Le vendredi 12 février 2010, prenant prétexte d`une grave crise qui secoue la Commission Electorale Indépendante, laquelle crise serait susceptible d`hypothéquer le processus de paix, monsieur Laurent GBAGBO a pris, en vertu de l`article 48 de la Constitution ivoirienne, la décision de dissoudre ladite Commission et... le gouvernement.
Que monsieur GBAGBO veuille s`attaquer à la Commission Electorale Indépendante qui lui cause des soucis, cela aurait pu se comprendre au-delà de toute approche juridique de la question.
Mais dissoudre le gouvernement parce qu`une crise secoue la CEI est d`autant plus surprenante que le fonctionnement de la CEI n`a aucune incidence sur le fonctionnement du gouvernement.
Cette manière d`agir conduit à s`interroger nécessairement sur les prérogatives du chef de l`Etat en cette période de crise politique et institutionnelle.
La réponse à cette interrogation ne peut être fournie qu`à l`aune des différents accords et résolutions signés pour faire face à la crise ivoirienne; le tout dernier accord étant l`accord de Ouagadougou.
Et dans sa déclaration, monsieur GBAGBO laisse transparaître son souci de sauver l`Accord Politique de Ouagadougou (APO) ainsi qu`il suit: "Je rappelle que cet accord, signé entre les Forces Nouvelles et le Président de la République, vient de notre volonté de donner un instrument à la Côte d`Ivoire pour aller à la paix. Il nous a permis de faire des progrès qu`aucun autre instrument ne nous avait donné l`occasion de réaliser. "
Or, contrairement à ce que monsieur GBAGBO laisse croire, l`APO n`est pas un accord qui se démarque de tous les autres accords et résolutions. L`Accord Politique de Ouagadougou est tout simplement un accord visant à faciliter la mise en œuvre des accords et résolutions préexistants.
En conséquence, il n`a rien créé qui n`existe déjà au travers des précédents accords et résolutions et ne lui a pas attribué de pouvoirs au-delà de ceux que lui reconnaissent les précédents accords.
De l`usage de l`article 48 de la Constitution
Les questions pertinentes que les Ivoiriens doivent se poser au sujet de L`APO et de l`usage de l`article 48 de la Constitution par monsieur GBAGBO sont les suivantes: pourquoi monsieur GBAGBO qui est si attaché à la Constitution ivoirienne tient-il, à tout prix, à sauver un " simple" Accord politique au point de dissoudre le gouvernement et la CEI ? Pourquoi la Côte d`Ivoire est-elle régie par un Accord?
Pour répondre à ces interrogations, il faut impérativement se souvenir qu`au lendemain du déclenchement de la rébellion, alors que celle-ci occupait la moitié Nord de la Côte d`Ivoire, le départ de monsieur GBAGBO avait été exigé.
Le Chef de l`Etat, à cette époque, aurait dû, en faisant usage de l`article 48, prendre des mesures exceptionnelles, comme l`y autorise la Constitution, pour faire face à cette grave crise qui menaçait l`intégrité de la Côte d`Ivoire.
Malheureusement, la rébellion a pu s`installer portant ainsi atteinte à l`intégrité de la Côte d`Ivoire et c`est par la voie de négociations acceptées par monsieur GBAGBO qu`il fallait résoudre la crise.
Et c`est à Linas-Marcoussis, après Lomé, qu`un Accord dit "Accord de LinasMarcoussis" sera conclu pour la mise en place d`un gouvernement de réconciliation nationale.
Cet Accord, il convient de le relire, avait quasiment dépouillé monsieur GBAGBO de la plénitude de ses pouvoirs au point que le Premier Ministre n`avait pas été choisi par lui. Le programme devant être appliqué par le gouvernement de réconciliation nationale avait été arrêté par l`Accord et il était prescrit que " ce gouvernement sera composé de représentants désignés par chacune des délégations ivoiriennes ayant participé à la Table Ronde..."
L`Accord d`Accra II est même allé plus loin puisque, en son point 7-c, il est prescrit: " Le respect des choix faits par les Forces politiques de leurs représentants au gouvernement."
Puis d`autres Accords et des Résolutions vont suivre, notamment la Résolution 1633, adoptée par le Conseil de Sécurité de l`ONU agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.
Est-il vraiment besoin de rappeler que les résolutions prises en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies s`imposent aux Etats et à tous les autres destinataires, sans égard pour leur constitution et pour leur qualité, sauf si la résolution, elle-même, renvoie à la Constitution ou à tout autre texte qu`elle vise.
