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Politique Publié le mardi 23 février 2010 | Le Patriote

Manifestations éclatées du RHDP - Après son vendredi noir Gagnoa continue de panser ses plaies

C’est une ville de Gagnoa encore sous le choc qu’il nous a été donné de voir samedi dernier, à notre arrivée dans la capitale du Fromager. Premier signe perceptible des événements douloureux de la veille : difficulté, voire impossibilité d’avoir un taxi pour se rendre au quartier « Soleil », où nous avons décidé de poser nos valises. « Les chauffeurs de taxi sont prudents, ils ont peur d’être surpris par des manifestations comme celles d’hier », explique la tenancière du premier maquis qui nous accueille au quartier « Soleil », que nous avons dû rallier à pieds.
Une fois nos bagages déposés à l’hôtel, nous décidons d’entamer la première étape de notre mission : rencontrer les familles des cinq victimes officiellement recensées depuis les événements sanglants du vendredi dernier.
La rencontre avec ces familles a tenu toutes ses « promesses », en termes d’émotion et de commisération, tant il était humainement difficile de supporter les pleurs, sanglots, lamentations et autres mines profondément déconfits par la douleur et la souffrance perceptibles dans les regards. Une douleur d’autant plus lancinante qu’elle est l’expression d’un profond effarement de ces familles face au caractère insensé et gratuit, à leurs yeux, de ces tueries. « On se demande encore pourquoi les forces de l’ordre ont fait preuve d’une telle barbarie », se désole un de nos interlocuteurs. Qui explique qu’aucun débordement, ni casse n’a été enregistré. Pas même un seul acte d’agression n’a été entrepris par les marcheurs en direction des forces de l’ordre.
Selon plusieurs témoignages que nous avons recueillis, c’est tôt le matin, aux environs de 7 h, que les marcheurs se sont regroupés dans plusieurs endroits de la ville. Certains se sont retrouvés au jardin municipal, d’autres à la mosquée du quartier Soukala, quand une partie s’est dirigée vers le château. Par milliers donc, les militants du RHDP, à l’appel du mot d’ordre lancé par le directoire du RHDP, ont commencé à converger vers le centre-ville et la préfecture. A quelques mètres du commissariat central de la ville, premier obstacle. Un impressionnant cordon de sécurité dressé par la police empêche les marcheurs d’avancer. Qu’à cela ne tienne, ces derniers, déterminés à aller jusqu’au bout de leur entreprise pacifique, décident d’engager la discussion avec l’escouade. Les responsables locaux du RHDP entrent aussitôt en conversation avec les responsables de la police. « Savez-vous qu’il est interdit de marcher ? Avez-vous une autorisation pour cette marche ? », leur demandent les policiers. Réponse par la négative des manifestants : « Nous ne trouvons pas cela nécessaire ». Un dialogue de sourds s’engage aussitôt entre les deux parties. La tension monte d’un cran. Les policiers font mine de se replier pour se concerter. Mais surprise, ils chargent sans autre forme de sommation. La foule, prise de court, est dispersée par les gaz lacrymogènes et une course-poursuite s’engage. La violence qui s’ensuit n’est en rien comparable avec les actes de dissuasion de tout à l’heure. Les coups de matraques s’abattent sur les marcheurs les moins chanceux et les moins rapides. Même ceux d’entre eux qui croyaient trouver leur salut en s’engouffrant dans des habitations environnantes, se sont retrouvés pris dans une sorte de cul-de-sac, à la merci des policiers déchaînés. Pareil pour bon nombre de ceux qui ont pu regagner leurs domiciles.
« Pendant notre repli, nous avons entendu des bruits assourdissants. Au départ, nous avons cru à des tirs de gaz lacrymogène. Mais c’était plutôt des tirs à balles réelles », témoigne M. Patrick Gouan, un responsable du RHDP qui a pu échapper au piège des forces de l’ordre. C’est de leurs cachettes de fortune que ces « réfugiés » ont appréhendé toute l’ampleur du drame qui s’opérait dehors. « Nous avons vu des amis qui étaient restés en arrière transporter qui un corps sous les bras, qui un corps sur une moto. C’était la débandade générale. Nous nous demandions ce qu’on avait pu bien faire pour qu’on tire sur nous comme des lapins », fulmine encore un de nos interlocuteurs.

