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Politique Publié le jeudi 25 mars 2010 | Le Nouveau Réveil

Kouassi Yao (ancien Secrétaire général de la Présidence de la République) : “Gbagbo vient de rendre service à l`opposition”

Le chef de l'Etat Laurent Gbagbo a fait usage de l'article 48 pour dissoudre récemment et la Commission électorale indépendante et le gouvernement. Suite à ces décisions, l'opposition réunie au sein du Rhdp + le PIT se sont fortement mobilisés pour condamner sa démarche. Dans l'entretien qu'il a bien voulu nous accorder, l'ancien Secrétaire général de la présidence de la République, M. Kouassi Yao, se prononce sur l'usage qu'a fait Laurent Gbagbo de l'article 48 de la Constitution ivoirienne. Par ailleurs, il donne son avis sur la gestion de la crise née de cette double dissolution par l'opposition.

Des militants de l'opposition réunie au sein du Rhdp estiment que leurs leaders ont raté le coche dans la gestion de la crise survenue à la Cei. Partagez-vous leur avis ?
Je pense que vous voulez parler de la situation consécutive à la décision plus que regrettable du président Gbagbo de dissoudre la Cei sous le prétexte fallacieux que M. Beugré Mambé, son président aurait frauduleusement introduit 429000 potentiels électeurs dans la liste électorale provisoire, le président Mambé dont Gbagbo a réclamé et la tête et la peau.

C'est bien de cela
Si c'est de cela que vous voulez parler, permettez d'abord que je dise un mot sur cette décision. Les prétextes qui ont été invoqués et le support juridique que M. Gbagbo a utilisé pour prendre cette décision ne résistent pas à une analyse sérieuse. En effet, sur présomption d'introduction frauduleuse de pétitionnaires dans la liste électorale, M. Gbagbo a cru nécessaire de recourir à l'article 48 de la Constitution pour dissoudre la Cei. Cette décision a, bien entendu, suscité la réaction indignée et vigoureuse de l'opposition. Le Rhdp l'a même qualifiée de coup d'Etat. Le Pr Francis Wodié, président du Pit, l'a, quant à lui, qualifiée de forfaiture. C'était des réactions de désapprobation, de révolte et de résistance de l'opposition et des Ivoiriens.

Vous soutenez que les décisions de M. Gbagbo n'ont pas de fondement juridique. Pourquoi ?
L'introduction frauduleuse par M. Mambé d'un troupeau de 429000 personnes dans la liste électorale provisoire pour servir de bétail électoral, semble t-il, aurait été démontrée de façon péremptoire par le procureur de la République Diakité Mamadou sur injonction du ministre de l'Intérieur, Désiré Tagro. Et la culpabilité de M. Mambé aurait été établie. Soyons sérieux. Pensez-vous que s'il avait été établi que M. Mambé avait effectivement fraudé, ses accusateurs qui détiendraient les preuves de cette fraude se seraient abstenus de les exhiber et de publier cette liste de 429 000 personnes ? Pourquoi ne l'ont-ils pas fait ? M. Mambé lui-même, pour sa défense, aurait pu dire : J'ai fait faire un croisement test à usage interne sur la base de critères plus ou moins probants qui a permis d'identifier ces 429 000 personnes susceptibles d'être des Ivoiriens. Puisque je suis accusé d'avoir introduit les résultats de ce test dans la liste électorale provisoire (liste blanche) au profit de je ne sais qui, je fais publier cette liste pour que les Ivoiriens apprécient si ces 429 000 personnes sont des extra terrestres, des Guatémaltèques ou des Kiribatiens. Bref, passons sur les aspects de gestion juridique de ce dossier pour ne retenir que l'intention qui a présidé à cette offensive au bazooka de Gbagbo contre la Cei et contre Mambé.

Le camp présidentiel qui est à l'origine de la crise a tout de même pu obtenir la tête de M. Mambé
Pour moi, le départ de M. Mambé est un épiphénomène. Ce n'était pas ça le plus important. Ce que Gbagbo a tenté, c'est un passage en force.

