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Art et Culture Publié le mercredi 23 juin 2010 | Fraternité Matin

Fondation Hampâté Ba : Perpétuer l`oeuvre du sage de Marcory

Comment portez-vous cet illustre nom?

Je voudrais, tout d’abord, rendre grâce au Tout Puissant Miséricordieux d’avoir autorisé cet entretien sur Amadou Hampâté Bâ qui fut son humble serviteur sa vie durant, et demander sa... guidance pour le conduire à bien. Cet exercice que j’apprends à accomplir dans ma vie, grâce à des initiatives comme celles-ci, vise à établir une distance objective entre l’observé et l’observatrice que je suis. C’est en scrutant dans le regard des autres portés sur Amadou Hampâté Bâ que nous arrivons à saisir la dimension historique de l’homme.

Chaque occasion de cette nature est une aubaine sur cet homme. De tels échanges ont, pour nous, une valeur pédagogique. Je remercie le quotidien Fraternité Matin d’avoir bien voulu manifester un aussi grand intérêt pour Hampâté Bâ et son œuvre dans sa volonté de rappeler aux bons souvenirs des sociétés contemporaines le parcours et la contribution de ce grand Africain.



Quel héritage lègue-t-il?

Il laisse à sa postérité, à l’Afrique et au monde, un patrimoine immense. Pour ceux qui l’ont connu et au regard de son œuvre considérable qui s’ouvre à tous les genres (conte initiatique, essai, poésie, biographies romancées, etc), Amadou Hampâté Bâ n’est pas mort. Il survit à travers ses œuvres. Nous souhaitons assurer la continuité de l’immense œuvre inachevée du patriarche trop tôt disparu, et être un cordon ombilical reliant le fœtus à la sève nourricière.



Pouvez-vous nous parlez de l’homme et de son combat?

Il était écrivain, philosophe, ethnologue, historien et maître de l’oralité. La première porte qui conduit à sa personnalité est sa lutte opiniâtre en faveur de la reconnaissance et de la sauvegarde des traditions orales africaines. L’Afrique lui doit notamment, et grâce au courageux combat qu’il a justement mené à l’Unesco, la reconnaissance des sources orales comme instrument d’écriture de l’histoire africaine.

De ce point de vue, l’une de ses œuvres emblématiques est «L’Empire Peul du Macina» qu’il a produite avec la collaboration de Jacques Daget. Amadou Hampâté Bâ était également un humaniste. Un grand Humaniste comme notre époque en produit si rarement. Il n’était pas seulement pour l’ouverture de toute nation aux autres, de tout continent aux autres, mais aussi et surtout des religions les unes aux autres.

Tout naturellement, avec de telles options, Hampâté Bâ ne pouvait qu’être un combattant tendu de tout son cœur et de toute son âme vers la paix, l’entente entre les peuples sans distinction de race, de sexe ou de religion. Cette sagesse lui a valu d’être sollicité, un peu partout en Afrique, pour résoudre des conflits de toutes natures : ethniques, politiques, religieux, etc.

C’est dans cette logique qu’en 1961, lui musulman en compagnie d’un juif et d’un chrétien, dirigea une prière sur le Mont sion en pleine crise israélo-palestinienne et sous couvre-feu. C’est tout cela qui, en 1981, lui a valu le prix de l’œcuménisme décerné par la Fondation Ménil à Houston, Texas, aux Etats-Unis. Il est plus que question de valoriser ses œuvres et de tout faire pour que leur quintessence demeure.



La Fondation est donc la bienvenue…

Elle est salutaire, afin que les trésors légués ne se consument. Créer une fondation portant le nom d’Amadou Hampâté Bâ ne saurait surprendre. Par rapport à l’importance de son œuvre, à l’efficacité de son action et la foi intarissable qu’il avait en l’avenir radieux de l’Afrique, Amadou Hampâté Bâ est à redécouvrir. C’est la raison essentielle pour laquelle la Fondation qui porte son nom a été créée pour revisiter sa pensée, son œuvre, sa philosophie de l’action pour offrir au monde entier l’image éclatante de cet homme du savoir.