Il est donc constant que depuis cette période, pour la résolution de la crise ivoirienne, il fallait recourir aux Accords librement conclus et aux Résolutions de l`ONU.
En conséquence, pour la crise ivoirienne, le Chef de l`Etat ne peut avoir recours à l`article 48 de la Constitution que dans le cadre des différents Accords et Résolutions.
C`est la raison pour laquelle, pour l`éligibilité à l`élection présidentielle, c`est l`Accord d`Accra III qui l`a autorisé en son article 6 à faire usage de l`Article 48 pour autoriser les signataires de l`Accord de Linas-Marcoussis à être éligibles.
Tout autre usage de l`article 48 en dehors des Accords et Résolutions pour résoudre un problème lié à la crise est abusif.
Et l`APO ne dit guère autre chose car sa nature juridique et son régime sont clairement déterminés, par lui-même, dans son préambule.
L`Accord Politique de Ouagadougou: Un texte d`application des précédents Accords et Résolutions
Dans le préambule de l`APO, il est expressément mentionné ce qui suit: " Après avoir identifié les problèmes rencontrés dans la mise en œuvre des Accords de Linas-Marcoussis, d`Accra et de Pretoria, ainsi que des Résolutions de l`ONU sur la Côte d`Ivoire, les Parties, en vue d`arrêter des décisions, ont réaffirmé:
Leur attachement au respect de la souveraineté, de l`indépendance, de l`intégrité territoriale et de l`unité de la Côte d`Ivoire;
Leur attachement à la Constitution;
Leur attachement aux Accords de Linas-Marcoussis, d`Accra et de Pretoria;
Leur attachement à toutes les Résolutions des Nations Unies sur la Côte d`Ivoire, en particulier aux Résolutions 1633 (2005) et
1721 (2006) du Conseil de sécurité de l`ONU;
Leur volonté de créer les conditions d`élections libres, ouvertes, transparentes et démocratiques;
Leur volonté de mettre en commun leurs efforts et leurs énergies en vue d`un fonctionnement normal des Institutions de la Côte d`Ivoire et d`un retour à la normalité politique, administrative et militaire en Côte d`Ivoire.
Pour faciliter la mise en œuvre des Accords et des résolutions cidessus visés, notamment la Résolution 1721 (2006) les Parties ont arrêté les décisions suivantes."
Il résulte très clairement de l`extrait du préambule cité in extenso que c`est pour faciliter la mise en œuvre des Accords d`Accra et de Pretoria et des Résolutions des Nations Unies et notamment la Résolution 1721 (2006) que les Parties ont arrêté les décisions qui font l`essence de l`APO.
En droit, un texte d`application d`un autre texte lui est subordonné et ne peut en aucun cas se substituer à lui. Ainsi l`arrêté est subordonné au décret qui, luimême, est subordonné à la loi. Et l`arrêté ne peut se substituer au décret qui, lui-même, ne peut se substituer à la loi
En conséquence, l`APO qui n`est qu`un texte d`application des précédents Accords et Résolutions, non seulement, ne se suffit pas à lui-même mais ne prend pas la place de ces Accords et Résolutions qui continuent de régir le processus de sortie de crise en Côte d`Ivoire.
Il est la traduction dans des termes, sans doute plus accessibles, des Accords et Résolutions antérieurs. En conséquence, il ne peut accorder aucun autre pouvoir à monsieur GBAGBO que celui ou ceux que lui reconnaissent lesdits Accords et Résolutions.
Enfin, l`APO étant un simple texte d`application, sa dénonciation n`affecte nullement les textes dont il a vocation à faciliter l`application, c`est-à-dire les Accords et Résolutions qui continuent de s`appliquer.
Tout au plus, au plan institutionnel, l`APO qui prétend mettre en place un nouveau cadre institutionnel a seulement permis à monsieur GBAGBO de choisir le Premier Ministre, en la personne de monsieur Soro Guillaume, alors que les deux précédents lui avaient été imposés.
Mais, une fois le Premier ministre désigné, il faut recourir aux précédents Accords et Résolutions pour ce qui est de son statut et de ses pouvoirs.
Ainsi, pour son statut, si on peut déclarer que le Premier ministre ne peut pas se présenter aux élections, ce n`est pas en application de l`APO qui ne contient pas une telle interdiction, mais bien en application de l`Accord de Linas-Marcoussis et du paragraphe 6 de la Résolution 1721.
