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Art et Culture Publié le lundi 7 juin 2010 | L’intelligent d’Abidjan

Ex-animateur vedette à Radio Côte d’Ivoire / Emile Konan Fréjus crache du feu - ‘’L’oppression, la débauche, la duplicité et la corruption sont les tares de la RTI’’

Journaliste à Radio Côte d’Ivoire depuis plus de trente ans, Emile Konan Fréjus fait partie des animateurs vedettes qui ont rehaussé l’image de marque de la Radio Nationale. Après une formation en journalisme en France en 1982, il animera l’émission matinale « Le Réveil » qui le rend célèbre au-delà des frontières ivoiriennes. Malheureusement avec l’avènement de la Refondation en 2000, « EKF » subit de fortes pressions de la part des nouveaux hommes forts de la radio, avant d’être retiré des antennes du matin. Il se contente désormais de la production de quelques magazines. A quelques années de sa retraite, nous avons rencontré EKF dans sa paisible résidence sise à Cocody-Angré. Dans cette interview exclusive, ‘’l’enfant’’ de Allé-Pkangbassou dans le département de Sakassou, jette un regard rétrospectif sur cet instrument de communication d’Etat qui a fait les beaux jours de la Côte d’Ivoire.
Comment êtes-vous arrivé au métier de journalisme ?
C’est une belle et vielle histoire. Parce que très jeune déjà, en classe de sixième par là, je m’évertuais à écouter les journalistes sportifs de l’époque et à les imiter. C’est de là qu’est née ce que je peux appeler aujourd’hui une vocation. Après la classe de troisième, je suis allé au lycée de Grand Bassam. Là-bas, j’étais le reporter des grands matchs de football de l’Oissu. C’est donc ce qui m’a inspiré et m’a donné l’amour de ce métier. Et en 1974, il y a eu une opportunité qui s’est offerte à moi et je suis entré au studio école de la Rti. Je suis de la promotion de Soro Solo, de Fulgence Kassy, de l’actuel DG de la Rti, Brou Amessan, qui était mon voisin, de feu Jean Baptiste Kacou Bi. Au départ, je voulais être journaliste sportif. Mais il y a un de mes professeurs, une européenne, qui m’a conseillé d’être journaliste-reporter, parce que cela répondait plus à mon profil. Donc voilà comment je suis arrivé là. Et puis dans les années 80, il y a eu un concours organisé par le ministère de l’information de l’époque auquel j’ai été admis. Nous sommes allés en 1982 à l’institut national de l’audiovisuel de Bry-sur-Marnes, en France pour une formation de deux (02) ans. On a fait un peu de télévision et j’ai appris l’animation, la production radio. Disons que c’était pour moi une formalité pour acquérir des galons. Et lorsque nous sommes retournés au pays en 1984, il y a un de mes ainés, Maurice Yao Konan, qui m’a dit qu’il serait intéressant que je puisse expérimenter mes nouvelles connaissances. Il faut dire qu’à l’époque le directeur des programmes, Ahmed Touré et celui de l’information, M. Koné Ibrahim, me faisaient tous la cour. Mais mon cœur battait plus pour le journalisme. Et sur les conseils de cet aîné (Maurice Yao Konan), j’ai choisi l’animation et la production. Et je crois que je ne me suis pas trompé.

Pensez-vous avoir vraiment fait le bon choix ?
Oui ! Je pense avoir fait le bon choix. Parce que je crois qu’au niveau de l’animation et de la production, on a beaucoup plus de latitude et de possibilités de s’exprimer qu’au journalisme où on évolue dans un carcan. Aussi la production et l’animation vous donnent la possibilité de mettre en exergue votre imagination et vos recherches. Cela fait plus d’une vingtaine d’années que je suis dans l’animation et la production, et je m’y plais.

