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Politique Publié le mercredi 16 juin 2010 | Nord-Sud

Dr Fahé Maurice (Politologue) : “La Côte d`Ivoire est une semi-colonie non démocratique”

La Côte d'Ivoire, peut-elle, après 20 ans de multipartisme prétendre être un pays démocratique ? Qu'a-t-elle pu réussir ? Quels sont les échecs qu'elle a connus ? Qu'est-ce qu'il faut parfaire ? Le politologue, Maurice Fahé, apporte des réponses à toutes ces questions, dans cette interview dont nous vous proposons la première partie.


•Après vingt ans de multipartisme, est-ce qu'on peut dire, aujourd'hui, que la Côte d'Ivoire est un Etat démocratique?

C'est une question qui mérite un long développement. Mais je vous donnerai une réponse ramassée. Moi, j'analyse le multipartisme comme une promesse de libération sans la liberté. Nous avons le multipartisme mais nous n'avons pas la liberté.


•Que faire pour conquérir cette liberté ?

Les partis politiques sont la représentation politique des intérêts d'un groupe social. Un parti est formé par des personnes conscientes, issues d'un groupe social pour défendre ses intérêts. Tant que ces intérêts n'ont pas triomphés, l'objectif n'est pas atteint. Les gens ont tendance aujourd'hui à ramener la démocratie aux élections périodiques tous les quatre ou cinq ans, selon le pays et l'alternance, à la bonne gouvernance. Mais la démocratie, c'est d'abord un équilibre des forces sociales de ceux qui sont les propriétaires et de ceux qui, dans la société, sont la majorité mais qui ne sont pas propriétaires des moyens de production. Et qui, compte tenu des avancées (droit au logement, doit à la santé, droit à l'instruction publique gratuite, etc) peuvent estimer qu'ils ont obtenu des choses qui leur permettent de dire que le régime, dans le fond, n'est pas aussi mauvais que cela. C'est un équilibre catastrophique. C'est ce qu'on appelle la démocratie. C'est également pour cela qu'on dit que la bataille pour la démocratie est une bataille permanente. Ce n'est pas un état de fait. Alors, vous dites qu'est-ce qu'il faut pour avoir la démocratie ? Il faut aller à l'équilibre des forces. Aujourd'hui, la question de la vie, de la survie en Côte d'Ivoire est posée. Quand on en est encore à ce stade, quand les questions se posent en termes de vie ou de mort, cela veut dire que l'équilibre n'est pas atteint. Ceux qui sont riches sont trop riches. Et ceux qui sont pauvres le sont excessivement. L'écart est trop important.


•Est-ce que la démocratie signifie que tout le monde vit bien ? Il n'y a pas de pauvres, pas de patron ni d'employés ?

Il faut aller à l'origine de la démocratie. Lorsque la bourgeoisie renverse la monarchie en France en 1789, elle met en place un régime pas démocratique mais une monarchie bourgeoise. En ce moment-là, comme l'ont écrit tous les auteurs des Lumières, elle met en place l'Etat qui est un instrument de gestion des riches. L'Etat, c'est la bourgeoisie qui se place aux commandes de l'Etat, c'est encore elle qui place l'argent pour gérer ses affaires. Donc, l'Etat est l'Etat des riches. Mais la bourgeoisie a dû s'appuyer sur le prolétariat qui était émergent à l'époque. Qu'est-ce que cela veut dire? Cela veut dire que si vous avez quelque chose à défendre vous avez aussi le droit de vote. Je donne souvent l'exemple de la fédération nationale de football. Vous avez des clubs affiliés. Et, vous en avez un autre qui ne participe pas au championnat et dont le président veut participer au vote du président de la fédération. Il n'a rien à défendre-là. Donc, l'Etat n'est que les résultats de ceux qui participent à la production. C'était cela l'Etat bourgeois. C'est pourquoi l'on dit que c'est l'Etat des propriétaires. Si vous voulez être électeur, il faut que vous soyez propriétaire de quelque chose. C'est pourquoi l'on disait aux gens de payer quelque chose pour qu'on sache qu'ils sont intéressés par la vie de l'Etat. Mais les travailleurs, les paysans, se sont battus quotidiennement pour que leurs droits augmentent pour qu'ils aient plus d'espace d'expression. Ils se sont organisés en partis politiques, en syndicats pour que leurs intérêts soient pris en compte. C'est cette lutte qui va conduire à un équilibre des forces à l'intérieur de la société. Vous savez, quand cet équilibre n'a pas été atteint, il y a toujours un reflux. En France, il y a eu onze régimes. On a restauré la Monarchie, on a fait la Révolution avant de restaurer à nouveau la Monarchie. C'est à l'issue de toutes ces révolutions que les Français sont arrivés à ce moment l'équilibre dans lequel ils sont jusqu'à présent. Chaque fois que les couches populaires, c'est-à-dire ceux qui participent à la production, les travailleurs ou les consommateurs les plus nombreux, n'ont pas de revenus suffisants, n'ont pas l'instruction nécessaire, n'ont pas l'habitat pour vivre, n'ont pas le minimum vital, ils n'ont pas intérêt que le système reste en l'état. Et, donc, ils poussent leurs revendications à l'avant. Et, chaque fois qu'elles sont satisfaites par la lutte, les libertés prennent plus d'espace.


