Beaucoup de nos concitoyens disent être déçus voire désemparés parce qu’ils estiment que notre horizon s’assombrit, que notre classe politique n’est pas à la hauteur de la destinée que nos pères fondateurs ont rêvée pour notre nation, que la corruption dans l’administration est devenue une gangrène, que notre système de santé a perdu son visage humain depuis belle lurette, que l’insécurité a atteint son comble, que l’école ivoirienne s’est engagée dans un virage périlleux, que la pauvreté et le chômage sont croissants, que nos routes et autres infrastructures économiques se dégradent dans l’indifférence totale, que notre jeunesse plonge désespérément dans le vice parce que livrée à elle-même, sans repères et sans espérance dans cette grisaille… Ils concluent que notre pays s’enlise. Pour y remédier, recherchons-nous collectivement des solutions ? Non. Nous poursuivons plutôt des coupables pour la potence. Ainsi, le peuple accuse les intellectuels de rester silencieux devant cette impasse sociopolitique qui grippe la marche de notre pays, alors que ceux-ci sont censés êtres porteurs de lumière, et par cet avantage né de l’instruction et de l’expérience, éclairer les masses mais aussi, suggérer des chemins aux dirigeants. Pour leur part, les intellectuels ont vite fait de trouver "leurs" coupables : la classe politique ivoirienne, qui sacrifierait notre quiétude et nos attentes de lendemains qui chantent sur l’autel de son égoïsme. Ces acteurs politiques quant à eux se rejettent les fautes les uns les autres. Ainsi l’opposition accuse le pouvoir, le pouvoir l’opposition. Et chaque camp croit dur comme fer que ce qu’il pense est la vérité contre laquelle ceux qui se liguent doivent être systématiquement jetés aux orties… Rappelons-nous, le philosophe François Jacob a écrit à juste titre dans l’avant-propos de Le jeu des possibles : essai sur la diversité du vivant : « Rien n’est aussi dangereux que la certitude d’avoir raison. Rien ne cause autant de destruction que l’obsession d’une vérité considérée comme absolue. Tous les crimes de l’Histoire sont des conséquences de quelque fanatisme. Tous les massacres ont été accomplis par vertu, au nom de la religion vraie, du nationalisme légitime, de la politique idoine, de l’idéologie juste ; bref, au nom du combat contre la vérité de l’autre... » Or, pour n’avoir pas pris en compte cette mise en garde de Jacob, nous nous embourbons collectivement en prenant notre pied dans ce jeu rugissant d’accusations réciproques. Certes, comme d’éternels enfants (qui rêvent de parents parfaits), tous les peuples rêvent de dirigeants qui soient des super-héros. Mais cela reste juste un rêve, car les leaders aussi ont leurs faiblesses, étant de la même nature que le peuple, dont ils émanent, d’ailleurs. Mais si nous descendions en nous-mêmes, si notre génération faisait sans complaisance le bilan des 50 premières années de notre indépendance, nous parviendrions au bon diagnostic et, en remédiant au mal, tracerions certainement les sillons d’une destinée meilleure pour notre nation. Si nous nous remettions en cause en tant que peuple, nous comprendrions que nous avons, nous aussi, notre part de responsabilité à quelque niveau que ce soit… Mieux encore, nous saisirions que Gbagbo, Bédié, Ouattara, Soro, Oble et les autres ne sont pas nos ennemis. Ils ne sont que des acteurs mis en lumière pour un temps, comme nous sommes des acteurs de l’ombre. Or, dans le cycle de vie de notre nation, un jour, ceux de l’ombre pourraient bien passer à la lumière, et ceux de la lumière, à l’ombre. Ainsi, chacun, comptables de ses actes et discours, portera sa propre responsabilité devant l’Histoire. Donc si nous ne questionnons pas nos propres consciences à la lumière des crises actuelles, le risque de reproduire voire d’amplifier demain les mêmes erreurs, demeure élevé... Nos ennemis sont en nous-mêmes : en nos pensées, nos sentiments, nos paroles, nos actes, nos attitudes et comportements face aux épisodes de la marche de notre peuple. A chacun de les identifier avec courage et lucidité. Aussi ne devons-nous pas perdre de vue que nous tenons entre nos mains, les clés de notre avenir collectif. Ainsi, nous pouvons ouvrir la véranda de la prospérité comme les toilettes du chaos. Tout dépend de nous. Nous avons, de même, l’alternative de poser les jalons d’une société plus équilibrée, fondée sur les valeurs de la justice, du travail et de la solidarité. Mais nous pouvons à rebours, choisir de perdre la raison, en fragilisant à dessein nos acquis, en détruisant les fruits des efforts de plusieurs générations d’Ivoiriens et de non-Ivoiriens, qui se sont tant saignées pour donner à ce pays, ses notes de noblesse, qui font tant notre fierté. Nombreux sont ceux qui, à tort ou à raison, accusent les partis politiques de mettre à mal notre cohésion pour des dividendes personnelles, lesquelles sont aux antipodes des grands rêves qui ont poussé nos pères fondateurs à l’action, quand ils bâtissaient ce bout de terre qu’est la Côte d’Ivoire et l’élevaient à la dignité de nation respectée et incontournable dans la sous-région ouest-africaine et dans le concert des nations. Devons-nous dès lors, brûler