Les tueurs sont venus d’ailleurs

Les témoins sont formels. Pour eux, les tirs ne venaient pas des policiers de la ville. Car, avant qu’elle ne disperse les manifestants, les responsables du RHDP ont eu à discuter avec le commissaire de police et le lieutenant qu’ils connaissent bien. Dans les différents témoignages, une constante revient. Les tueurs portaient des treillis aux couleurs de la gendarmerie nationale. Ces derniers sont entrés jusque dans des cours et dans des ateliers pour tirer à bout portant sur des habitants. A preuve, Diomandé Mouadou et Koné Adama ont été tués sur leur lieu de travail. Ils n’ont pas participé à la marche. Leur malheur est d’avoir croisé la route des forces de l’ordre venues avec à l’esprit d’ôter la vie à tout ce qui respire l’opposition. Les uns accusent les éléments de la brigade de gendarmerie de Ouaragahio venue en renfort. Les autres indexent plutôt certains éléments zélés de la gendarmerie de Gagnoa. Mais, après investigation, il n’est pas exclu que les tireurs soient venus d’Abidjan. Car, la veille de la marche, de sources bien introduites, un certain lieutenant Gnahoré est venu d’Abidjan à la tête d’une unité de 26 soldats. Le lieutenant Gnahoré et ses hommes se seraient logés à l’hôtel « Sporting », au quartier Baoulé. Ce sont ces derniers qui, sans doute sur instructions fermes, ont occasionné le bain de sang du vendredi noir à Gagnoa. Cela est d’autant avéré qu’une de nos sources ayant eu vent de leur présence dans la ville, est entré en contact avec le fameux lieutenant Gnahoré. Un dialogue s’est instauré entre eux. Jugez-en vous-même :
- Mon lieutenant, je m’appelle Tapé. J’ai les noms des petits Dioula qui veulent mettre le feu à la préfecture de Gagnoa.
- Nous sommes là à Gagnoa pour ça. Il faut venir. Ces Dioula-là, on va leur mener la vie dure.

Un bilan lourd

Le bilan du vendredi noir est effectivement lourd. En termes de perte en vie humaine, cinq personnes ont été tuées. 17 autres personnes ont été blessées dont quatre dans un état critique. S’il y a effectivement cinq corps à la morgue de Gagnoa, il faut noter qu’une source hospitalière qui a requis l’anonymat n’exclut pas que d’autres blessés aient succombé à leurs blessures. Cette information est confirmée par certains témoins qui soutiennent que dans la nuit du vendredi à samedi, trois corps ont été inhumés clandestinement au cimetière de Gagnoa. Une information que récuse le régisseur du cimetière, M. Kakao. Selon lui, tous les morts de la manifestation du vendredi ne peuvent pas être enterrés sans autorisation des autorités. Pour l’heure, Gagnoa panse ses plaies. Les responsables du RHDP font le tour des familles des victimes pour tenter comme ils le peuvent, de les réconforter. En marge de la marche, six personnes ont été arrêtées. Les interpellés sont tous des proches des victimes. Ils ont été arrêtés au moment où ils portaient assistance aux blessés. Dimanche dernier, deux des arrêtés ont été relâchés par le commissaire N’Guessan. Quant aux autres, ils ont été déférés depuis hier au Parquet de Gagnoa. Mais le procureur Prégnon a promis de les libérer au plus tard aujourd’hui. Une sage décision qui contribuera certainement à faire baisser la tension dans la cité du Fromager qui a donné les premiers morts de ces manifestations perlées de l’opposition.

Jean-Claude Coulibaly
(Envoyé spécial)
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