•Est-ce que cela veut dire que la démocratie repose sur les organisations, sur les institutions ?

Moi qui me considère comme un partisan de la cause du peuple, je dis que les premières conquêtes sont la liberté politique totale. Alors, la liberté politique totale dans un pays, comme la Côte d'Ivoire, qu'est-ce que cela veut dire ? La Côte d'Ivoire est une semi-colonie. Qu'est-ce que cela veut dire ? Il y a un décret qui a été pris le 11 juillet 1960 par le président de la France transférant les prérogatives de la Communauté à l'Etat de Côte d'Ivoire. Mais les articles 96 et 97 de la Constitution du 4 décembre 1958 disposent bien que ce pouvoir peut être transféré et que l'Etat concerné peut signer des accords spécifiques. Eh bien, en échange du transfert des compétences, nos Etats, pas la Côte d'Ivoire seulement, mais tous les Etats francophones, ont signé des accords de Coopération, des accords Monétaires, des accords de Défense, des accords connexes en matière de justice, d'économie, de communication, en matière de gestion de ce qu'on appelle les matières premières stratégiques. Aucun de ces accords n'a été abrogé jusqu'à présent en ce qui concerne notre pays. Donc, la Côte d'Ivoire d'aujourd'hui est insérée dans le cadre du transfert des compétences qui lui a été fait par le décret du 11 juillet 1960. La France continue de gérer la monnaie, la diplomatie, la défense. Elle n'a pas jugé utile, conformément à l'accord qu'il y avait, d'intervenir. C'est une manifestation de sa souveraineté. Les questions de gestion des matières premières stratégiques sont contenues dans l'accord annexe portant Accord de défense. Toutes ces questions restent entières. C'est dire que nous avons une parcelle de souveraineté et que ce que nous avons eu en 1960 est une indépendance formelle. Nous avons eu un drapeau, un hymne national, un président, etc. Mais il manque encore des choses essentielles pour donner un contenu à notre souveraineté, à notre indépendance. Alors, dans un pays qui est à moitié indépendant, qui est une colonie à moitié, pour qu'il puisse y avoir démocratie, le premier objectif, c'est d'abroger les traités illégaux qui lient notre pays à l'ancienne puissance coloniale. Notamment, l'Accord de défense. Le Niger, grand par la superficie, mais petit pays sahélien, l'a abrogé. Pareil pour le Bénin, un autre petit pays. Mais pas la Côte d'Ivoire. Nous nous posons la question de savoir pourquoi. Tant que nous n'aurons pas abrogé ces textes qui continuent de nous influencer, nous ne serons pas un Etat pleinement démocratique. Pour que la Côte d'Ivoire le devienne, c'est la première étape.


•Quelle est alors la seconde étape ?

C'est ce que nous sommes depuis 1960. Ce que les marxistes appellent l'état de la révolution nationale démocratique et populaire et anti-impérialiste. Mais chaque fois que les questions fondamentales de la souveraineté et de la liberté ont été posées par des manifestations de basses classes, on les ajournait. Tant que nous n'aurons pas de réponse définitive à la question de la souveraineté et de l'indépendance nationale, nous allons continuer à végéter, à dénoncer le néo-colonialisme, l'impérialisme.

