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Faits Divers Publié le lundi 10 mai 2010 | Nord-Sud

Abidjan : Pourquoi les fumoirs de drogue refusent de disparaître

«Je suis un vendeur détaillant. J'achète cette drogue à Sibissa pour la revendre au quartier Banco 2 à Yopougon en vue de subvenir à mes besoins », confesse Yougoné Tizié Lazare le 20 mai à la barre du tribunal des flagrants délits du Plateau. Un aveu bien tardif car ce marchand de drogue a été mis sous les verrous. Le juge l'envoie en taule pour cinq ans fermes. La peine est assortie d'une amende de 100.000 Fcfa. Comme Lazare, ils sont de milliers de marchands de drogue qui approvisionnent les fumoirs disséminés à Abidjan et sa banlieue. Ainsi, c'est tous les jours que des trafiquants de drogues et autres stupéfiants se retrouvent devant les tribunaux d'Abidjan et de l'intérieur du pays. Ils sont poursuivis pour détention de drogues en vue de la vente ou encore de sa consommation. Le 5 octobre aux flagrants délits du Plateau, Taï Jérôme, 29 ans, résidant à Koumassi, a été condamné pour consommation de cannabis. Le maçon avait fait une provision de 200 grammes destinés, selon lui-même, à sa propre consommation.

De lourdes peines

Diégonné Marius, 32 ans, fut condamné à cinq ans fermes. Il purge actuellement sa peine au bagne de Yopougon. A sa libération, il doit verser dans la caisse publique cinq cent mille Fcfa. A son arrestation par la police, Marius possédait une enveloppe contenant 400 grammes de cocaïne. Quant au sieur Sangaré, marchand de drogues dont le quartier général se trouve à Abobo-Doumé, il est tombé dans les mailles des filets des flics. Ceux-ci ont débarqué chez lui, le 3 mai vers 19 heures. Après la fouille de la maison, ils découvrent de la cocaïne enroulée dans du papier. Au quartier Adjamé Habitat, deux dealers, Dérémi Mathieu, 23 ans, cordonnier et Konaté Yaya, 27 ans, sont au clou pour douze mois. Ils ont été pris avec 20 grammes de cannabis. Douze mois également pour cinq individus en possession de 290 grammes de cannabis. Il s'agit de Doumbia Adama (19 ans), Bamba Valéry (23 ans), Traoré Sékou (33 ans), Sermé Moussa (42 ans) (tous domiciliés à Williamsville) et Zogomé Moussa, 23 ans, domicilié à Abobo. Ils ont été interpellés dans la nuit du 17 août par des éléments de la police anti-drogue dans un fumoir installé au cimetière de Williamsville. Dans la forêt du Banco, le forgeron Traoré Mamadou, 33 ans, cultivait du cannabis. Il en vendait dans sa forge à Abobo, derrière rail. Il est saisi avec 100 grammes de cannabis. Mamadou a pris 12 mois fermes et une amende de 200.000 Fcfa. A Abidjan, en l'espace de quatre jours, la Direction de la police des stupéfiants et des drogues (Dpsd) a démantelé à Adjamé, Yopougon et Abobo, deux fumoirs et interpellé trente-six individus au nombre desquels sept grands vendeurs de drogue. Pour ne citer que ceux-là, car la liste est interminable. Ces condamnations sont récurrentes dans les tribunaux d'Abidjan, et les Forces de sécurité reconnaissent souvent ces hauts-lieux de trafic et de consommation de drogue. La preuve, le commissaire Vé Doua avait tenté un moment de détruire tous les fumoirs.

Les grands commerçants

Les fumoirs ont la même configuration et le même mode de fonctionnement qu'une boîte de nuit climatisée. Ce sont des espaces clos: vigile pour les contrôles à l'externe, service interne VIP, espace dancing. Les prix sont fonction de la position du client dans le fumoir, petit salon ou grand salon. Au salon, un joint de cocaïne peut coûter 4.000 Fcfa, un joint d'héroïne à 2.000 Fcfa. Par exemple, à Treichville avenue 21, vers l'hôtel France, la majorité des boîtes de nuit sont des fumoirs. Plusieurs gens fréquentent ces lieux sans savoir exactement s'ils sont dans une boîte de nuit ou un fumoir. Seuls les professionnels en la matière s'y retrouvent avec des codes comme : « Je veux du gor ou du caillou (cocaïne) ou encore du pao (héroïne) ». La drogue, quant à elle, est appelée en général (djonki). Dans ces lieux sont vendus en plus de l'héroïne et la cocaïne, le valium (amphétamines), la rivoutrine, le diasopane B-5 ou tof.
Les autres lieux que sont les bas-fonds et les couloirs (Abobo derrière-rail), derrière l'institut national de la jeunesse sportive(Injs) où les « môgô » des joints peuvent « s'enjailler » (ndlr : se faire plaisir) sans problème, Koumassi au quartier Divo, à Port-Bouët au quartier Rasta, le dépôt 9 d'Abobo qui sont tous des paradis du « gandja », ne sont pas des fumoirs mais des espaces appelés «Talouèque» c'est-à-dire que se sont des cachettes pour fumer la drogue. « A 19 heures, le mardi 16 juin, je revenais d'un couloir du quartier Bracodi à Adjamé où les filles de joie viennent s'éclater. Je suis un habitué de cet endroit. Ce jour-là, je suis tombé dans une opération de police au cours de laquelle j'ai été interpellé alors que je n'étais en possession d'aucune drogue. La drogue a été découverte dans le couloir où se trouvent les filles de joie. Ce n'est pas moi qui avais la drogue », se défend Konaté Yaya à la barre du tribunal d'Abidjan, le 1er juillet. C'est donc dans ces lieux que la police appréhende le plus souvent les trafiquants et les consommateurs de drogue. Les «Talouèques» sont encore différents des « Val-val », les grandes surfaces libres telles que le cimetière de Williamsville où les drogués prennent leur dose, tout en jouant à la sentinelle pour échapper à temps à la police. Mais leur capitale demeure Sibissa, une petite île à Abobo-Doumé où la drogue est presque légalisée. C'est le lieu de déversement et de distribution en vrac de la marchandise « J'achète cette drogue à Sibissa pour la revendre au quartier Banco 2 à Yopougon en vue de subvenir à mes besoins », confesse Yougoné Tizié Lazare à la barre le 20 mai au Palais de justice du Plateau. Il n'est pas le seul. Kéita Sékou Seydibou alias « Bris » âgé de 28 ans, marchand de drogue reconnu à Grand-Bassam reçoit dans la matinée du 23 avril des plombs chauds à la cuisse au moment où il prenait le large. Cependant, le matériel mis à la disposition de la police n'est pas efficace pour démanteler ce réseau puissant. Notons que les grosses prises opérées par des éléments de la douane, dans certains sous-quartiers, lèvent un coin de voile sur le danger réel que représentent la plupart des bidonvilles d'Abidjan. « Gobelet », un bidonville dans la commune de Cocody, plus précisément entre les II-Plateaux, Attoban et Riviera II, avait accouché de 1,62 tonne de chanvre indien, le 5 septembre dernier. Une importante prise de drogue. Egalement « Colombie », un autre bidonville de la même commune, situé entre le Zoo d'Abidjan et les II-Plateaux, est un haut-lieu de banditisme, ouvert au trafic de stupéfiants.

