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Editorial Publié le mercredi 14 juillet 2010 | Le Nouveau Courrier

Edito

Les chefs d’Etat de 13 pays d’Afrique francophone ayant accédé en 1960 à la souveraineté nationale et internationale ont déjeuné avec le président français, le 13 juillet 2010. Le lendemain, leurs armées devaient défiler sur l’avenue des Champs-Elysées. Oui ou non, l’Afrique dirigeante devait-elle se rendre dans la capitale française ? Ceux qui ont fait le voyage, pour des raisons faciles à deviner (c’est Paris qui les a mis et les maintient au pouvoir malgré leur gestion calamiteuse), répondront qu’il n’y a aucun mal à participer à la fête nationale du pays qui les a colonisés. D’autres comme moi ne verront dans ces deux actes qu’une auto-humiliation de plus. Pour eux, il fallait purement et simplement boycotter ce qui ressemble plus à une convocation qu’à une invitation. Pourquoi ?
Parce que la France n’a jamais regretté les nombreux crimes qu’elle a perpétrés en Afrique et à Madagascar. Je pense, entre autres, aux bombardements au napalm effectués en pays bamiléké avant l’indépendance et qui firent entre 300 000 à 400 000 morts (elle salua au contraire la mémoire de Pierre Messmer, l’homme qui promit au général de Gaulle, dans son bureau de la rue de Solferino, qu’il finirait par avoir la peau de Ruben Um Nyobé et des autres dirigeants de l’Union des populations du Cameroun), parce que, en cinquante ans, la France a montré que tout ce qu’elle savait faire, c’était de piller les richesses naturelles de ses anciennes colonies et de déstabiliser les présidents africains qui ne voyaient pas les choses de la même façon qu’elle. C’est effectivement elle qui a «accaparé les ressources minières du Gabon avec la complicité d’un président enrôlé dès son service militaire par l’armée française et ses services secrets» (on peut en dire autant du pétrole congolais qui jusqu’ici a plus profité à Denis Sassou Nguesso et à Elf qu’au peuple congolais, du cacao ivoirien, de l’uranium nigérien, de l’or malien, etc.) et orchestré «les guerres civiles et les dictatures qui ont détruit et endeuillé l’Angola, le Congo-Brazzaville, le Nigeria, etc.» (Eva Joly, La force qui nous manque, Paris, Les Arènes, 2007, pp. 115 et 116). Il ne fallait pas aller à Paris : deuxièmement, parce que les dirigeants français ont rarement honoré leurs promesses. En effet, ministre de l’Intérieur en visite en mai 2006 à Cotonou (Bénin), Nicolas Sarkozy avait annoncé, de manière tonitruante, que, une fois élu président de la République, il débarrasserait la relation entre la France et ses ex-colonies «des réseaux d'un autre temps, des émissaires officieux qui n'ont d'autre mandat que celui qu'ils s'inventent, des circuits officieux qui ont fait tant de mal par le passé». Or il vient de passer trois ans à l’Elysée et il n’a rien réussi d’autre que d’affirmer que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire» ou de débarquer du poste de secrétaire d'Etat à la coopération, à la demande de feu Omar Bongo, Jean-Marie Bockel qui avait eu l’outrecuidance, dans ses vœux à la presse, de proclamer son intention d'achever la Françafrique et de fustiger la mauvaise gouvernance de certains présidents africains. François Mitterrand, dont l’arrivée au pouvoir en mai 1981 avait suscité un immense espoir chez les Africains épris de liberté et de justice, avait fait de même en limogeant, en 1982, Jean-Pierre Cot qui ne voulait pas fermer les yeux sur les violations des droits de l’homme en Afrique. A l’heure où ces lignes sont écrites, nul ne sait à quel moment la France qui se vante d’être la patrie de la liberté et des droits de l’homme tournera «la page des complaisances, des secrets et des ambiguïtés», quand elle arrêtera de s’immiscer dans les affaires des Africains, quand elle nous laissera enfin écrire notre propre histoire.
Il fallait décliner la convocation du gouvernement français parce que la France qui se dit démocratique ne se gêne guère pour chasser du pouvoir des présidents démocratiquement élus mais dont le seul tort est de refuser de prendre leurs ordres au Quai d’Orsay, à Matignon ou à l’Elysée. Ce qui s’est passé au Congo-Brazzaville en 1997 et en Côte d’Ivoire en 2002 est, à cet égard, fort éloquent. Si Jacques Chirac a appuyé et armé Denis Sassou Nguesso contre Pascal Lissouba (le même soutien fut apporté au Libérien Charles Taylor et au Burkinabè Blaise Compaoré dont personne ne peut nier l’implication dans les violences au Liberia, en Sierra Leone, en Guinée et en Côte d'Ivoire), s’il a tenté de renverser Laurent Gbagbo, c’est effectivement parce qu’il les jugeait pas suffisamment accommodants.
Cette France qui a attendu la mort de ceux qui l’ont aidée à combattre l’Allemagne nazie avant de voter une loi leur permettant de recevoir la même pension que les anciens combattants français, cette France qui n’hésita pas à fusiller, dans le camp de Thiaroye, les tirailleurs sénégalais qui avaient réclamé le paiement de leurs primes, cette France qui «joue toujours la carte des pouvoirs dictatoriaux à sa solde, contre la démocratie et l'alternance» (Théophile Kouamouo), qui fit mains et pieds pour que Faure Gnassingbé et Ali Bongo succèdent à leurs pères, cette France qui prêche la bonne gouvernance mais, dans le même temps, autorise les dictateurs africains à ouvrir chez elle des comptes bancaires avec l’argent volé aux populations africaines, cette France qui continue à penser que la colonisation fut positive alors que, au dire d’Aimé Césaire, elle fut chosification, destruction parce qu’elle inculqua à des millions d’hommes «la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme», parce qu’elle fabriqua hâtivement, en guise de formation culturelle, «quelques milliers de fonctionnaires subalternes, de boys, d’artisans, d’employés de commerce et d’interprètes nécessaires à la bonne marche des affaires» (Discours sur le colonialisme, Présence africaine, pp. 24 et 22) est mal placée pour appeler les Africains à célébrer, à Paris, le cinquantenaire d’une fausse indépendance.
En disant tout cela, je ne cherche pas à dédouaner les dirigeants africains et leurs peuples. Bien sûr que nous avons, gouvernants et gouvernés, notre part de responsabilité dans ces indépendances qui sont un échec retentissant dans plusieurs domaines mais on aurait aimé, pour une fois, que l’ancienne puissance coloniale s’occupât de ses oignons, c’est-à-dire qu’elle ne se mêlât point de nos problèmes.
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