Il faut opérer une rupture par rapport à la néo-colonisation, de récupération totale et entière de notre souveraineté, de notre indépendance. Donc, la deuxième étape, c'est à l'intérieur. Dans un pays comme la Côte d'Ivoire, le premier objectif d'un gouvernement démocratique, c'est d'instaurer une instruction publique obligatoire et gratuite. Ce qui est différent de l'école gratuite. Une instruction publique obligatoire et gratuite signifie qu'il faut prendre en compte aussi bien l'alphabétisation des parents et que celui des enfants. Comment voulez-vous qu'un enfant, dans un village, puisse lire, avoir des cahiers, des livres, etc., aller à l'école et ne puisse pas discuter avec ses parents. Ces derniers ne peuvent pas vérifier ce qu'il a fait.

Vous avez près de 60% de la population qui est en milieu rural et qui est analphabète. Ce n'est pas un pays démocratique. La démocratie c'est d'abord cela. La souveraineté, la capacité de chaque citoyen à comprendre ce qui se fait. Et, pour comprendre ce qui se fait aujourd'hui, il faut être capable de lire et d'écrire. Donc, premier élément, l'instruction civique obligatoire. Deuxième chose, il faut que le peuple soit à mesure d'édicter des lois et qu'il ait la possibilité de contrôler les gens. Je parle souvent d'un contrôle populaire. Le contrôle de la population peut se manifester par un référendum. C'est-à-dire que les députés, les maires, le président de la République sont élus pour cinq ans. Si au bout, ils ne font pas l'affaire, l'une des conditions prévue par la Constitution, c'est de faire un référendum. S'il conclu que vous devez partir, vous partez. C'est l'absence de contrôle qui rend la démocratie vide chez nous. Parce que les gens qui sont élus pensent qu'ils deviennent propriétaires du pays. Parce qu'ils n'ont pas de compte à rendre. Le bulletin qui a permis leur élection est considéré comme un chèque en blanc. Si le peuple a la capacité de contrôler, de juger à mi-parcours les gens qu'il met à sa tête, nous ne serons plus dans les Etats d'impunité ou chacun fait ce qu'il veut.

J'ai dit deux choses. J'ai parlé de démocratie formelle, démocratie électorale. Mais l'Europe, avant d'arriver à la démocratie véritable, s'est battue pour instaurer les droits fondamentaux. Le Smig, en France, est de près de six-cent mille francs Cfa. Ici, il est à quarante mille francs Cfa. En plus, il n'est pas respecté. C'est-à-dire qu'on ne tient aucunement compte de ce que veulent les travailleurs. Les gouvernants, que ce soit en Côte d'Ivoire, au Sénégal ou ailleurs, gouvernent selon le bon vouloir de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international, de l'UE depuis plus de vingt ans. Or, c'est le peuple qui élit les gouvernants. Ce n'est pas la Banque mondiale, ni le FMI ou encore l'UE. Il faut donc que les gouvernants se mettent à appliquer les politiques pour lesquelles ils sont élus. C'est cela la démocratie. Si je vote, c'est pour que vous fassiez mon affaire. Si c'est pour faire l'affaire de quelqu'un d'autre, il faut que je sois à mesure de vous démettre pour dire que vous ne représentez plus mes intérêts. C'est cela le contrôle populaire.


•Comment ce contrôle populaire devrait-il être fait ? Par les élus du peuple qui sont à l'Assemblée ?

Vous allez m'amener à poser une question de fond. Pour moi, la démarche fondamentale à entreprendre en Côte d'Ivoire, c'est d'abroger la Constitution actuelle. C'est une constance des discours que je tiens. La constitution actuelle est anti-démocratique, monarchique. Il y a trente six articles qui consacrent le pouvoir du président de la République. Et, si vous regardez l'Assemblée nationale, il n'y en a que quatre. Mais que disent ces quatre articles ? Ils disent que l'Assemblée nationale vote le budget. Mais le budget est une loi. Si on dit que l'Assemblée vote la loi et qu'elle vote le budget, c'est de la tautologie. On répète la même chose. De même, quand vous prenez le règlement intérieur de l'Assemblée nationale en son article 21, il fait obligation aux commissions parlementaires d'indiquer leur ordre du jour au président de la République et de lui donner les résultats de leurs débats avant le débat intérieur. Il est dit qu'il y a une séparation de pouvoir. Mais dans la réalité, il n'en est rien. En Côte d'Ivoire, nous sommes dans un régime monarchique. Une monarchie républicaine si vous voulez. Il n'y a qu'un seul homme qui a tous les pouvoirs, le président de la République. Une telle situation n'est pas acceptable pour quiconque est un démocrate.


