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Politique Publié le mercredi 24 février 2010 |

Alors que l’opposition à Gbagbo est sauvagement réprimée en Côte d’Ivoire: les Ivoiriens de France entendent mettre la pression sur Paris et les représentants en France de la "gbagbocratie"

La Dépêche Diplomatique Quotidien des relations internationales - Abengourou, Gagnoa, Bouaké, Korhogo… Partout, en Côte d’Ivoire, la tension monte. Et comme le soulignait Christophe Châtelot dans Le Monde de ce week-end (daté du dimanche 21-lundi 22 février 2010) : « Pour la première fois depuis le début de la crise politique en Côte d’Ivoire, en janvier, une manifestation de l’opposition contre le président Laurent Gbagbo a été durement réprimée par les forces de l’ordre ». La dernière initiative du chef de l’Etat, pour attendue qu’elle soit, a mis le feu aux poudres. De provocation en provocation, Gbagbo vient de franchir une étape. Pris au piège de ses propres contradictions, confronté à l’incapacité de sa clique à mobiliser autour de sa candidature (et de sa victoire annoncée) une majorité d’Ivoiriens, Gbagbo, qui depuis la signature de l’accord de Ouagadougou laissait penser qu’il était disposé à jouer le jeu auquel il s’était engagé, vient de révéler la vraie nature de son action politique aux derniers naïfs, ceux qui ne cessaient d’affirmer que les élections allaient se tenir… bientôt. Il n’y aura pas d’élection. Gbagbo ne veut pas être confronté au vote des Ivoiriens. Pas seulement ceux de l’opposition ; de tous les Ivoiriens. C’est dans son fief électoral, sa ville natale : Gagnoa, que les Ivoiriens viennent de manifester « pour demander le rétablissement de la Commission électorale indépendante et un calendrier électoral précis ». La réponse de Gbagbo a été de faire fusiller les manifestants par ses gendarmes. Le bilan est d’au moins cinq morts et une dizaine de blessés. Abidjan et Conakry, même combat ? Une foule aux mains nues qui dit « non » au totalitarisme que veut instaurer le régime en place est froidement mitraillée par des militaires !

Ultime provocation de Gbagbo. Il ne pourra pas y en avoir d’autres. En 2002 et dans les années qui ont suivi, le jeu hypocrite du chef de l’Etat pouvait être concevable pour ceux qui disaient que c’était une juste réaction : les « rebelles » avaient voulu renverser un régime issu des urnes et le pays était coupé en deux. Nous ne sommes plus dans ce schéma. Il y a eu les accords de Marcoussis - même s’ils résultaient d’un rapport de force dans lequel Paris pesait de tout son poids - mais, surtout, les accords de Ouagadougou, en 2007, dont Gbagbo n’a cessé de chanter les louanges. La règle du jeu avait été acceptée par tous. Et à la table des négociations, Gbagbo n’était pas le plus démuni. Il n’a pourtant jamais cessé de piper les dés. Ce que les commentateurs présentaient comme de l’habileté politique était en fait la mise en place d’un système pervers de gestion politique, économique et sociale du pays. Aujourd’hui, Gbagbo n’est plus seulement confronté à une crise politique ; une crise sociale est venue s’y ajouter. Les Ivoiriens n’en peuvent plus. Tous les Ivoiriens. Et montrent du doigt ceux qui sont la source de leur malheur : Gbagbo et sa clique. Jean-Louis Billon, qui n’a rien d’un Che Guevara de la savane ivoirienne (il préside la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire), l’a dit (Le Monde daté du mardi 16 février 2010) : « Nous vivons sur des acquis et détruisons notre potentiel. Et la Côte d’Ivoire s’enfonce dans la pauvreté. Le pouvoir a-t-il conscience que l’accumulation des tensions politiques, économiques et sociales risque de déboucher sur une explosion de la colère ? ».Billon dit encore : « Nous travaillons pour assurer le train de vie de l’Etat, un Etat prédateur qui organise le dépeçage de l’économie sur le dos des Ivoiriens prétextant la crise politique ». On ne peut pas être plus clair. La dénonciation du « mode de production » politique de Gbagbo et de sa clique n’est plus le fait uniquement des Ivoiriens engagés dans le combat politique pour plus de démocratie et moins d’exclusion ; c’est un combat dans lequel s’engagent désormais la grande masse des Ivoiriens, bien au-delà du clivage « Nord-Sud » ou des pro ou anti-houphouëtistes. Si Gbagbo n’a plus la confiance de la communauté africaine et de la communauté internationale, il n’a plus, non plus, la confiance des Ivoiriens.

