Lors de notre formation à Montréal (Canada), sur les directives de la Banque mondiale en matière de passation de marchés publics, nous avons été particulièrement impressionnés par l'attachement de l'opinion publique et des pouvoirs publics à la question de l'intégrité.
Notre curiosité nous a poussés à découvrir l'origine de ce regain d'intégrité dans ce pays d'Amérique du Nord.
En voilà les raisons qui ont créé le déclic devenu une tradition chez les citoyennes et citoyens canadiens.
Tout est parti d'un ministre intègre des travaux publics. Dès sa nomination, grand fut son étonnement de voir les entrepreneurs en bâtiment et travaux publics (Btp) et les fournisseurs de l'Etat venir discrètement lui donner des présents en nature et en argent dans l'objectif bien entendu de le corrompre et avoir ses faveurs futures dans l'attribution des marchés publics.
Au fur et à mesure, il notait soigneusement le nom des donateurs dans son calepin puis rangeait les dons. Au bout d'une certaine période, il convoqua tous les donateurs devant les autorités ecclésiastiques du pays. Et en leur présence, il fit don à l'église de toutes les faveurs reçues des entrepreneurs, en prenant soin de lire publiquement la liste des donateurs ainsi que leurs prétentions. Humiliés et pris dans un tourment de confusion, aucun entrepreneur du pays, n'a plus eu l'audace et le courage d'influencer, par des présents et sa puissance financière, le système d'attribution des contrats durant le mandat de ce ministre. Ainsi, avec très peu de moyens et bien optimisés, le ministre des travaux publics a pu doter l'immense territoire et les villes canadiennes des infrastructures de base, socle du développement prodigieux du Canada. Dès lors, les ministres successifs ainsi que les gouverneurs de provinces n'avaient d'autres choix que de suivre les sillons tracés par les prédécesseurs dans la gestion des affaires publiques, notamment l'attribution des contrats et les concours administratifs. Et pour mieux maintenir le cap, le Canada s'est doté d'un vérificateur général, une sorte de censeur public dont le pouvoir s'étend à toutes les institutions publiques y compris les ministres, aux fins de traquer, épingler et sanctionner les errements et les abus de l'Administration. Sans transposer forcément cet exemple en Côte d'Ivoire, nous pouvons cependant en tirer des pistes de réflexion au regard de l'actualité récente relative aux “dix milliards de nos francs à titre de dessous de table” qui auraient été perçus par des extraterrestres que nos juges n'épingleront assurément pas. Or, seule l'exhumation de la traçabilité de cette manne financière permettra, non seulement de comprendre pourquoi nos élections (hypothétiques) sont les plus couteuses au monde, et surtout, le degré de nuisance de la corruption sur l'avenir des pays africains en termes d'endettement exponentiel.
Bien sûr que sous l'impulsion du Président Laurent Gbagbo, les reformes économiques engagées par l'intègre Charles Koffi Diby ont permis d'atteindre le point de décision et bientôt le point d'achèvement de l'initiative Ppte. Mais dors et déjà, nous devons être sûrs d'une chose : nous retomberons aussitôt dans l'endettement tant que la cupidité et les détournements de l'argent public demeureront les dénominateurs communs entre les ministres présents et les nouveaux à nommer. Car, c'est bien de cet enjeu dont il s'agit. Sans se voiler la face, reconnaissons qu'en Côte d'Ivoire et dans la plupart des pays africains, le statut conçu pour la fonction ministérielle incite les ministres d'esprit faible à la cupidité et à la corruption, du fait de l'immunité de juridiction qui les couvre et qui leur garantit l'impunité totale.
En effet, que valent les sanctions prévues par le nouveau Code des Marchés publics si aucune juridiction de droit commun ne peut les opposer à un ministre ou à un premier ministre soupçonné éventuellement de corruption (cf affaire Sagem) ?
Dans ce contexte, face à un appareil judiciaire défaillant et irrémédiablement décadent, le salut de la Nation réside dans notre capacité à suppléer le pouvoir des juges (3e pouvoir) par le pouvoir des journalistes (4e pouvoir).
