Danse de remerciement aux mânes des ancêtres en pays malinké, après qu’un vœu soit exaucé, le Moribayassa disparait peu à peu des coutumes sous la poussée conjointe de l’Islam et du modernisme. A part quelques poches (rares) de résistance, il ne reste de cette coutume ancestrale séculaire que les chants et le rythme dont certains musiciens et chorégraphes modernes s’inspirent.
« Hé ! Hé ! Hé ! Hé ! Moribayassa !
Moi Keriya avait promis, Moribayassa !
Que si j’enfantais un garçon, Moribayassa !
Je danserais le Yassa, Moribayassa »
La femme qui chante, est suivie par d’amies et une meute d’enfants qui s’époumonent en répondant :
« C’est Moribayassa que nous jouons,
Nous devons nous laver, Moribayassa
Nous portons la robe de Moribayassa,
Nous dansons le Moribayassa,
Nous avons à jouer le Moribayassa… »
‘’Ne na Yassa don, Moribayassa !’’
La chanteuse principale, Kériya, est habillée de façon excentrique : pantalon bouffant déchiré, robes en loques portées à l‘envers pour faire drôle. Certaines femmes portent des habits faits de sacs de jute troués ou des vêtements anciens ou encore un mélange de toutes sortes de pièces qui ne vont pas ensemble. Derrière la danseuse, reprenant le chœur, criant et dansant, une meute d’enfants, accompagnée d’un joueur de ‘’Djembé’’ (tam-tam) ou de ‘’Doundoun ba’’ (gros tam-tam), rythme les pas à travers le village. A défaut de tam-tam, ce sont des castagnettes ou simplement de vieilles cuvettes dans lesquelles les femmes mettent des graviers et les secouent pour produire un bruit sonore et rythmé.
Kériya ne faisait que des filles. Et à ce rythme, elle risquait de perdre son époux pour qui, seul un enfant mâle pouvait maintenir le nom de la famille. Aussi, la dame s’est-elle engagée à danser le Moribayassa au cas où elle enfanterait un garçon. Le vœu exaucé, accompagnée de tout ce monde, elle fait le tour du village pour honorer cette promesse. Et à chaque pâté de maisons, la foule qui accompagne la femme s’agrandit, dans une allégresse générale. On fait le tour du village un certain nombre de fois (trois ou sept selon les régions) avant de se retrouver sous l’arbre tutélaire. Là, la dame se rhabille correctement, enfouit sous le sol ou brûle les haillons ou loques qu’elle portait pour la procession.
Généralement, c’est le désespoir qui amène les femmes à y avoir recours. « On a l’impression que nos doléances n’arrivent pas à Dieu. C’est ce qui nous amène à formuler ce genre de vœu. Et très souvent, ça marche», explique Alima, très belle fille. Elle a eu recours à cette pratique, après son mariage avec Moussa. La jeune citadine s’est retrouvée dans le hameau d’un pays voisin où elle a été tenue de vivre. Durant des années, elle n’a pas été en contact avec ses parents.
Qui est Moribayassa ?
C’est ainsi qu’elle a formulé le vœu de danser le Moribayassa si un jour elle revoyait sa mère. Aujourd’hui encore, elle lui est reconnaissante. Ce n’est pas Mariam D. qui dira le contraire. Aujourd’hui très âgée, elle se souvient encore de sa parade à travers les rues de la commune d’Attécoubé. « J’étais habillée comme une folle. J’ai transformé de vieux sacs de cacao en robe que j’ai portée. Une horde de gamins m’ont suivie durant tout mon trajet », se remémore-t-elle. Que n’aurait-elle pas fait face à ce fils malade ? Pour qui, la médecine moderne et traditionnelle s’est avérée impuissante et qui fait aujourd’hui sa fierté. « Comme je n’avais plus d’espoir quant à la guérison de mon fils, j’ai fait de façon désemparée, le vœu de danser le Yassa s’il recouvrait la santé. Et c’est ce qui s’est passé », témoigne-t-elle.
Difficile de dire qui est ce Moribayassa qui exauce les vœux et que l’on remercie par la danse. Ce qui est indéniable, c’est une VATA (valeur traditionnelle africaine) propre aux Malinké et aux Bambara. Une pratique ancienne, essentiellement féminine qui a quelques légères variantes selon la région et même le pays. « Cette pratique remonte à des temps immémoriaux. Généralement, la femme qui a des problèmes (enfant, maladie, examen scolaire, disparition d’un mari ou d’un enfant, pauvreté, maladie dans la famille, stérilité, besoin inassouvi…) réunit ses proches sous l’arbre à palabres et, selon la gravité de l’affaire, immole un coq blanc ou rouge et dépose des colas de la même couleur. Ensuite, elle promet solennellement de danser Moribayassa si son vœu est comblé. ‘’Moribayassa’’ joue un rôle exceptionnel dans la vie d’une femme. Dans certaines régions, elle peut seulement s’engager pour une fois dans sa vie pour le même problème. Le rythme, n’est, aujourd’hui encore, joué que pour accompagner la danse d’allégresse d’une femme qui a surmonté une épreuve très dure. Pour cette danse, la femme se donne tous les droits. Si en Guinée, au Mali et dans le Nord malinké ivoirien la pratique a encore pignon sur rue, elle devient de plus en plus rare dans les villes.