Un passage en force pour aller où selon vous ?
On aurait bien voulu que ce passage en force eût pour objectif de faire avancer le processus électoral de deux ou trois semaines. En fait, c'était un passage en force pour le faire reculer, faire de l'obstruction. Gbagbo a procédé à un rétropédalage. En effet, c'est au moment où les Ivoiriens, excédés, saturés, lessivés par près de dix ans de "social-Gbagbocratie", avaient commencé à espérer que leur calvaire allait prendre fin avec l'élection présidentielle annoncée pour la période fin mars-début avril, persuadés que cette fois-ci les conditions techniques essentielles étaient réunies pour qu'enfin, après cinq reports, on puisse aller à cette élection, que M. Gbagbo s'est déchainé contre Mambé sous le fallacieux prétexte que l'on sait. Ce rétropédalage de Gbagbo n'avait donc pour but que de bloquer le processus électoral qui était en si bonne voie pour s'accorder après cinq ans de "gouassou sans doufflé", cinq autres années de "gouassou avec doufflé".

Toutes choses qui ont entrainé la réaction de l'opposition. Comment l'avez-vous jugée ?
La réaction de l'opposition, rassemblée au sein du Rhdp rejoint par le Pit, a été une réaction salutaire, légitime, responsable. Une réaction magnifique. Les déclarations faites par les présidents du Rhdp et du Pit ont réveillé les militants de l'opposition et de nombreux Ivoiriens qui, de façon spontanée et sur toute l'étendue du territoire national, se sont dressés pour faire échec au coup de poker, à la "Tandja" de Gbagbo, parce qu'ils ont compris son jeu et ont voulu exprimer leur ras-le-bol. C'est le lieu de rendre un hommage appuyé aux jeunes et aux femmes qui ont été le fer de lance de cette résistance avec une mention spéciale pour le président KKB et ses amis du Rjdp qui, par leur marche pacifique sur la Rti, ont réussi à tuer la peur qui tétanisait les militants du Rhdp depuis les boucheries des 24, 25, 26 et 27 mars 2004. Au Premier ministre reconduit du gouvernement dissous, Gbagbo avait donné trois jours pour former un nouveau gouvernement et sept jours pour former une nouvelle Cei avec instruction formelle d'expurger de ce gouvernement les représentants des partis politiques de l'opposition au profit de technocrates sans coloration politique et de recomposer une nouvelle Cei reformatée dans le même esprit, c'est-à-dire débarrassée elle aussi des représentants des partis politiques de l'opposition contrairement à ce qui avait prévalu depuis l'accord de Pretoria 2. Il a fallu à Soro près de trois semaines pour former le nouveau gouvernement là où Gbagbo avait donné trois jours et près d'un mois pour la recomposition de la Cei. Que de temps perdu, quel gâchis ! Que c'est bien triste de la part de Gbagbo, enfant des élections comme il le prétend et qui, il n'y a pas si longtemps, disait qu'il voulait aller aux élections vite, vite. Le comble, c'est que grâce à la mobilisation des militants de l'opposition, le gouvernement et la Cei ont été reconstitués conformément à la clé de répartition des accords de Linas Marcoussis et de Pretoria 2. C'est dire que Gbagbo a essuyé un échec cuisant.

Malgré cet échec dont vous parlez, les militants de l'opposition ont eu le sentiment d'avoir été trahis par leurs leaders qui, par leur décision de suspendre le mot d'ordre lancé, ont donné un goût d'inachevé à leur courageuse mobilisation. Qu'en dites-vous ?
C'est vrai, beaucoup de militants du Rhdp de la base au sommet n'avaient pas du tout apprécié la suspension du mot d'ordre par leurs leaders. Pour eux, Gbagbo était dans les cordes, sonné. C'était donc le moment idéal pour en finir avec lui une bonne fois pour toutes. Ils ne comprennent donc pas que leurs leaders aient arrêté leur uppercut qui aurait mis Gbagbo KO. Oui, Gbagbo était effectivement dans les cordes ; il avait même mis un genou à terre. Or dans le noble art, la boxe, il est interdit de frapper un adversaire à genoux. Gbagbo a été tout de même battu par arrêt de l'arbitre, sauvé de justesse du KO technique par le facilitateur Blaise Compaoré, accouru, toutes affaires cessantes, à Abidjan pour arrêter les hostilités.

