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Société Publié le lundi 19 avril 2010 | Nord-Sud

Dr Bouaffou Kouamé (médecin-chef de la Maca) : “En prison, 80% des séropositifs sont jeunes”

Le médecin-chef de la Maison d'arrêt et de correction d'Abidjan (Maca) parle des conditions de vie des détenus séropositifs et de leur difficile prise en charge.


Le taux de prévalence du Vih/Sida en Côte d'Ivoire est de 4,7%. Quelle est l'ampleur de la pandémie en milieu carcéral ?

Les taux de prévalence, que ce soit dehors ou en prison, sont sensiblement les mêmes. Ici, nous n'avons pas encore fait un travail sur toute la population carcérale. Mais, il existe une séroprévalence partielle de 6,09 % en 2009. Ce taux inclut les personnes sous-mandat de dépôt (ce sont ceux qui viennent d'arriver et qui n'ont pas encore été en contact avec ceux de la prison), les cas de consultation suivis du dépistage volontaire et les prisonniers bien portants qui viennent tous seuls au dépistage après avoir pris conseils auprès des pairs-éducateurs. Un pair-éducateur est une personne qui a reçu une formation dans le cadre du Vih/Sida et qui est chargée d'échanger dans ce domaine avec ses semblables.


Comment réagissent les détenus quand ils apprennent qu'ils sont infectés ?

La réaction est pareille que chez les dépistés positifs qui sont dehors, en liberté. Ils sont abattus et cela s'aggrave par le fait qu'ils sont seuls en prison sans parents ni amis pour les réconforter. C'est à ce niveau que nous agissons. Nous les aidons à surmonter cela en leur donnant des conseils


Qu'est-ce qui explique un taux de séroprévalence aussi élevé à la Maca?

Cela peut s'expliquer par le fait qu'en prison, la sensibilisation est faite uniquement à travers les conseils. Nous n'avons pas encore recours à d'autres types de sensibilisation. Nous donnons des conseils avec l'aide des pairs-éducateurs. Alors qu'à l'extérieur de la prison, en plus des conseils, il y a des distributions de préservatifs et des campagnes de sensibilisation à l'endroit de ceux qui sont sexuellement actifs.


Selon vous, quelles sont les voies de transmission du Vih/Sida ici en prison?

La transmission se fait par les rapports sexuels non protégés et les objets piquants ou tranchants. Quelques rares fois, il y a des cas d'échange de seringue pour la toxicomanie. En général, ce sont les rapports sexuels entre hommes. Bien qu'une étude n'ait pas encore été faite, nous savons que c'est par cette voie que la majorité est infectée. Il y a aussi des cas de transmission mère-enfant. Mais, dans ce dernier cas, les mères déjà infectées viennent en prison avec leur grossesse. Lorsqu'elles accouchent, soit l'enfant est infecté ou ne l'est pas. La lutte contre la Prévention de la transmission mère-enfant (Ptme) est difficile en milieu carcéral. Nous ne faisons que gérer les conséquences.


Le sureffectif n'est-il pas un facteur favorisant la transmission?

Je ne le pense pas. Parce qu'ils sont nombreux et ils ne peuvent pas avoir des relations sexuelles pendant qu'ils sont ensemble. Ceux qui le font, se cachent soit dans les couloirs, soit dans les endroits obscurs. Je pense plutôt que c'est le fait d'être enfermé et ne pas avoir la possibilité de satisfaire ses désirs sexuels qui favorise l'homosexualité. Et qui, à son tour, favorise la transmission de la maladie. Ces jeunes ont un besoin physiologique qu'ils veulent satisfaire. Et vu qu'ils sont jeunes et sexuellement actifs, ces choses arrivent fréquemment.


Que faites-vous pour réduire ces pratiques?

Nous sensibilisons. Nous leur expliquons les différentes voies de transmission et les comportements à risque. Jusque-là, nous sommes en stand-by par rapport à la distribution des préservatifs. Car, en Afrique, l'homosexualité est combattue. Dans certains pays, elle est même interdite par des lois. Un médecin, un infirmier ou une sage femme qui proposerait, en milieu carcéral, le condom foulerait aux pieds ces lois-là et récolterait les conséquences. Il faut reconnaître que ceci constitue un obstacle certain pour la réduction de la transmission par voie sexuelle. Nous agissons sur les modes de transmission pour pouvoir maîtriser la maladie.


Quelle est la tranche d'âge, la plus infectée en prison ?

Ce sont les jeunes. Les personnes hautement actives sexuellement. La population carcérale de la Maca est relativement jeune. Il y a quelques personnes mûres, et exceptionnellement des vieillards venus pour cause de sorcellerie. Selon les chiffres que nous avons, 80 % de la population atteinte est jeune. Et l'âge varie entre 18 et 35 ans.