Certes, la presse n'a pas la prétention de conduire quiconque en prison. Mais en revanche, si elle est indépendante et financièrement autonome, elle a le mérite de révéler à l'opinion publique les trafics d'influences et les abus de pouvoir. Ce qu'il est convenu d'appeler “l'affaire Tagro” atteste empalement le pouvoir de la presse. Mais, il se pose un préalable lié à forme d'accompagnement que l'Etat se doit d'apporter à la presse. Bien souvent, l'Etat se contente de dicter les règles de procédure sans mesures d'accompagnement. Le lancement du nouveau code des marchés publics en est un exemple patent. Pour les besoins de la bonne compréhension du problème, voilà un code adopté en conseil des ministres le 6 aout 2009.
Fruit d'une longue période de réflexion d'experts chevronnés, cet ordonnancement juridique règlementant les appels d'offres nationaux et internationaux ainsi que les règles de sélection de consultants en Côte d'Ivoire, n'a pas fait l'objet de formation préalable avant son entrée en vigueur le 21 avril 2010.
A quel bilan veut-on aboutir au 31 décembre 2010, si les cadres en charges du pilotage des appels d'offres dans les ministères, dans les Sociétés d'Etat et ceux des conseils généraux et des communes ne sont pas formés sur l'ensemble des innovations ? De part et d'autres, les acteurs locaux réclament vainement une formation. Exception faite du nouveau ministre du commerce (M. Yapo Calice) qui a fait former d'emblée ses administrés sur les dispositions du nouveau code des marchés publics.
Pour notre part, nous pensons que le Don de Gouvernance et de Développement Institutionnel (Dgdi) octroyé par la Banque mondiale devrait prioritairement, contribuer à la formation urgente et sans délai, du personnel en charge des achats dans les démembrements de l'Etat, mais aussi la formation des Journalistes d'investigation dans les circuits de la dépense publique et dans le recouvrement et la gestion des impôts.
Le temps est peut être venu d'accorder à chaque organe de presse pertinent (presse écrite, télé et radio) , une bourse destinée à la formation et à la fidélisation d'un journaliste aguerri aux questions de bonne gouvernance et de finances publiques aux fins de traquer la fraude et la corruption dans l'Administration ivoirienne.
Oui, mesdames et messieurs, tout comme les drogues pour lesquelles des chiens sont dressés au flair afin de détecter leur trafic, la fraude et la corruption dans le recouvrement des impôts et dans la passation des marchés publics, ont aussi une odeur que seuls des journalistes investigateurs spécialisés et bien formés à la détection des zones grises, des comportements à surveiller, des indicateurs de fraudes et à la stratégie de surveillance, permettront à la Côte d'Ivoire de se constituer des sentinelles pour la bonne gouvernance. Peut-on se fier au contrôle du Parlement qui rechigne à s'assumer ? Rien n'est moins sûr.
Discutant avec un grand homme de presse de notre pays, il m'a fait entendre que la presse est sinistrée du fait que les organes de presse n'arrivent pas à fidéliser leurs journalistes d'expérience, du fait du niveau de la rémunération dans ce corps de métier. La conséquence, c'est que les rédactions sont désertées au profit du couple agoras et parlement qui nourrit bien son homme. Et finalement, faute de répondants spécialisés et calibrés en face d'eux, les invités aux débats radiotélévisés s'en tirent à bon compte par la démagogie, au grand dam des téléspectateurs frustrés et laissés sur leur faim.
A qui la faute ? Pas sûrement les journalistes ni les organes de presse, mais celle des pouvoirs publics. Il est question de notre avenir commun et de celui de notre pays que les combats politiciens ambiants ne doivent nullement perdre de vue. Si le Canada qui n'a d'atouts que l'intégrité et l'ingéniosité de ses citoyens est devenu une puissance économique, la Côte d'Ivoire peut s'affranchir de son statut de Ppte à condition que l'intégrité soit la valeur la plus partagée par tous à commencer par les ministres. Il est temps d'agir, sinon les reformes, si prometteuses quelles soient, ne deviendront bientôt qu'un amas de vieux textes à la merci des cafards dans les placards, faute d'opinion publique préparée et prompte à booster leur application.
