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Editorial Publié le mardi 13 juillet 2010 | Le Nouveau Courrier

Edito

C’est tout un symbole. Le quotidien français Le Monde, qui s’est longtemps enorgueilli d’être un journal contrôlé par ses journalistes, eux-mêmes regroupés dans une société de rédacteurs ayant un «droit de veto», a été racheté durant la semaine qui s’achève par un conglomérat privé. Un conglomérat dans lequel on retrouve Pierre Bergé, figure de l’industrie du luxe en France et mécène – qui a apporté son soutien lors de la dernière présidentielle à la socialiste Ségolène Royal –; Xavier Niel, entrepreneur médiatique qui possède le fournisseur d’accès Internet Free ; et Mathieu Pigasse, banquier.

L’exception du Monde vole donc en éclats. Mais le prestigieux journal parisien du soir s’en sort mieux que ses concurrents, qui ont des patrons aux profils bien plus problématiques quant à la crédibilité et à l’indépendance de leurs titres. Ainsi, Le Figaro est contrôlé par Serge Dassault, industriel et homme politique de droite, fabricant d’avions militaires qui dépend de l’Etat français pour assurer ses commandes, y compris à l’étranger. Le quotidien historiquement de gauche Libération est la propriété d’Edouard de Rothschild, membre d’une des familles les plus riches du monde et ami de Nicolas Sarkozy.

Des liens capitalistiques qui alimentent, en France, le discours tendant à discréditer la presse traditionnelle, considérée comme trop proche des pouvoirs politiques et financiers pour être encore crédible. Des liens qu’il est absolument nécessaire de connaître sous nos cieux où l’on a souvent tendance à considérer qu’il y a d’une part la mauvaise presse locale, acquise à la cause des hommes politiques, peu professionnelle, indigne d’intérêt comme le font souvent savoir un certain nombre de nos «snobs». Et la presse internationale, professionnelle, honnête, etc…
L’industrialisation des médias en Occident crée aujourd’hui un phénomène de concentration qui est dangereux pour la démocratie. Et ce n’est pas seulement de la provocation que d’affirmer qu’en 2010, la presse ivoirienne est dans son ensemble plus libre et plus diversifiée que la presse française. Souvent pour le pire d’ailleurs, les excès ne manquant pas. Le ticket d’entrée est beaucoup plus bas – la somme à réunir pour créer un journal à Abidjan est sans commune mesure avec ce que demande une telle entreprise à Paris – et quasiment toutes les opinions sont représentées. Si elle doit sortir, une info sort. Difficile sous nos cieux d’imposer une politique de l’omerta telle que celle qui a cours actuellement dans l’Hexagone concernant le dossier chaud des événements de novembre 2004, qui aurait déjà dû créer une véritable affaire d’Etat si «la machine à étouffer» ne s’était pas mise en place. On en parle certes, mais on évite très prudemment de poser les questions centrales. Celles qui dérangent. De gauche, de droite, du centre ou de nulle part, tout le monde respecte la loi du silence.
Une réalité réunit cependant la presse «pauvre» (la nôtre) et la presse «développée» (celle que nos élites révèrent). Il s’agit de la fragilité économique. «Les entreprises de presse connaissent en général des difficultés. Au point où s’y engager ressemble à un saut périlleux. Mais votre longue et très riche expérience dans le domaine doublée d’un courage à toute épreuve m’oblige à croire que vous réussirez», nous a ainsi écrit un (très influent) lecteur, pour saluer l’avènement du Nouveau Courrier. En effet, l’information est d’une valeur inestimable, mais elle est difficilement «monétisable». Notamment dans notre environnement où le nombre de personnes disposant d’un revenu assez élevé pour acheter les journaux tous les jours est de moins en moins élevé. Et dans un contexte où l’information gratuite délivrée par des portails d’information en ligne qui récupèrent gratuitement les articles qui coûtent pourtant de l’argent aux rédactions nous livre une concurrence évidente.

Mais à quoi ressemblera donc notre monde, quand on se sera convaincu qu’il est inutile de payer pour avoir une information riche, citoyenne, fouillée, documentée et analysée de la manière la plus professionnelle… et qu’il ne restera plus sur le marché ivoirien que quelques journaux gouvernementaux ou entièrement tenus par des appareils politiques partisans ? Poser cette question, c’est y répondre.

Il faut être conscient que la liberté de la presse a de la valeur (et ce n’est pas difficile pour nos sociétés qui sortent du parti unique). Le Nouveau Courrier est là, vous l’aimez, il vous informe, mais sa survie et sa solidité dépendent de vos 200FCFA quotidiens. Ces 200FCFA ne sont pas seulement le prix de l’information du jour, ils sont votre participation à une société démocratique avec des contre-pouvoirs citoyens. Comme l’indique l’historien de la presse Patrick Eveno : «C'est le lecteur qui fait la presse. Ce n'est pas le patron, ce n'est pas le journaliste. C'est le lecteur qui détermine si la presse est indépendante, si elle est rentable.» A vous le ballon !
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