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Politique Publié le mercredi 24 février 2010 | Le Patriote

Or donc, y a vrais garçons en face !

Laurent Gbagbo debout, droit comme la Justice, les bras en croix devant lui, la tête baissée – et donc le regard inévitablement fuyant. A ses côtés, le Premier ministre, plutôt détendu, sourire en coin. Un mètre devant eux, le Président du Faso, Blaise Compaoré, s’adressant, avec le ton le plus délicat possible, à la presse.
La télévision ivoirienne et bien des flashs et caméras des médias nationaux et internationaux, ont immortalisé avant-hier, au palais de la Présidence, cette image pour le moins saisissante. C’était à l’issue des rudes et longues négociations que le Facilitateur dans la crise ivoirienne – venu en urgence, le même jour, du Pays des hommes intègres – a entreprises avec les principaux acteurs politiques ivoiriens pour tenter de concilier, ici en Eburnie, les positions antagoniques des uns et des autres. Un confrère présent dans la salle, dans une belle allusion à Laurent Gbagbo, n’a pu alors s’empêcher de s’écrier : Et l’aigle baissa la tête ! Il n’avait sans doute pas tort ! La posture bien inconfortable de l’homme à qui ses partisans ont réussi à coller le bien flatteur pseudonyme de « Woudy », Garçon en langue bété, en disait long. Certains téléspectateurs ont même cru capter dans ce regard furtif et inhabituel de l’ancien opposant historique à Houphouët-Boigny, les signes d’un profond soulagement intérieur, celui qu’éprouve le naufragé qui vient d’échapper à une noyade certaine et qui en tremble encore de tous ses membres à l’idée que ce péril puisse ressurgir. Extrêmement attentif aux propos du Facilitateur, qu’il buvait comme du petit lait, Gbagbo n’avait hâte que d’une chose : que Compaoré annonce la fin de la crise pour laquelle il l’avait appelé dare-dare sur les bords de la lagune Ebrié.
Du coup, le large sourire qui illumine son visage et qu’il fait suivre d’applaudissements nourris à la fin de l’allocution du Facilitateur, ne peut que trahir l’état d’esprit d’un Laurent Gbagbo qui revenait de loin ! Sans doute d’aussi loin qu’au lendemain du coup d’Etat manqué qui a failli l’emporter, le 19 septembre 2002. En Compaoré, il ne pouvait donc voir que le sauveur, in extremis, d’un régime moribond que la rue était insidieusement en train d’emporter !
A la vérité, jamais Gbagbo n’avait pas pensé que la réaction de l’opposition à la décision de la double dissolution, le 12 février dernier, du gouvernement et de la CEI qu’il avait prise avec autant de facilité se transformerait en cette puissante bourrasque qui a secoué – et qui continue de secouer – tout le pays, mettant sérieusement son pouvoir en péril.
A preuve, dès qu’il prend les fameuses mesures, c’est une retentissante injonction qu’il fait à Soro de lui proposer, « d’ici trois jours », une nouvelle équipe gouvernementale. Cette équipe, il la veut restreinte, mais surtout débarrassée « des ministres aux ordres des partis politiques ». Après quoi, et comme pour dire qu’il est le maître de la situation et qu’il n’y a aucun péril en la demeure, suivi de sa cour, il s’offre une villégiature à Yamoussoukro, au pied de ses chantiers pharaoniques de la capitale politique.
Et c’est visiblement du village natal du Président Houphouët, dans les chambres douillettes du Palais des hôtes où il a pris ses quartiers, qu’il se remémore avec délectation, les railleries qu’il avait toujours proférées contre ses opposants. A savoir que le RHDP n’était pas digne de se considérer comme une opposition. « Cela m’amuse qu’on parle d’une opposition dans ce pays ; ces gens-là ne sont pas des opposants !», se moquait-il régulièrement.
Cette boutade, il l’avait transmise volontiers à ses partisans. Que ce soit Affi N’guessan, Sokoury Bohui, Bro Grébbé, Odette Lorougnon, pour ne citer que les plus virulents, tous, à travers leurs discours et actes, suggéraient cette idée bien réductrice des adversaires de leur champion. Mais c’est sans conteste un certain Blé Goudé, qui à su rendre le mieux cette idée d’une opposition indolente, sans réelle capacité de réaction, qui n’était pas assez forte pour inquiéter Laurent Gbagbo, quels que soient les excès dont ce dernier ferrait preuve. Et c’est à Yopougon, lors du lancement de la campagne du candidat Laurent Gbagbo au stade municipal et en présence de l’intéressé que l’étudiant de Manchester lance à une foule en délire : « Y a rien en face ! » Et d’interroger ensuite cette foule : « Y a quoi en face ? » Et des centaines de bouches de reprendre en chœur : « Y a rien en face, Y a maïs ! » Depuis ce jour, la formule est devenue un slogan de campagne abondamment distillé par les refondateurs. Avec l’aide bienveillante de la télévision qui la passe en boucle dans des spots savamment concoctés pour la circonstance. Bien sûr, l’idée véhiculée est de présenter l’opposition comme une simple plante végétale, mieux, une céréale bonne à consommer, si possible sans modération. Evidemment, en face, il y a Laurent Gbagbo, le candidat du FPI, vainqueur sans coup férir et avant la lettre, d’une élection présidentielle presque sans enjeu, faute d’adversaire.
Et c’est cette disposition d’esprit dans laquelle baigne le camp présidentiel qui justifie le véritable je-m’en-foutisme politique du régime Gbagbo qui a causé la ruine totale, en dix ans de gouvernance, d’un pays autrefois riche et cité en exemple en Afrique. C’est ce sentiment d’évoluer seul, sans contradicteurs, sans opposants capables de s’opposer à leurs errements, et ce depuis l’accord de Marcoussis, mais surtout de Ouagadougou, qui a poussé le FPI et son chef à ressusciter l’ivoirité à l’occasion du contentieux électoral. C’est ce même sentiment qui a donné les ailes à Gbagbo pour remettre en cause le processus électoral, pourtant achevé à 95%, à seulement quelques semaines d’une élection présidentielle que tous les Ivoiriens attendent. En dissolvant la CEI et le gouvernement Gbagbo n’a pas cru un seul instant qu’un peuple dont on obstrue l’avenir n’a pas d’autre choix que de se révolter pour dégager l’horizon de cet avenir.
Avec les événements de ces deux dernières semaines, qui ont montré que l’opposition en Côte d’Ivoire avaient des ressources humaines, stratégiques, intellectuelles pour s’opposer à des prédateurs sans pitié pour leur peuple, Laurent Gbagbo et Blé Goudé peuvent-il encore dire qu’il n’y a rien en face d’eux ? Quel serait donc ce vide, ce néant, qui fait trembler des gargantuas ? Vous avez dit « y a rien en face » ? Eh bien, non ! Y a Garçon en face. Or donc, y a vrais garçons en face ?!

Kore Emmanuel
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