Comment interprétez-vous le refus de M. Gbagbo de voir certaines personnalités de l'opposition au gouvernement ?
M. Gbgabo, qui se dit politicien de métier, se permet de dire que dans le gouvernement, il ne veut pas voir des représentants des partis politiques. Soyons sérieux. On est professionnel de la politique et on ne veut travailler qu'avec des technocrates apolitiques, c'est-à-dire politiquement incolores. Cette chanson, ce n'est pas aujourd'hui que M. Gbagbo la chante. A la formation du premier gouvernement Affi N'guessan, après son élection en 2000 dans les conditions calamiteuses pour lui emprunter son expression, quand il avait voulu prendre quelques membres du Pdci-Rda, il avait exigé que ce ne fût pas des personnes politiquement marquées au fer rouge du Pdci-Rda. C'est tout de même curieux ! Soyons sérieux. On fait une ouverture à un parti politique et on exige que ce parti propose des personnes qui soient les moins engagées. On a du mal à comprendre. On avait accédé à son exigence. C'était à l'ère de M Fologo, Secrétaire général, président par intérim du Pdci-Rda qui savait ce qu'il poursuivait comme objectif. C'est sur cette base que M. Achi Patrick et Mmes Henriette Lagou, Géneviève Bro Grébé avaient fait leur entrée dans ce gouvernement d'ouverture sous condition. Sur les trois personnalités recrutées de la sorte, seul M. Achi Patrick est resté fidèle au Pdci-Rda. Nos deux amazones d'alors ont depuis longtemps changé de jupe. M. Gbagbo est donc revenu à sa théorie initiale qui consiste à prélever dans les autres partis des personnes qui ont des compétences plus ou moins reconnues avec comme arrière-pensée qu'elles apporteront un plus à son gouvernement, tout en étant persuadé qu'au fil du temps, ces personnes finiront par renier leur propre famille politique, virer leur cuti pour se mettre à son service exclusif, en se proclamant républicaines pour se donner bonne conscience, comme ceux qui, aujourd'hui, animent le Cnrd et la soi-disant majorité présidentielle (N'zi Paul David, Gnamien Yao, Vincent Kragbé Gadou, N'dri Apollinaire, etc.). C'est un jeu auquel nous sommes habitués. C'est pour se débarrasser des ministres de l'opposition qui n'ont pas voulu se prêter à ce jeu que Gbagbo a dissous le gouvernement. Sinon, un gouvernement, on ne le dissout pas, on le démet ou on le remanie. Le mot "dissolution", appliqué à des Institutions de l'Etat et au gouvernement, relève du vocabulaire des putschistes et autres faiseurs de coups d'Etat.

