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Politique Publié le dimanche 21 février 2010 | AFP

Côte d`Ivoire: sous le choc après la manifestation, Gagnoa pleure ses morts

GAGNOA (Côte d'Ivoire) — "Ca dépasse l'entendement, que l'on puisse tirer sur la foule à balles réelles", lance Karno Koné. Son frère fait partie des cinq personnes tuées lors d'une manifestation contre le président ivoirien Laurent Gbagbo, vendredi à Gagnoa (centre-ouest).

Nohoua Koné, apprenti de 27 ans, a reçu une balle et succombé à une hémorragie, raconte son aîné. Il brandit le billet délivré par l'hôpital de la ville, située dans le fief de M. Gbagbo, dans la moitié sud restée sous son contrôle après le coup d'Etat manqué de 2002.

Quatre des patients qui se trouvaient samedi matin dans ce centre "sont des blessés par balles", dit à l'AFP un membre du personnel médical. Jusqu'à présent, cinq décès et douze blessés ont été enregistrés, indique-t-on à l'hôpital.

Dans la journée de samedi, la ville tournait au ralenti. Après avoir dispersé le matin quelques rassemblements à l'aide de gaz lacrymogènes, les forces de l'ordre n'y faisaient plus de patrouille.

Rues presque désertes, commerces pour la plupart fermés. La majorité des taxis étaient à l'arrêt.

Mais la tension reste perceptible, surtout à Dioulabougou, théâtre des affrontements entre forces de l'ordre et manifestants d'opposition qui exigeaient le "rétablissement" de la Commission électorale indépendante (CEI), dissoute avec le gouvernement par M. Gbagbo le 12 février.

Ce quartier populaire, qui compte de nombreux habitants originaires du nord du pays - surnommés "dioulas" et majoritairement musulmans - est réputé acquis à l'opposition.

"De ma fenêtre, j'ai vu les forces de l'ordre poursuivre les manifestants et tirer sur eux", affirme Karno Koné.

"Dès 5 heures du matin, nous nous étions rassemblés devant la mosquée en bois. La police nous a demandé de ne pas marcher", la manifestation n'ayant pas été autorisée, explique Gildas Konan, l'un des organisateurs.

"On leur a dit que c'était pacifique. Ils sont allés et ont placé un barrage devant nous. C'est quand nous sommes arrivés là qu'ils ont lancé les gaz lacrymogènes pour nous disperser, et c'est là que tout s'est gâté", dit-il.

A Dioulabougou et dans le quartier voisin de Sokoura, des habitants jurent avoir vu des policiers et des gendarmes "entrer dans les rues, les couloirs, tirer, blesser et tuer".

"Mon fils a été abattu. C'est la gendarmerie qui a tiré", accuse Pié Coulibaly. Zana, 18 ans, vendeur dans le magasin de pièces détachées de son père, "a pris six balles!", s'écrie-t-il, en montrant des douilles dans le creux de sa main.

Comme les jeunes de l'opposition réunie au sein du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), Zana était "sorti manifester".

A Dioulabougou, certains sont prêts à en découdre.

"Il est trop tard, nous avons eu trop de morts, alors nous ne pouvons plus reculer", lance un militant qui, samedi en début de soirée, mettait le feu à des pneus dans une ruelle.

"Je suis une victime qui est prête à se venger. Demain, s'il y a une marche, je serai présent", promet Karno Koné.

Malgré l'accablement qui se lit sur son visage, le père de Zana ne parle pas de vengeance. "Mon fils est mort. Mais si c'est pour que la paix revienne en Côte d'Ivoire, je me sens heureux".
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