Comment se fait la prise en charge du Vih en milieu carcéral ? Est-ce que ceux qui sont dépistés positifs bénéficient des antirétroviraux (Arv)?

Ils ne sont pas automatiquement mis sous ARV. Quand nous faisons le test, nous donnons le résultat. Nous faisons ensuite le bilan initial de ceux qui sont séropositifs. Au niveau des positifs qui ont fait le bilan initial, il y a ceux qui sont éligibles à l'Arv et ceux qui ne le sont pas. Ceux qui ne le sont pas, sont ceux qui se portent bien sur le plan clinique, immunologique et biologique. Ce sont des personnes qui ont le virus dans le sang et qui ne font pas la maladie. Elles peuvent même mourir d'une maladie autre que le sida. C'est pour cette raison que tous les séropositifs ne sont pas éligibles aux Arv. Qui sont un traitement à vie. Il ne faut pas se précipiter pour les mettre sous Arv. Il faut plutôt les sensibiliser en leur imposant un règlement hygiéno-diététique. Qui consiste à manger correctement, se fatiguer moins et surtout dormir suffisamment


Et, que fait-on de ceux qui sont éligibles aux Arv

Les éligibles sont ceux qui ne se portent pas bien. Que ce soit sur le plan clinique, immunologique et biologique. C'est ce dernier groupe qu'on met sous traitement (Arv). Dans ce lot, il y a le groupe des personnes qui ont déjà souffert de maladies opportunistes et celles qui n'en ont pas encore souffert. Avant de leur donner le traitement, nous faisons des examens pour savoir s'ils n'ont pas certaines maladies comme la tuberculose. A ce niveau, nous prenons beaucoup de précautions. Nous faisons d'abord l'analyse du crachat. Quand elle est négative, nous faisons la radiologie pour être plus sûr de la présence ou non de cette maladie. Et le traitement commence. Le malade qui suit tous les conseils, ne meurt pas. Toutefois, s'il y a des complications par exemple une insuffisance rénale, il peut mourir. Mais, un malade qui suit bien son traitement, ne meurt plus du Vih. Je dirai qu'on meurt plutôt par ignorance. Ceux qui meurent, sont ceux qui ne suivent pas correctement leur traitement et ceux qui refusent de connaître leur statut sérologique.


Comment se fait la prise des médicaments ?
Pour éviter la stigmatisation, nous avons adopté le schéma national. Nous donnons le traitement de trois ou quatre semaines. Pour ne pas qu'ils viennent tous les jours au centre.


Comment contrôlez-vous la prise des médicaments ?

Certaines personnes, malgré les explications, ne prennent pas leurs médicaments. Mais, la majorité est consciente, surtout quand les conseils sont bien menés. Le problème que nous rencontrons, c'est quand ces personnes finissent leurs peines et qu'elles sortent. Bien que nous leur donnions des adresses des structures proches de chez elles, elles ne font pas l'effort de retourner dans les centres de prise en charge. Quand un détenu qui est sous traitement, retrouve sa liberté, nous sommes inquiets. Nous nous organisons pour une meilleure prise en charge après la sortie. Il y a deux Ong qui travaillent en permanence avec nous dans ce cadre-là.


Une personne sous Arv doit avoir une alimentation particulière. N'êtes-vous pas confrontés à ce problème quand on sait qu'en prison, il n'y a qu'un repas par jour ?

Bien sûr. Ici, nous avons plusieurs problèmes. Le premier, c'est le problème alimentaire. Le repas est insuffisant en quantité et en qualité. Les détenus ne sont pas nourris correctement. Le deuxième problème auquel nous sommes confrontés et qui met à mal la vie des personnes infectées est le manque d'hygiène. Qui est rendu difficile par la surpopulation carcérale. Cela a un impact très négatif sur l'observance et l'efficacité des Arv sur les malades sous traitement. Mais, ils s'adaptent. Il est assez rare de voir les malades arrêter la prise des médicaments parce qu'ils ont faim. S'ils le font, nous ne sommes pas informés. Nous leur donnons toujours des conseils. Si l'intéressé n'est pas partant, c'est difficile. C'est pourquoi nous disons qu'en matière de traitement Arv, ce qui est le plus important, c'est la prise de conscience du malade. Il faut qu'il soit convaincu que c'est d'abord un médicament qui va lui rendre beaucoup de service et que c'est un traitement à vie. S'il l'a compris, tant mieux. Mais, s'il ne l'a pas compris, nous faisons l'effort pour qu'il le comprenne.


Existe-t-il une solidarité entre les personnes infectées au sein de la Maca ?

Non. Nous évitons qu'ils se connaissent. En milieu carcéral, il est difficile de gérer cela à cause de la stigmatisation. C'est sûr que quand ils vont se réunir pour échanger des expériences tout le temps, cela va attirer l'attention des autres qui vont vouloir découvrir ce qu'ils cachent.

Interview réalisée par Adélaïde Konin
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