«Faites que les autres sorciers soient dissuadés de commettre d'autres forfaits », «messieurs les juges, vous êtes notre seul espoir, alors aidez-nous en rendant justice». Voici quelques mots qu'on pouvait lire sur des pancartes portées par les jeunes du village de Dobé dans la commune de Gagnoa. Ils sont sortis en grand nombre pour envahir la salle d'audience du tribunal de la ville parce que l'un d'eux a payé de sa vie les actes ignobles des sorciers dudit village. La victime, Wédji Koué Paterne, élève de 17 ans en classe de 3ème dans un établissement secondaire de la ville, ne pourra malheureusement pas se présenter à l'examen du BEPC. Il est la 9ème victime sur la liste de ses bourreaux. Une liste dressée sur une autre pancarte avec les noms et professions des victimes. Ce sont tous des cadres du village qui ont été les cibles de ces sorciers, opérant le plus souvent par surprise. «Je n'ai pas eu peur lorsqu'on m'a appelé au sujet de la maladie de mon fils. Je cours à son chevet pour le conduire à l'hôpital. Après cela nous rentrons au village pour renforcer le traitement par la médecine traditionnelle », explique Ouraga Wédji Alfred, le père de la victime. Leur arrivée au village coïncide avec l'aggravation du mal. « Au village, il toussait et vomissait du sang, tout en se débattant violemment au point de s'essouffler», s'inquiète le père. Il prend alors la résolution de ramener le malade à l'hôpital. Chemin faisant, le patient décède et finalement c'est la morgue qui le reçoit. Le jour des funérailles, le père va prendre le corps. «Grande fut ma surprise de constater que le corps saignait abondamment par tous les orifices. Ce qui rendait la tâche difficile aux laveurs et qui devaient habiller le cadavre», confie le père. En fin de compte, ils trouvent une solution en bouchant tous les orifices avant que le cortège funèbre n'emprunte la route du village. Les jeunes accueillent le corbillard à l'entrée du bourg. Ils demandent à ouvrir le cercueil pour voir une dernière fois leur ami. Le spectacle qu'offre le cadavre relève du surnaturel. « Le cou du corps a exagérément grossi et avait le volume de celui d'un bœuf », raconte le père. Selon lui, ce second indice d'anomalie sur le corps de son fils l'amène à réaliser que cette mort n'est pas naturelle. La veillée funèbre tire à sa fin. C'est le moment de conduire Paterne à sa dernière demeure. Contre toute attente, le cercueil refuse d'emprunter la route du cimetière. «Cela traduit la volonté du défunt de désigner son ou ses bourreaux», dévoile Ouraga. Revirement de situation. Le cercueil fonce dans le village, droit sur la maison de Wahi Bruno qu'il cogne violemment, ensuite c'est le tour de Nawé Mathieu d'être désigné, puis trois autres complices. Djokouri Honoré, Koudougnon Rémi et Djédjé Barthélemy sont démasqués. Cela fait un contingent de 5 sorciers qui sont invités à répondre de leur acte devant le tribunal. Le juge s'est souvenu que deux des prévenus ont déjà, l'année dernière, été jugés pour des actes de sorcellerie. Où il leur était reproché d'avoir initié des gamins à la pratique de cette science occulte. Mais cette année là, la justice estimant que les charges retenues contre eux n'étaient pas accompagnées d'assez de preuves les relâche. Un an après, les revoilà, cette fois-ci, pour le meurtre d'un garçon encore dans la fleur de l'âge. Comme tous bons sorciers, ils refusent en bloc l'accusation. Après environ 4 heures de discussion pénible, le nommé Nawé Mathieu se met à table. « Nous avons effectivement tué Paterne sur ordre de son oncle Bruno », avoue le sorcier. Malgré cet aveu, les quatre autres nient crânement les faits. Mais, ils seront confondus par le même Mathieu qui dévoile au tribunal que « seul le sorcier reconnaît son ami sorcier. Aussi dans notre milieu, il existe une loi fondamentale selon laquelle la chair humaine ne peut pas quitter une famille pour une autre sans autorisation préalable d'un membre de la famille d'origine. Je dis bien que c'est l'oncle de Paterne qui l'a livré », conclut-il. Le tribunal considère l'aveu comme une preuve suffisante pour reconnaître les cinq hommes coupables de pratique de sorcellerie. Ils prennent 5 ans de prison et doivent verser une amende de 500 mille francs chacun. Cette sentence a eu l'adhésion du père de la victime. C'est un homme visiblement satisfait de la décision de justice que nous avons rencontré. « Mon souhait était que justice soit faite, que la peine maximale leur soit infligée pour les décourager d'une telle pratique. Aujourd'hui, les jeunes ont peur de se rendre au village à cause de la sorcellerie. Si ceux-ci sont traqués, je pense que la jeunesse aura le courage de revenir au bercail », déclare celui qui perdu son fils. Nous avons pu constater que dans sa lutte contre les sorciers, il a le soutien des jeunes de son village, ceux des villages voisins et aussi le soutien des élèves de l'établissement du défunt.
Alain Kpapo à Gagnoa
Alain Kpapo à Gagnoa