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Politique Publié le mercredi 10 mars 2010 | Le Patriote

Dr Séhi Victor (Médecin chef du CHR de Gagnoa): "Je suis accusé à tort"

Nous publions dans notre parution du samedi dernier, une interview du père du jeune Coulibaly Zana (18 ans), un des cinq victimes décédées à Gagnoa suite à la manifestation du RHDP violemment réprimée par les Forces de l’ordre. Dans cet entretien, M. Coulibaly Piè accusait le médecin en chef du CHR de Gagnoa de n’avoir pas porté assistance à son fils malade. Une accusation que celui-ci rejette catégoriquement. Selon le Dr Séhi Victor, Médecin chef et chef du service Chirurgie du CHR de Gagnoa, tout été fait pour pouvoir sauver le jeune Coulibaly Zana, «Mais Dieu en a décidé autrement ». Interview.

Le Patriote : Suite à la manifestation du RHDP à Gagnoa, certains parents de victimes décédées vous accusent de n’avoir pas porté assistance à leurs enfants. Quelle réaction ?
Dr. Séhi Victor : Je voudrais d’abord vous faire la genèse des faits. Le vendredi 19 février, en traversant la ville pour me rendre au service, j’apprends à travers les rumeurs qu’il y a une marche prévue ce jour. Et je vois aussi que la population est en branle. Pour nous, quand il y a une situation pareille, nous nous organisons pour prendre des dispositions particulières. Car l’expérience nous a montré que ce genre événements dégénère souvent à des affrontements, avec de nombreux blessés qui sont adressés à nos services. Une fois donc au service, j’ai réuni tous mes collaborateurs, les infirmiers majors et tous les autres. Je précise que notre service est compartimenté en trois blocs. Il y a la consultation et les urgences qui sont aux portes d’entrée. Il y a le bloc opératoire. Et il y a l’hospitalisation. J’ai donc demandé qu’on double les effectifs dans tous les compartiments en terme de personnel infirmiers et d’aide soignants. A peine nous avons terminé cette réunion, nous avons vu arrivé le premier blessé. Il s’agissait du petit Coulibaly Zana, âgé de 18 ans. Il est arrivé dans un état de choc, comme nous le disons dans notre langage. C’est-à-dire qu’il était en détresse cardiovasculaire. Il était presque dans l’agonie. Ayant constaté cet état, la première chose que nous avons fait, c’est de réanimer très rapidement le petit. Immédiatement c’est ce que j’ai fait.

LP : Mais justement, le père du jeune Coulibaly Zana vous accuse de n’avoir pas fait ces premiers soins-là ….
SV : Lui, il ne sait pas ce que nous avons fait avant qu’il n’arrive. Ce n’est pas lui qui est venu avec l’enfant. Le jeune a été transporté à bord d’un taxi par ses amis. Ce sont eux qui l’ont amené au CHR. Et comme il l’a dit dans son interview, c’est après avoir fait le tour de la ville, qu’il a su que son fils était au CHR. Au moment où il arrivait, son fils qui était mourrant venait de bénéficier d’une réanimation intensive. Ce qui lui a permis de pouvoir parler à son père, comme celui-ci l’a indiqué dans son interview. M. Coulibaly Piè ne s’est pas demandé d’où est venu ces premiers gestes qui ont permis à l’enfant d’être réanimé. Alors, dites-moi, où est le cynisme dont il m’accuse ? Ensuite, parlant de la disposition et des caractères des lésions ouvertes sur son corps. Nous avons pensé que ces lésions sont causées par des jets de projectiles à grande vitesse, qui ont traversé le corps de part en part, donc d’un flan à l’autre, en passant par l’abdomen. Et évidemment, cela a dû blesser de nombreux organes dont certains, comme le foie, sont très hémorragiques. Nous pensions donc qu’il s’agit d’une hémorragie interne. Et comme la réanimation est mise en route, il fallait maintenant rechercher le retentissement de cette hémorragie, à travers l’hémogramme. Donc, rechercher s’il est très anémié. Et cela demande un examen de sang. Il faut faire la preuve des lésions qui sont causées en interne. Donc les radiographies et surtout, l’échographie abdominale. J’ai informé le médecin du service Anesthésie – réanimation de l’état grave du patient.

