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Politique Publié le samedi 24 juillet 2010 | Notre Voie

Des Africains au défilé du 14 juillet en France : “Le chant des partisans”, notre humiliation

La participation de certains chefs d’Etat africains au défilé du 14 juillet en France continue de susciter des réactions. Dans le texte qui suit, le professeur d’Université, Sery Bailly, livre son opinion sur la question.

Le 14 juillet est venu et est passé. Nous n’y avons pas participé et cela a donné lieu à nombre de commentaires. Le ciel ne leur est pas tombé sur la tête et nos têtes ont également été épargnées. Chacun est libre de ses opinions. J’ai entendu parler de « guerre personnelle », d’autres ont évoqué des questions d’« humeur » et de « certificat de résistance ». Ce qui importe, aujourd’hui que l’événement s’est produit, c’est le sens qu’il a pour nous en tant qu’individus ou communauté nationale. Pour ma part, je ne me prononcerai qu’à partir de ce que j’ai vu et surtout entendu. Pourquoi ont-ils chanté « Le chant des partisans » ? Quel en est le sens pour nous ?

Cette chanson dont les paroles ont été écrites par Joseph Kessel et Maurice Druon a été composée pour encourager la résistance française contre l’occupation allemande. Deux de ses vers disent : « Ami, entends-tu les cris du pays qu’on enchaîne ? (…) Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et les larmes ». La chanson réprouve les chaînes et l’ennemi de l’époque c’étaient les Allemands.

Interpréter alors « Le chant des partisans » à Berlin ou devant Angela Merkel serait une provocation. Jamais le président Sarkozy ne le ferait. C’est comme si les Allemands s’avisaient de chanter « Maréchal, nous voilà » sur les Champs Elysées à Paris ou chez eux devant le président français. Cela aussi serait vécu comme une provocation car à ses yeux, et à juste titre, le Maréchal Pétain représente la soumission à l’occupation allemande. Par respect pour les chefs d’Etat africains qui étaient présents, nous ne devons même pas dire « Maréchal, les voilà », comme les résistants français ont pu ironiser ! Ce sont là des chansons qui renvoient à des événements vidés de tout contenu depuis la fin de la seconde guerre mondiale, depuis un retentissant procès de Nuremberg !

Chanter donc « Le chant des partisans » devant des invités africains est une humiliation.

Pourquoi ? Les Français résistent ainsi à leurs occupants passés et présents et c’est à cette fin qu’ils convoquent cette chanson. Ils la chantent sans même que nous ne voyons une puissance qui les menace. A moins qu’il ne s’agisse de dire aux puissances absentes que la résistance française, dans le contexte historique actuel, peut encore compter sur ses anciennes colonies. Ce n’est plus l’axe Londres-Brazza mais Paris-Françafrique !

Et nous, nous n’aurions pas ce même droit de résistance ? Si nous les anciennes colonies françaises devions résister à quelqu’un ne serait-ce pas à la France d’abord ?


On dit que nous sommes trop faibles pour résister à plus fort que nous ! N’est-ce pas justement quand on est le plus faible qu’on résiste ? Les plus forts ne résistent pas, ils conquièrent, ils occupent ! Depuis l’historien grec Thucydide (5ème siècle avant Jésus Christ et témoin de l’occupation de la Grèce par Sparte), nous savons que les plus forts font ce qu’ils veulent et les plus faibles ce qu’ils peuvent.

Même Senghor, plus francophile que tous les chefs d’Etat présent ce 14 juillet singulier, a écrit dans un de ses poèmes : « Oui Seigneur, pardonne à la France qui hait les occupants / Et m’impose l’occupation si gravement. » On chante « Le chant des partisans » pour une occupation vaincue depuis 1945. Que ne pouvons-nous faire pour la nôtre qui officiellement n’a pris fin qu’en 1960 et ambitionne de survivre malgré toutes les dénégations ? Par ce chant, on nous dit que nous ne savons pas ce qu’est la liberté et qu’elle ne fait pas partie de nos valeurs. Nous serions les hommes du Code et de la schlague (Dadié), de la reptation (S.S. Adotevi), des « rires banania » (Senghor), les éternels et indistincts « tirailleurs sénégalais » !

Imaginez que le 7 août prochain nous invitions le président Sarkozy et que devant lui nous fassions jouer l’« Ode à la patrie ». Que penserait-il ? Que diraient nos compatriotes du RHDP qui ont sans doute des raisons de haïr ce chef d’œuvre ? Ils parleraient tous d’humiliation et de provocation.

« Le chant des partisans » de ce 14 juillet est une gifle pour nous. C’est ainsi que je l’ai senti dans mes oreilles et sur ma joue. Je suis désolé pour le ministre Amani N’guessan qui a dû l’entendre en direct.

Il est difficile d’entrer dans l’histoire de l’autre sans sortir de la sienne propre. Voilà pourquoi il importe de se méfier de ceux qui passent leur temps à dire que nous avons la même histoire. C’est faux, faux et faux !

Une contribution du Professeur Sery Bailly (N.B. : Le titre est de la Rédaction)
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