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Société Publié le jeudi 18 février 2010 | L’expression

Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan - Carnet de voyage

A l’occasion du défilé de mode organisé pour les détenues de la Maca par la styliste Momo Che, nous avons foulé le sol de cet établissement. Récit d’un voyage au cœur de la Maca.

Sous une pluie battante, aux environs de 12 h, le véhicule affrété pour les journalistes quitte le Plateau. Direction : la commune de Yopougon, précisément à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), lieu insolite choisi pour abriter un événement de la beauté : un défilé de mode organisé par la styliste modéliste Momo Che. Des sujets aussi divers qu’intéressants animent les conversations dans le véhicule qui, à vive allure, traverse le centre des affaires. La circulation est fluide ce 13 février, nous arrivons peu après aux portes de l’établissement pénitentiaire. Pour beaucoup, c’est la première fois de mettre les pieds en cet endroit dont l’évocation du nom fait frémir. La fine pluie qui se met à tomber grossit et oblige les petits groupes de visiteurs à se réfugier sous le préau réservé aux hommes en armes. C’est là qu’un conseiller du centre socio-éducatif vient nous donner des consignes. « C’est un milieu spécial qui a ses règles tout aussi spéciales », indique-t-il. Et pour confirmer ses propos, il assène à ceux qui ne le savaient pas : « Les téléphones portables, les dictaphones et autres caméras sont interdits d’entrée dans l’établissement ». Les échanges avec le guide deviennent parfois vifs. Chacun veut savoir s’il faut ou non laisser les téléphones aux gardes – certains s’en méfiaient – ou les confier à l’un des chauffeurs qui attendent dehors. La deuxième solution est adoptée à l’unanimité. Sans « armes » et munis de nos seules pièces d’identité et de nos lettres d’invitation, nous voici autorisés à franchir l’imposant portail de la Maca. A l’intérieur, une femme, plantureuse, nous accueille. « Laissez vos papiers ici, vous les prendrez en sortant », lance-t-elle à la compagnie qu’elle invite à passer à la fouille. L’un après l’autre, en rang, nous sommes palpés, même dans les endroits les plus intimes. Vous avez dit sécurité ? Cette formalité remplie, nous nous rendons, en compagnie des conseillers d’éducation, dans leur bureau, situé en face du portail que nous venons de franchir. Plusieurs jeunes, la mine triste, habillés de chasubles orange, nous regardent avec envie. « Ce sont des prisonniers qui sont soit à la fin de leurs peines soit qui se comportent très bien », nous explique l’un des guides. Et de poursuivre : « Dans leur cas, ils sont autorisés à se mettre ici pour un moment ». Une fois dans le bureau, les mêmes consignes sont répétées. « En plus, évitez formellement d’engager la conversation avec les détenus sans la présence d’un conseiller », ajoutent-ils. Nous ressortons pour nous rendre au bâtiment réservé aux femmes. Dans la cour, derrière des grilles, plusieurs dizaines de paires d’yeux nous auscultent. Nos « protecteurs » nous font passer par le garage pour atteindre notre destination. Nous y sommes accueillis par deux gardes pénitentiaires, des femmes, qui, sur un ton sec, demandent en chœur : « Combien de femmes y a-t-il parmi vous ? Les hommes ne nous intéressent pas». Les deux consœurs qui font partie de notre équipe se présentent. « C’est juste une précaution », expliquent-elles. Puis de continuer : « Des détenues pourraient se mêler à vous pour essayer de sortir ». Nous sommes cette fois invités à prendre place sous l’une des bâches dressées en face des cellules des détenues. « C’est la première fois que je vois des prisonnières de près », s’exclame un confrère. Et un autre de lâcher son inquiétude : « et si les prisonniers se mutinent pendant que nous sommes à l’intérieur ? ». Il est vite rappelé à l’ordre et prié de garder ces sombres idées pour lui. De notre place, nous voyons l’entrée de la cour. Quelques pensionnaires, habillées de tee-shirts blancs estampillés de fleurs à pétales rouges, font office d’hôtesses. Elles accueillent et installent les arrivants. Tous les regards se tournent vers l’entrée lorsqu’Eric Didia, alias « Roro » fait son entrée. Le visage fermé, coiffé d’un bob, il hoche la tête et bât la mesure lorsque le Dj de circonstance « balance » une rumba enlevée de Papa Wemba. Malgré cet « encasernement », l’homme de radio n’a rien perdu de sa passion. C’est vrai qu’il n’a plus le même embonpoint mais…il n’empêche ! Un autre remue-ménage et l’on voit arriver Tapé Do Lucien. Il n’est pas coiffé de son habituel panama. L’ancien Pca de la Bourse café cacao (Bcc) s’installe. L’air absent, il donne visiblement l’impression – comme Roro d’ailleurs – d’être à cette fête par contrainte. Peu de temps après le Dj, certainement très inspiré, lance « Tapé Dos » des Magic System. Les rires fusent. Le concerné n’a pas l’air d’avoir entendu. Quelqu’un suggère au technicien de changer de piste, ce qu’il fait. Les officiels arrivent sur les lieux du spectacle. Après les civilités, le défilé commence. Les détenues se donnent à cœur joie et savourent ce moment de « liberté » qui leur est offert. Elles applaudissent à tout rompre leurs « mannequins » maison qui se déhanchent sur le T. Une femme, appelée à fouler le T, le fait en esquissant des pas de danse. « C’est aussi une détenue ? Elle n’en a pas l’air », entend-on. Il s’agit d’Angéline Kili. Nous nous rappelons que l’ex-présidente du conseil d’administration du Fonds de régulation du café cacao est aussi pensionnaire de la Maca. La fête dure un peu plus d’une heure. Les bagnardes montrent des signes de joie. Cette nuit, en dormant, elles revivront ces heures de liberté – inoubliables – rendues possible par Momo Che. Pour nous, c’est l’heure de regagner nos rédactions. Nous nous dépêchons de sortir, on ne sait jamais. A la sortie, le garde pénitentiaire nous remet une grosse enveloppe où elle a mis toutes nos pièces d’identité. Chacun récupère la sienne. Nous sortons et prenons place à bord du car. Le retour est moins bruyant que l’aller. Tous, nous sommes fatigués. Mais chacun, dans son for intérieur ne cesse de réfléchir aux conditions de vie des détenus.

M’Bah Aboubakar
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