Un combat perdu d'avance ?

Mais d'où viennent ces drogues et qui en sont les livreurs ? Abidjan est un important centre de transit aussi bien aérien que maritime. Des ressortissants des pays frontaliers utilisent souvent de simples pirogues, pour introduire la drogue dans le pays. Ceux qui sont reconnus dans le domaine sont les Libanais, les Ibo, les Guinéens, les Yorouba. La marchandise vient de la Guinée, du Libéria, de la Guinée-Bissau, ou du Ghana. On se souvient d'une Camerounaise, mère de quatre enfants, décédée en transportant de la drogue dans l'estomac. Elle devrait vomir les boulettes à son arrivée à Yaoundé. Malheureusement, cette femme qui était à son troisième voyage n'a pu tenir le coup. Egalement le faux prêtre appréhendé à l'aéroport Félix Houphouet-Boigny de Port-Bouët qui transportait des dizaines de grammes de cocaïne sous la soutane. Pourquoi tant de risques, quels sont les effets de cette substance ? « Le plaisir de la drogue est fort, sept fois plus fort que le plaisir du rapport sexuel avec une femme», affirme un témoin. Mais selon des spécialistes, voici les effets et les dangers des drogues. L'usage de cocaïne provoque une euphorie immédiate, un sentiment de puissance intellectuelle et physique et une indifférence à la douleur et à la fatigue. Ces effets vont laisser place ensuite à un état dépressif et à une anxiété que certains apaiseront par une prise d'héroïne ou de médicaments psycho-actifs. L'héroïne provoque l'apaisement, l'euphorie et une sensation d'extase. Elle agit comme anxiolytique puissant et comme antidépresseur. Les effets recherchés peuvent traduire un mal-être psychique, une souffrance, un besoin d'oubli.
L'effet immédiat de l'héroïne est de type « orgasmique ». C'est le « flash ». Il est suivi d'une sensation d'euphorie puis de somnolence, accompagnée parfois de nausées, de vertiges et d'un ralentissement du rythme cardiaque. « La drogue rend la société inutile à l'homme et l'homme inutile à la société, parce qu'elle détruit l'individu, disloque la famille et déstabilise la société », avertissent-ils. La drogue est synonyme de nouveau cancer, de sida collectif, de crime organisé, de fléau des temps modernes, d'arme de destruction massive. La drogue agit doucement et insidieusement en ciblant les couches les plus vulnérables de la population avant de s'étendre et de se généraliser. Personne n'est à l'abri de ce fléau. Tous les efforts de développement économique et social peuvent s'avérer vains si le fléau de la drogue n'est pas vaincu.
«Je prends une dose chaque matin avant de monter au boulot », déclare Jérôme qui n'est qu'un apprenti maçon. Sa méthode reste la discrétion absolue. Il se procure la drogue, selon lui, dans un fumoir à Koumassi sans d'autres précisions. Cette question préoccupe autant le gouvernement que le corps médical qui reçoit toujours des cas critiques : overdose, dépression, etc. Plus d'une vingtaine de fumoirs détruits, de nombreux grammes de cannabis et d'héroïne saisis. Le renforcement du matériel de travail de la Direction de la police des stupéfiants et des drogues (Dpsd) serait le bienvenu pour davantage démanteler les grands réseaux. « Nous l'avons intercepté puis nous avons procédé à une fouille corporelle. Mais, c'est dans le sachet qu'il tenait à la main que nous découvrons le poison. Nous avons saisi 100 grammes de cannabis », indique l'officier de policier dans sa déposition. Des efforts sont menés sur le terrain, il ne reste au gouvernement qu'à jouer sa part. Car, à peine détruits, les fumoirs repoussent aussitôt comme par enchantement !

Une enquête de Bahi K.
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