En ce qui est de ses prérogatives, peut-on lire ce qui suit dans l`APO, " Le gouvernement de transition travaillera dans un esprit de concertation permanente, de complémentarité et d`ouverture aux autres forces politiques de Côte d`Ivoire pour aboutir à la réunification de la Côte d`Ivoire, au désarmement et à l`organisation d`élections ouvertes, transparentes et démocratiques, tels que prévus dans les différents accords et résolutions relatifs à la sortie de crise."
Or, pour conduire le processus de sortie de crise à son terme, c`est le Premier ministre qui a la plénitude des pouvoirs et l`autorité sur les membres du gouvernement non point le chef de l`Etat qui ne peut donc dissoudre ni le gouvernement ni la CEI.
Monsieur GBAGBO ne peut dissoudre le gouvernement et la CEI,
En ce qui est du gouvernement
Au cours de sa 40e Session tenue le 6 octobre 2005, à Addis-Abeba en Ethiopie, le Conseil de Paix et de Sécurité de l`Union africaine a fait le constat, ci-après:
1-Le mandat du Président de la République venait à expiration le 30 octobre 2005,
2- Il était impossible d`organiser les élections présidentielles à la date constitutionnelle prévue.
Il y avait donc un grand risque de vide institutionnel
C`est pourquoi, le Conseil de Sécurité des Nations Unies dans la Résolution 1633 en date du 21 octobre 2005 a décidé de l`ouverture d`une période de transition pour compter du 31 octobre 2005 par, non seulement, le maintien du Président GBAGBO en tant que chef de l`Etat, mais aussi par la nomination d`un nouveau Premier Ministre.
Le paragraphe 3 de la Résolution 1633 est ainsi libellé: " réaffirme qu`il souscrit à l`observation de la CEDEAO et du Conseil de paix et de sécurité concernant l`expiration du mandat du Président Laurent GBAGBO le 30 octobre 2005 et l`impossibilité d`organiser des élections présidentielles à la date prévue et à la décision du Conseil de paix et de sécurité, à savoir, notamment, que le Président GBAGBO demeurera chef de l`Etat à partir du 31 octobre 2005 pour une période n`excédant pas 12 mois et exige de toutes les parties signataires des Accords de Linas-Marcoussis, d`Accra III et de Pretoria, ainsi que de toutes les parties ivoiriennes concernées, qu`elles l`appliquent pleinement et sans retard."
Au regard de ce qui précède, la décision du Conseil constitutionnel n°2005-011/CC/SG qui date du 28 octobre 2005, disant que le Président de la République demeure en fonction apparaît comme un acte déclaratif d`une décision déjà prise par le Conseil de sécurité de l`ONU.
A l`expiration de cette première période de transition, la résolution 1721 que l`APO a, notamment, pour objet de faciliter la mise en œuvre a confirmé la fin du mandat de monsieur GBAGBO et l`ouverture d`une autre période de transition dans ses paragraphes 3 et 5.
Le paragraphe 3 de la Résolution 1721 est ainsi libellé: "Prend note également de l`impossibilité d`organiser des élections présidentielles et législatives à la date prévue et de l`expiration, le 31 octobre 2006, de la période de transition et des mandats du Président Laurent GBAGBO et du Premier Ministre, M. Charles Konan Banny. "
Quant au paragraphe 6, il dispose: " Souscrit à la décision du Conseil de Paix et de sécurité selon laquelle le Président Laurent GBAGBO demeurera chef de l`Etat à partir du 1er novembre 2006 pour une nouvelle période et dernière période de transition n`excédant pas 12 mois. "
Mais déjà, dans le préambule de cette résolution, le Conseil de sécurité de l`ONU déclare ce qui suit: " ayant à l` esprit que le mandat constitutionnel du Président Laurent GBAGBO a expiré le 30 octobre 2005 et que le mandat de l`ancienne Assemblée nationale a expiré le 16 décembre 2005. "
Comme il est aisé de s`en rendre compte, depuis le 31 octobre 2005, monsieur Laurent GBAGBO est le chef d`un exécutif transitoire. Et il en ira ainsi jusqu`à l`organisation des élections devant permettre aux Ivoiriens de choisir un autre Président.
L`APO, lui-même, que les Ivoiriens croient être plus que ce qu`il n`est en réalité le rappelle d`ailleurs si bien ainsi qu`il suit :" Le gouvernement de transition travaillera dans un esprit de concertation permanente... "
Est-il besoin de rappeler que c`est l`Accord de Linas-Marcoussis qui a fixé la composition du gouvernement et sa durée ainsi que le mode de désignation du Premier Ministre qui doit être acceptable par tous?