La pratique bat de l’aile
Ceux qui dansent encore le Moribayassa y croient dur comme fer. « Si votre demande est exaucée et que vous ne dansez pas le Yassa, vous retournerez forcément à la case de départ », affirme Naminata, une ressortissante de Massala (Séguéla). Qui soutient que si la femme qui a souhaité un garçon l’obtient après une promesse à Moribayassa et qu’elle n’exécute pas la danse, l’enfant mourra sans aucun doute. Et si c’est pour que le mari sorte de prison, il y retournera. « On ne demande jamais à Moribayassa de faire du mal à autrui. C’est toujours pour conjurer un mauvais sort et obtenir une faveur », soutient Koumba qui regrette qu’en Afrique, l’on se prive de nos traditions. « A ce rythme, nous perdrons toutes nos coutumes alors que nous ne deviendrons jamais des Arabes ou des Blancs », s’insurge-t-elle. Mais, peut-il arriver que le Moribayassa échoue ? Sur cette question, les avis sont partagés. Le cas Al-Moustapha (qui a chanté le Moribayassa) qui pouvait être édifiant, ne colle pas vraiment à la situation. « J’ai chanté le Moribayassa pour rendre hommage à Douk Saga. L’objectif était, en faisant cela, qu’il puisse guérir comme c’était un ami. Mais, ce n’est pas ce qui s’est passé », affirme le chanteur amateur. Est-ce un échec du VATA ? Que nom. D’abord, Al-Moustapha est un homme, alors que cette danse n’est réservée qu’aux femmes. En plus, il a chanté avant que le vœu ne soit exaucé. Seulement, les hommes de Dieu musulmans pensent que tout cela n’est que de la supercherie. « C’est une pratique animiste et satanique con?damnée par l’Islam », juge l’imam Abdallah Soumahoro. Il pense que le ‘’tawhid’’ (l’unicité d’Allah, Ndlr) ne saurait s’acoquiner de telles coutumes. « Si la demande est adressée à Allah, il n’est nul besoin de sacrifier un coq devant un arbre. On le remercie par la prière et les bonnes œuvres, par exemple, en faisant un bon repas pour les enfants au lieu de les faire danser », ajoute le théologien. En ville, l’on croit de moins en moins au surnaturel et surtout l’on a très peu de temps pour s’adonner à de telles curiosités. Toutefois, quelques rares fois, on est surpris par ces processions chantant et dansant dans les quartiers populaires à forte population malinké. Mais jusqu’à quand ?
Ousmane Diallo et Sanou Amadou (Stagiaire)
« Hé ! Hé ! Hé ! Hé ! Moribayassa !
Moi Keriya avait promis, Moribayassa !
Que si j’enfantais un garçon, Moribayassa !
Je danserais le Yassa, Moribayassa »
La femme qui chante, est suivie par d’amies et une meute d’enfants qui s’époumonent en répondant :
« C’est Moribayassa que nous jouons,
Nous devons nous laver, Moribayassa
Nous portons la robe de Moribayassa,
Nous dansons le Moribayassa,
Nous avons à jouer le Moribayassa… »
‘’Ne na Yassa don, Moribayassa !’’
La chanteuse principale, Kériya, est habillée de façon excentrique : pantalon bouffant déchiré, robes en loques portées à l‘envers pour faire drôle. Certaines femmes portent des habits faits de sacs de jute troués ou des vêtements anciens ou encore un mélange de toutes sortes de pièces qui ne vont pas ensemble. Derrière la danseuse, reprenant le chœur, criant et dansant, une meute d’enfants, accompagnée d’un joueur de ‘’Djembé’’ (tam-tam) ou de ‘’Doundoun ba’’ (gros tam-tam), rythme les pas à travers le village. A défaut de tam-tam, ce sont des castagnettes ou simplement de vieilles cuvettes dans lesquelles les femmes mettent des graviers et les secouent pour produire un bruit sonore et rythmé.
Kériya ne faisait que des filles. Et à ce rythme, elle risquait de perdre son époux pour qui, seul un enfant mâle pouvait maintenir le nom de la famille. Aussi, la dame s’est-elle engagée à danser le Moribayassa au cas où elle enfanterait un garçon. Le vœu exaucé, accompagnée de tout ce monde, elle fait le tour du village pour honorer cette promesse. Et à chaque pâté de maisons, la foule qui accompagne la femme s’agrandit, dans une allégresse générale. On fait le tour du village un certain nombre de fois (trois ou sept selon les régions) avant de se retrouver sous l’arbre tutélaire. Là, la dame se rhabille correctement, enfouit sous le sol ou brûle les haillons ou loques qu’elle portait pour la procession.
Généralement, c’est le désespoir qui amène les femmes à y avoir recours. « On a l’impression que nos doléances n’arrivent pas à Dieu. C’est ce qui nous amène à formuler ce genre de vœu. Et très souvent, ça marche», explique Alima, très belle fille. Elle a eu recours à cette pratique, après son mariage avec Moussa. La jeune citadine s’est retrouvée dans le hameau d’un pays voisin où elle a été tenue de vivre. Durant des années, elle n’a pas été en contact avec ses parents.