Pourquoi avez-vous arrêté l’émission matinale qui avait pourtant fait de vous l’homme le plus écouté de radio Côte d’Ivoire ?
Peut-être que je choquerai certaines personnes, mais comme vous me donnez l’occasion d’en parler, je le ferai. Je n’ai pas arrêté cette émission de moi-même. Mais on m’a amené à l’arrêter. Je ne reviendrai pas sur les événements douloureux de 1999. Jusqu’à cette date, le tandem Soro Solo-Emile Konan Fréjus était connu des ivoiriens. Et puis, le lendemain du coup d’Etat, c’est moi qui étais au service ce jour là. On a eu une réunion avec les nouveaux hommes forts de la radio. Et devant toute l’assemblée des producteurs et animateurs de l’époque, M. Pol Dokui a dit qu’il y a des patronymes que les ivoiriens avaient assez entendu pendant 40 ans et qui les énervaient. Donc les noms Yao, Koffi les énervaient et qu’ils voulaient entendre d’autres noms. Je suis chrétien. Je ne peux pas mentir. Pour la vérité de l’histoire, je suis obligé de dire la vérité. Donc, c’est un peu comme cela que je suis parti du réveil matinal. Et après, on m’a programmé les weekends. Je faisais les réveils du week-end, mais il y avait tellement de pression et d’oppression que j’ai dû arrêter ce bout de réveil. Je ne regrette pas, parce qu’il faut savoir partir un jour. Mais ce qui me réjouit, c’est que cela fait plusieurs années que j’ai arrêté le réveil, mais quand vous allez partout, les ivoiriens se retrouvent encore en moi. Sans fausse modestie, je peux dire que j’ai marqué mon temps. Et lorsqu’on a marqué son temps, il faut savoir se retirer.

Etes-vous en train de dire que c’est à cause de vos patrons que vos émissions ont pris fin à la Radio ?
Maintenant, je ne fais plus de variété musicale en tant que telle. Je fais ce qu’on appelle dans notre jargon des magazines. J’anime entre autres le magazine « Le paysan » qui intéresse le monde agricole. Il y a un autre magazine qui traite du tourisme « Evasion ». J’ai aussi un autre magazine « Portrait ». Mais le problème, c’est que Radio Côte d’Ivoire n’est pas écoutée. Lorsque nous sortons, nos émetteurs sont à plat à l’intérieur du pays. On a l’impression que nous n’existons pas. Parce que lorsque vous émettez, c’est pour vous faire entendre. Mais si les auditeurs ne vous entendent pas, ce n’est pas la peine. Sinon, je suis bel et bien là. J’ai tiré le rideau à l’animation et la production.

Mais qu’est-ce qui à votre avis, fait que Radio Côte d’Ivoire n’est pas vraiment écoutée ? Est-ce un manque de volonté politique ou quoi ?
Je ne parlerai pas de volonté politique. Parce que c’est une expression qui a le dos large. Mais je pense que les problèmes de la radio diffusion ivoirienne ne datent pas d’aujourd’hui. Je me rappelle qu’une fois en mission dans la région de Bouna, où nous avons un émetteur ultra moderne, nous avons fait un amer constat. C’est avec la mort dans l’âme que le responsable de ce centre voyait son matériel tomber en déliquescence. Mais vous savez en Afrique, on ne tient pas au service après vente. Aujourd’hui, on n’a pas besoin de milliards pour l’entretien du matériel. Il y a des systèmes très simples pour nous permettre de le faire. C’est une question de bonne volonté. Quand on a essayé les grands et que ça n’a pas marché, je crois qu’on peut se tourner vers les petits. Et ces petits là, existent à la Rti pour remettre ces émetteurs en marche. C’est gênant, honteux, voire humiliant de voir que radio Côte d’Ivoire n’est pas écoutée. Quelqu’un dira que c’est à l’image du pays. Mais on fait avec.

Aujourd’hui, on constate que la Rti est en train de se vider de ses animateurs de talent qui se dirigent vers d’autres cieux. A quoi cela est-il dû ?
Il y a d’abord certains qui sont allés à la retraite. Et depuis l’avènement de la radio des nations unies, il y a des jeunes gens qui sont allés chercher mieux ailleurs. Quand on est à la radio, il faut avoir des ambitions. C’est certainement la raison pour laquelle ces jeunes gens sont partis. Au cours des années 2000, il y a eu un recrutement qui n’est pas du tout glorieux pour le métier que nous exerçons. Il y a beaucoup de personnes qui ont eu leur formation sur le tas, mais dans les années 2000, on a recruté un certain nombre d’animateurs et d’hommes de radio qu’on a jetés en pâture comme ça, sans un minimum de formation. Parce que certains ont pensé que pour exercer ce métier, qu’on n’avait pas besoin de formation. De la même manière le policier ou le médecin est formé, c’est comme cela que le journaliste aussi est formé. Ce n’est pas forcément une formation académique, mais un encadrement qui se fait sur le tas peut donner quelque chose de bon. Toute modestie mise à part, il y a des gens que nous avons formés. Serges José par exemple, nous l’avons vu quelque part faire ses preuves et nous lui avons donné quelques rudiments du métier. C’est un garçon qui fait honneur à la RTI sans oublier bien sûr Didier Bléou.


