçant se dit amer. «Nos partenaires exigent le paiement cash alors que nous sommes contraints de céder le plus souvent notre marchandise à crédit. La crise nous a ruinés», se lamente le président de la filière. Un constat saute aux yeux. L’espace qu’occupent les grossistes d’oignon, connaît assez d’agitation. La raison, selon Ballo, c’est ce que l’approvisionnement de l’espace en oignon n’est pas uniquement tributaire de la zone sud. «De janvier à août, comme c’est le cas maintenant, c’est le négoce de l’oignon violet. Après cette période, les regards se tournent vers la zone portuaire d’Abidjan pour l’achat de l’oignon venant des Pays Bas. On travaille ici, sans répit, c'est-à-dire durant les douze mois de l’année», informe-t-il. Derrière les bâtiments abritant les magasins d’oignon, des klaxons de motos et véhicules et autres bruits de tout genre suscitent la curiosité. Vente à la criée, transactions financières, disputes de femmes autour de bascules sur le mode de pesée… Située en face de l’entrée principale, cette zone abrite les magasins d’ignames. Sur les quais, les camions de tubercule ne désemplissent pas. Dans un bazar à ciel ouvert, Aboulaye S, détenteur de magasin d’igname, est très pensif. Assis devant sa bascule, il dit traverser aussi une période de vaches maigres. Le flux d’igname qui transite par son magasin a littéralement chuté. «Avant la crise, je pouvais acheminer des zones de production 5 à 10 tonnes d’igname et les convoyer vers les zones forestières qui demeurent les localités où la demande est forte», se souvient-il. Et d’ajouter : «nous sommes confrontés à d’énormes problèmes. Sortir les chargements de ces zones rurales situées parfois à plus 300 Km, relève d’un véritable parcours de combattant. Les pistes, depuis le début de la crise, n’ont pas été reprofilées. Nous sommes obligés de supprimer l’étape du marché de gros à cause des frais de route élevés. Cela nous évite de payer des taxes dans les deux zones. Certes, ce n’est pas normal, mais c’est un mal nécessaire», observe-t-il. L’opérateur économique s’insurge contre la concurrence déloyale que leur livrent des acheteurs et transporteurs des pays limitrophes. «Ils s’approvisionnent directement auprès des cultivateurs dans les villages sans passer par le marché de gros. Ce qui réduit substantiellement le flux de marchandises qui transite ici », se plaint-il. Les espoirs suscités par l’inauguration le 16 avril 1998, de ce vaste « port sec» sous-régional du vivrier, se sont fondus progressivement. Il s’agissait pour l’Etat ivoirien de faire de la capitale du centre une plaque incontournable dans le circuit de distribution du vivrier tant dans la sous-région qu’au plan international. Les gouvernants d’alors avaient à cœur d’améliorer le niveau de revenu des producteurs, de mieux nourrir le consommateur (quantité/ qualité prix) et d’augmenter les prix d’achat pour le producteur et/ou augmenter les quantités vendues sur le marché. Pour relever ces défis, ce joyau économique est concédé à la société d’exploitation du Mgb (Marché de gros de Bouaké). Ses nombreux efforts pour atteindre les objectifs fixés seront annihilés par la crise du 19 septembre. Tous les opérateurs économiques réclament son retour pour permettre la reprise de leurs affaires.
Marcel Konan