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Art et Culture Publié le mardi 8 juin 2010 | Le Patriote

Dedicade - Venance Konan présente «Les Catapila, ces ingrats»

Le journaliste écrivain Venance Konan, procède à la dédicace de son dernier roman, «Les Catapila, ces ingrats», le jeudi 10 juin à 16 H à l'hôtel Pulman. Avant cette cérémonie, nous vous proposons de larges extraits de cette œuvre parue aux éditions Jean Picollec, en France

«A la mort du président des jeunes de notre village, nous élûmes Robert à l’unanimité pour le remplacer. Il était de toutes les façons le seul candidat. Et à vrai dire, il fut seulement élu par ceux qui étaient présents au bar du village où nous passions le plus clair de notre temps et à qui il avait offert à boire. Mais peu de personnes contestèrent son titre lorsque tout le village sut qu’il était le nouveau président des jeunes. Robert avait toujours été un bel homme. Il était de grande taille avec les jambes légèrement arquées, avait une petite brèche entre les dents du dessus, et le cou strié. Il était le prototype même du bel homme chez nous. De plus, Robert était un homme élégant qui portait toujours ses pantalons très hauts, presque sur la poitrine, et il était un excellent danseur. Il avait toutes les qualités pour diriger les autres.» (Page9)

«Les Catapila étaient des gens venus d’un autre pays qu’eux-mêmes décrivaient comme très sec, et où il fallait souvent marcher pendant des heures avant de rencontrer un seul arbre. Les deux premiers qui étaient arrivés dans notre village voulaient un bout de forêt. Robert qui avait connu l’un d’eux en ville leur avait donné une partie de sa forêt et ils étaient restés parmi nous. Ils travaillaient si dur que nous les avions surnommés Catapila, déformation du mot Caterpillar, ces gros engins qui abattaient les arbres et aplatissaient les montagnes. Les deux hommes, qui étaient pourtant aussi secs que leur pays, débroussaillaient la forêt et abattaient les arbres aussi rapidement que ces engins. Puis d’autres hommes et femmes comme eux sont arrivés et nous les avons tous appelés les Catapila. Ceux d’entre nous qui avaient des forêts leur en ont cédé aussi des bouts et ils avaient fini par créer un village au fond de la forêt et vivaient entre eux, sans se mêler de nos affaires. Nous nous entendions bien avec eux au départ, puisque c’étaient eux qui nous approvisionnaient en nourriture, et nous leur empruntions régulièrement de l’argent que nous ne remboursions jamais. Nous trouvions qu'ils étaient vraiment bêtes, puisqu'ils travaillent comme des animaux, sans jamais se reposer. Ils cultivaient du cacao, du café, des bananes, du riz, des légumes, et faisaient du charbon avec les arbres qu’ils abattaient et qu’ils allaient vendre en ville. Avant que les Catapila n’arrivent chez nous, nous nous contentions d’aller cueillir dans la forêt tout ce dont nous avions besoin pour vivre. Tout y poussait tout seul. Et, comme disait Robert, il suffisait de pisser quelque part pour que des aubergines poussent là, ou de chier pour qu’un bananier pousse sur le caca.» (Page 18)

«C’est avec les calendriers, et parfois des photos de femmes blanches découpées dans des revues que nous décorons nos cases. Personne ne regardait un calendrier pour savoir quel jour de la semaine nous étions. Ils servaient surtout à choisir les prénoms des enfants. C’est ainsi que Cendres et Fetnat furent prénommés ainsi, parce que le premier était né un mercredi des Cendres, et le second, un 14 juillet d’une année que lui-même avait oubliée. Il était marqué sur le calendrier qu’avait son père, « Fet. Nat. » On l’appela donc ainsi. C’est beaucoup plus tard, lorsqu’il devint grand, que l’on lui expliqua que Fet. Nat était l’abréviation de Fête Nationale. La fête nationale de la France. Fetnat fut très fier d’avoir pour prénom la fête nationale de la France et il le racontait à tous les Français qu’il rencontrait.» (Page 28)