•Au Niger, on a voulu équilibrer les choses mais on a abouti à des blocages.
Le Niger est symptomatique à plus d'un point. La monarchie qu'ils ont voulu installer n'a pas marché. Il y a eu un coup d'Etat. Si vous voulez vous servir de l'expérience démocratique nigérienne, un régime de type parlementaire comme le disent les juristes, pour justifier le fait qu'en Côte d'Ivoire on doit avoir une monarchie, eh bien, la monarchie n'a pas pu prendre là-bas non plus. Tandja a voulu se consacrer monarque. Les militaires l'ont mis hors jeu. Pour dire que fondamentalement, c'est le peuple qui décide. Il le fait avec l'éclairage des directions politiques. Ce n'est pas parce que l'histoire chaotique de la Côte d'Ivoire nous a imposé pendant quarante ans un régime de type monarchique qui a été installé par Houphouët. Il faut rappeler qu'avant 1964, il y avait plusieurs partis en Côte d'Ivoire. Donc on n'a pas toujours été dans un régime à parti unique. Toute la classe dirigeante de l'époque a fusionné pour ne donner qu'une seule classe dirigeante, une seule représentation politique : le Pdci. En 1990, le peuple a dit NON, c'est-à-dire que cela n'est plus possible. Donc, quand vous me dites Sénat, l'histoire de la Côte d'Ivoire est singulière. Il ne s'agit pas de copier servilement les expériences des autres pays notamment les pays industrialisés. Le Sénat, au fait, qu'est-ce qu'il représente ? Ce sont des aristocraties locales. On dit que pour qu'il y ait un sénat en Côte d'Ivoire, il faut financer les partis politiques, qu'il faut donner des subventions aux organisations religieuses et professionnelles. C'est cela la démocratie ? Et le peuple qui vote, qu'est-ce qu'il a ? Depuis 1983, les salaires sont suspendus en Côte d'Ivoire…


•Les syndicats sont subventionnés

Les syndicats sont la représentation d'une corporation. Il y a combien de gens qui travaillent en Côte d'Ivoire aujourd'hui ? Depuis la crise, sur les cinq cents mille emplois dits modernes, les fonctionnaires compris, on en a perdu deux cents milles.


•Que pensez-vous de la proposition du président Gbagbo d'augmenter le nombre de députés ?

La question ne se pose pas de ce point de vue. Ce n'est pas le nombre de députés qui fait la démocratie. C'est ce qu'ils font qui fait la démocratie. Un député sert à quoi ? Qu'ils soient plus nombreux ou qu'ils fassent correctement leur travail de représentation du peuple ?


•L'actuel chef de l'Etat s'est battu pour l'instauration de la démocratie. Comment expliquez-vous qu'il ne se soit pas attaqué aux vrais problèmes de la démocratie, notamment l'Accord de défense ?

Ce que je dis souvent, c'est qu'il faut remonter au commencement des choses. Prenez les écrits du militant Laurent Gbagbo, du chef d'opposition et du président de la République Laurent Gbagbo. Il y a une continuité remarquable. Laurent Gbagbo n'a jamais dit qu'il est contre le système monarchique. Il a dit qu'il est contre le parti unique. Il a dit qu'il s'est toujours battu contre le parti unique. En 1990, il a affirmé très haut qu'Houphouët ne le gênait pas. Mais qu'il est contre le parti unique. Le processus, le plan d'organisation proposé par la classe moyenne dont il était l'un des chefs, était de dire multipartisme, démocratie, conquête du pouvoir, etc. Mais il est dans sa logique. D'ailleurs, je me rappelle au cours d'un congrès, il a dit: « La démocratie ne construit pas d'écoles. La démocratie ne crée par des liens de dépendance, elle n'en supprime pas ». C'était en 1984.


•Où l'a-t-il écrit ?

Dans l'ouvrage intitulé « Côte d'Ivoire, Agir pour les libertés » à la page 81. Ce n'est pas une invention. Il est donc formellement établi qu'il est dans la perspective de la démocratie formelle : élection par alternance, maison pour les députés, sénat, etc. Nous ne sommes pas dans la même logique. Je dis qu'il faut que le peuple soit capable d'édicter des lois et de les faire respecter, y compris de révoquer les gens qu'il a élu s'ils ne font pas le travail pour lequel ils sont là. Voyez la différence. Ce n'est pas en termes de nombres de députés, ni de subvention aux organisations religieuses, etc., qu'on dit qu'il y a la démocratie. Les salaires sont bloqués depuis 1983, il faut rattraper la baisse du pouvoir d'achat que les masses populaires ont subi depuis cette époque. L'inflation est à 7,6%. Il faut annexer l'évolution du pouvoir d'achat sur le coût de la vie. C'est cela pour moi la démocratie. C'est aussi, évidemment, la liberté. La liberté d'ester en justice, la liberté de parole, la liberté d'organisation, y compris en plusieurs partis politiques. La liberté d'organisation ne s'arrête pas aux syndicats et associations.