Le chef de l'Etat s'est appuyé sur l'article 48 de la Constitution pour prendre ses décisions. Avait-il le droit de faire usage de cet article ?
D'éminents juristes, comme l'avocat voltigeur, Me Faustin Kouamé, le "Me Verges des Tropiques", ou même le Pr Ouraga Obou jusqu'alors perçu comme un universitaire rigoureux et un certain Boga Sako, président d'une Ong des droits de l'homme dont on voit la couleur politique transpirer de manière manifeste, et tout récemment le ministre Kouassi Apéteh, reconnaissent le bien-fondé du recours par Gbagbo à l'article 48 de la Constitution pour commettre sa forfaiture. L'article 48 de la Constitution, copie conforme de l'article 16 de la Constitution de la Ve République Française, toujours en vigueur, est en quelque sorte le bouton nucléaire ou le parapluie atomique dans le système institutionnel de la Côte d'Ivoire. L'article 48 libellé comme suit stipule que : Lorsque les Institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate, et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances après consultation obligatoire du Président de l'Assemblée nationale et celui du Conseil constitutionnel. Il en informe la nation par message. L'Assemblée nationale se réunit de plein droit. Quel cataclysme, quel péril grave menaçait les institutions de la République de Côte d'Ivoire pendant la période du 12 février 2010 ? En quoi l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire et l'exécution de ses engagements internationaux étaient gravement menacés ? A quel moment le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels, a-t-il été interrompu pour que le Président de la République brandisse l'article 48 pour couvrir sa forfaiture ? Aucune de ces conditions n'était réunie pour que Gbagbo puisse se permettre de recourir à l'article 48, surtout pour prendre la malheureuse décision de dissoudre la Cei et le gouvernement. Au demeurant, s'il devrait être fait usage de l'article 48, ce ne saurait être que pour gérer les troubles occasionnés par les campagnes de radiations massives de pétitionnaires inscrits sur la liste provisoire, organisées par les responsables du Fpi avec la complicité de quelques magistrats véreux et militants Fpi, sans observation du mode opératoire de la gestion du contentieux. C'est cela qui a été à l'origine des troubles à l'ordre public avec mort d'hommes à Divo, destruction de biens publics. On aurait pu les appeler "les dignitaires félons de la refondation".
Pour faire usage de l'article 48 de la Constitution, il faut être en pleine possession de ses facultés mentales intellectuelles et morales, mais surtout en pleine possession de ses prérogatives constitutionnelles. Question : Un président comme Gbagbo qui, depuis cinq ans, a fini son mandat constitutionnel, qui est maintenu comme Chef de l'Etat par des arrangements politiques et qui ne jouit que d'une légitimité résiduelle, peut-il se permettre de recourir à cet article 48 qui donne des pouvoirs quasi divins au président de la République jouissant de ses pleines prérogatives ? La réponse est non et non.
Au demeurant, on aurait compris et acclamé Gbagbo si pour mater la rébellion du 19 septembre 2002, il avait utilisé cet article 48, la bombe atomique, au lieu de déclarer, comme il l'avait fait, la guerre à un ennemi dont il ignorait et l'identité et la nature. Pour ne l'avoir pas fait, Gbagbo aurait pu, que dis-je, aurait dû être traduit devant la Haute cour de justice pour haute trahison comme le Maréchal Pétain. Avec la propension excessive de Gbagbo à recourir à l'article 48 devenu dans ses mains une tarte à la crème, ne soyons pas surpris si demain, il en faisait usage pour obliger un maire à célébrer un mariage polygamique et un officier d'état civil à unir par la loi, un couple d'homosexuels en Côte d'Ivoire.
De plus, les résolutions 1633 et 1721 du Conseil de sécurité des Nations Unies, et l'accord politique de Ouagadougou, ont tous constaté la fin du mandat constitutionnel de Gbagbo en tant que président de la République, et proposé qu'il soit maintenu en tant que chef de l'Etat, consacrant ainsi son manque de légitimité. C'est parce que, à la tête d'un Etat comme la Côte d'Ivoire, on ne peut pas laisser le vide qu'il a été chaque fois maintenu, précisons-le comme chef de l'Etat depuis le 30 octobre 2005. Voici donc un président, disons plutôt, un chef de l'Etat qui ne jouit d'aucune légitimité réelle, n'en déplaise à ceux qui invoquent les articles 38 et 39 de la Constitution pour soutenir que tant qu'il n'y a pas d'élection, et tant que le nouveau président élu n'a pas prêté serment, M. Gbagbo est et demeure président de la République. Avec de tels raisonnements spécieux et de telles arguties qui relèvent de la mauvaise foi ou de la malhonnêteté intellectuelle, Gbagbo peut être président à vie pour peu qu'avec ses patriotes et ses milices, il réussisse à perpétuer la chienlit, la terreur et la barbarie.