Kouakou Dapa Donacien
Juriste, Spécialiste en Passation des Marchés Publics.
Notre curiosité nous a poussés à découvrir l'origine de ce regain d'intégrité dans ce pays d'Amérique du Nord.
En voilà les raisons qui ont créé le déclic devenu une tradition chez les citoyennes et citoyens canadiens.
Tout est parti d'un ministre intègre des travaux publics. Dès sa nomination, grand fut son étonnement de voir les entrepreneurs en bâtiment et travaux publics (Btp) et les fournisseurs de l'Etat venir discrètement lui donner des présents en nature et en argent dans l'objectif bien entendu de le corrompre et avoir ses faveurs futures dans l'attribution des marchés publics.
Au fur et à mesure, il notait soigneusement le nom des donateurs dans son calepin puis rangeait les dons. Au bout d'une certaine période, il convoqua tous les donateurs devant les autorités ecclésiastiques du pays. Et en leur présence, il fit don à l'église de toutes les faveurs reçues des entrepreneurs, en prenant soin de lire publiquement la liste des donateurs ainsi que leurs prétentions. Humiliés et pris dans un tourment de confusion, aucun entrepreneur du pays, n'a plus eu l'audace et le courage d'influencer, par des présents et sa puissance financière, le système d'attribution des contrats durant le mandat de ce ministre. Ainsi, avec très peu de moyens et bien optimisés, le ministre des travaux publics a pu doter l'immense territoire et les villes canadiennes des infrastructures de base, socle du développement prodigieux du Canada. Dès lors, les ministres successifs ainsi que les gouverneurs de provinces n'avaient d'autres choix que de suivre les sillons tracés par les prédécesseurs dans la gestion des affaires publiques, notamment l'attribution des contrats et les concours administratifs. Et pour mieux maintenir le cap, le Canada s'est doté d'un vérificateur général, une sorte de censeur public dont le pouvoir s'étend à toutes les institutions publiques y compris les ministres, aux fins de traquer, épingler et sanctionner les errements et les abus de l'Administration. Sans transposer forcément cet exemple en Côte d'Ivoire, nous pouvons cependant en tirer des pistes de réflexion au regard de l'actualité récente relative aux “dix milliards de nos francs à titre de dessous de table” qui auraient été perçus par des extraterrestres que nos juges n'épingleront assurément pas. Or, seule l'exhumation de la traçabilité de cette manne financière permettra, non seulement de comprendre pourquoi nos élections (hypothétiques) sont les plus couteuses au monde, et surtout, le degré de nuisance de la corruption sur l'avenir des pays africains en termes d'endettement exponentiel.
Bien sûr que sous l'impulsion du Président Laurent Gbagbo, les reformes économiques engagées par l'intègre Charles Koffi Diby ont permis d'atteindre le point de décision et bientôt le point d'achèvement de l'initiative Ppte. Mais dors et déjà, nous devons être sûrs d'une chose : nous retomberons aussitôt dans l'endettement tant que la cupidité et les détournements de l'argent public demeureront les dénominateurs communs entre les ministres présents et les nouveaux à nommer. Car, c'est bien de cet enjeu dont il s'agit. Sans se voiler la face, reconnaissons qu'en Côte d'Ivoire et dans la plupart des pays africains, le statut conçu pour la fonction ministérielle incite les ministres d'esprit faible à la cupidité et à la corruption, du fait de l'immunité de juridiction qui les couvre et qui leur garantit l'impunité totale.
En effet, que valent les sanctions prévues par le nouveau Code des Marchés publics si aucune juridiction de droit commun ne peut les opposer à un ministre ou à un premier ministre soupçonné éventuellement de corruption (cf affaire Sagem) ?
Dans ce contexte, face à un appareil judiciaire défaillant et irrémédiablement décadent, le salut de la Nation réside dans notre capacité à suppléer le pouvoir des juges (3e pouvoir) par le pouvoir des journalistes (4e pouvoir).