•On a quand même fait un petit pas avec le 30 avril.

Oui, mais je dis que c'est une promesse de liberté. Si vous avez une organisation qui ne peut pas faire ce pour quoi elle a été créée, vous avez une promesse. Vous avez un élément. Vous ne les avez pas tous.


•Ce qui veut dire que dans la pratique, l'objectif a été dévoyé ?

Ce n'est pas cela. Le rapport de forces est tel qu'actuellement, ceux qui ont le pouvoir pensent qu'ils sont suffisamment plus forts que les autres pour ne pas appliquer les dispositions telles qu'elles sont écrites. Sans que cela ne porte à conséquence.


•Dans la classe politique, celui qui est issu d'une couche sociale modeste c'est Laurent Gbagbo. Ses adversaires proviennent de milieux aisés. Comment espérer donc que ceux-ci puissent faire changer les choses ?

J'aimerais faire une précision par rapport à la situation actuelle. Les gens disent l'opposition ne fait pas ceci, le camp présidentiel ne fait pas cela. Les deux camps ont partie liée. S'il n'y a pas les Accords de Marcoussis, de Pretoria, d'Accra et de Ouagadougou, ni Ouattara, ni Bédié ne peuvent se présenter. Donc, ces messieurs ne peuvent pas sortir du cadre des accords. Ils n'ont pas intérêt à ce que ça change. Si on se met du point de vue simplement de la Constitution, ils sont inéligibles. Je ne vois pas la Cour suprême qui a rejeté la candidature de monsieur Ouattara hier, l'accepter aujourd'hui sur la base de la même Constitution qui n'a pas été reformée. Je ne la vois pas, alors qu'il est clairement écrit que l'âge limite pour être candidat est de 70 ans, admettre un candidat qui en a 76. Vous voyez que sans l'accord, il n'y a plus rien de possible. Donc, vous me dites celui qui est issu de couche populaire, c'est relatif. Moi je n'ai pas une vision personnelle, une vision personnalisée de l'évolution des choses. J'ai une lecture collective. Un chef, quel que soit son génie, l'est parce qu'il a une base qui le pousse et dont il satisfait les intérêts. Vous savez, même la dictature la plus féroce, il y a des gens pour la défendre parce qu'ils ont partie liée avec elle. Pour l'instant, le chef de l'Etat n'a pas montré autre chose qu'une lecture bourgeoise, pour reprendre le terme de l'époque, de la démocratie. Démocratie formelle, démocratie représentative qui d'ailleurs est largement dépassée. Parce que dans la démocratie représentative dite classique, quand les députés adoptent des lois, lorsque le peuple n'est pas d'accord, il sort dans la rue. Pour dire : on vous a élus vous avez pris une loi avec laquelle nous ne sommes pas d'accord. C'est ce qui se passe en Grèce. C'est ce qui s'est passé en France pendant des moments. Pour que la Côte d'Ivoire devienne démocratique, je vous ai présenté les conditions. Dans un pays qui est une colonie, il ne peut pas y avoir de démocratie parce que le contrôle est fait par quelqu'un d'autre. Il faut récupérer la souveraineté et l'indépendance totale de la Côte d'Ivoire avant. Pour nous, aujourd'hui, la lutte pour la démocratie se confond avec la lutte contre l'impérialisme. Cela ne veut toutefois pas dire autarcie. Parce que lorsqu'on parle de rupture, certains pensent à la rupture des anciens liens. En tant qu'Etat souverain, on peut conclure de nouveaux accords qui tiennent compte de nos intérêts.


•Dans cette logique, peut-on dire que la Guinée qui a rompu les amarres avec la France a plus évolué vers la démocratie par rapport à la Côte d'Ivoire ?