Mais que disent au juste les articles 38 et 39 ?
L'article 38 dit ceci : " En cas d'évènements ou de circonstances graves notamment d'atteinte à l'intégrité du territoire ou de catastrophes naturelles rendant impossible le déroulement normal des élections ou la proclamation des résultats, le Président de la commission chargée des élections saisit immédiatement le Conseil constitutionnel aux fins de constatation de cette situation. Le Conseil constitutionnel décide dans les 24 heures, de l'arrêt ou de la poursuite des opérations électorales ou de suspendre la proclamation des résultats. Le président de la république en informe la nation par message. Il demeure en fonction… Le Conseil constitutionnel constatant cet état de fait, prononce la suspension, je dis bien, des opérations électorales. A charge pour lui dans 45 ou 90 jours de faire reprendre ces opérations après avoir constaté la cessation desdits évènements. Ce qui suppose que les opérations électorales ont commencé. Les opérations électorales commencent, le jour du scrutin au matin vers 7 heures et se terminent à 18 heures pour le vote. Le dépouillement peut durer jusqu'à minuit ou au petit matin du lendemain. En Côte d'Ivoire, en tout cas, dans les 24 ou 48 heures, les résultats de toutes les élections ont toujours été proclamés. Voilà ce qu'on appelle les opérations électorales. Pour être souple, on peut inclure dans les opérations électorales, les deux jours d'avant le scrutin où on achemine les listings, les bulletins de vote, les urnes et les procès-verbaux dans les différentes circonscriptions et bureau de vote. Mais toujours est-il que nous sommes dans l'organisation matérielle des élections qui sont en train de se dérouler. Ce qui n'est pas le cas de figure du fait de la rébellion qui avait éclaté le 19 septembre 2002 et qui a entrainé la partition du pays. Il y a eu menace de l'intégrité territoriale. Mais depuis combien de temps on nous chante que la guerre est terminée ? On a fait des cérémonies de réunification de la Côte d'Ivoire, d'autodafé des armes à Bouaké. Tout cela permet de dire que la crise de 2002, muée en rébellion, est loin derrière nous, à entendre M. Gbagbo parler et à voir les manifestations auxquelles on a assisté. Ce n'est pas à tort que le Conseil constitutionnel a autorisé la tenue de l'élection présidentielle, en a fixé la date et qu'il y a eu appel à candidatures. Nous sommes donc dans ce processus-là. Ce qui veut dire qu'il n'y a aucune menace, ni obstacle qui empêche la tenue de l'élection. Il n'y a aucune menace de l'intégrité territoriale et aucune menace qui plane sur les institutions de la République pour qu'on ne puisse pas organiser les élections et pour qu'on ait recours à l'article 48 pour dissoudre l'instrument qui devrait justement nous permettre d'aller aux élections. Les juristes qui ont voulu défendre l'indéfendable ne rendent pas service à la Côte d'Ivoire. Ils prennent les Ivoiriens, enfants du bon Dieu, pour des canards sauvages. Et ils abusent de leur notoriété en la matière pour apporter une caution à la forfaiture et à l'illégalité. Le Pr Francis Wodié, dans un document qu'il a appelé "le conflit ivoirien, solution juridique ou solution politique", a, de façon lumineuse, fait le même constat, les mêmes observations que je viens d'évoquer quant à l'utilisation abusive et erronée des articles 38 et 39 qui permettent à certains de dire que Gbagbo demeure président de la République tant qu'il n'y a pas d'élection, et du recours injustifié à l'article 48 pour prendre des décisions hasardeuses.

