Après les carnages des vingt quatre et vingt cinq mars 2004, au décompte plus de cent cinquante morts, beaucoup d’Ivoiriens croyaient la page des répressions politiques mortelles tournées dans le pays. Ils devront se raviser. Les événements du vendredi dernier à Gagnoa, la ville d’origine du chef de l’Etat, sont là pour rappeler à tous que rien n’a changé. Depuis l’avènement du pouvoir de la Refondation, la marche est devenue un pêché. Et avec l’intrusion d’une certaine lecture d’un livre saint au sommet de l’Etat, le salaire du pêché n’est rien d’autre que la mort. C’est pourquoi, dans la bourgade de Gagnoa, une localité sans intérêt politique, administratif où militaire particulier, les jeunes de l’opposition qui sont sortis demander la réhabilitation de la commission électorale indépendante, CEI dissoute par le chef de l’Etat Laurent Gbagbo le vendredi 12 février 2010 ont été traités comme des traîtres à la nation et, quasiment condamnés à mort. A balle réelle, les forces de l’ordre ont tiré et cinq personnes ont été tuées. Des morts qui viennent s’ajouter à la longue liste qui jalonnent ces dix dernières années. Pourquoi la vie n’a telle plus aucun sens dans ce pays ? Pourquoi les Forces de défense et de sécurité ouvrent-elles le feu avec tant de facilité et d’aisance contre les populations civiles ? Des questions qui taraudent l’esprit. La Côte d’Ivoire en ce mois de février 2010 est un pays qui a fait des pas de géant. Mais dans le mauvais sens. Dans les quartiers d’Abidjan, les femmes et les enfants passent le clair du temps à la recherche de l’eau. Le précieux liquide ne coule plus dans les robinets. Cette situation n’est pas nouvelle mais elle s’est aggravée depuis que le délestage s’est imposé à la compagnie de distribution du courant électrique. Pas d’électricité, en effet, pas d’eau. L’interdépendance entre les deux éléments aujourd’hui indispensables de la vie moderne est une évidence. Les populations sont retournées dans une existence presque moyenâgeuse. Les eaux de pluies sont attendues avec ferveur ; les puits sont pris d’assaut. Les quelques bornes fontaines encore fonctionnelles sont entourées de tous côtés par des files ininterrompues de seaux, cuvettes et autres bidons. Une image dont la seule vue ferait retourner dans sa tombe Félix Houphouët Boigny, le premier président du pays ; un homme connu pour être chatouilleux sur le bien-être de ses concitoyens et l’image du pays. L’eau et l’électricité manquent. Ces deux fondamentaux du développement économique et du bien-être social manquent parce que, en dix ans aux affaires, aucun investissement sérieux n’a été réalisé par ce régime pour mettre la capacité de la production électrique aux niveaux des besoins du pays. Gbagbo et ses camarades socialistes se sont assis sur l’existant. Uniquement ! Pas de vision, pas de planification, pas d’investissement. Pour un secteur aussi vital pour la vie d’un pays dans toutes ses dimensions, une telle cécité ne pardonne pas. Les populations paient l’amateurisme de gestion ou l’indifférence des tenants du pouvoir. Priver les habitants de son pays d’eau et d’électricité est en soi un mépris pour la vie. La guerre, le cache-sexe brandi à tous vents pour expliquer le recul du pays est ici inopérant. La raison est simple : l’économie du secteur de l’eau et de l’électricité permettait les investissements nécessaires au bon approvisionnement du pays. Alors que les Ivoiriens sont privés des commodités de la vie, le pouvoir lui dispose de moyens illimités pour se doter d’un arsenal de la mort. Très performant. Et pour un oui ou un non, il est mis en branle. Gagnoa en est la dernière illustration. Le pouvoir de ceux qui ont usé et abusé des marches ne souffre pas les manifestations. Ceux qui ont voulu en son temps réclamé la reprise des élections en octobre 2000, ont connu le charnier de Yopougon. Les participants à la marche pour revendiquer l’application des Accords de Marcoussis en 2004 ont eu en leur sein les plus de cent cinquante morts. La demande du retour de la Cei dissoute a déjà coûté cinq vies humaines. A chaque fois que les forces de l’ordre ont été dressées pour commettre ces exactions, elles ont été couvertes. Les commanditaires et les bénéficiaires ont tout fait pour que l’impunité soit garantie. Fort de cela, les hommes aux commandes poussent le cynisme jusqu’à narguer la douleur des familles des victimes. Le porte-parole de Laurent Gbagbo, Gervais Coulibaly, dira ainsi que les manifestations en cours dans le pays sont des marches sauvages. Ce qui est sauvage pour son camp, mérite… la mort ! Petit détail cependant, les entourloupes verbales ne sont plus un parapluie atomique pour les criminels de civils aux mains nues. Ils paieront, ici ou ailleurs, un jour ou l’autre, le prix exact de leur forfait.
D. Al Seni
D. Al Seni