Certes, la presse n'a pas la prétention de conduire quiconque en prison. Mais en revanche, si elle est indépendante et financièrement autonome, elle a le mérite de révéler à l'opinion publique les trafics d'influences et les abus de pouvoir. Ce qu'il est convenu d'appeler “l'affaire Tagro” atteste empalement le pouvoir de la presse. Mais, il se pose un préalable lié à forme d'accompagnement que l'Etat se doit d'apporter à la presse. Bien souvent, l'Etat se contente de dicter les règles de procédure sans mesures d'accompagnement. Le lancement du nouveau code des marchés publics en est un exemple patent. Pour les besoins de la bonne compréhension du problème, voilà un code adopté en conseil des ministres le 6 aout 2009.
Fruit d'une longue période de réflexion d'experts chevronnés, cet ordonnancement juridique règlementant les appels d'offres nationaux et internationaux ainsi que les règles de sélection de consultants en Côte d'Ivoire, n'a pas fait l'objet de formation préalable avant son entrée en vigueur le 21 avril 2010.
A quel bilan veut-on aboutir au 31 décembre 2010, si les cadres en charges du pilotage des appels d'offres dans les ministères, dans les Sociétés d'Etat et ceux des conseils généraux et des communes ne sont pas formés sur l'ensemble des innovations ? De part et d'autres, les acteurs locaux réclament vainement une formation. Exception faite du nouveau ministre du commerce (M. Yapo Calice) qui a fait former d'emblée ses administrés sur les dispositions du nouveau code des marchés publics.
Pour notre part, nous pensons que le Don de Gouvernance et de Développement Institutionnel (Dgdi) octroyé par la Banque mondiale devrait prioritairement, contribuer à la formation urgente et sans délai, du personnel en charge des achats dans les démembrements de l'Etat, mais aussi la formation des Journalistes d'investigation dans les circuits de la dépense publique et dans le recouvrement et la gestion des impôts.
Le temps est peut être venu d'accorder à chaque organe de presse pertinent (presse écrite, télé et radio) , une bourse destinée à la formation et à la fidélisation d'un journaliste aguerri aux questions de bonne gouvernance et de finances publiques aux fins de traquer la fraude et la corruption dans l'Administration ivoirienne.
Oui, mesdames et messieurs, tout comme les drogues pour lesquelles des chiens sont dressés au flair afin de détecter leur trafic, la fraude et la corruption dans le recouvrement des impôts et dans la passation des marchés publics, ont aussi une odeur que seuls des journalistes investigateurs spécialisés et bien formés à la détection des zones grises, des comportements à surveiller, des indicateurs de fraudes et à la stratégie de surveillance, permettront à la Côte d'Ivoire de se constituer des sentinelles pour la bonne gouvernance. Peut-on se fier au contrôle du Parlement qui rechigne à s'assumer ? Rien n'est moins sûr.
Discutant avec un grand homme de presse de notre pays, il m'a fait entendre que la presse est sinistrée du fait que les organes de presse n'arrivent pas à fidéliser leurs journalistes d'expérience, du fait du niveau de la rémunération dans ce corps de métier. La conséquence, c'est que les rédactions sont désertées au profit du couple agoras et parlement qui nourrit bien son homme. Et finalement, faute de répondants spécialisés et calibrés en face d'eux, les invités aux débats radiotélévisés s'en tirent à bon compte par la démagogie, au grand dam des téléspectateurs frustrés et laissés sur leur faim.
A qui la faute ? Pas sûrement les journalistes ni les organes de presse, mais celle des pouvoirs publics. Il est question de notre avenir commun et de celui de notre pays que les combats politiciens ambiants ne doivent nullement perdre de vue. Si le Canada qui n'a d'atouts que l'intégrité et l'ingéniosité de ses citoyens est devenu une puissance économique, la Côte d'Ivoire peut s'affranchir de son statut de Ppte à condition que l'intégrité soit la valeur la plus partagée par tous à commencer par les ministres. Il est temps d'agir, sinon les reformes, si prometteuses quelles soient, ne deviendront bientôt qu'un amas de vieux textes à la merci des cafards dans les placards, faute d'opinion publique préparée et prompte à booster leur application.
Kouakou Dapa Donacien
Juriste, Spécialiste en Passation des Marchés Publics.