Les élections auront-elles lieu un jour en Côte d'Ivoire au regard de la démarche du camp présidentiel qui multiplie les obstacles ?
Je dis et j'affirme que les élections auront bel et bien lieu en Côte d'Ivoire. Ce que Gbagbo vient de réaliser, c'est ce grand service qu'il a rendu à l'opposition de démontrer qu'elle existe. Il a souvent dit, s'il n'y a pas d'élections, y'a quoi ? Il vient de tenter d'empêcher la tenue des élections par les décisions hasardeuses qu'il a prises. Mais le peuple de Côte d'Ivoire lui a démontré que trop c'est trop. Que la Côte d'Ivoire n'est pas sa propriété. Et qu'il n'est plus prêt à accepter que M. Gbagbo dicte sa volonté, se maintienne comme il le veut et comme bon lui semble à la tête de l'Etat sans élection. Les manifestations enregistrées en réaction à ses décisions, sont la démonstration éclatante que le peuple ivoirien n'en peut plus. Gbagbo lui-même dit que quand un garçon devant l'adversaire recule et qu'il a le dos au mur au point où il ne peut plus reculer, il ne lui reste qu'avancer sur l'adversaire. Si M. Gbagbo veut se considérer comme l'adversaire des Ivoiriens, il a eu la démonstration qu'après avoir tant avalé, encaissé et reculé par amour pour la Côte d'Ivoire qu'ils ne veulent pas contribuer à détruire, les Ivoiriens n'en peuvent plus. Et ils sont décidé à sauver leur pays. Ces manifestations suffisent pour dire que désormais, ce n'est plus Gbagbo qui a le dernier mot, qui tient les mannettes. Il a désormais perdu la main. Le peuple de Côte d'Ivoire a décidé de s'assumer. C'est le sens qu'il faut donner à ces manifestations qui ont été politiquement bien gérées. Le peuple ivoirien a été admirable. Les Ivoiriens, en général, et les militants de l'opposition, en particulier, ont été formidables et admirables. Leur courage et leur détermination méritent d'être salués. Les directions des partis du Rhdp sont à féliciter pour la responsabilité et la sagesse avec lesquelles elles ont géré ce réveil et cette ardeur de leurs militants. La finalité de ces manifestations n'était pas tellement de faire partir Gbagbo en le chassant comme un rat. Gbagbo, il est où ? Il est mis en époké phénoménologique, entre parenthèses, pour emprunter ce terme husserlien. Il n'a plus en fait aucun pouvoir. Dans certaines Constitutions, on dirait qu'il est là pour inaugurer les chrysanthèmes. Donc la finalité, ce n'est pas Gbagbo. La mobilisation des Ivoiriens ne visait qu'un seul objectif : arracher l'élection présidentielle pour faire avancer la Côte d'Ivoire, la faire renaitre. Et comme il est établi que l'intention de Gbagbo, c'est de tout faire pour retarder, au maximum les élections, les responsables du Rhdp, qui ont compris son jeu, ont fait preuve de discernement et d'intelligence politiques. Nous avons affaire à quelqu'un que d'aucuns qualifient de génie politique, de politicien hors pair, de boulanger, qui est prêt à rouler tout le monde dans la farine. On appelle cela jouer au politicien et non gérer un Etat. Celui qui excelle dans l'art de la roublardise, on l'appelle politicien avec petit p. Si M. Gbagbo se plait à jouer les politiciens avec petit p, ceux qui ont eu à gérer l'Etat et qui ont un sens élevé de l'intérêt national, qui sont des hommes d'Etat, n'ont pas le droit de le suivre dans ses manœuvres. C'est pourquoi, ils ont, à un moment, demandé que le mot d'ordre donné soit suspendu. Finalement, M. Gbagbo a été ramené aux accords grâce auxquels on l'accepte encore comme chef de l'Etat. Sur toute la ligne, il a échoué dans sa tentative de coup d'Etat, d'obstruction. Nos responsables, qui lui ont infligé cet échec cinglant, sont à féliciter. L'opposition est à féliciter. Les Ivoiriens dans leur ensemble sont à féliciter pour avoir fait preuve de détermination. Malgré la sagesse dont l'opposition a fait preuve, on a perdu au moins deux mois. Alors, imaginez le temps qu'on aurait perdu s'ils avaient opté pour la radicalisation. L'épreuve de force aurait peut-être duré plusieurs mois. Regardez ce qui se passe au Madagascar. Ce n'est pas le schéma de Rajoel qu'on veut instaurer en Côte d'Ivoire. On veut aller à des élections transparentes, propres et crédibles. Les Ivoiriens étaient en droit de penser que les conditions étaient réunies pour que ces élections aient lieu. C'est malheureusement ce moment que M. Gbagbo a choisi pour faire les buttes de lézard.