En conséquence, monsieur GBAGBO n`a de pouvoirs que ceux que lui confèrent la transition et notamment les Résolutions 1633 et 1721.
Or, il résulte des différentes résolutions que le Premier ministre est la cheville ouvrière de la mise en œuvre du processus de sortie de la crise.
Ainsi, en ce qui est du gouvernement, le Premier Ministre a une pleine autorité sur son gouvernement tel que cela résulte des paragraphes 6, 7 de la Résolution 1633 du Conseil de Sécurité.
Il dispose du pouvoir hiérarchique sur les membres du gouvernement.
En effet, il est prescrit que les Ministres rendront compte au Premier Ministre qui exercera pleinement son autorité sur son cabinet.
De même si un ministre ne participe pas pleinement au Gouvernement, son portefeuille sera repris par le Premier Ministre.
Les Ministres relèvent donc du Premier Ministre qui peut les révoquer de fait et en proposer d`autres pour nomination.
Il en va de même du paragraphe 10 de la Résolution 1721 qui réaffirme les dispositions des paragraphes 6 et 7 de la Résolution 1633.
C`est d`ailleurs la raison pour laquelle le Président de la République ne peut pas révoquer un ministre membre du gouvernement de transition.
Ne pouvant le moins, c`est-à-dire révoquer simplement un ministre, comment peut-il le plus c`est-à-dire les révoquer tous à la fois par la dissolution du gouvernement?
Si l`APO a pour objet de faciliter la mise en œuvre des Accords et des Résolutions, alors il ne peut contredire le contenu des différents Accords et Résolutions. En conséquence, GBAGBO ne peut dissoudre le gouvernement.
Quid de la CEI ?
En ce qui est de la CEI
En invoquant une grave crise qui secoue la Commission Electorale Indépendante pour la dissoudre, monsieur GBAGBO viole la Constitution, l`Accord de Pretoria et la loi n°2004-642 du 14 décembre 2004 modifiant la loi n°2001-634 du 9 octobre 2001 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la Commission Electorale Indépendante modifiée et complétée par la décision n°2005-06 PR du 15 juillet 2005 relative à la Commission Electorale Indépendante.
En effet, la Commission Electorale Indépendante, faut-il le rappeler, est une autorité administrative indépendante créée par la loi en application de l`article 32 alinéa 4 de la Constitution.
En raison de l`importance qu`elle revêt pour le processus électoral, la loi a prévu la durée du mandat de ses membres ainsi que les conditions dans lesquelles ils peuvent être révoqués.
Ainsi, aux termes des dispositions de l`article 53 (nouveau) de cette loi, "Le mandat des membres de la nouvelle Commission Electorale Indépendante prend fin à l`issue des prochaines élections générales."
Quant à l`accord de Pretoria, il prescrit ce qui suit: " Le mandat des membres de la Commission centrale prend fin à l`issue des élections générales. "
Il résulte de ce qui précède que, sauf les cas prévus par la loi, elle-même, les membres de la CEI ne peuvent être révoqués jusqu`à la fin de leur mandat.
C`est la raison pour laquelle monsieur GBAGBO ne peut pas révoquer le Président de la CEI dont il a réclamé, en vain, la démission.
Or, en s`appuyant sur l`article 48 de la Constitution, monsieur GBAGBO a dissous la CEI aboutissant ainsi à la révocation de monsieur MAMBE qu`il ne pouvait révoquer.
On note qu`une fois encore, en violation des règles de droit, celui qui ne pouvait pas le moins s`est permis le plus.
Il faut rappeler, une fois encore, que dans cette période de transition, les mécanismes de règlement des conflits sont prévus par les différents Accords, y compris le recours à l`article 48 de la Constitution et monsieur GBAGBO ne peut passer outre ce qui a été prévu.
Ainsi, l`APO, lui-même, prévoit que "les Parties s`engagent à s`en remettre à l`arbitrage du Facilitateur en cas de litige sur l`interprétation ou la mise en œuvre du présent accord. "
C`est en application de cette disposition de l`APO que toutes les Parties se sont retrouvées à Ouagadougou le jeudi 11 février 2010 pour exposer au Facilitateur les blocages du processus.
Il revenait donc au Facilitateur d`arbitrer le conflit et de proposer des solutions pour son règlement. En droit, tant qu`il ne s`est pas prononcé, nul ne peut prétendre le régler par lui-même en se faisant juge et partie.