Cette Fondation existe grâce à l’appui et au dévouement de l’Etat ivoirien pour apprendre avec le soutien de très hautes personnalités universitaires et de l’espace politique africain.

Vous me permettrez ici de saluer la contribution colossale de l’historien-chercheur, le Président Laurent Gbagbo, qui a accepté de mettre à profit sa notoriété, son engagement personnel et financier pour servir de locomotive à la création de cette Fondation.

Le siège de la Fondation à Abidjan, à Cocody Danga, a été offert par l’Etat ivoirien. Il convient de préciser que l’espace vient d’être restauré et sera bientôt inauguré par son parrain. La contribution d’Amadou Hampâté Bâ dans la connaissance humaine, dépasse sa propre personne, sa famille, ainsi que sa communauté religieuse. Elle transcende l’espace du Mali où il est né et de la Côte d’Ivoire qui l’a adopté. Aussi, la Fondation entend-elle s’ouvrir à l’humanité à travers son élargissement en Afrique par zone: (cinq zones continentales et une diaspora), ainsi qu’à chaque pays qui le désire.



Quelles sont les conditions à remplir pour que le public ait accès à la Fondation?

En plus des œuvres publiées, le patrimoine légué englobe un fonds d’archives inexploité, ainsi qu’une bibliothèque personnelle de plus de 3.000 ouvrages et de plus de 400 colloques.

La fondation s’attelle à la conservation de ce précieux fonds documentaire d’une valeur scientifique inestimable. Cette phase décisive implique l’inventaire, la classification, la numérisation avant la mise à la disposition du public. Toutefois, après son inauguration, la fondation entend organiser différentes manifestations culturelles et scientifiques ouvertes à la population.



Pour une pérennisation de vos activités, comment comptez-vous assurer le financement de votre Fondation?

En attendant de pouvoir s’autofinancer, la Fondation, à l’instar de structures similaires, compte sur l’accompagnement des Etats africains, des organismes internationaux, des mécènes et toutes les bonnes volontés.



Quelles étaient les relations que votre père entretenait avec les dirigeants africains, notamment Félix Houphouët-Boigny?

De manière générale, je ne saurais définir quels types de relations notre défunt père entretenait avec les dirigeants africains parce que n’ayant pas été témoin. Néanmoins, celle avec le sage Félix Houphouët-Boigny était privilégiée. Je laisse la parole à Hampâté Bâ lui-même pour y répondre à travers une question que lui avait posée Isaïe Biton Koulibaly: «Vous affirmez souvent que le Président Houphouët-Boigny est un homme de haute culture. Ne nous arrive-t-il pas de lui dire: «mon cher ami, il y a contradiction entre vos actes et vos propos?” Sa réponse: Vous confondez deux hommes que moi j’ai toujours distingué : le Président Félix Houphouët-Boigny et Dia Houphouët-Boigny. Chaque fois que vous posez une question sur le Président, vous m’embarrassez. Je laisse aux hommes avertis de la politique comme Charles de Gaulle, John Kennedy…de juger le Président ivoirien. S’il faut en croire à ces hommes politiques de grande envergure, le Président ivoirien est exceptionnel parmi les Chefs des pays en voie de développement et même du monde moderne. La contradiction entre les propos et les actes d’un homme, surtout un homme politique, est parfois inévitable. Il en fut ainsi de tout temps dans le monde. Il y a des moments où le Chef ne peut tenir sa promesse, comme il arrive souvent de tomber sur des cas où l’application de la loi se révèle impossible. Si les propos d’Houphouët-Boigny, Président ivoirien, peuvent être parfois en contradiction avec ses actes, parce que des contingences politiques, économiques et sociales l’y ont forcé, le comportement humain et traditionnel de Dia Houphouët-Boigny n’a jamais varié depuis que je l’ai connu.»

Interview réalisée par Issa T. Yéo
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