Qu’est-ce qui vous a marqué durant votre parcours à radio Côte d’Ivoire ?
Je me souviens que dans les années 80 des journalistes étaient très zélés. Ils se croyaient obligés de faire le travail des hommes politiques. J’étais avec Koffi Ama paix à son âme, la fille du secrétaire général du gouvernement d’alors, M. Koffi Gervais. Mais nous étions les crânes brulés de la rédaction, lorsque nous présentions le journal. Je crois que le journaliste doit lui-même se désenvoûter et prendre sa liberté. Moi, j’aime oser et c’est ce qui m’a marqué. Nous devons dire ce que nous voyons avec un minimum d’honnêteté. Voilà ce qui m’a marqué dans mon métier de journaliste.

Autres éléments majeurs de votre carrière…
Nous étions dans les années 80 où le ministre de l’information à l’époque avait fermé toutes les structures de formation. Il va de soi qu’un fonctionnaire doit évoluer dans sa carrière. On a entrepris des démarches, mais le ministre n’a pas voulu entendre raison. Donc on a entamé une grève. Un samedi, au journal de 20 heures, nous avons fait passer un bandeau qui dit ceci : « Nous, agents de l’information, voulons nous faire entendre » et puis on a coupé. A la radio, on a fait passer un slogan dans le même esprit, avant de couper l’antenne. Et plus tard, lorsque le président de la République nous a reçus, nous lui avons fait part de nos préoccupations, mais le ministre lui a donné une autre version. Selon lui, notre grève n’était pas d’ordre corporatiste et qu’on serait manipulé de l’extérieur par le président Kadhafi. Et que nous étions des déstabilisateurs du régime de l’époque. Les membres du syndicat de la Rti, le Syninfo, ont été arrêtés et emmenés à Séguéla dans une prison qui ne dit pas son nom. Et nous autres qui étions des militants de base, sommes restés à la rue. Nous avons passé dix (10) mois sans salaire et on a été traduit devant le conseil de discipline de la Fonction Publique. Les chefs d’accusation qui étaient contre nous, étaient que nous sommes des casseurs des matériels de la Rti, que le ministre avait évalué à 21 millions FCFA. Nous avons approché un collège d’avocats à l’effet de nous défendre gratuitement. Nous avons fait une contre expertise pour démontrer qu’aucun matériel de la Rti n’avait été endommagé. On était une centaine de personnes et nous avons gagné le procès. C’est ainsi que nous avons été réhabilités dans nos droits et on nous a fait un rappel. Lorsque nous sommes revenus à la Rti, un concours à été ouvert et c’est à sa suite que je suis allé à Bry-surMarnes pour la formation. Ça, c’est l’un des faits majeurs qui a marqué ma carrière. Mais ce que je voudrais relèver, c’est que le président Houphouët Boigny était un grand homme. Malgré ce qu’il a pu entendre, il a mené son enquête personnelle auprès de personnes privées, pour faire la part des choses. Et un rapport lui a été fait, lui disant que notre grève n’était nullement dirigée par qui que ce soit, mais d’ordre purement corporatiste. Nous étions en ce moment sous le parti unique, mais la justice a triomphé. Voilà ce qui m’a marqué.

Comment doit être un journaliste, selon vous ?
Je crois que lorsque vous traitez une information, il y a un minimum d’équilibre que vous devez rechercher. Au moins, il faut donner l’information. On ne doit pas être à la solde de qui que ce soit. L’indépendance du journaliste doit dépendre de lui-même. Mais nous, on s’autocensure, et ça c’est dommage. On préfère faire le travail des hommes politiques.

Après 50 ans d’indépendance, pensez-vous que radio Côte d’Ivoire a atteint ses objectifs ?
Je crois qu’il faut poser cette question aux responsables. Mais je crois qu’entre la Rti où j’ai travaillé pendant près de 30 ans et celle d’aujourd’hui, c’est le jour et la nuit. Il y a des hommes comme Jacques Bilé qui ont marqué leur temps. Or aujourd’hui pratiquement, il n’y en a pas. Même au niveau du matériel, c’est une reculade. A notre époque, accéder au micro était une consécration. Mais je suis désolé de dire qu’aujourd’hui, on fait la promotion de la médiocrité sur nos antennes. Et c’est dommage ! Nous, nous avions des modèles à notre temps. Des hommes comme Fernand Didia, Ahmed Touré, Barth Bertin, pour ne citer que ceux là. A notre arrivée, on a essayé de marcher dans leurs pas. Il y a une chaîne sacrée de la radio qui dit que la génération qui passe doit laisser à la génération qui suit plus qu’elle en a réçu de ses prédécesseurs. Nous, nous avons reçu beaucoup de nos prédécesseurs. Mais, est-ce qu’on nous a donné l’occasion de laisser à la génération actuelle ce que nous avons appris ? C’est là la grande interrogation.