En le faisant, monsieur GBAGBO remet en cause unilatéralement les Accords conclus, sciant ainsi, dangereusement, la branche sur laquelle il est assis.
La Commission juridique nationale du PDCI
Me J. Ahoussou Kouadio
Que monsieur GBAGBO veuille s`attaquer à la Commission Electorale Indépendante qui lui cause des soucis, cela aurait pu se comprendre au-delà de toute approche juridique de la question.
Mais dissoudre le gouvernement parce qu`une crise secoue la CEI est d`autant plus surprenante que le fonctionnement de la CEI n`a aucune incidence sur le fonctionnement du gouvernement.
Cette manière d`agir conduit à s`interroger nécessairement sur les prérogatives du chef de l`Etat en cette période de crise politique et institutionnelle.
La réponse à cette interrogation ne peut être fournie qu`à l`aune des différents accords et résolutions signés pour faire face à la crise ivoirienne; le tout dernier accord étant l`accord de Ouagadougou.
Et dans sa déclaration, monsieur GBAGBO laisse transparaître son souci de sauver l`Accord Politique de Ouagadougou (APO) ainsi qu`il suit: "Je rappelle que cet accord, signé entre les Forces Nouvelles et le Président de la République, vient de notre volonté de donner un instrument à la Côte d`Ivoire pour aller à la paix. Il nous a permis de faire des progrès qu`aucun autre instrument ne nous avait donné l`occasion de réaliser. "
Or, contrairement à ce que monsieur GBAGBO laisse croire, l`APO n`est pas un accord qui se démarque de tous les autres accords et résolutions. L`Accord Politique de Ouagadougou est tout simplement un accord visant à faciliter la mise en œuvre des accords et résolutions préexistants.
En conséquence, il n`a rien créé qui n`existe déjà au travers des précédents accords et résolutions et ne lui a pas attribué de pouvoirs au-delà de ceux que lui reconnaissent les précédents accords.
De l`usage de l`article 48 de la Constitution
Les questions pertinentes que les Ivoiriens doivent se poser au sujet de L`APO et de l`usage de l`article 48 de la Constitution par monsieur GBAGBO sont les suivantes: pourquoi monsieur GBAGBO qui est si attaché à la Constitution ivoirienne tient-il, à tout prix, à sauver un " simple" Accord politique au point de dissoudre le gouvernement et la CEI ? Pourquoi la Côte d`Ivoire est-elle régie par un Accord?
Pour répondre à ces interrogations, il faut impérativement se souvenir qu`au lendemain du déclenchement de la rébellion, alors que celle-ci occupait la moitié Nord de la Côte d`Ivoire, le départ de monsieur GBAGBO avait été exigé.
Le Chef de l`Etat, à cette époque, aurait dû, en faisant usage de l`article 48, prendre des mesures exceptionnelles, comme l`y autorise la Constitution, pour faire face à cette grave crise qui menaçait l`intégrité de la Côte d`Ivoire.
Malheureusement, la rébellion a pu s`installer portant ainsi atteinte à l`intégrité de la Côte d`Ivoire et c`est par la voie de négociations acceptées par monsieur GBAGBO qu`il fallait résoudre la crise.
Et c`est à Linas-Marcoussis, après Lomé, qu`un Accord dit "Accord de LinasMarcoussis" sera conclu pour la mise en place d`un gouvernement de réconciliation nationale.
Cet Accord, il convient de le relire, avait quasiment dépouillé monsieur GBAGBO de la plénitude de ses pouvoirs au point que le Premier Ministre n`avait pas été choisi par lui. Le programme devant être appliqué par le gouvernement de réconciliation nationale avait été arrêté par l`Accord et il était prescrit que " ce gouvernement sera composé de représentants désignés par chacune des délégations ivoiriennes ayant participé à la Table Ronde..."
L`Accord d`Accra II est même allé plus loin puisque, en son point 7-c, il est prescrit: " Le respect des choix faits par les Forces politiques de leurs représentants au gouvernement."
Puis d`autres Accords et des Résolutions vont suivre, notamment la Résolution 1633, adoptée par le Conseil de Sécurité de l`ONU agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.
Est-il vraiment besoin de rappeler que les résolutions prises en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies s`imposent aux Etats et à tous les autres destinataires, sans égard pour leur constitution et pour leur qualité, sauf si la résolution, elle-même, renvoie à la Constitution ou à tout autre texte qu`elle vise.
Il est donc constant que depuis cette période, pour la résolution de la crise ivoirienne, il fallait recourir aux Accords librement conclus et aux Résolutions de l`ONU.