Qui est Moribayassa ?
C’est ainsi qu’elle a formulé le vœu de danser le Moribayassa si un jour elle revoyait sa mère. Aujourd’hui encore, elle lui est reconnaissante. Ce n’est pas Mariam D. qui dira le contraire. Aujourd’hui très âgée, elle se souvient encore de sa parade à travers les rues de la commune d’Attécoubé. « J’étais habillée comme une folle. J’ai transformé de vieux sacs de cacao en robe que j’ai portée. Une horde de gamins m’ont suivie durant tout mon trajet », se remémore-t-elle. Que n’aurait-elle pas fait face à ce fils malade ? Pour qui, la médecine moderne et traditionnelle s’est avérée impuissante et qui fait aujourd’hui sa fierté. « Comme je n’avais plus d’espoir quant à la guérison de mon fils, j’ai fait de façon désemparée, le vœu de danser le Yassa s’il recouvrait la santé. Et c’est ce qui s’est passé », témoigne-t-elle.
Difficile de dire qui est ce Moribayassa qui exauce les vœux et que l’on remercie par la danse. Ce qui est indéniable, c’est une VATA (valeur traditionnelle africaine) propre aux Malinké et aux Bambara. Une pratique ancienne, essentiellement féminine qui a quelques légères variantes selon la région et même le pays. « Cette pratique remonte à des temps immémoriaux. Généralement, la femme qui a des problèmes (enfant, maladie, examen scolaire, disparition d’un mari ou d’un enfant, pauvreté, maladie dans la famille, stérilité, besoin inassouvi…) réunit ses proches sous l’arbre à palabres et, selon la gravité de l’affaire, immole un coq blanc ou rouge et dépose des colas de la même couleur. Ensuite, elle promet solennellement de danser Moribayassa si son vœu est comblé. ‘’Moribayassa’’ joue un rôle exceptionnel dans la vie d’une femme. Dans certaines régions, elle peut seulement s’engager pour une fois dans sa vie pour le même problème. Le rythme, n’est, aujourd’hui encore, joué que pour accompagner la danse d’allégresse d’une femme qui a surmonté une épreuve très dure. Pour cette danse, la femme se donne tous les droits. Si en Guinée, au Mali et dans le Nord malinké ivoirien la pratique a encore pignon sur rue, elle devient de plus en plus rare dans les villes.
La pratique bat de l’aile
Ceux qui dansent encore le Moribayassa y croient dur comme fer. « Si votre demande est exaucée et que vous ne dansez pas le Yassa, vous retournerez forcément à la case de départ », affirme Naminata, une ressortissante de Massala (Séguéla). Qui soutient que si la femme qui a souhaité un garçon l’obtient après une promesse à Moribayassa et qu’elle n’exécute pas la danse, l’enfant mourra sans aucun doute. Et si c’est pour que le mari sorte de prison, il y retournera. « On ne demande jamais à Moribayassa de faire du mal à autrui. C’est toujours pour conjurer un mauvais sort et obtenir une faveur », soutient Koumba qui regrette qu’en Afrique, l’on se prive de nos traditions. « A ce rythme, nous perdrons toutes nos coutumes alors que nous ne deviendrons jamais des Arabes ou des Blancs », s’insurge-t-elle. Mais, peut-il arriver que le Moribayassa échoue ? Sur cette question, les avis sont partagés. Le cas Al-Moustapha (qui a chanté le Moribayassa) qui pouvait être édifiant, ne colle pas vraiment à la situation. « J’ai chanté le Moribayassa pour rendre hommage à Douk Saga. L’objectif était, en faisant cela, qu’il puisse guérir comme c’était un ami. Mais, ce n’est pas ce qui s’est passé », affirme le chanteur amateur. Est-ce un échec du VATA ? Que nom. D’abord, Al-Moustapha est un homme, alors que cette danse n’est réservée qu’aux femmes. En plus, il a chanté avant que le vœu ne soit exaucé. Seulement, les hommes de Dieu musulmans pensent que tout cela n’est que de la supercherie. « C’est une pratique animiste et satanique con?damnée par l’Islam », juge l’imam Abdallah Soumahoro. Il pense que le ‘’tawhid’’ (l’unicité d’Allah, Ndlr) ne saurait s’acoquiner de telles coutumes. « Si la demande est adressée à Allah, il n’est nul besoin de sacrifier un coq devant un arbre. On le remercie par la prière et les bonnes œuvres, par exemple, en faisant un bon repas pour les enfants au lieu de les faire danser », ajoute le théologien. En ville, l’on croit de moins en moins au surnaturel et surtout l’on a très peu de temps pour s’adonner à de telles curiosités. Toutefois, quelques rares fois, on est surpris par ces processions chantant et dansant dans les quartiers populaires à forte population malinké. Mais jusqu’à quand ?
Ousmane Diallo et Sanou Amadou (Stagiaire)