Comment expliquez-vous que la Côte d'Ivoire ait été confrontée à un délestage ?
La gestion de l'Etat est avant tout une affaire de prévision, de programmation et d'anticipation. Chaque année, l'Etat fait des prévisions. Cela est retracé dans le cadre budgétaire avec l'identification des actions à exécuter, et l'estimation de ce que cela coûte. C'est la gestion à court et moyen termes. Ensuite, il y a la gestion anticipatrice. C'est-à-dire, ce que l'Etat doit faire dans les trois à cinq ans à venir. On parle de programme triennal ou de plan quinquennal, lorsque nous sommes dans une gestion planifiée. Et puis il y a ce qu'on appelle la gestion prospective par rapport aux tendances, à l'évolution des faits. On se dit à l'échéance de sept à dix ans, telles réalisations doivent être faites. Voilà comment on gère un Etat. Le délestage aurait pu intervenir en Côte d'Ivoire après la grande sécheresse de 1998. Ayant vu venir la chose par rapport à l'évolution des consommations et à la demande, des réalisations comme Azito, Ciprel 1 et 2 ont été faites en un temps record. Mais, qu'est ce qui se passe aujourd'hui ? Il se passe que les refondateurs passent le plus clair de leur temps à poser les premières pierres de réalisations dont le coup moyen ou le plus bas est au moins cent milliards, telles que le pont de Jacqueville, celui de l'île Boulay pendant que le pont Riviera-Marcory attend. L'unité de compte avec ces refondateurs, c'est cent milliards. La moindre chose qu'on inaugure, c'est cent milliards. L'usine de Fulton, c'est cent milliards. Les déchets toxiques, c'est cent milliards. On n'appelle pas ça de la gestion. C'est de l'improvisation, la gestion au jour le jour. Il y a certes une panne à Azito, mais la Côte d'Ivoire qui était exportatrice d'énergie, est réduite aujourd'hui à quémander de l'énergie au Ghana. M. Gbagbo, en disciple de Lénine, a fait de l'électrification rurale, la priorité de ses priorités. Un programme présidentiel est en voie d'exécution sous la responsabilité d'un certain Kouamé Raymond, son conseiller spécial en la matière, qui sillonne les villages auxquels M. Gbagbo offre généreusement l'électricité notamment les villages Baoulé qu'Houphouët et Bédié auraient oubliés. Le choix des villages éligibles à cette faveur présidentielle relève de la discrétion de M. Kouamé Raymond. Les critères d'éligibilité, on s'en moque. La démagogie et les considérations électoralistes sont érigées en principes d'exécution de ce fameux programme présidentiel d'électrification rurale. Je veux bien croire que ces villages électrifiés par la volonté de M. Gbagbo sont épargnés du délestage que subissent les citadins d'Abidjan et de l'intérieur depuis deux longs mois. Sous Félix Houphouët Boigny et Henri Konan Bédié, il y a avait aussi des villages électrifiés. Cela se faisait dans le cadre général de l'action gouvernementale sur la base de critères objectifs et de choix rigoureux inscris dans un programme annuel (500 villages) adopté en conseil des ministres. Les problèmes d'eau, il faut en parler. Ce n'est pas avec le délestage que les populations d'Abobo, d'Anyama et autres souffrent de problème d'eau. Malgré les efforts que le ministre Patrick Achi a faits pour parer au plus pressé, on voyait venir les choses et pourtant la pénurie d'eau s'est installée pour longtemps, pour le plus grand malheur des Ivoiriens impuissants. Tout cela est le résultat de l'improvisation et de la légèreté.

Le nouveau président de la Cei est critiqué par des Ivoiriens dans sa marche après sa prise de fonction. Quel jugement portez-vous sur le président Youssouf Bakayoko ?
La Cei est un organe si important dans la gestion du processus de sortie crise que lorsqu'on en est le responsable, on n'a pas le droit de jouer au matamore ou à la vedette. Je pense que le président Youssouf Bakayoko a compris cela. Il prend les problèmes à bras le corps et il s'organise pour les gérer selon les règles de l'art. Quand on prend la direction d'un organe comme la Cei après la tempête, certes une tempête dans un verre d'eau qu'elle a connue, après le vacarme qu'on a instauré, rien que pour perdre du temps, il faut aller méthodiquement, prudemment et intelligemment. Quelle que soit la fiabilité de l'action de M. Mambé, il faut du temps pour s'imprégner des procédures et des réalités. Je pense que M. Bakayoko est dans cette phase. On dit qu'on ne le sent pas. Mais il n'a pas à se faire sentir. On lui demande des actions et des résultats, on lui demande de faire avancer le processus électoral. Il a des dispositions à prendre, des paramètres à maitriser. En ce qui me concerne, je dis, M. Bakayoko a les capacités pour réussir sa mission. Faisons-lui confiance. Vous savez, le drame de la Côte d'Ivoire, c'est que nous avons trop de vedettes dans l'espace politique qui occupent la télévision ivoirienne. Toutes ces vedettes polluent la Côte d'Ivoire. Laissons M. Bakayoko travailler, non pas en tant que vedette, mais en tant que homme d'expérience et responsable. La Côte d'Ivoire est polluée par ces vedettes qui monopolisent la télévision ivoirienne pour abrutir et crétiniser les Ivoiriens. M. Youssouf Bakayoko est un diplomate de carrière, et les diplomates n'aiment pas les coups d'éclat.
Interview réalisée par Paul Koffi



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