Vous me ramener là à une question historiquement complexe. Parce qu'avant le référendum de 1958, où était la Guinée ? Quelle politique avait-elle menée ? Sékou Touré était un syndicaliste peu connu qui n'avait pas mené une politique différente de celle à l'intérieur du Rda. Par contre, dans un pays comme la Côte d'Ivoire, le Rda et le peuple de Côte d'Ivoire qu'on s'évertue à découper en tribus, entre 1948 et 1951, était mobilisé, du Nord au Sud. Personne ne cherchait à savoir si Houphouet était Baoulé, Agni ou Bété partout où il allait. Parce que ce qu'il disait en ce moment représentait les intérêts du peuple de Côte d'Ivoire. Si en 1958, la situation n'était pas la même qu'aujourd'hui en termes d'alphabétisation, de connaissance. Le peuple de Côte d'Ivoire était mobilisé. Il s'est battu. En 1951, Houphouët a fait le désaparentement. Il a fait volte-face. Et après, ça a été une politique solitaire. Vous parlez de la Guinée. C'est tellement facile lorsque vous posez des questions historiques aux gens, ils font référence aux autres. Mais l'histoire de la Guinée, c'est l'histoire de la Guinée. Et il faut se rappeler que la France a donné tous les moyens qu'elle pouvait à la Côte d'Ivoire. Mais sous surveillance. Si vous regardez à l'époque, tout le cabinet du président Houphouët était composé de Blancs. Les instituteurs, les enseignants des lycées et collèges étaient des Blancs. Ce n'était pas seulement de la coopération. Ils en tiraient partie. Cette étape de la vie du pays correspond au partage du monde en deux blocs où la Côte d'Ivoire est apparue comme le chien de chasse de l'impérialisme international avec ce qu'on a appelé le camp de la liberté. Cette période est révolue. Elle est révolue pratiquement après le discours de Balladur en 1993 qui a reconnu que si la Côte d'Ivoire voulait avoir un prêt, qu'elle s'adresse comme tous les autres pays au Fmi et à la Banque mondiale. Donc, la Guinée a souffert de la proclamation, non préparée, de l'indépendance. Ce n'était pas le résultat d'une politique délibérée mise en œuvre depuis de longues années, ce n'est pas l'aboutissement d'un processus révolutionnaire. Dès lors que le président Sékou Touré a pris sa décision d'indépendance, les Français ont vidé l'administration, les comptes en une soirée. Ils ont tout retiré du pays. Il faut se rappeler que la France a fait des choses horribles contre la Guinée. Je ne m'attarde pas sur les tentatives d'enlèvement et d'assassinat de Sékou Touré que les gens prennent aujourd'hui en ricanant pensant qu'il les avait inventées. La France a fabriqué de fausses monnaies pour spéculer contre la monnaie guinéenne. Des milliards de francs guinéens qu'ils ont mis sur le marché pour plomber complètement l'économie guinéenne. Parce qu'il ne faut pas oublier que le Cfa est fabriqué en France. Donc, c'est de vrais-faux billets. Ils ont donc fabriqué des faux billets mais c'étaient des vrais parce qu'ils ne pouvaient pas être détectés. Ce sont des machines normales, des coupures normales qui ont été utilisées pour leur fabrication. La France a fait tout ce qu'il fallait y compris la Côte d'Ivoire elle-même qui a reçu tous les opposants Guinéens. Contre la Guinée et le Ghana de Kwame N'Krumah, tous les moyens ont été utilisés pour qu'on montre que la Côte d'Ivoire qui a accepté de continuer dans le giron français a plus de chances de se développer que les autres. C'est comme cela qu'il faut comprendre la situation. Et non superficiellement, en se demandant si les Guinéens sont mieux que nous. D'ailleurs, ils n'ont pas fini de souffrir. La tentative dernière d'assassinat de Moussa Dadis Camara que croyez-vous que c'était ?


•Vous croyez que Dadis Camara était vraiment patriote ?

Ce n'est pas une histoire de croire ou de ne pas croire. Je ne connais pas la Guinée au point de faire des proclamations. Mais en tant qu'observateur, ce que je voyais de l'extérieur, il y avait une lutte d'influence entre les partisans du tout-donner à l'impérialisme international, y compris à la France, et ceux qui étaient pour conserver une certaine dignité, ce qu'ils ont arraché durement, en souffrant dans leur chair et dans leur sang.


•Dans quel camp était Dadis Camara?

Je crois qu'il était dans le second camp. Bien entendu, les contradictions internes, je ne les maîtrise pas parfaitement, mais je ne crois pas que la démocratie formelle qui s'avance à grands pas en Guinée soit également une solution. C'est pourquoi, ils vont revenir au ajustements structurels du FMI. Et ils ne seront pas mieux lotis que nous.

Interview réaklisée par Kesy B. Jacob & Marc Dossa
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