Il se raconte que vous seriez devenu pasteur ?
Non, je ne suis pas devenu pasteur. Vous savez, il y a des gens qui ont pour Dieu leur argent, leur poche, leur titre de directeur, les femmes et tout. Mais ce que les gens oublient, c’est que si nous refusons Dieu aujourd’hui, tôt ou tard, on sera obligé de le rencontrer. Prenons l’exemple du philosophe Blaise Pascal qui, à la fin de sa vie, est devenu chrétien. Il y a une quinzaine d’années que j’ai rencontré le Seigneur Jésus-Christ de Nazareth, qui m’a beaucoup transformé. Il m’a libéré de toutes sortes d’oppression, des femmes, de la vie de débauche, de la duplicité, de la corruption. Le Seigneur Jésus m’a libéré de toutes ces choses qui ont court aujourd’hui et qui sont des tares de la Rti. J’ai acquis la maison que j’habite aujourd’hui par la grâce du seigneur Jésus. Le plus important, c’est la transformation que Dieu apporte en l’homme. Nous avons constaté aussi qu’à Radio Côte d’Ivoire où nous exercions, trop de choses bizarres se passaient. Des hommes qui tombent malades ou qui meurent brutalement. Et on s’est dit qu’il faut que nous nous organisions pour prier pour notre maison pour qu’un brin de soleil spirituel puisse briller sur notre radio. Parce que nous avons constaté que dans la crise que nous traversons, les journalistes ont tristement joué un rôle important. Donc nous nous sommes organisés en cellule: « Communicateurs pour Christ ». Nous nous sommes dits qu’en tant que communicateurs chrétiens, nous avons pour devoir d’intercéder au près de Dieu. Prier pour l’entreprise qui nous emploie, prier pour les entreprises de presse en général et pour la Côte d’Ivoire tout entière. C’est ce qui a justifié notre sortie officielle le 17 juillet 2009. Et à l’occasion de cette sortie, nous avons invité tous les partis politiques, mais malheureusement seul le PIT a répondu à notre invitation. Nous avons prié et je crois que les hommes politiques, face à leurs échecs, doivent eux-mêmes se remettre en cause pour se tourner vers Dieu. Parce que je pense que c’est Dieu qui est la solution à la crise ivoirienne. C’est vrai que nous prions, mais eux aussi ont un rôle à jouer. Parce que lorsque vous vous consacrez à Dieu, vous laissez vos intérêts personnels pour ne regarder que l’intérêt général. Et l’intérêt général, c’est l’intérêt de Dieu. Si les hommes politiques apprennent à penser, à concevoir ce que Dieu veut, je pense que la paix pourra revenir dans notre pays.

Qu’est-ce qui explique votre dernier voyage en Israël ?
Avant de répondre à cette question, je voudrais parler un peu des hommes de Dieu qui souvent ont l’avantage d’être des conseillers spirituels des hommes politiques. S’ils avaient effectivement enseigné la vérité de l’évangile aux hommes politiques, la crise serait finie depuis longtemps. Mais je remarque que ces hommes de Dieu, au lieu de prêcher l’évangile, ont prêché pour leur ventre. Si un homme de Dieu a vraiment ce privilège d’être auprès d’un homme politique, je crois qu’il a le devoir de lui enseigner l’évangile. S’il ne le fait pas aujourd’hui, parce qu’il a peur de perdre ses privilèges, il se retrouvera demain devant la justice de Dieu. Et ça sera terrible. Donc si les hommes de Dieu prêchaient vraiment cet évangile là, la Côte d’Ivoire ferait un boom en avant. Je voudrais aussi remercier au départ l’Etat de Côte d’Ivoire qui m’a donné l’occasion d’effectuer un voyage en Israël. Lorsque vous arrivez en Israël, c’est un désert, une terre aride. Mais on a vu le travail que les Israéliens ou les juifs ont fait avec la lumière de Dieu. Israël est un pays qui n’a rien à voir avec les pays africains. C’est un pays hyper développé qui a réussi à juguler le désert. Les meilleurs fruits ou légumes au monde, viennent d’Israël. C’est un pays béni. Cela a été pour moi, une grande leçon qui m’a amené à comprendre qu’on peut partir de rien pour arriver à quelque chose de grand. Si on a la crainte de Dieu, on peut faire beaucoup de choses. Moi, ça m’a fait du bien sur le plan spirituel et ça raffermi ma foi.

Réalisée par Dosso Villard, coll : David Yalla
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