«L’autre fille du chef, celle dont le mari vend des médicaments chinois et qui se prénomme Assomption insista pour sa part pour que son père soit enterré dans un téléphone cellulaire. Elle nous expliqua que son père avait voulu qu’elle lui en offre un, ce qu’elle lui avait promis, mais elle n’en avait pas eu les moyens avant qu’il ne meure. Aussi, elle voulait que pour son dernier voyage, son père le fasse dans un cercueil qui aurait la forme d’un téléphone cellulaire. Dans l’un des pays voisins du nôtre dont la frontière se trouve à peine à une soixantaine de kilomètres de notre village, ils se sont spécialisés dans la fabrication de cercueils très beaux et très originaux. Ils en fabriquent de toutes sortes, qui ont des formes d’animaux, de paquets de cigarettes, de bouteilles de bière, de poissons, d’oiseaux, de cabosses de cacao, de voitures, les plus demandées étant les Mercedes, les BMW, et les 4X4. On choisissait les cercueils en fonction de la profession du défunt, par exemple un bateau ou un poisson pour un pêcheur, une cabosse de cacao pour un grand planteur de cacao, un éléphant pour un chasseur d’éléphants, une bouteille de bière pour un barman, ou en fonction de ce qu’il aimait. Tous ceux qui n’avaient jamais eu de voiture dans leurs vies terrestres rêvaient d’aller dans l’au-delà dans une voiture de luxe. Cette mode du pays voisin avait touché le nôtre et dans certaines régions du pays, ceux qui en avaient les moyens traversaient la frontière pour aller acheter des cercueils personnalisés à l’intention de leurs défunts. Les plus demandés de nos jours étaient les cercueils en forme de téléphone cellulaire. Dans notre pays, un homme ou une femme digne de ce nom avait un téléphone cellulaire. Les personnalités en avaient toujours deux ou trois, ou même quatre pour les hautes personnalités. Le nombre de téléphones cellulaires que l’on avait en main indiquait le niveau social de chacun.» (Page 72)

«La plupart des Catapila de la sous-préfecture partirent aussi et nous décidâmes, avec l’appui du député et du sous-préfet, de nationaliser tous les emplois qu’ils occupaient. Désormais, pour occuper les emplois de portefaix, de « tabliers », boutiquiers, commerçants, il fallait être de notre région, ou, à titre exceptionnel, d’une autre région de notre pays. Mais il ne fallait surtout pas ressembler à un Catapila. Certains proposèrent que nous interdisions les mariages et même les relations sexuelles entre les Catapila et nos femmes. Parce que les Catapila ayant plus d’argent que nous les autochtones, c’étaient eux qui avaient les plus belles femmes. Et elles nous donnaient des bâtards de demi-Catapila qui, une fois devenus grands, réclamaient la nationalité de notre beau pays. Mais nos femmes furent les plus farouchement opposées à une telle mesure. Elles disaient qu’il ne fallait pas mêler l’amour et la politique.
Au bout de quelques semaines, il n’y eut plus de Catapila dans les cars qui traversaient notre région. Nous commençâmes alors à faire la chasse à ceux qui ressemblaient aux Catapila par leurs noms, leurs religions et leurs habillements. Ceux-ci finirent aussi par quitter notre région. Nous étions désormais les maîtres sur nos terres.» (Page 111)

«Au temps où il y avait les Catapila, les acheteurs de cacao et de café passaient régulièrement avec des machines pour réparer cette route. Un jour le barman du village nous dit qu’il n’avait plus rien à nous servir. Plus de bière, plus de vin, ni même de koutoukou. Nous étions au bout du rouleau. Robert garda le silence pendant de longues minutes et finit par lâcher : « putain, ils font quand même chier ces Catapila ! Ils s’arrangent toujours pour que nous ne puissions pas nous passer d’eux. Ils sont vraiment trop malhonnêtes. »
Quelque mois plus tard, alors que nous étions au bord de la famine, nous fîmes semblant de ne pas remarquer les premiers Catapila qui revinrent s’installer en cachette dans les plantations. Les autres les suivirent timidement, puis ils revinrent massivement. Et bientôt ils rebâtirent leurs villages et les choses redevinrent comme avant. Et lorsque, beaucoup plus tard, la radio annonça que notre pays avait fait la paix avec le pays sec d’où étaient venus les rebelles, que les Catapila étaient désormais nos frères, cela faisait déjà longtemps que nous avions remboursé nos dettes au bar du village, et que Robert nous offrait à nouveau à boire, grâce à nos Catapila.» (Page 116) l

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