En conséquence, pour la crise ivoirienne, le Chef de l`Etat ne peut avoir recours à l`article 48 de la Constitution que dans le cadre des différents Accords et Résolutions.
C`est la raison pour laquelle, pour l`éligibilité à l`élection présidentielle, c`est l`Accord d`Accra III qui l`a autorisé en son article 6 à faire usage de l`Article 48 pour autoriser les signataires de l`Accord de Linas-Marcoussis à être éligibles.
Tout autre usage de l`article 48 en dehors des Accords et Résolutions pour résoudre un problème lié à la crise est abusif.
Et l`APO ne dit guère autre chose car sa nature juridique et son régime sont clairement déterminés, par lui-même, dans son préambule.
L`Accord Politique de Ouagadougou: Un texte d`application des précédents Accords et Résolutions
Dans le préambule de l`APO, il est expressément mentionné ce qui suit: " Après avoir identifié les problèmes rencontrés dans la mise en œuvre des Accords de Linas-Marcoussis, d`Accra et de Pretoria, ainsi que des Résolutions de l`ONU sur la Côte d`Ivoire, les Parties, en vue d`arrêter des décisions, ont réaffirmé:
Leur attachement au respect de la souveraineté, de l`indépendance, de l`intégrité territoriale et de l`unité de la Côte d`Ivoire;
Leur attachement à la Constitution;
Leur attachement aux Accords de Linas-Marcoussis, d`Accra et de Pretoria;
Leur attachement à toutes les Résolutions des Nations Unies sur la Côte d`Ivoire, en particulier aux Résolutions 1633 (2005) et
1721 (2006) du Conseil de sécurité de l`ONU;
Leur volonté de créer les conditions d`élections libres, ouvertes, transparentes et démocratiques;
Leur volonté de mettre en commun leurs efforts et leurs énergies en vue d`un fonctionnement normal des Institutions de la Côte d`Ivoire et d`un retour à la normalité politique, administrative et militaire en Côte d`Ivoire.
Pour faciliter la mise en œuvre des Accords et des résolutions cidessus visés, notamment la Résolution 1721 (2006) les Parties ont arrêté les décisions suivantes."
Il résulte très clairement de l`extrait du préambule cité in extenso que c`est pour faciliter la mise en œuvre des Accords d`Accra et de Pretoria et des Résolutions des Nations Unies et notamment la Résolution 1721 (2006) que les Parties ont arrêté les décisions qui font l`essence de l`APO.
En droit, un texte d`application d`un autre texte lui est subordonné et ne peut en aucun cas se substituer à lui. Ainsi l`arrêté est subordonné au décret qui, luimême, est subordonné à la loi. Et l`arrêté ne peut se substituer au décret qui, lui-même, ne peut se substituer à la loi
En conséquence, l`APO qui n`est qu`un texte d`application des précédents Accords et Résolutions, non seulement, ne se suffit pas à lui-même mais ne prend pas la place de ces Accords et Résolutions qui continuent de régir le processus de sortie de crise en Côte d`Ivoire.
Il est la traduction dans des termes, sans doute plus accessibles, des Accords et Résolutions antérieurs. En conséquence, il ne peut accorder aucun autre pouvoir à monsieur GBAGBO que celui ou ceux que lui reconnaissent lesdits Accords et Résolutions.
Enfin, l`APO étant un simple texte d`application, sa dénonciation n`affecte nullement les textes dont il a vocation à faciliter l`application, c`est-à-dire les Accords et Résolutions qui continuent de s`appliquer.
Tout au plus, au plan institutionnel, l`APO qui prétend mettre en place un nouveau cadre institutionnel a seulement permis à monsieur GBAGBO de choisir le Premier Ministre, en la personne de monsieur Soro Guillaume, alors que les deux précédents lui avaient été imposés.
Mais, une fois le Premier ministre désigné, il faut recourir aux précédents Accords et Résolutions pour ce qui est de son statut et de ses pouvoirs.
Ainsi, pour son statut, si on peut déclarer que le Premier ministre ne peut pas se présenter aux élections, ce n`est pas en application de l`APO qui ne contient pas une telle interdiction, mais bien en application de l`Accord de Linas-Marcoussis et du paragraphe 6 de la Résolution 1721.
En ce qui est de ses prérogatives, peut-on lire ce qui suit dans l`APO, " Le gouvernement de transition travaillera dans un esprit de concertation permanente, de complémentarité et d`ouverture aux autres forces politiques de Côte d`Ivoire pour aboutir à la réunification de la Côte d`Ivoire, au désarmement et à l`organisation d`élections ouvertes, transparentes et démocratiques, tels que prévus dans les différents accords et résolutions relatifs à la sortie de crise."