LP : Combien de temps a duré tout cela ?
S.V. : Je peux dire dans les trente minutes qui ont suivi son admission à l’hôpital. J’ai donc informé le médecin du service Anesthésie et Réanimation et également celui qui était de garde, Dr Atsé. Après leur avoir fait le point de la situation, moi je me suis retiré dans le bloc opératoire pour opérer les malades que j’ai reçus la veille mais que je n’avais pas pu opérer à cause du délestage. Les deux confrères ont donc continué derrière moi. J’ajoute qu’au moment où je leur faisais le compte rendu pour ce premier blessé, il y a un deuxième blessé qui arrivait. Lui avait un traumatisme ouvert du crâne, avec l’encéphale dehors. Il était dans un coma très profond. Je leur ai donc passé la main et moi je suis allé opérer des malades, comme je l’ai dit plus haut, qui n’avaient pas pu être opérés la veille à cause du délestage. Pour la suite donc, les prélèvements de sang, la suite de la réanimation, les examens d’échographie et de radios, tout cela s’est fait derrière moi. J’avais déjà passé la main à d’autres confrères. Et quand j’ai fini mes opérations à midi, le médecin de la réanimation me dit que les examens du petit Coulibaly Zana sont péjoratifs. Et que malgré la réanimation, les constantes n’évoluent pas. Donc pour ce blessé, il sera difficile de l’endormir pour ouvrir son abdomen, surtout qu’il s’agit d’une intervention qui pouvait durer de 4 à 6 heures. Il fallait donc réunir tout le matériel. M. Coulibaly Piè dit que pour le remplissage d’un bon de sang, moi, j’ai traîné pendant trente minutes. Cela est faux, puisque tout s’est passé pendant que j’étais au bloc opératoire. Et je suis ressorti seulement à midi pour voir quel est l’état du malade. Comme conclusion, le médecin réanimateur me dit qu’on ne peut pas l’opérer. Admis aux environs de 9 h, le jeune Coulibaly Zana est donc décédé à 13 heures, malgré toutes les mesures de réanimation que nous avons prises. Ses lésions étaient tellement profondes que nous ne pouvions malgré notre bonne foi, le ressusciter. Mettez-vous un instant à notre place. Nos conditions de travail sont difficiles, mais nous faisons tout en donnant le meilleur de nous-mêmes. Alors, pourquoi m’accuse-t-on de cynisme. Nous avons fait tout ce que nous pouvions. Autre chose, M. Coulibaly fait état de six balles dans le corps de son enfant. Nous, nous ne parlons pas en terme de balles. Pour nous, il existait six plaies sur le corps.

LP : Mais des plaies causées par quoi, selon vous ?
S.V. : Les analyses disent qu’elles sont dues à des projectiles à grande vitesse et à haute intensité d’énergie.

LP : Il peut donc s’agir de balles provenant d’arme à feu?
SV : Oui, mais, moi je ne peux parler de balles, puisque je n’ai pas vu. Parce que les lésions étaient très profondes. J’ai vu six plaies sur le corps. Quatre sur les deux bras et deux sur l’abdomen.

LP : Si vous avez un message à dire aujourd’hui aux parents des victimes, que direz-vous ?
S.V : Je veux leur dire que je suis moi aussi un père de famille. Je comprends donc la douleur des parents. Mais je veux leur dire que nous avons fait tout, professionnellement et humainement, pour apporter le secours nécessaire aux enfants blessés. Je comprends que M. Coulibaly soit moralement atteint par le décès de son fils. Mais qu’il arrête de me calomnier, qu’il arrête de me jeter en pâture, qu’il arrête de souiller mon honneur. A cause de cette affaire, le fait qu’il m’ait nommément cité dans son interview, mes parents et surtout mes enfants qui sont à Abidjan, ne cessent de m’appeler. Je comprends et je compatis à sa douleur. Mais arrête de salir mon nom, parce que j’ai fait tout ce que je pouvais pour pouvoir sauver son fils. Qu’il arrête de falsifier les faits. Je compatis à sa douleur. Et je l’ai exprimé à travers le professionnalisme et la promptitude que j’ai mis dans les premiers soins que j’ai apporté à son enfant. Mais à l’impossible nul n’est tenu. J’ai fait ce que je pouvais, mais je ne suis pas Dieu. Nous nous sommes battus. Mais malheureusement les résultats sont ce qu’ils sont. Nous nous inclinons devant la mémoire de ce jeune garçon, contre qui nous n’avions absolument rien.
Réalisée au téléphone par

Edgar Kouassi
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