les partis politiques pour que notre patrie parvienne à se réconcilier avec elle-même et se projeter plus sereinement dans l’avenir ? Peut-être bien que non. Evidemment, ces organisations continueront d'exister en tant qu'entités et de mener leurs activités. Mais celles-ci doivent tenir compte de la cohésion sociale et s'inscrire dans la logique de la construction nationale. Et nous pouvons, en tant que citoyens de cet Etat, veiller à ce que ce résultat soit atteint. Nous sommes donc en droit de réclamer des acteurs politiques, de la sagesse et surtout de la courtoisie dans leurs discours, leurs écrits, leurs actes. Albert Camus, écrivain et journaliste français a affirmé que la politique, c’est élever le niveau du peuple par le niveau du langage. Nous savons aussi que les Saintes Ecritures soulignent que c’est de l’abondance du cœur que la bouche parle. C’est dire, en définitive, que si les pensées, les sentiments de ceux qui exercent ou aspirent à exercer de hautes fonctions politiques, ont une noble idée de notre pays, s’ils ont des projets élevés pour notre société, s’ils ont de l’amour ou du respect pour notre patrie, ils doivent le prouver par leur langage. C’est alors qu’ils sauront nous motiver pour relever solidairement les défis du développement présents et à venir. C’est pourquoi, nous sommes en droit d’exiger d’eux, l’élévation des débats, la clarté des projets, l’opportunité des actions. Contribuent-ils ou non à la consolidation de notre nation ? Nous devons rappeler aux acteurs politiques, que nos pères — qui ont lutté pour notre indépendance et tracé les sillons de l’avenir avec une grande responsabilité — nous ont élevés et accompagnés dans l’élégance, toutes les élégances : langagière, gestuelle, vestimentaire, etc., et toutes les attitudes positives corrélatives. C’est ce qui nous a grandis, c’est ce qui nous a anoblis. Ainsi, toute autre attitude contraire nous rabaisse. La question est de savoir si notre génération accepte d’être ainsi rabaissée. Une autre question s’invite à l’occasion : nos acteurs politiques actuels sont-ils en mesure de guérir notre nation par des paroles et des actes qui rassemblent, motivent, sèment la vie, font espérer ? Si cela est au-delà de leurs forces, alors peut-être nous invitent-ils à renouveler la classe politique ivoirienne… Nous pourrions dans ce cas de figure, dire qu’une génération s’en va, une autre arrive. Mais à la vérité, ce sont moins les générations que les mentalités qui doivent changer, quand on sait qu’il y a des jeunes aux idées avariées comme il y a des vieux aux idées novatrices, et vice-versa. Cette génération qui arrive doit par sa vision, ses méthodes, ses discours et ses actes, transformer qualitativement le cours de notre histoire commune, consolider nos acquis et ouvrir les écluses d’une espérance nouvelle. Pour ce faire, elle doit répondre efficacement à nos attentes légitimes en matière de santé ; elle engagera aussi des réformes vigoureuses pour revaloriser notre système éducatif et la formation, et les mettre en phase avec le marché du travail à dessein de redonner des chances à notre jeunesse ; elle investira également dans l’industrialisation, repensera notre tourisme et notre industrie culturelle pour les rendre compétitives dans ce rendez-vous de la mondialisation ; elle développera bien évidemment nos infrastructures de bases, réhabilitera nos routes dégradées et construira de nouveaux ponts et chaussées puisque la route, dit-on, précède le développement ; elle modernisera notre agriculture et les ressources halieutiques ; elle repensera inévitablement notre politique du logement et de l’habitat ; elle redéfinira les missions assignées à nos forces de défense et de sécurité tout en renforçant leurs capacités opérationnelles pour la protection des biens et des personnes afin que nous passions de l’insécurité à l’assurance sécuritaire ; elle s’investira dans une politique cohérente de lutte contre le chômage ; elle revalorisera les salaires ; elle éradiquera la corruption dans l’administration. Bref, elle réfléchira aux solutions idoines pour chaque dysfonctionnement et mettra en œuvre les résolutions que ses intellectuels et autres experts définiront clairement. Cette génération nouvelle nous remettra ainsi au travail, et, ensemble, nous relèverons les ruines de notre pays. Nous retrouverons notre place de choix dans le concert des nations. En somme, elle nous redonnera l’oxygène qui manque au génie de notre peuple pour se déployer et nous conduire vers les sommets du progrès. Les Ivoiriennes, les Ivoiriens soupirent après cette génération de leaders politiques qui tiendra ses promesses à leur endroit, créant ainsi les conditions d’une espérance nouvelle. Alors, elle parachèvera le rêve qui animait nos pères fondateurs, quand ils bâtissaient cette terre de liberté, d’hospitalité, de fraternité, de solidarité, de prospérité et de paix. Voici, à nouveau, nous pourrons fièrement chanter : « Salut, ô terre d’espérance…»
Charles Pemont,
Ecrivain, éditeur,
Tél. : +225 07.70.82.30 / +225 03.74.12.86 / +225 22.45.75.15
22 BP 522 Abidjan 22 / Email : pemont@netcourrier.com
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