Or, pour conduire le processus de sortie de crise à son terme, c`est le Premier ministre qui a la plénitude des pouvoirs et l`autorité sur les membres du gouvernement non point le chef de l`Etat qui ne peut donc dissoudre ni le gouvernement ni la CEI.
Monsieur GBAGBO ne peut dissoudre le gouvernement et la CEI,
En ce qui est du gouvernement
Au cours de sa 40e Session tenue le 6 octobre 2005, à Addis-Abeba en Ethiopie, le Conseil de Paix et de Sécurité de l`Union africaine a fait le constat, ci-après:
1-Le mandat du Président de la République venait à expiration le 30 octobre 2005,
2- Il était impossible d`organiser les élections présidentielles à la date constitutionnelle prévue.
Il y avait donc un grand risque de vide institutionnel
C`est pourquoi, le Conseil de Sécurité des Nations Unies dans la Résolution 1633 en date du 21 octobre 2005 a décidé de l`ouverture d`une période de transition pour compter du 31 octobre 2005 par, non seulement, le maintien du Président GBAGBO en tant que chef de l`Etat, mais aussi par la nomination d`un nouveau Premier Ministre.
Le paragraphe 3 de la Résolution 1633 est ainsi libellé: " réaffirme qu`il souscrit à l`observation de la CEDEAO et du Conseil de paix et de sécurité concernant l`expiration du mandat du Président Laurent GBAGBO le 30 octobre 2005 et l`impossibilité d`organiser des élections présidentielles à la date prévue et à la décision du Conseil de paix et de sécurité, à savoir, notamment, que le Président GBAGBO demeurera chef de l`Etat à partir du 31 octobre 2005 pour une période n`excédant pas 12 mois et exige de toutes les parties signataires des Accords de Linas-Marcoussis, d`Accra III et de Pretoria, ainsi que de toutes les parties ivoiriennes concernées, qu`elles l`appliquent pleinement et sans retard."
Au regard de ce qui précède, la décision du Conseil constitutionnel n°2005-011/CC/SG qui date du 28 octobre 2005, disant que le Président de la République demeure en fonction apparaît comme un acte déclaratif d`une décision déjà prise par le Conseil de sécurité de l`ONU.
A l`expiration de cette première période de transition, la résolution 1721 que l`APO a, notamment, pour objet de faciliter la mise en œuvre a confirmé la fin du mandat de monsieur GBAGBO et l`ouverture d`une autre période de transition dans ses paragraphes 3 et 5.
Le paragraphe 3 de la Résolution 1721 est ainsi libellé: "Prend note également de l`impossibilité d`organiser des élections présidentielles et législatives à la date prévue et de l`expiration, le 31 octobre 2006, de la période de transition et des mandats du Président Laurent GBAGBO et du Premier Ministre, M. Charles Konan Banny. "
Quant au paragraphe 6, il dispose: " Souscrit à la décision du Conseil de Paix et de sécurité selon laquelle le Président Laurent GBAGBO demeurera chef de l`Etat à partir du 1er novembre 2006 pour une nouvelle période et dernière période de transition n`excédant pas 12 mois. "
Mais déjà, dans le préambule de cette résolution, le Conseil de sécurité de l`ONU déclare ce qui suit: " ayant à l` esprit que le mandat constitutionnel du Président Laurent GBAGBO a expiré le 30 octobre 2005 et que le mandat de l`ancienne Assemblée nationale a expiré le 16 décembre 2005. "
Comme il est aisé de s`en rendre compte, depuis le 31 octobre 2005, monsieur Laurent GBAGBO est le chef d`un exécutif transitoire. Et il en ira ainsi jusqu`à l`organisation des élections devant permettre aux Ivoiriens de choisir un autre Président.
L`APO, lui-même, que les Ivoiriens croient être plus que ce qu`il n`est en réalité le rappelle d`ailleurs si bien ainsi qu`il suit :" Le gouvernement de transition travaillera dans un esprit de concertation permanente... "
Est-il besoin de rappeler que c`est l`Accord de Linas-Marcoussis qui a fixé la composition du gouvernement et sa durée ainsi que le mode de désignation du Premier Ministre qui doit être acceptable par tous?
En conséquence, monsieur GBAGBO n`a de pouvoirs que ceux que lui confèrent la transition et notamment les Résolutions 1633 et 1721.