« Gbagbo, trop c’est trop » scandaient devant l’ambassade de Côte d’Ivoire à Paris, ce samedi 20 février 2010, les Ivoiriens de France qui, à l’appel du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP-France), ont protesté contre la dissolution de la CEI et du gouvernement. Dénonçant la « gbagbocratie », disant « non à la haine contre la France », soulignant que « les projets de Gbagbo pour la Côte d’Ivoire sont sataniques » (on peut y voir une référence à l’engagement « évangélique » du chef de l’Etat), les manifestants, en rangs serrés, n’ont pas voulu d’un « cinquantenaire sans élection » et ont entrepris de faire échouer la conférence organisée par Pierre Kipré, ambassadeur à Paris et président de la Commission nationale préparatoire du Cinquantenaire de la Côte d’Ivoire (cf. LDD Côte d’Ivoire 0249 et 0250/Mardi 9 et Mercredi 10 février 2010). Kipré s’est… tiré vite fait après avoir fait accoler un avis annonçant l’annulation de sa réunion et les Ivoiriens de France ont entrepris de joliment décorer l’ambassade dans une ambiance qui ne manquait pas de rappeler celle des journées du printemps 1968 à Paris. « Préservons l’avenir de la Côte d’Ivoire, mobilisons-nous », « Avec Gbagbo, y’a la souffrance du peuple en face » et son pendant sous forme d’avertissement : « Attention Gbagbo, le peuple voit ton dos ». Gbagbo n’était pas la seule cible des manifestants ; dans leur collimateur se trouve aussi Philippe Mangou, chef d’état-major de l’armée, qui, au lendemain de la tuerie de Gagnoa, avait déclaré que l’opposition était « responsable [de] tous les actes odieux en cours ». « Mangou se trompe de cible. C’est le peuple qui se réveille » affirmait une banderole apposée sur l’ambassade de Côte d’Ivoire à Paris.

Sur le terrain militant, l’alliance de l’opposition paye. Le RHDP-France, qui rassemble les « bédéistes » et les « ouattaristes » mais aussi tous ceux qui veulent des élections et le respect de l’accord de Ouagadougou (le RHDP compte parmi ses membres, hormis le PDCI et le RDR, l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire-UDPCI et le Mouvement des forces d’avenir-MFA), met la pression. La prochaine étape, ce sera le mercredi 24 février 2010, devant l’Assemblée nationale française avant la « Grande marche du peuple ivoirien et des amis de la Côte d’Ivoire » le samedi 27 février 2010. Pression sur la représentation diplomatique de la Côte d’Ivoire en France (avec Kipré qui est bien embarrassé par la responsabilité de faire célébrer un « Cinquantenaire » qui risque fort de devenir le point de départ de la chute de Gbgabo et de la « gbagbocratie ») mais aussi sur la classe politique française qui n’a que trop tergiversé dans son relationnel avec Abidjan (même si le RHDP reconnaît que Paris a, en 2002, permis d’éviter le pire en intervenant sur le terrain et salue l’action militaire de la France en Côte d’Ivoire aujourd’hui encore) quand il était évident pour tous que Gbagbo ne voulait pas aller à une élection-sanction. Le RHDP-France ne manque pas d’être attentif à ce qui se passe du côté des Forces nouvelles (le jeu politique de Guillaume Soro, premier ministre issu de l’accord de Ouagadougou, n’est pas toujours très clair, notamment ces dernières semaines ; être l’otage de Gbagbo, c’est une chose, se laisser instrumentaliser en est une autre !) et de la « facilitation » menée par le président burkinabè Blaise Compaoré. La reconnaissance n’empêche pas la vigilance ! Une certitude : une page est tournée. Plus encore, elle a été déchirée. Le RHDP a raison de le scander sans cesse : « Gbagbo, trop c’est trop ». Espérons que ce mot d’ordre sera repris partout en Côte d’Ivoire (et dans les chancelleries) dans les jours qui viennent.

Jean-Pierre Béjot, éditeur-conseil
Mis en ligne par Diomandé Adama.
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