Or, il résulte des différentes résolutions que le Premier ministre est la cheville ouvrière de la mise en œuvre du processus de sortie de la crise.
Ainsi, en ce qui est du gouvernement, le Premier Ministre a une pleine autorité sur son gouvernement tel que cela résulte des paragraphes 6, 7 de la Résolution 1633 du Conseil de Sécurité.
Il dispose du pouvoir hiérarchique sur les membres du gouvernement.
En effet, il est prescrit que les Ministres rendront compte au Premier Ministre qui exercera pleinement son autorité sur son cabinet.
De même si un ministre ne participe pas pleinement au Gouvernement, son portefeuille sera repris par le Premier Ministre.
Les Ministres relèvent donc du Premier Ministre qui peut les révoquer de fait et en proposer d`autres pour nomination.
Il en va de même du paragraphe 10 de la Résolution 1721 qui réaffirme les dispositions des paragraphes 6 et 7 de la Résolution 1633.
C`est d`ailleurs la raison pour laquelle le Président de la République ne peut pas révoquer un ministre membre du gouvernement de transition.
Ne pouvant le moins, c`est-à-dire révoquer simplement un ministre, comment peut-il le plus c`est-à-dire les révoquer tous à la fois par la dissolution du gouvernement?
Si l`APO a pour objet de faciliter la mise en œuvre des Accords et des Résolutions, alors il ne peut contredire le contenu des différents Accords et Résolutions. En conséquence, GBAGBO ne peut dissoudre le gouvernement.
Quid de la CEI ?
En ce qui est de la CEI
En invoquant une grave crise qui secoue la Commission Electorale Indépendante pour la dissoudre, monsieur GBAGBO viole la Constitution, l`Accord de Pretoria et la loi n°2004-642 du 14 décembre 2004 modifiant la loi n°2001-634 du 9 octobre 2001 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la Commission Electorale Indépendante modifiée et complétée par la décision n°2005-06 PR du 15 juillet 2005 relative à la Commission Electorale Indépendante.
En effet, la Commission Electorale Indépendante, faut-il le rappeler, est une autorité administrative indépendante créée par la loi en application de l`article 32 alinéa 4 de la Constitution.
En raison de l`importance qu`elle revêt pour le processus électoral, la loi a prévu la durée du mandat de ses membres ainsi que les conditions dans lesquelles ils peuvent être révoqués.
Ainsi, aux termes des dispositions de l`article 53 (nouveau) de cette loi, "Le mandat des membres de la nouvelle Commission Electorale Indépendante prend fin à l`issue des prochaines élections générales."
Quant à l`accord de Pretoria, il prescrit ce qui suit: " Le mandat des membres de la Commission centrale prend fin à l`issue des élections générales. "
Il résulte de ce qui précède que, sauf les cas prévus par la loi, elle-même, les membres de la CEI ne peuvent être révoqués jusqu`à la fin de leur mandat.
C`est la raison pour laquelle monsieur GBAGBO ne peut pas révoquer le Président de la CEI dont il a réclamé, en vain, la démission.
Or, en s`appuyant sur l`article 48 de la Constitution, monsieur GBAGBO a dissous la CEI aboutissant ainsi à la révocation de monsieur MAMBE qu`il ne pouvait révoquer.
On note qu`une fois encore, en violation des règles de droit, celui qui ne pouvait pas le moins s`est permis le plus.
Il faut rappeler, une fois encore, que dans cette période de transition, les mécanismes de règlement des conflits sont prévus par les différents Accords, y compris le recours à l`article 48 de la Constitution et monsieur GBAGBO ne peut passer outre ce qui a été prévu.
Ainsi, l`APO, lui-même, prévoit que "les Parties s`engagent à s`en remettre à l`arbitrage du Facilitateur en cas de litige sur l`interprétation ou la mise en œuvre du présent accord. "
C`est en application de cette disposition de l`APO que toutes les Parties se sont retrouvées à Ouagadougou le jeudi 11 février 2010 pour exposer au Facilitateur les blocages du processus.
Il revenait donc au Facilitateur d`arbitrer le conflit et de proposer des solutions pour son règlement. En droit, tant qu`il ne s`est pas prononcé, nul ne peut prétendre le régler par lui-même en se faisant juge et partie.
En le faisant, monsieur GBAGBO remet en cause unilatéralement les Accords conclus, sciant ainsi, dangereusement, la branche sur laquelle il est assis.
La Commission juridique nationale du PDCI
Me J. Ahoussou Kouadio